Affaire du meurtre de Maggie Vail | l'Encyclopédie Canadienne

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Affaire du meurtre de Maggie Vail

En septembre 1869, à Saint John, au Nouveau-Brunswick, des cueilleurs de bleuets ont découvert les restes d’un adulte et d’un enfant cachés dans des buissons. Peu après, les corps ont été identifiés comme étant ceux de Sarah Margaret « Maggie » Vail et sa petite fille, Ella May. Plus tard, au cours du même mois, l’architecte John A. Munroe a été accusé du meurtre de Maggie Vail, avec qui il avait une relation. Bien que son avocat ait affirmé que John Munroe était incapable de commettre un meurtre, en raison de son éducation et de son niveau social (un des premiers exemples de défense par le « caractère »), il a été condamné en décembre 1869, puis exécuté en février 1870 après avoir reconnu dans une confession avoir accompli les meurtres.

Mémorial de Sarah Margaret « Maggie » Vail et sa fille, Ella May, au cimetière d’Old Cedar Hill à Saint John, Nouveau-Brunswick. 
(avec la permission de la MB Art Gallery)

Contexte

Né en 1839 dans une famille très respectable de Saint John, au Nouveau-Brunswick, John A. Munroe est un architecte prospère vivant dans un quartier cossu, avec son épouse et deux enfants. Durant l’été 1865, il rencontre Sarah Margaret « Maggie » Vail, une femme célibataire de 21 ans qui vit dans la localité voisine de Lancaster avec son père malade. Maggie Vail s’amourache de John Munroe et entreprend une relation avec lui, bien que sa famille l’ait averti qu’il est marié.

Durant l’été 1867, Maggie Vail annonce qu’elle est enceinte, ce qui entraîne une détérioration soudaine de sa relation avec John Munroe. Il vient moins souvent lui rendre visite, et un jour, il lui demande nonchalamment si elle voudrait empoisonner son épouse. Le 4 février 1868, Maggie Vail donne naissance à une fille, qu’elle fait officiellement enregistrer sous le nom d’Ella May Munroe. L’enfant est née avec une hernie ombilicale et doit porter une bande herniaire que la sœur de Maggie Vail, Phileanor Jane « Philly » Crear, a fabriquée pour elle.

Philly Crear demande à John Munroe un soutien financier pour Maggie Vail et le bébé. Il lui envoie occasionnellement de petits montants d’argent, accompagnés de lettres où il lui demande de ne plus le déranger. Pendant plusieurs mois, Maggie Vail n’a aucune nouvelle de lui. Puis le père de Maggie décède, lui laissant la maison familiale. Maggie Vail demande à John Munroe de le conseiller quant à ce qu’elle devrait faire de l’héritage. Probablement sur le conseil de John, elle vend la maison et la propriété pour 500 $. Selon son beau-frère, James Olive, qui a assisté à la transaction immobilière, « elle a pris l’argent et l’a mis sur sa poitrine. Elle a pris du fil et une aiguille et elle l’a cousu là. »

Une séquence d’événements inhabituels commence alors. Maggie Vail, sous le pseudonyme de Mme Clarke, accompagne John Munroe dans un voyage d’affaires à Boston. De retour à Saint John, John Munroe paie le logement de Maggie Vail dans des pensions bon marché. Lorsqu’un propriétaire interroge Maggie, qui se présente encore comme étant Mme Clarke, sur sa situation financière, elle répond que son argent est entre les mains de son mari. Le 26 octobre 1868, John Munroe réserve un fiacre et vient prendre Maggie et le bébé pour faire un tour hors de la ville, sur la route Black River, jusqu’à Loch Lomond. Il affirme qu’ils vont rendre visite à une certaine famille Collins. Peu avant d’arriver à la maison des Collins, John dit au cocher, Robert Worden, de s’arrêter, car ils feront le reste du chemin à pied. Il demande au cocher de les attendre à la Bunker’s Tavern, tout près de là. Quand John Munroe arrive à la taverne avec Maggie Vail et l’enfant, il explique que la famille Collins n’était pas chez elle et que Mme Clarke reviendra les voir une autre fois. Robert Worden les ramène à Saint John. À peu près à la même époque, John Munroe achète un revolver.

Le 31 octobre, John Munroe engage à nouveau Robert Worden pour le conduire, ainsi que Maggie Vail et le bébé, à Loch Lomond. Il demande au cocher de s’arrêter au même endroit que la fois précédente, dit à nouveau qu’ils feront le reste de la route à pied et lui demande de les attendre à la Bunker’s Tavern. Moins d’une heure plus tard, John Munroe arrive à la taverne seul et impatient de revenir à Saint John. Il explique à Robert Worden que Mme Clarke s’en va à Boston, et que M. Collins la conduira jusqu’au bateau. À Saint John, John Munroe fait les arrangements pour qu’une malle contenant les biens de Margaret soit mise à bord d’un bateau en partance pour Boston.

