Étude du folklore en Acadie | l'Encyclopédie Canadienne

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Étude du folklore en Acadie

​Le riche folklore acadien est longtemps resté méconnu et peu exploité. Autour des années 1940, des pionniers comme le journaliste Joseph-Thomas LeBlanc et le Père Anselme Chiasson favorisent la diffusion de son répertoire de chansons de tradition orale. Plus tard, au cours de des années 50, Luc Lacourcière et ses acolytes des Archives de folklore de l’Université Laval procèdent à de substantielles collectes de contes, de légendes et de chansons. Jusqu’aux années 90, de nombreuses enquêtes sont menées aux quatre coins de l’Acadie.
Recueil de chansons du père Anselme Chiasson et du père Daniel Boudreau en 1942. Image : Université de Moncton / Centre d'études acadiennes Anselme-Chiasson.
Recueil de chansons du père Anselme Chiasson et du père Daniel Boudreau en 1942. Image : Université de Moncton / Centre d'études acadiennes Anselme-Chiasson.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Acadiens vivent en groupes isolés et établissent peu de contacts avec l’extérieur. Cette situation favorise la conservation des traditions de leurs ancêtres, de leur manière de parler (variante de la région du Poitou, en France), de leur cuisine, de leurs fêtes et de leurs traditions orales. Depuis leur arrivée sur le continent au XVIIe siècle, chansons, histoires et légendes sont transmises de génération en génération.

Avant 1940, très rares sont les documents qui témoignent du folklore en Acadie. De même, aucune véritable enquête ethnographique n’a encore été menée. On doit attendre les années 50 afin que d’importantes collectes soient orchestrées. Vers 1970, avec la création du Centre d’études acadiennes de l’Université de Moncton, la recherche sur le folklore acadien connaît un nouvel essor. Aujourd’hui, le « corpus acadien » occupe une place prépondérante au sein du patrimoine immatériel des francophones d’Amérique.

La « préhistoire »

En 1685, Jean Campagna, un colon établi à Beaubassin, est formellement accusé de sorcellerie. Les documents tirés de cette affaire constituent les premières traces des croyances populaires en Acadie. Dans la deuxième demie du XIXe siècle, le journal Le Moniteur acadien publie des versions littéraires de contes et de légendes, mais rien qui ne touche à la tradition orale authentique.

De son côté, l’historien français François-Edme Rameau de Saint-Père, fait paraître en 1877 Une colonie féodale en Amérique (L’Acadie, 1604–1710). L’ouvrage contient un certain nombre d’informations sur la vie traditionnelle des Acadiens. Quelques années plus tard, Philias-Frédéric Bourgeois mène une enquête auprès des élèves d’une école de Scoudouc, un village situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Moncton, où la Sainte Vierge aurait fait des apparitions. À la manière d’un ethnographe, Bourgeois se déplace et interroge les témoins. L’École aux apparitions mystérieuses paraît en 1896 et rend compte de cette expérience. En 1911,André-Thaddée Bourque publie Chez les anciens Acadiens, un ouvrage à l’intérieur duquel on retrouve diverses indications concernant les coutumes et les croyances populaires.

Malgré les efforts accomplis par un nombre restreint d’hommes de lettres et d’intellectuels, au premier quart du XXe siècle, aucune étude sérieuse sur le folklore n’a encore été entreprise.

Les pionniers des années 1940

À la fin des années 30 et au tout début des années 40, au moment où la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption, monument officiel de la « Reconnaissance acadienne », est érigée à Moncton, on commence à s’intéresser au folklore avec une plus grande rigueur scientifique. Entre 1938 et 1941, 87 chroniques sur la chanson populaire acadienne sont publiées dans le journal La Voix d’Évangéline. Par l’entremise des pages du périodique dont il est le rédacteur adjoint, Joseph-Thomas LeBlanc invite les lecteurs à lui fournir des versions de chansons issues de la tradition orale. Grâce à cette méthode, il parvient à recueillir plus de 1 300 versions de chansons. Les chroniques de LeBlanc s’inspirent des travaux critiques effectués par l’anthropologue Marius Barbeau, notamment de son Romancero du Canada publié en 1937. À l’époque des chroniques, LeBlanc devient une véritable référence en matière de folklore acadien et il entretient des relations épistolaires avec un nombre considérable de chercheurs influents. Il meurt prématurément en 1943.

