Albert Grey, 4e comte Grey | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Albert Grey, 4e comte Grey

Albert Henry George Grey, 4ecomte Grey, gouverneur général du Canada de 1904 à 1911 (né le 28novembre 1851 à Londres, au Royaume-Uni; décédé le 29 août 1917 à Howick, dans le Northumberland, au Royaume-Uni). Le comte Grey est à l’origine de prix décernés pour les arts, le théâtre et les sports au Canada. La coupe Grey est encore aujourd’hui remportée par l’équipe gagnante du championnat de la Ligue canadienne de football.

Grey, Albert George, 4e comte de

Famille et relations

Albert Grey est le troisième des six enfants du général Charles Grey et de Caroline Eliza Farquhar. Son père, Charles, est le fils du 2ecomte Grey, le premier ministre du Royaume-Uni de 1830 à 1834 reconnu pour avoir reçu un cadeau diplomatique de Chine: du thé noir aromatisé à l’huile de bergamote, plus tard connu sous le nom de thé Earl Grey. Après une carrière militaire de plus de deux décennies, Charles Grey devient député du Parlement et représente Wycombe dans la Chambre des communes britannique de 1832 à 1837.

En 1838, il accompagne son beau-frère, John Lambton, le 1ercomte de Durham, en Amérique du Nord britannique, où ce dernier est envoyé par le gouvernement britannique pour rédiger un rapport sur les Rébellions de 1837. Le comte de Durham nomme alors Charles Grey au Conseil exécutif et au Conseil spécial du Bas-Canada, qui gèrent le Bas-Canada jusqu’à la fondation de la province du Canada, en 1840.

À son retour au Royaume-Uni, Charles Grey devient secrétaire particulier du prince Albert, puis celui de la reine Victoria lorsqu’elle devient veuve. Ses enfants grandissent donc avec des relations étroites avec la cour royale. Albert Grey devient ainsi un ami proche du prince de Galles (le futur roi ÉdouardVII) et l’accompagne notamment lors de sa tournée en Inde en 1875-1876. L’une de ses sœurs, Louisa McDonnell, comtesse d’Antrim, devient Maîtresse de la garde-robe de la reine Victoria, puis celle de la reine Alexandra. Une autre sœur, Mary, lady Minto, assume le rôle de consort vice-royale du Canada de 1898 à 1904.

Formation, début de carrière et succession

Albert Grey fréquente Harrow School pour ses études secondaires puis poursuit son éducation au Trinity College de Cambridge, où il reçoit en 1873 des diplômes en histoire et en droit. En 1880, il est élu à la Chambre des communes et y représente South Northumberland de 1880 à 1885, puis Northumberland (Tyneside) de 1885 à 1886. Tout comme lord Lansdowne, un de ses prédécesseurs comme gouverneur général du Canada, Albert Grey n’est pas du même avis que le premier ministre britannique William Gladstone en matière d’autonomie gouvernementale de l’Irlande, ce qui le mène à quitter la Chambre des communes en 1886. Étant un bon ami de Cecil Rhodes, premier ministre de la colonie du cap de Bonne Espérance (aujourd’hui en Afrique du Sud) de 1890 à 1896, il est appelé à contribuer à la gestion de la bourse Rhodes de l’Université d’Oxford. Albert Grey devient également directeur de la compagnie britannique d’Afrique du Sud dans les années1890 et administrateur de la Rhodésie du Sud (aujourd’hui le Zimbabwe) en 1896-1897 pendant la Deuxième Guerre ndébélé.

En 1894, Albert Grey hérite du titre de comte Grey et du domaine Howick, au Northumberland. Celui-ci est légué par son oncle sans enfants, Henry Grey, 3ecomte Grey, qui a agi à titre de secrétaire d’État aux colonies et appuyé l’autonomie gouvernementale en Amérique du Nord britannique.