Plusieurs mois s’écoulent, pendant lesquels Philly Crear n’a aucune nouvelle de sa sœur, sinon qu’elle serait partie aux États-Unis avec John Munroe. Puis, en juin 1869, Philly Crear reçoit une lettre de Boston, supposément écrite par Maggie, qui ne sait pas écrire. Elle dit qu’elle a épousé un peintre du nom de Crandall et qu’elle va bien. La lettre, mal orthographiée, est signée « Mme Maggie Crandall ».

Restes humains

Le 7 septembre 1869, un groupe de Canadiens noirs cueillant des bleuets le long de la route Black River, près de Loch Lomond, découvre les restes humains squelettiques d’un adulte et d’un enfant dissimulés sous un buisson. Comme ils hésitent à faire part de leur découverte, plusieurs jours s’écoulent avant que la police locale et le coroner, le Dr Sylvester Earle, soient mis au courant. Les enquêteurs découvrent un crâne adulte avec un trou de balle, un crâne d’enfant, plusieurs autres ossements, des cheveux et des morceaux de vêtements. La chair et les autres tissus se sont décomposés ou ont été mangés par des animaux. Les cheveux et les restes de vêtements indiquent que l’adulte est de sexe féminin.

Enquête

L’enquête du coroner est lancée le 16 septembre 1869 et dure presque trois semaines, avec les témoignages de 52 personnes. Les soupçons de meurtre se portent au début sur un épicier du nom de James Cain (aussi appelé dans les journaux James Kane), qui, selon certaines allégations, aurait eu un enfant d’un précédent mariage avec une Américaine. La mère et l’enfant étant introuvables, le public et la police spéculent que les restent pourraient leur appartenir. Plus tard, James Cain est arrêté en tant que suspect.

Toutefois, des preuves présentées durant l’enquête semblent fortement indiquer que les victimes sont Maggie Vail et son bébé, Ella May. Des témoins ont identifié un chapeau et des morceaux de vêtements trouvés près des restes de Maggie Vail, et ont reconnu la bande herniaire de l’enfant. D’autres témoins ont vu Maggie Vail et John Munroe ensemble à de nombreuses occasions, et Robert Worden révèle les deux voyages à Loch Lomond. Une des anciennes logeuses de Maggie soutient que le bébé ressemblait beaucoup à John Munroe. Une malle découverte dans le local de bagages non réclamés d’une compagnie de vapeur de Boston se révèle contenir des vêtements appartenant à Maggie Vail et Ella May, ainsi qu’une photographie de John Munroe. L’enquête soulève également la question des 500 $ de la vente immobilière. L’argent est introuvable, mais des parents de Maggie Vail soutiennent que celle-ci l’avait confié à John Munroe.

John Munroe est assigné à comparaître alors que l’enquête est toujours en cours. Il se présente dans le bureau du coroner, le Dr Earle, en compagnie de son avocat, Samuel R. Thomson. John Munroe admet qu’il connaissait Maggie Vail, mais nie être le père de l’enfant. Il nie également lui avoir conseillé de vendre sa maison. Il affirme qu’il a amené Maggie à Loch Lomond pour visiter des amis. Autant qu’il sache, dit John Munroe, Maggie Vail a déménagé à Boston, où elle doit se marier. Quand le Dr Earle lui propose de la contacter pour clarifier la situation, John Munroe réagit d’une manière suspecte, exprimant son inquiétude, car « les choses semblaient très sombres pour lui ». Le 21 septembre, John Munroe est arrêté en tant que suspect d’un meurtre.

James Cain ou John Munroe?

La nouvelle de l’arrestation de John Munroe stupéfie la communauté. Les journaux locaux prennent rapidement sa défense. Un éditorial du Daily Morning News de Saint John affirme : « Que le premier suspect soit M. Munroe (architecte) a créé une sensation pénible dans toute la ville, et a été ressenti comme un coup de tonnerre par ses nombreux amis. L’idée qu’il puisse être coupable d’un tel crime, ou de quoi que ce soit qui s’en approche, semble être tout simplement à rejeter, car indigne d’être crue. » La presse soutient qu’il n’a pas été prouvé de façon concluante que les restes étaient ceux de Maggie Vail et son enfant. Malgré les preuves présentées lors de l’enquête, des éditorialistes laissent entendre qu’il est beaucoup plus vraisemblable que James Cain soit coupable d’adultère et de meurtre. La manière dont les accusés sont traités pendant la durée de l’enquête montre à quel point cette attitude est partagée : James Cain est emprisonné dans la prison du comté, pendant que John Monroe est confortablement logé dans la maison du chef de la police.

