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Affaire Robert Latimer

En 1993, Robert Latimer a mis fin à la vie de sa fille gravement handicapée Tracy Latimer. Sa poursuite et son incarcération pour meurtre ont attiré l’attention internationale et soulevé des questions légales et morales controversées concernant l’euthanasie.

En 1993, Robert Latimer, un fermier résidant près de Wilkie, en Saskatchewan, a mis fin à la vie de sa fille gravement handicapée Tracy Latimer dans ce qu’il a décrit comme un acte bienveillant de compassion. Sa poursuite et son incarcération pour meurtre ont attiré l’attention internationale et soulevé des questions juridiques et morales controversées entourant l’euthanasie.

État de Tracy Latimer

Tracy Latimer naît le 23 novembre 1980, à l’hôpital de North Battleford, en Saskatchewan. Pendant l’accouchement, son cœur cesse de battre et elle arrête de respirer, ce qui cause d’importantes lésions cérébrales dues au manque d’oxygène. Le personnel médical la ranime, mais elle a soudainement des convulsions. Elle est alors transportée en ambulance à la Royal University Hospital à Saskatoon, où elle est traitée pour atténuer un œdème cérébral et pour réduire l’activité convulsive. Robert et Laura Latimer amènent leur fille à la maison lorsqu’il semble qu’avec des médicaments, les crises convulsives pourront être contrôlées.

Après plusieurs mois, les crises recommencent et sont plus fréquentes. Au cours des quatre prochaines années, les médecins emploient divers médicaments pour les contrôler. Ceux-ci réduisent le nombre de crises à cinq ou six par jour : c’est ce que Tracy Latimer devra endurer pour le reste de sa vie. Cependant, les médicaments rendent la jeune fille léthargique et aggravent les dommages existants à ses fonctions vitales comme la respiration et la digestion.

Tracy Latimer souffre de paralysie cérébrale, un trouble musculaire qui s’est développé à cause de l’interruption de l’approvisionnement en oxygène à son cerveau. La forme particulière de la pathologie dont elle souffre est la forme la plus sévère, car elle affecte tout son corps. Elle est clouée au lit et n’a aucune maîtrise de ses membres. Sa capacité mentale est celle d’un bébé de cinq mois. Elle ne peut pas parler, mais elle répond à l’affection et elle sourit. Elle doit être nourrie à la cuillère. Elle a un poids très insuffisant et elle est déshydratée à cause des vomissements fréquents. Elle doit donc recevoir régulièrement des liquides et des nutriments par voie intraveineuse.

À quatre ans, Tracy Latimer subit une intervention chirurgicale pour soulager la tension musculaire dans sa jambe gauche, mais celle‑ci provoque chez elle une grande douleur à cause du mouvement involontaire de sa jambe droite. À cause des anticonvulsivants, elle ne peut pas recevoir d’antidouleurs plus forts que de simples comprimés d’acétaminophène. À neuf ans, elle subit une autre intervention chirurgicale pour équilibrer la tension musculaire en coupant les tendons et en allongeant les tissus musculaires. Finalement, elle développe une scoliose, une déviation de la colonne vertébrale que les médecins corrigent en y attachant des tiges d’acier. Cependant, à cause du manque d’équilibre musculaire et des signaux anormaux du cerveau, Tracy Latimer souffre de dislocations des hanches qui provoquent chez elle des cris de douleur.

Le 12 octobre 1993, on annonce à Robert et Laura Latimer que leur adolescente aura besoin d’une autre intervention : il faudra lui enlever l’articulation de la hanche droite et une partie du fémur. Même si cette intervention est réussie, l’état de la jeune fille se détériorera et elle aura probablement besoin d’une intervention à la hanche gauche et d’une sonde d’alimentation dans son estomac. La douleur postopératoire s’annonce intense.

Laura Latimer affirmera plus tard avoir dit à son époux que leur fille serait mieux morte que vivante : « Je lui ai dit que j’aurais aimé appeler le Dr Jack Kevorkian (pathologiste américain et militant pour l’euthanasie). » Le couple n’est pas sans savoir que les enfants atteints du même trouble que Tracy ont une courte espérance de vie. Robert Latimer croit qu’en tant que père, il a l’obligation de la protéger de ce qu’il perçoit comme une torture injustifiée.

Mort de Tracy Latimer

Le 24 octobre 1993, pendant que Laura Latimer et ses trois autres enfants sont à l’église, Robert Latimer, alors âgé de 40 ans, installe Tracy Latimer dans la cabine de son camion. Il passe un tuyau entre la cabine et le tuyau d’échappement et démarre le moteur. Sans aucune douleur, Tracy Latimer succombe aux effets des gaz d’échappement. Laura Latimer n’a apparemment aucune connaissance des actions de son époux. Lorsqu’elle rentre à la maison, elle retrouve sa fille morte sur son lit et croit qu’elle est décédée dans son sommeil.

Une autopsie démontre que Tracy Latimer est morte d’un empoisonnement au monoxyde de carbone. Lorsque la police confronte Robert Latimer avec les preuves, il avoue et est mis en détention. Cependant, il insiste sur le fait qu’il n’a pas commis d’acte criminel.