Mariage et enfants

En 1877, Albert Grey épouse Alice Holford, la fille de 18 ans de Mary Anne Lindsay et de Robert Stayner, un collectionneur d’œuvres d’art et l’un des fondateurs de Westonbirt, l’arboretum national. Le comte et lady Grey ont cinq enfants: lady Victoria (1878-1907); lord Charles, 5ecomte Grey (1879-1963); lady Sybil (1882-1966), photographe et cinéaste nommée Officier de l’Ordre de l’Empire britannique pour son travail d’administratrice d’hôpital pendant la Première Guerre mondiale; lady Evelyn (1886-1971); et lady Lillian (1891-1895). Sybil et Evelyn accompagnent leurs parents au Canada et agissent à titre de dames de compagnie pour leur mère. Le décès de la plus jeune enfant, Lillian, pourrait être à l’origine des efforts du comte Grey visant à réduire la mortalité infantile au Canada. En tant que gouverneur général, il visite notamment des fermes canadiennes et discute de techniques pour empêcher la présence d’impuretés dans le lait – le lait contaminé est à l’époque l’une des causes importantes de mortalité infantile.

Gouverneur général du Canada

Le premier ministre britannique Arthur Balfour nomme Albert Grey au poste de gouverneur général du Canada en 1904, lorsque se termine le mandat de lord Minto, le beau-frère du comte Grey. Lord Minto exprime alors ses inquiétudes à sa femme, en toute confidentialité: « Je doute qu’Albert soit raisonnable et je crains que des dommages ne soient causés par des gestes impulsifs et un manque de jugement. » La tendance du comte à faire de longs discours remplis de vocabulaire coloré le rend ridicule aux yeux des Anglais. Le politicien et journaliste britannique John Morley écrit notamment à Goldwin Smith, résident de Toronto et rédacteur du Canadian Monthly : « Le moulin à paroles que nous vous avons envoyé pour vous diriger à Ottawa n’est-il pas superbe? J’ai eu une triste pensée pour vous en lisant ses bêtises dans The Times aujourd’hui. J’espère que Laurier le gardera bien en laisse. »

Malgré les doutes à son égard, Albert Grey établit une relation forte avec le premier ministre canadien sir Wilfrid Laurier, qui remarque que le comte « a voué son cœur, son âme et sa vie entière au Canada ». Le nouveau gouverneur général, fervent impérialiste, est motivé à renforcer les liens unissant le Canada et le vaste Empire britannique. Parallèlement, il cherche aussi à augmenter l’autonomie du Canada en matière d’affaires internes et de gestion des garnisons britanniques encore présentes en Amérique du Nord. Dans cet esprit impérialiste, il offre des bannières du saint patron d’Angleterre, Saint George, aux écoles canadiennes pour « leur donner un esprit colonial et des slogans comme "Ottawa, ou Winnipeg, ou Calgary, est ma maison, et l’Empire mon pays" ». Au cours de son mandat, le comte favorise l’implantation d’une marine canadienne, et ce, à un tel point que la Loi du service naval de 1910 se popularise sous le nom de « projet de loi Grey », surtout au Québec. Le comte cherche également à attirer Terre-Neuve dans le giron de la Confédération, mais ses efforts sont vains, la province se joignant seulement au Canada en 1949 (voir Terre-Neuve-et-Labrador et la Confédération).

En tant que gouverneur général, le comte voyage beaucoup à travers le pays. Il visite toutes les provinces et rencontre des Canadiens de tous les milieux sociaux. Dans ses discours, il décrit le Canada et le vaste Empire britannique avec le vocabulaire imagé qu’on lui connaît. Il décrit ainsi le lac Ontario comme « une magnifique mer Méditerranée » et fait l’éloge de Hamilton en la comparant à la « montagne de la Table accompagnée de la baie de Naples ». Dans un discours présenté au maire et au conseil municipal d’Ottawa, le comte affirme que, au Canada, « l’imagination est stimulée par l’histoire mouvementée et colorée de votre passé, par la contemplation de vos vastes territoires, par le silence mystérieux et fascinant du Nord inexploité, par la richesse diversifiée de vos ressources infinies, par le charme et la splendeur de vos paysages et par la magnificence de votre climat inégalé ».

