La Conquête britannique de 1760 | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

La Conquête britannique de 1760

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Les faits sont bien connus. En septembre 1759, la victoire des Anglais sur les plaines d'Abraham fait passer la ville de Québec sous la férule britannique. Montréal capitule l'année suivante. Un régime militaire temporaire est établi, en attendant l'issue des négociations entre les grandes puissances européennes qui s'affrontaient. En février 1763, par le traité de Paris, la France cède le Canada à l'Angleterre, et peu après la Proclamation Royale organise politiquement les nouveaux territoires acquis par Sa Majesté le roi George III. Le gouverneur, soumis aux instructions du gouvernement britannique qui le nomme, devient le maître de la nouvelle Province de Québec. Les lois anglaises, civiles aussi bien que criminelles, se substituent au droit français, l'imposition du serment du Test aux employés publics écarte les catholiques des emplois publics. Cette politique d'allure assimilatoire va vite se heurter à la réalité d'une société catholique et française et aux bouleversements géopolitiques qui s'annoncent dans les colonies américaines, et les gouverneurs britanniques sont les premiers à en demander la mise au rancart. Celle-ci survient en 1774 lorsque le Parlement britannique, par l'Acte de Québec, étend la superficie de la province de Québec, rétablit le droit civil français et autorise la perception de la dîme, ralliant ainsi au nouveau régime les classes dirigeantes demeurées au pays, soit le clergé catholique et les seigneurs.

Toute conquête peut engendrer un traumatisme durable. Écoutons l'historien Arthur Lower : « Conquest, like slavery, must be experienced to be understood.(...) The entire life-structure of the conquered is laid open to their masters. They become second-rate people. Wherever they turn, something meets their eyes to symbolize their subjection. It need not be the foreign military in force, it need not be the sight of the foreign flag, it may be some quite small matter : a common utensil of unaccustomed size and shape, let us say, taking the place of one familiar. And then there is the foreign speech, perhaps not heard often, but sometimes heard, and sometimes heard arrogantly from the lips of persons who leave no doubt that the conquered are, in their estimation, inferior beings. » (Colony to Nation, 1946, p. 63-4).

L'histoire fourmille de conquêtes militaires qui ne furent jamais acceptées, suscitèrent de la part des conquis de constantes résistances, violentes ou non, avant de s'écrouler et de sombrer dans l'infamie aux yeux des historiens. Force est de constater que la conquête britannique n'a pas suscité au Canada français de résistance décidée. Comment expliquer que la Conquête ait été pendant longtemps relativement bien acceptée par ceux qui l'ont subie? Après tout, la guerre avait été dure et s'était accompagnée de destructions immenses. Comment expliquer qu'au milieu du 19ème siècle, un politicien canadien français de haut rang puisse s'écrier que « le dernier coup de canon tiré pour défendre l'Empire britannique en Amérique le sera par un Canadien français , ou qu'André Siefried ait pu écrire au début du 20ème siècle que rarement domination étrangère avait été aussi complètement acceptée par ceux qui la subissaient. Voici quelques pistes d'explication.

1. Les dernières années du régime français avaient donné lieu à beaucoup de corruption et n'avaient pas laissé le meilleur souvenir. La conquête signifait au minimum une paix que la colonie française n'avait guère connue.

2. Il n'y a pas eu seulement conquête, mais aussi cession. La France aurait pu tenter de récupérer le Canada par voie de négociations diplomatiques, comme elle l'avait fait après la conquête de Québec par les frères Kirke, quitte à céder ses colonies antillaises. Elle a choisi par le Traité de Paris d'abandonner le Canada parce que la colonie perdue sur les champs de bataille coûtait plus cher qu'elle ne rapportait. Elle n'a pas tenté par la suite de reprendre le Canada, par exemple à la faveur de la révolution américaine. Même au faîte de sa puissance, Napoléon s'est débarrassé du dernier morceau de l'empire français en Amérique en le vendant aux Américains. Ce retrait total de la France, sentimentalement difficile à accepter, obligeait les Canadiens à composer avec le rapport de forces existant.