Toutefois, des preuves supplémentaires, dont l’identification des cheveux d’Ella May par Philly Crear, et son témoignage selon lequel John Munroe avait parlé d’empoisonner son épouse, amènent encore plus de suspicion sur l’architecte. À la clôture de l’enquête, James Cain est libéré sur caution avec la promesse de revenir en cour sur demande. John Munroe sera jugé pour meurtre. La presse locale, qui se tient toujours aussi fermement de son côté, prédit qu’à la conclusion du procès, « un homme innocent sera rétabli dans la pleine jouissance […] des bénéfices de la citoyenneté ».

Une question de caractère

Les sentiments exprimés par les journaux reflètent la croyance solidement enracinée que les individus de rang social élevé sont, par la seule vertu de leur caractère, incapables de commettre des actes sordides. Les criminels sont perçus comme des êtres moralement et intellectuellement faibles, produits de la pauvreté, elle-même une conséquence de la paresse et des habitudes dissolues. Des gentlemen comme John Munroe, bien éduqués, riches et tenus en haute estime par leurs pairs, sont considérés comme des piliers de leur communauté. L’idée admise est que de telles personnes représentent ce qu’il y a de meilleur dans la société et ne peuvent se laisser aller à une dépravation brutale.

Le procès

Le procès de John Munroe commence à Saint John le 7 décembre 1869 devant le juge en chef John Campbell Allan. William Henry Tuck et le procureur général Andrew Rainsford Wetmore représentent la Couronne. Samuel R. Thomson représente John Munroe qui, conformément à la loi, ne peut témoigner pour sa propre défense. La Couronne n’ayant pu confirmer qu’Ella May a effectivement été assassinée, Munroe est jugé uniquement pour l’homicide de Maggie Vail. La poursuite présente les mêmes preuves que celles qui ont été utilisées pour l’enquête du coroner, et elle renforce l’accusation avec des témoignages additionnels, comme l’affirmation d’un témoin selon lequel John Munroe était la seule personne qui rendait visite à Maggie Vail chez elle et l’identification d’une incisive caractéristique, semblable à celle de sa sœur, sur le crâne de la victime adulte.

De son côté, Samuel Thomson fait valoir que les preuves contre son client sont uniquement circonstancielles et ne prouvent pas que la victime est bien Maggie Vail. Il déplore l’impossibilité pour l’accusé de témoigner pour sa défense dans ce système judiciaire. Toutefois, sa principale stratégie est de prouver l’innocence de son client en montrant qu’il est d’un caractère irréprochable : un fils, un mari et un père dévoué qui ne pourrait en aucun cas avoir commis un crime aussi abominable. L’avocat remarque qu’un homme aussi à l’aise financièrement que John Munroe n’aurait eu aucune raison de voler 500 $ à Maggie Vail. Il conçoit que John Munroe pourrait avoir commis l’adultère, mais laisse entendre que Maggie Vail était une séductrice, qui l’avait pris au piège. Samuel Thomson remarque aussi qu’un homme coupable aurait fait disparaître toutes les preuves de la scène du crime. Il fait témoigner 35 personnes au sujet du caractère de son client, incluant ses parents. En réponse à cette invocation du « bon caractère » de l’accusé, le procureur général Wetmore remarque : « Chaque homme en a un, jusqu’au jour où il l’abandonne. »

Condamnation et exécution

Le 17 décembre 1869, après moins d’une heure de délibérations, le jury remet un verdict de culpabilité, tout en recommandant fortement la clémence. Le 21 décembre, le juge John Campbell Allen condamne John Munroe à être pendu le 15 février 1870. Selon la presse, il est victime d’une erreur judiciaire. Une pétition pour que la condamnation à mort soit commuée en emprisonnement à vie reçoit plus de 2 000 signatures. La pétition n’a pas plus de succès que la recommandation du jury. Le 25 janvier 1870, le gouverneur général du Canada, John Young, signe le décret approuvant l’exécution de John Munroe. Celui-ci est conduit à la potence le jour prévu.

Confession

Après l’exécution, une confession écrite et signée par John Munroe devant deux témoins membres du clergé est montrée aux journalistes. John Munroe écrit qu’il n’avait pas l’intention de faire du mal à Maggie Vail lors du premier voyage sur la route Black River. Ils ont tiré sur une cible. Il a ensuite décidé que le site « était un endroit qui convenait bien pour commettre une mauvaise action ». Lors du deuxième voyage, il est devenu fou de rage quand Ella May a commencé à pleurer. « J’ai étranglé l’enfant. Je ne sais pas si elle était vraiment morte. » Maggie Vail a essayé de protéger son enfant, et John Munroe lui a tiré une balle dans la tête. Il a recouvert les corps de branches et il est parti.

John Munroe admet avoir pris à peu près la moitié des 500 $ de Maggie Vail et avoir écrit la lettre que Philly Crear a reçue. Sa confession ne donne aucun motif clair pour les meurtres et n’exprime aucun signe de remords. La dernière phrase est : « Je n’ai jamais tué aucune autre personne ou enfant. » La confession est publiée dans tous les journaux et constitue une révélation stupéfiante pour les nombreux sympathisants de John Munroe.