Depuis le début de la Confédération, le comte Grey est celui ayant eu le plus long mandat de gouverneur général. Lors de celui-ci, il propose divers projets pour promouvoir la culture, les paysages et les sports canadiens. Il soutient également une grande variété d’organismes de bienfaisance au pays. De 1907 à 1911, il finance un festival de théâtre et de musique du Dominion du Canada et décerne des prix dans toutes les catégories. Bien que ce festival ne perdure pas après son mandat, son soutien pour les arts au Canada encourage la création du Ottawa Little Theatre et d’autres théâtres communautaires. Albert Grey porte également un intérêt pour la littérature canadienne et rencontre la romancière Lucy Maud Montgomery lors de son passage à l’Île-du-Prince-Édouard en 1910. L’auteure inscrit alors dans son journal personnel: « Le comte Grey m’a serré la main et m’a aussitôt parlé d’Anne [la maison aux pignons verts] et du plaisir qu’il en a tiré. »

Sports et coupe Grey

Albert Grey est un athlète amateur passionné ayant plusieurs intérêts et passe-temps athlétiques. Selon l’édition de septembre 1909 du magazine The Busy Man’s Magazine, « des fêtes de patinage et de toboggan sont organisées [à Rideau Hall] tous les samedis après-midi de l’hiver […]. Il fait du ski et de la raquette et joue au curling. L’été, il joue au golf, au cricket et ne dédaigne pas jouer une bonne partie de boulingrin. Le comte Grey est un bon voyageur et il aime pêcher [...]. Le soir, il est heureux de participer à une bonne partie de billard [...] ou de bridge. » Albert Grey finance également des événements sportifs et commande des trophées pour les championnats canadiens de patinage artistique et les concours hippiques de Montréal.

Le comte est toutefois surtout connu pour avoir commandé la coupe Grey, le trophée décerné à l’équipe gagnante du championnat de la Ligue canadienne de football (LCF). Ayant au départ l’intention d’acquérir un trophée pour les championnats de hockey amateur, il est devancé par l’homme d’affaires canadien sir Montague Allan, qui fait don d’une coupe pour cette ligue. Il tourne donc son attention vers le « football rugby ». La première coupe Grey est décernée aux Varsity Blues de l’Université de Toronto en 1909. En 1958, la coupe Grey devient le trophée officiel de la LCF et le match du championnat est baptisé « match de la coupe Grey ». En 1963, Albert Grey est intronisé à titre posthume au Temple de la renommée du football canadien.

300e anniversaire de Québec

Albert Grey, parlant aussi le français, encourage les élites canadiennes anglophone et francophone à se mélanger. Il déclare notamment que « les Anglophones de Montréal seraient bien plus gais, heureux et cultivés s’ils permettaient à un petit rayon de soleil français de réchauffer et d’illuminer leurs vies ». Le sénateur Raoul Dandurand remarque que « [Albert Grey] avait fait de son mieux pour promouvoir l’utilisation de la langue française par la majorité anglophone ». Le comte reçoit un doctorat honorifique en droit de l’Université McGill en 1905.

Malgré cela, la participation du comte aux célébrations de 1908 pour le 300eanniversaire de la fondation de Québec est critiquée par la presse francophone. Avant que le gouvernement canadien ne décide comment célébrer l’événement, Albert Grey propose un programme commémoratif. « Je propose d’unir les deux champs de bataille en un seul parc national, écrit-il au roi ÉdouardVII. Nous pourrons ainsi commémorer les deux batailles que les deux races prétendant au territoire ont, à leur tour, remportées [Sainte-Foy et les Plaines d’Abraham] et lors desquelles les vaincus méritaient autant d’honneur et de gloire que les vainqueurs. » Cependant, les célébrations, ainsi que la visite royale du futur roi GeorgeV, semblent commémorer la victoire de James Wolfe lors de la bataille des Plaines d’Abraham de 1759 plutôt que la fondation de Québec par Samuel de Champlain en 1608. (Voir aussi Le 400eanniversaire de la fondation de Québec.)

