Loi du service naval | l'Encyclopédie Canadienne

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Loi du service naval

La Loi du service naval, adoptée par le gouvernement libéral de sir Wilfrid Laurier, a donné naissance à la Marine royale canadienne le 4 mai 1910. Avant cette loi, le Canada ne disposait pas de marine propre et s’en remettait à la Royal Navy britannique. Cette nouvelle initiative de défense était une réponse directe à la course aux armements navals entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, dans les années précédant la Première Guerre mondiale, et à la panique de 1909 provoquée en Angleterre par l’expansion de la marine allemande. La Loi s’inscrivait dans une approche canadienne distincte existante, et ses principales dispositions sont restées en vigueur jusqu’en 1950. Craignant un engagement accru dans les affaires impériales, les nationalistes canadiens-français, menés par Henri Bourassa, se sont opposés férocement à la Loi du service naval.


Contexte

Depuis le début de la Confédération, le Canada est officiellement peu disposé à créer une marine, bien que la législation britannique encourage les colonies à le faire dès 1865. Les Britanniques appuient le projet de Confédération notamment parce qu’ils espèrent pouvoir retirer les coûteuses garnisons britanniques qui protègent les frontières du Canada et laisser la milice canadienne défendre le territoire. Pendant cette période, la sécurité du Canada repose sur la Royal Navy, et les dirigeants canadiens craignent, s’ils créent une marine de guerre, que les Britanniques retirent leurs vaisseaux de guerre des eaux canadiennes pour les utiliser ailleurs.

Le gouvernement canadien craint aussi que les Britanniques ne prennent le contrôle de toute force navale que le Dominion mettrait sur pied. Cependant, un problème pressant est que des pêcheurs américains empiètent sur les eaux territoriales du Canada, le long des côtes de l’Atlantique, qui s’étendant à trois milles nautiques (à peu près 6 km) des côtes. Un des motifs du gouvernement fédéral, en créant rapidement le ministère de la Marine et des Pêcheries, est de protéger ces précieuses ressources halieutiques. Des bâtiments du gouvernement, avec un équipage civil et équipés d’armes légères, sont chargés d’arrêter les vaisseaux américains qui violent la limite de trois milles.

Les Britanniques proposent au Canada de commissionner ses vaisseaux de protection en tant que navires militaires, mais le Canada rejette ce conseil de peur que la Royal Navy, répondant au désir du gouvernement britannique de ne pas s’aliéner les États-Unis, n’en prenne le commandement afin de les empêcher de mener des actions efficaces contre les vaisseaux américains. À la fin des années 1860, la ténacité canadienne finit par porter fruit. Le gouvernement britannique ordonne aux vaisseaux de la Royal Navy basés à Halifax d’aider les vaisseaux canadiens à faire respecter la loi, afin de veiller à ce que les bateaux américains contrevenants soient traités correctement, donnant ainsi le moins possible de motifs aux Américains de protester.

Création de la Marine canadienne

À la fin du 19e siècle, des représentants du Canada et de l’Angleterre proposent que les vaisseaux canadiens qui protègent les pêcheries deviennent une force navale. Les équipages civils recevraient une formation militaire, et les vaisseaux de protection des pêcheries seraient équipés d’artillerie navale afin de pouvoir assurer la défense côtière en temps de guerre, allégeant ainsi la tâche de la Royal Navy, trop étendue.

Rien ne se passe jusqu’à ce que le Canada et d’autres dominions contribuent à l’effort de guerre britannique pendant la guerre des Boers (1899–1902). Les pressions s’intensifient pour que l’Angleterre créée un système de coopération permanent pour la défense de l’Empire, incluant les forces navales et les forces de terre. Confronté à la profonde division entre impérialistes et antiimpérialistes, le premier ministre sir Wilfrid Laurier propose un compromis en promettant de développer des forces armées canadiennes plus efficaces, qui pourront aider l’Angleterre en période de crise, mais seulement si le Parlement canadien l’autorise.

En 1904, le ministre de la Marine et des Pêcheries, Raymond Préfontaine, prépare le projet de loi de la milice navale, qui prévoit une force navale permanente de 800 personnes, sous la responsabilité du ministère de la Marine et des Pêcheries. Il s’agirait de membres d’équipage spécialement entraînés, à bord des vaisseaux du gouvernement, qui serviraient également d’instructeurs pour les marins civils enrôlés à temps partiel, sur le modèle de la milice. Le projet de loi demeure sans suite après la mort de Raymond Préfontaine, en 1905.

À partir de 1903, le Service de protection des pêcheries reçoit des vaisseaux améliorés et un meilleur armement. Plus important encore, le ministère de la Marine et des Pêcheries prend la direction d’importantes bases de la Royal Navy à Halifax et Esquimalt, en Colombie-Britannique. Les deux bases sont abandonnées par les Britanniques en 1906, lorsqu’ils concentrent la puissance de leur flotte dans les eaux européennes. Le Canada accepte d’assurer la défense des deux bases. En 1908, le gouvernement engage le contre-amiral Charles E. Kingsmill, un Canadien qui a pris sa retraite après une quarantaine d’années de service dans la Royal Navy, pour diriger la flotte de la Marine et des Pêcheries et rehausser le professionnalisme des équipages et des activités.

En 1909, l’expansion navale de l’Allemagne, qui menace de dépasser la Royal Navy en nombre de vaisseaux les plus puissants, provoque une panique qui se communique immédiatement de l’Angleterre au Canada, à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande. Dans les trois dominions, l’opinion publique se montre favorable à ce que l’on fournisse un financement spécial à la Royal Navy, pour lui permettre d’accélérer son programme de construction de vaisseaux.