Procès et incarcération

Le procès de Robert Latimer en novembre 1994 attire l’attention internationale. Il est accusé de meurtre au premier degré et, le 16 novembre, un jury le reconnaît coupable de meurtre au deuxième degré. Le juge le condamne à la peine minimale obligatoire : emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. La Cour d’appel de Saskatchewan confirme la condamnation.

En février 1997, la Cour suprême du Canada ordonne un nouveau procès pour le motif d’allégations de subornation du jury par la partie poursuivante du premier procès. Le deuxième procès de Robert Latimer commence le 22 octobre 1997. Il a un juge et un jury sympathiques à sa cause, mais la loi canadienne ne comporte aucune disposition de clémence dans un cas de « meurtre par compassion ». Robert Latimer est de nouveau reconnu coupable de meurtre au deuxième degré.

Le juge du deuxième procès conclut que la peine initiale était « exagérément disproportionnée » par rapport au crime, et accorde une « dispense constitutionnelle » d’application de la peine minimale obligatoire, imposant plutôt une peine d’emprisonnement d’un an, suivie d’une année de libération conditionnelle. Cependant, la Cour d’appel de Saskatchewan et la Cour suprême maintiennent la peine initiale.

En janvier 2001, Robert Latimer est emprisonné à l’établissement à sécurité minimale William Head près de Victoria, en Colombie-Britannique. On lui refuse sa demande de semi‑liberté en 2007, mais cette libération conditionnelle de jour lui est accordée en 2008. Les restrictions relatives à sa libération conditionnelle sont réduites progressivement et, en décembre 2010, il obtient la libération conditionnelle totale.

Meurtre ou compassion?

L’affaire Robert Latimer suscite des débats polarisés. Ses sympathisants invoquent le fait qu’il a toujours été un parent aimant et avancent qu’il a agi par compassion sincère. Selon un sondage d’Ipsos mené en 1999, la majorité des Canadiens seraient d’accord et souhaitent le voir recevoir une peine moins sévère. Les militants pour le droit de mourir dans la dignité présentent l’affaire Robert Latimer comme une preuve éloquente que les lois canadiennes concernant l’euthanasie et le suicide assisté ont besoin d’être réexaminées. Comme le dit Howard Wallace, un fermier du voisinage à Wilkie, en 1997 : « Bob Latimer n’est pas un meurtrier et il ne représente pas un danger pour la société […] Il est dommage de l’éloigner de sa famille et de l’enfermer. »

De l’autre côté, les groupes militant pour les droits des personnes handicapées s’inquiètent profondément du fait qu’une clémence juridique dans le cas de Robert Latimer pourrait établir un précédent dangereux pour les personnes ayant un handicap. Les groupes religieux condamnent aussi fortement l’acte commis par le père de Tracy Latimer. « Je ne comprends pas pourquoi il y a tant de soutien pour cet homme », dit Ron Bort, président provincial de la Saskatchewan Voice of People With Disabilities. M. Bort affirme que Robert Latimer n’avait pas le droit de mettre fin à la vie de sa fille. « Que quelqu’un d’autre décide que votre vie ne vaut pas d’être vécue, c’est ce qui est effrayant. »

Robert Latimer exprime sa propre opinion aux journalistes après son deuxième procès, soutenant qu’étant donné l’absence d’une façon légale de mettre fin à la souffrance de sa fille, la décision de lui donner la mort était la bonne. Des années plus tard, son opinion n’a pas changé.

La mort de son enfant « a été difficile, mais ce n’était pas triste », affirme Robert Latimer en 2011 à Radio-Canada, lors de sa première entrevue publique après avoir reçu la libération conditionnelle totale. Il qualifie les nombreuses interventions chirurgicales qu’elle a subies, ainsi que celles auxquelles elle aurait dû faire face, de « tortures » et de « mutilations ». Lorsqu’on lui demande ce que sa fille aurait voulu, elle-même, il avoue qu’il est impossible de le savoir. « On n’a pas d’orientation claire, il faut simplement penser à ce que l’on voudrait pour soi-même dans une telle situation. C’est assez clair. Ni moi ni la plupart des Canadiens ne voudront jamais passer à travers ce genre de chose. »

Loi sur l’euthanasie

En 2016, l’euthanasie (fait de mettre fin à la vie d’une personne pour soulager sa souffrance) est toujours un crime au Canada. Cependant, en juin 2016, une nouvelle loi fédérale sur l’aide médicale à mourir entre en vigueur et permet aux médecins praticiens d’assister légalement, mais selon des critères rigoureux, une autre personne à se donner la mort.

Les critères exigent notamment que la personne qui cherche une aide à mourir doit avoir au moins 18 ans, doit souffrir d’un état médical « pénible et irrémédiable » et doit avoir demandé l’aide de son propre gré. Sa mort naturelle, résultat de son état, doit également être raisonnablement prévisible. Cette aide n’est pas offerte aux personnes de moins de 18 ans, bien que le gouvernement affirme qu’il pourrait envisager des modifications à la loi dans le cas de « mineurs matures ».

Lorsque la loi est adoptée, les gouvernements provinciaux et territoriaux développent leur propre cadre juridique pour la mort assistée, en réponse aux changements au Code criminel fédéral. Le Québec est alors le seul à avoir déjà adopté sa propre loi sur l’euthanasie, en 2014.

Voir aussi Suicide et Affaire Rodriguez.

 

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