Littérature humoristique de langue française | l'Encyclopédie Canadienne

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Littérature humoristique de langue française

La littérature humoristique de langue française, comme l'humour lui-même, peut être subjective, subtile et difficile à définir. Née d'une conjoncture sociale, historique et culturelle bien particulière, elle est aussi le reflet des caprices de la mode et du goût populaire.
Antonine Maillet
Mêlant l'aventure, le désir, la frustration, l'agonie et la joie, les romans d'Antonine Maillet offrent une nouvelle image de l'Acadie d'antan (photo d'Andrew Danson).
Michel Tremblay
Parmi les différents écrits de Michel Tremblay, on trouve des romans, des pièces, des comédies musicales et des traductions (photo d' Andrew Danson).

Littérature humoristique de langue française

La littérature humoristique de langue française, comme l'humour lui-même, peut être subjective, subtile et difficile à définir. Née d'une conjoncture sociale, historique et culturelle bien particulière, elle est aussi le reflet des caprices de la mode et du goût populaire. À la Leacock Medal for Humour correspondent une foule de prix québécois, car il existe une solide tradition d'écrits humoristiques au Canada français, remontant au début du XIXe siècle et apparaissant surtout après la Révolution tranquille des années 60. L'humour prend surtout sa source dans le folklore et le journalisme politique.

L'humour populaire et surtout la satire expriment de façon magistrale les réactions à la domination de l'Église catholique sur la culture et la politique au Canada du XIXe siècle, une domination qui se prolongera jusqu'à la fin du régime de DUPLESSIS. Avec l'ULTRAMONTANISME, un conservatisme religieux et politique de type nationaliste, la censure s'impose, même après la période d'interdit ayant frappée toute représentation théâtrale (1694-1763). La satire politique, alimentée par la prolifération des journaux et des magazines publiés par des expatriés d'Europe de 1830 à 1880, est l'un des premiers types d'humour dont nous ayons gardé la trace. Napoléon Aubin fait ici figure de précurseur : son court roman inachevé Mon Voyage à la lune, ses journaux Le Fantasque (1837-1845) et Le Castor (1843) et sa troupe de théâtre les Amateurs typographiques (fondée en 1839), tous orientés sur la satire de la vie publique au Canada français, lui valent une brève incarcération en 1839, en raison de ses opinions subversives. Cette tradition atteint un sommet avec les écrits d'Arthur BUIES, directeur de La Lanterne canadienne (1868-1969), l'un des journaux les plus iconoclastes publiés dans le Canada français du XIXe siècle.

De façon générale, les quelques pièces écrites et montées avant 1960 sont pour la plupart des comédies légères, influencées par le théâtre de boulevard français et les oeuvres de Molière, qui tournent en dérision les us et coutumes de l'époque. L'Anglomanie ou le dîner à l'angoisse de Joseph QUESNEL (1803), par exemple, critique le mimétisme des coutumes anglaises, tout comme le fait Une Partie de campagne (1865) de Pierre PETITCLAIR. Plus sérieux mais non moins spirituels, des drames écrits en catimini s'en prennent à des personnalités célèbres. Les Comédies du statu quo (1834), oeuvre anonyme, tourne en dérision les moeurs politiques du Canada Français, tandis que Le Défricheur de langue (1859) d'Isidore Mesplats, pseudonyme de Joseph LaRue et de Joseph-Charles Taché, se moque des moeurs parisiennes et des romans à saveur historique et sensationnalistes d'Henri-Émile Chevalier, directeur de La Ruche littéraire (1853-1859), à Montréal. La comédie légère intitulée Les Faux brillants (1885), de Félix-Gabriel Marchand, est reprise en 1971 par Jean-Claude GERMAIN, un dramaturge contemporain dont les pièces inédites comprennent les parodies Don Quickshot et Rodéo et Juliette.

 La satire théâtrale prend fin en 1903 avec Les Boules de neige de Louvigny de Montigny, qui critique l'hypocrisie de la bourgeoisie montréalaise, et refait surface en 1968 avec la création des Belles-Soeurs de Michel TREMBLAY, pièce controversée écrite en joual, qui mélange naturalisme et satire féroce pour briser l'image toute faite de la société canadienne-française, habituellement décrite comme un monde rural paisible. Parmi les nombreux dramaturges influencés par Tremblay, Jean BARBEAU se distingue par son abondant recours aux calembours et à la culture populaire (surtout aux sports et au film) pour décrire la culture québécoise. Sa pièce la mieux connue est La Coupe stainless (1974). Selon Laurent Mailhot, « Barbeau estime que toutes les grandes tragédies québécoises se doivent d'être humoristiques, car notre plus grand malheur est survenu en 1763 et rien de pire ne peut plus nous arriver ». Sa réflexion s'inscrit bien par la suite dans des oeuvres comme Broue (1979), une création collective qui fait encore le bonheur des foules en 1999.