Loi du service naval

Poussé à agir, le gouvernement Laurier prévoit d’abord améliorer les capacités de la flotte de la Marine et des Pêcheries, notamment en achetant de petits bateaux de défense côtière. À la Conférence spéciale sur la défense de l’Empire organisée par l’Angleterre durant l’été 1909, l’Amirauté britannique surprend tous les représentants des dominions en ne demandant pas d’argent. L’Amirauté presse plutôt les dominions de créer des marines océaniques, des « unités de flotte » organisées autour de croiseurs de bataille dreadnought, un des vaisseaux de guerre modernes les plus grands et puissants. Le ministre de la Marine et des Pêcheries, Louis-Phillippe Brodeur, refuse d’acquérir un vaisseau aussi coûteux, que le Canada ne pourrait utiliser que sur l’une de ses deux côtes principales. L’amirauté propose alors que le Canada achète quatre ou cinq croiseurs légers (plus petits qu’un croiseur de bataille, mais capables d’agir en haute mer), et six destroyers de défense côtière, une force pouvant protéger les côtes du Canada tout en soutenant la Royal Navy en haute mer.

Afin de réaliser ce programme, le gouvernement présente le projet de loi du Service naval à la Chambre des communes le 12 janvier 1910. Le projet de loi est adopté par la majorité libérale après un débat passionné. La Loi reçoit la sanction royale le 4 mai 1910, autorisant la création du ministère du Service naval, une force navale permanente de personnel à temps plein, et la création d’un collège naval pour former des officiers professionnels canadiens.

La Loi comporte d’autres dispositions nationalistes. Les vaisseaux canadiens ne pourront être assignés au commandement britannique qu’avec l’approbation spécifique du gouvernement, et le Parlement doit immédiatement autoriser l’action du gouvernement. Le ministre de la Marine et des Pêcheries devient aussi ministre du nouveau ministère du Service naval, préservant ainsi le lien, traditionnel au Canada, entre l’administration civile des ressources maritimes et la défense.

L’amiral Kingsmill est nommé directeur du Service naval, c’est-à-dire chef de la Marine, et des éléments clés du ministère de la Marine et des Pêcheries ayant des fonctions liées à la défense, comme le service de protection des pêcheries, sont transférés au ministère du Service naval. Le Canada achète deux croiseurs britanniques avec des équipages expérimentés de la Royal Navy pour former les recrues canadiennes. Avant que les bateaux n’arrivent dans leur nouveaux foyers, à l’automne 1910 — le Niobe à Halifax et le Rainbow à Esquimalt — ils sont recommissionnés en tant que bateaux canadiens de Sa Majesté. Pendant ce temps, le gouvernement prépare des arrangements pour construire les croiseurs et destroyers modernes recommandés par l’Amirauté.

Le 16 août 1911, le gouvernement britannique annonce que le roi George V donne son accord pour renommer le Service naval du Canada Marine royale canadienne.

Critiques, coupures, et Première Guerre mondiale

Les sympathisants de l’Empire britannique considèrent que la Loi du service naval n’en fait pas assez pour aider la Royal Navy, tandis que les anti-impérialistes, le plus ardent étant Henri Bourassa au Québec, croient que l’existence même de la marine entraînera le pays dans le conflit britannique, aussi éloigné soit-il du Canada.

Robert Borden, chef de l’opposition conservatrice, profite de cette impopularité croissante et s’en sert pour déboulonner les libéraux de Laurier dans l’élection de 1911. Après son élection, il annule le programme de construction de nouveaux vaisseaux de guerre et limite le budget du ministère de la Marine à l’entretien de la force existante, réduite au minimum. Sa principale initiative, le Projet de loi de l’aide à la marine de 1912-1913, offre une aide directe à la Royal Navy par une contribution de 35 millions de dollars, qui pourra être utilisée pour construire trois grands vaisseaux de guerre. Cependant, le projet de loi est défait par la majorité libérale au Sénat. Avant que Robert Borden ait le temps d’élaborer une autre politique, la Première Guerre mondiale éclate, en août 1914.

Quand les Allemands se tournent vers la guerre sous-marine, en 1915, l’Angleterre reconnaît que les croiseurs doivent être accompagnés par de petits vaisseaux anti-sous-marins, que la Royal Navy ne peut fournir. Aussi, le personnel de la Marine royale canadienne est porté à 9 500 personnes pendant la guerre, incluant les équipages des vaisseaux anti-sous-marins construits au Canada, et des vapeurs civils équipés de matériel anti-sous-marins. Les plus importants vaisseaux et le personnel le plus expérimenté proviennent du Service de protection des pêcheries (voir Opérations des sous-marins allemands).

Convaincu de la nécessité d’une marine canadienne, Robert Borden ne révise jamais la Loi du service naval, qui est utilisée pour réorganiser la marine après la Première Guerre mondiale. Avec seulement des changements mineurs résultant de l’intégration du département du Service naval dans le nouveau ministère de la Défense nationale en 1922, la Loi du service naval demeure en vigueur jusqu’en 1944, lorsqu’elle est révisée pour refléter la nouvelle autonomie du Canada par rapport à la Grande-Bretagne. Ces changements sont adoptés par le Parlement dans la Loi du service naval, 1944. Les principales dispositions pour l’organisation et le fonctionnement de la marine demeurent toutefois ce qu’elles étaient depuis 1910. La Loi est remplacée en 1950 par la Loi de la défense nationale, qui devient la base juridique des trois services des Forces armées : l’Armée canadienne, la Marine royale canadienne et l’Aviation royale canadienne. C’est aussi la première législation qui remplace la formulation originale « Service naval du Canada » par « Marine royale du Canada », le nom sous lequel elle a été universellement connue depuis que le roi George V l’a approuvé en 1911.

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