3. La conquête est antérieure à la révolution française et à la naissance du concept de nationalité. Au 18e siècle, les États se définissent par l'allégeance commune à un souverain, et par la religion, non en fonction de la langue des habitants. A l'époque, les souverains s'échangent des territoires comme des marchandises. Il est révélateur que les capitulations de Québec et de Montréal, tout comme le traité de Paris, ne disent pas un traître mot de la langue française alors qu'elles garantissent le libre exercice de la religion.

4. La communauté conquise est catholique et le clergé est une des rares élites qui lui restent après le départ des marchands français. Les catholiques ont tendance à accepter les épreuves comme une expression de la volonté divine « Dieu ne frappe jamais sans des desseins admirables », écrivait le cardinal Villeneuve à Maurice Duplessis au lendemain des élections de 1939, dans le droit fil d'une tradition catholique qui veut que la Providence qui oriente le destin des hommes. L'Église sera plutôt bien traitée par le conquérant, et prêchera à ses fidèles le respect de l'autorité établie dans les moments difficiles, comme les invasions américaines, la rébellion de 1837, la conscription de 1917.

5. Le conquérant a concédé aux conquis des conditions relativement enviables selon les normes du temps. Il est déchiré entre deux attitudes : imposer son joug pour conforter sa conquête, ou jeter du lest afin de la mieux faire accepter. La première attitude, qui a prévalu en Irlande avec les résultats que l'on sait, transparaît dans la proclamation Royale (serment du test, lois civiles anglaises) et refera surface avec le rapport Durham. Elle a toujours échoué. L'unilinguisme anglais imposé suite au rapport Durham va être aboli quelques années après. La seconde se manifestera dans l'attitude des premiers gouverneurs (Murray, Carleton) et trouvera son expression juridique dans l'Acte de Québec, mesure exceptionnellement libérale pour l'époque dans la mesure où elle concède aux catholiques canadiens une liberté que les catholiques britanniques n'obtiendront qu'en 1829. Cette mesure, qui rallie le clergé et les seigneurs à la couronne britannique, trouve sa source dans la rébellion appréhendée des colonies américaines.. Les Canadiens refuseront de se joindre à la révolution américaine. S'ils l'avaient fait, il est douteux qu'ils aient pu survivre dans le grand tout américain. La puissance militaire britannique sera longtemps vue comme une garantie contre une invasion américaine.

6. C'est à titre de conquis que les Canadiens vont faire l'apprentissage de la démocratie parlementaire et d'un droit criminel plus favorable à l'accusé. Le conquérant apporte avec lui des idées nouvelles qui constituent un réel progrès. De façon révélatrice, ceux qui cherchent à obtenir des gouverneurs britanniques un régime politique plus démocratique citent l'Angleterre en exemple.

7. Cette vision va prédominer au Canada français jusqu'au début du 20e siècle. Après, les perspectives changent. L'impérialisme, qui comporte la volonté de faire participer les coloniaux à la défense de l'Empire, est très mal accepté par les Canadiens français. La guerre des Boers, la conscription en 1917 vont faire percevoir l'Angleterre comme une menace plutôt que comme un rempart contre un expansionnisme américain de moins en moins menaçant. Le traitement des minorités francophones hors-Québec suggère que la tolérance britannique s'arrête aux frontières du Québec. L'emprise de l'Église sur la société québécoise diminue après 1945. L'Empire britannique décline après 1918 et surtout après 1945. A la perspective symbolisée par la devise « Je me souviens. Né sous le lys, j'ai grandi sous la rose » se substitue graduellement sous l'influence de l'école de Montréal une lecture pessimiste de l'histoire canadienne française qui voit dans la conquête un évènement cataclysmique responsable d'un long déclin qui ne saurait être enrayé que par l'indépendance.