 La plupart des oeuvres de fiction satiriques du Canada français reprennent et transforment la tradition orale des histoires de chantiers, des chansons folkloriques et des « esquisses de moeurs » qui alimentaient la veine féconde de l'humour au XIXe siècle. S'il est vrai que la plupart de ces contes populaires n'ont pas été recueillis et publiés, les personnages du conteur Jos, dans LES ANCIENS CANADIENS (1863) de Philippe AUBERT DE GASPÉ et du père Michel dans FORESTIERS ET VOYAGEURS (1863) de Joseph-Charles Taché fournissent un exemple d'humour populaire. Jacques FERRON, au Québec (Contes du pays incertain, 1962), et l'acadienne Antonine MAILLET, du Nouveau-Brunswick (La Sagouine, 1971 et PÉLAGIE-LA-CHARETTE, 1979), sont deux auteurs contemporains de réputation internationale, dont les oeuvres romanesque et théâtrales puisent largement aux sources de l'humour et des traditions populaires.

Si l'oeuvre romanesque de Ferron s'inspire de la satire sociale, l'oeuvre de Maillet est plus près de la comédie. Ces deux dimensions de l'humour sont présentes dans les écrits québécois contemporains. Le roman satirique est la forme moderne de la vision du monde du théâtre et journalisme du XIXe siècle. Dans Marie Calumet (1904), Rodolphe Girard utilise l'humour rabelaisien dans sa description de la vie cléricale et rurale, et cela lui vaudra d'être forcé de démissionner de La Presse. Les Demi-civilisés (1934) de Jean-Charles HARVEY , une attaque virulente contre la mainmise des intérêts anglophones et catholiques sur la société et la culture québécoises, valent à son auteur des critiques sévères. Le Libraire (1960) de Gérard BESSETTE Le Libraire évoque un aspect mémorable de notre littérature, en faisant la satire de la censure durant le régime Duplessis. Plus récemment, dans SALUT GALARNEAU! (1967) et surtout dans Les Têtes à Papineau (1981), Jacques GODBOUT recourt à l'allégorie pour faire la satire de la société contemporaine avec l'ironie d'un humoriste. L'Euguélionne (1976), de Louky Bersianik, adopte le genre de la science-fiction utopique pour transmettre une vision cinglante du patriarcat.

Le roman satirique, qui était un peu délaissé, connaît un nouveau regain de popularité. LES PLOUFFE (1948), de Roger LEMELIN , constituent l'exemple classique de la comédie picaresque dans les écrits du Canada français. Le roman sera adapté pour une série télévisée, et un long métrage, réalisé dans les deux langues officielles (1980). Le roman Le Matou (1981), d'Yves BEAUCHEMIN, est le dernier roman et le plus important de cette veine satirique. Son récit naturaliste et son style conventionnel utilise systématiquement le jeux de mots et l'humour sans pour autant diminuer l'intérêt du récit. Enfin, quand il est question d'humour dans le roman, on ne saurait oublier l'oeuvre de Roch CARRIER, et en particulier le Jardin des délices (1975), qui mélange habilement surréalisme et humour noir.

La poésie fournit également quelques exemples de parodie et de burlesque, notamment dans les romans de Réjean DUCHARME, La Fille de Christophe Colomb (1969) et L'Avalée des avalés (1971). Toutefois, la radio, la télévision et le cinéma sont les médias qui ont le mieux servi l'humour canadiens-français. Durant la Crise des années 30, la poésie populaire de Jean Narrache (pseudonyme d'Émile Coderre) trace un portrait aigre-doux et satirique du Canadien français moyen, alors que dans les années 40, Les Fridolinades de Gratien GÉLINAS, en adaptant son théâtre à la radio, a conquis l'auditoire avec le célèbre personnage Fridolin. Le populaire Yvon DESCHAMPS, artiste de la scène et de la télévision (Monologues, 1973) est issu de cette tradition et recourt au monologue comme genre humoristique.

Une nouvelle espèce d'auteurs-compositeurs-interprètes s'est tournée vers l'industrie du disque plutôt que vers le théâtre pour décrire les moeurs contemporaines. Dès les années 30, la Bolduc (Mary Travers) se tourne vers la radio pour populariser ses chansons satiriques. Robert CHARLEBOIS et Michel Rivard, des années 60-70 à aujourd'hui, sont célèbres pour leurs fines parodies des moeurs nord-américaines, tandis que Plume Latraverse utilise la parodie dans sa poésie scatologique.

On ne saurait trop insister sur l'importance de la prestation en direct dans le domaine de l'humour. Le cinéma et la télévision démontrent aussi à quel point « l'humour » est une tradition orale au Canada français. Craignant sans doute les effets de la censure, les auteurs de textes humoristiques au Canada français ont eu tendance jusqu'à récemment à s'appuyer sur des éléments de la culture populaire pour remettre en question le conformisme social de façon éphémère, mais non moins caustique, et à réserver la littérature pour les énoncés ironiques plus subtils.