À la même période, soit en 1942, le premier volume des Chansons d’Acadie des Pères Anselme Chiasson et Daniel Boudreau voit le jour. Rapidement, ces cahiers de chansons remportent un succès considérable. Bon nombre de chorales et d’artistes, tant en Acadie qu’au Québec, puisent à même leur répertoire. Entre 1942 et 1993, 11 volumes des Chansons d’Acadie seront publiés.

Recueil de chansons du père Anselme Chiasson et du père Daniel Boudreau en 1942. Image : Université de Moncton / Centre d'études acadiennes Anselme-Chiasson.
Recueil de chansons du père Anselme Chiasson et du père Daniel Boudreau en 1942. Image : Université de Moncton / Centre d'études acadiennes Anselme-Chiasson.

En 1946, la linguiste française Geneviève Massignon explore tous les coins de l’Acadie. Dans le cadre de ses études doctorales, elle s’intéresse aux parlers régionaux et à la chanson de tradition orale.

L’âge d’or

Durant la décennie 1950, Luc Lacourcière et Félix-Antoine Savard des Archives de folklore de l’Université Laval procèdent à de nombreuses enquêtes sur le patrimoine immatériel. Enthousiasmés par la richesse de la tradition orale acadienne, ils parviennent à générer d’importantes collections de contes, de légendes et de chansons. Paru en 1958, le disque Acadie-Québec,par exemple, rend compte de cette période de collectes excessivement féconde. D’un point de vue littéraire, le recueil Le Barachois, écrit par Savard, témoigne de ces moments privilégiés passés parmi les Acadiens.

À partir de 1966, l’Université de Moncton offre des cours de folklore et en 1970, le Centre d’études acadiennes est fondé. Rapidement, les Acadiens eux-mêmes, le Père Anselme Chiasson en tête, entreprennent de rassembler du matériel folklorique, créant ainsi d’importantes collections. Certains d’entre eux, notamment Édith Butler, Angèle Arsenault et Antonine Maillet, pour ne nommer que les plus illustres, se rendent à Québec auprès de Lacourcière afin poursuivre leurs études.

Antonine Millet, 1984.
Image: Harry Palmer/ \u00a9 Biblioth\u00e8que et archives Canada/ PA-182393

Au cours des années 70 et 80, un nombre considérable d’ethnologues sillonne les quatre coins de l’Acadie et enrichissent les fonds d’archives en plus de rédiger des articles savants, des monographies et des ouvrages au sujet du folklore acadien. Retenons les noms de Catherine Jolicoeur, de Robert Bouthillier, de Vivian Labrie, de Georges Arsenault, de Lauraine Léger, de Jean-Claude Dupont, Charlotte Cormier, de Ronald Labelle et, plus récemment, dans les années 90, de Robert Richard.

Les Acadiens n’ont pas légué un patrimoine bâti d’une grande envergure. On leur reconnaît cependant certaines pratiques artisanales et coutumes ancestrales. En 1980, le Musée acadien, fondé en 1886 à Memramcook par le Père Clément Cormier, déménage dans un nouvel édifice situé sur le campus de l’Université de Moncton. Sa collection, comportant plus de 35 000 objets et photographies, représente le plus riche regroupement d’artéfacts concernant la culture matérielle en Acadie.

En somme, le rapport entre l’Acadie et son folklore a donné lieu à toute une littérature : livres d’histoires, de légendes, de chansons, de recettes et de romans. Les recherches et les enquêtes de terrain entamées il a plus d’une cinquantaine d’années nourrissent encore les artistes et approvisionnent les interprètes qui s’intéressent à la tradition orale.

Tintamarre - La piste Acadie en Amérique par André Gladu, Office national du film du Canada

En savoir plus // Déportation des Acadiens