Malgré la controverse entourant les célébrations du 300eanniversaire, le programme d’Albert Grey a des répercussions à long terme, notamment la désignation des Plaines d’Abraham comme parc national. De plus, un demi-million de dollars est amassé pour la fondation de la Commission des champs de bataille nationaux et du parc des Champs-de-Bataille.

Relations avec les États-Unis

Albert Grey joue un rôle actif dans la relation entre le Canada et les États-Unis. Il traverse notamment la frontière pour rencontrer le président Theodore Roosevelt et son successeur, William Howard Taft. Au début de son mandat, les relations entre les deux pays sont tendues en raison de l’accord concernant la frontière avec l’Alaska, signé en 1903, qui avantage les revendications américaines du territoire contesté. Albert Grey travaille donc étroitement avec les ambassadeurs britanniques de Washington pour définir précisément la frontière séparant le Canada et les États-Unis, ce qui mène à la signature d’un traité à Ottawa en 1908.

Le comte participe également à des négociations à propos du conflit sur la pêche commerciale dans l’Atlantique Nord et à propos du traité des eaux limitrophes de 1909, qui détermine quel pays a autorité sur les Grands Lacs et les chutes Niagara et qui met en place la Commission mixte internationale pour résoudre de futurs conflits. Albert Grey et Theodore Roosevelt, favorisant tous les deux l’instauration de parcs nationaux et la préservation de la nature, travaillent de concert sur des projets de conservation transfrontaliers, comme la American Bison Society. Le comte en profite également pour étudier des champs de bataille de la guerre de Sécession, y compris Gettysburg, pour mettre sur pied son propre projet concernant le parc des Champs-de-Bataille.

Relations avec l’Asie

En 1907, Albert Grey accueille le premier visiteur royal étranger, le prince Fushimi Hiroyasu du Japon, un cousin de l’empereur Meiji. La visite amène de nombreuses améliorations à Rideau Hall, y compris des rénovations dans la salle à manger et les salles de dessin. En l’honneur de la visite, le comte Grey et lady Grey organisent une fête avec des lanternes japonaises et dédient un érable de la Ferme expérimentale centrale au prince. Lors de la traversée du Canada du prince Fushimi, Albert Grey informe les chefs municipaux que « les gouvernements impérial [britannique] et canadien désirent que le visiteur reçoive un accueil et un traitement impeccables ». Le comte espère ainsi que le passage du prince mène à une augmentation des échanges entre le Canada et le Japon. Il écrit aux présidents des trois chemins de fer du Canada en 1906: « Il y a un temps que je considère ce qui peut être fait pour que l’Orient ait un appétit pour la cuisine canadienne ».

L’attitude d’Albert Grey par rapport à l’immigration asiatique varie au cours de son mandat. Au départ, il s’oppose à la taxe d’entrée imposée en 1885, qui restreint l’immigration chinoise au Canada. Il soutient également l’immigration de l’Inde (qui fait alors partie de l’Empire britannique) et du Japon (un allié du Royaume-Uni). Son opinion change toutefois après la victoire des Japonais dans la guerre russo-japonaise de 1904-1905, qui représente la première occurrence d’une puissance asiatique vainquant une puissance européenne dans une guerre de l’ère moderne. Albert Grey commence alors à considérer le Japon comme une menace et favorise des méthodes visant à limiter efficacement l’immigration asiatique au Canada. Ces mesures comprennent notamment de limiter l’accès aux immigrants arrivant d’un « voyage ininterrompu » à une époque où il n’existe aucune route directe entre le Canada et le Japon ou l’Inde.

Fin de vie

À son retour au Royaume-Uni en 1911, le comte Grey devient président du Royal Colonial Institute (aujourd’hui la Société royale du Commonwealth) et continue de promouvoir l’unité impériale jusqu’à la fin de sa vie. Il demeure actif en tant que philanthrope et gestionnaire de ses domaines jusqu’à son décès, causé par le cancer en 1917.