Le phénomène du hockey féminin dans la région centrale du Canada de 1915 à 1920 | l'Encyclopédie Canadienne

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Le phénomène du hockey féminin dans la région centrale du Canada de 1915 à 1920

Pendant que la Première Guerre mondiale continue en Europe, un groupe de jeunes femmes remarquables transforme le monde du hockey sur glace.

Pendant que la Première Guerre mondiale continue en Europe, un groupe de jeunes femmes remarquables transforme le monde du hockey sur glace.

L’Eastern Ladies Hockey League de Montréal dispute son premier match le 13 décembre 1915. Six semaines plus tard, ces femmes sont les joueuses les plus populaires du pays. Des gens d’affaires américains offrent de petites fortunes pour les attirer aux États-Unis en vue de participer à d’importantes tournées. Même le directeur municipal des légendaires Canadiens de Montréal admet que« ces hockeyeuses semblent être plus en demande que n’importe qui d’autre dans la ville en ce moment… La moitié de mes gars ne pourraient pas jouer dans cette ligue » (Montreal Star, le 2 février 1916).

Les hockeyeuses de Montréal ne sont pas les premières ou les seules à pratiquer le hockey organisé. La première image d’un match de hockey de femmes est prise en 1890 et met en vedette la fille du gouverneur général, Isobel Stanley, qui brandit un bâton. À la Première Guerre mondiale, il existe des équipes et des ligues féminines partout au Canada, et le hockey féminin est populaire dans beaucoup d’établissements postsecondaires (voir Les femmes et le sport au Canada : une histoire). Toutefois, la Eastern Ladies Hockey League de Montréal est la première à être aussi populaire et la seule ligue féminine à atteindre l’insaisissable saint Graal du sport féminin : le succès commercial.

La ligue est l’idée du promoteur montréalais Len Porteous, qui collabore avec P. J. Doran, propriétaire de l’aréna Jubilee, sur la rue Sainte-Catherine Est, où les femmes jouent leurs matchs à domicile. Aucun des deux n’est reconnu pour ses vues féministes. Pour eux, l’Eastern Ladies Hockey League de Montréal n’est qu’un projet d’entreprise. Des dizaines de milliers d’hommes s’engagent pour la guerre. Par conséquent, le nombre de ligues amatrices qui louent du temps sur la glace à l’aréna Jubilee chute dramatiquement. Les femmes pourront, ils espèrent, éviter quelques nuits « sombres ». Ils n’auraient pas pu rêver mieux. La ligue s’avère une véritable mine d’or. L’aréna peut contenir 3200 spectateurs. Elle sera pleine tous les lundis soirs au cours des matchs réguliers de la ligue. À mesure que la ligue gagne en popularité, le nombre de matchs hors concours et de matchs importants augmente. Comptant chaque sou, Len Porteous profite de la renommée de ses hockeyeuses en les faisant participer à une ligue de quilles d’été et demandant 25 sous par billet.

Au moment où la ligue amatrice commence, il existe quatre équipes : les Westerns, les Maisonneuves, les North End Stanleys et les Telegraphs. Les médias les appellent les « hockeyeuses ». Les femmes portent des jupes à crinoline ou des culottes avec des maillots sans numéro et des casques. Les jambières des hommes auraient été atrocement indécentes pour les spectateurs de l’époque. Comme d’autres hockeyeuses à cette époque, l’Eastern Ladies Hockey League de Montréal pratique le hockey avec contact; elle respecte aussi les mêmes règles de l’Association nationale de hockey que les hommes.

Les équipes sont mixtes, mais la majorité des femmes semblent être d’origine anglaise et de la classe des ouvrières. L’endroit d’où elles proviennent ou où elles ont joué auparavant demeure inconnu. L’aréna Jubilee est situé à l’est de la ville, un quartier intitulé à l’époque le « Pittsburgh de Montréal » pour son industrie lourde. Les médias remarquent un important nombre d’admirateurs provenant de « la pointe » (Pointe-Saint-Charles), un quartier de récents immigrants et de travailleurs pauvres.

Les hockeyeuses connaissent un succès instantané. Un journaliste perspicace du Montreal Star prévoit leur popularité dans un article sur les deux matchs disputés lors de la soirée d’ouverture :

« Pour tous ceux qui cherchent une nouvelle sensation… allez à l’aréna Jubilee et regardez jouer les hockeyeuses de l’Eastern Ladies Hockey League de Montréal… Ça, c’est du hockey. Si les joueuses continuent à s’améliorer, l’hippodrome de New York ou un autre établissement de divertissement de la métropole américaine va nous les enlever. » (Montreal Star, 14 décembre 1915)

La ligue est tellement populaire que deux équipes, les Champêtres et les Mintos, sont ajoutées au calendrier avant la fin de la première saison. Les Westerns sont les champions de la ligue au cours des deux premières années, gagnant la coupe Doran pour la ville dominante. L’équipe a en vedette Agnès Vauthier, comparée aux meilleurs joueurs canadiens.

La popularité du hockey féminin s’étend rapidement à d’autres communautés. En février 1916, un journal de Cornwall, en Ontario, déclare le hockey féminin comme étant « LE SPORT D’HIVER LE PLUS POPULAIRE DU CANADA, le phénomène du hockey féminin » (Cornwall Standard Freeholder, le 10 février 1916). Dans le même ordre d’idées, le Montreal Star déclare que le « MOUVEMENT DU HOCKEY FÉMININ SE RÉPEND PARTOUT AU PAYS » (Montreal Star, le 12 janvier 1916). Ottawa et Cornwall forment d’excellentes équipes rivales, qui finissent même jusqu’à vaincre les meilleures équipes de Montréal. En fait, les Alerts d’Ottawa deviennent les premières championnes mondiales en 1917, après avoir vaincu les Polar Maids de Pittsburgh en trois parties contre une. (Le hockey féminin devient aussi populaire aux États-Unis.)

Toutefois, ce sont les Victorias de Cornwall qui demeurent invincibles en raison de leur joueuse étoile controversée, Albertine Lapensée. Âgée d’à peine 16 ans, elle est la plus jeune d’une famille de 11 enfants. Ses compétences sur la glace sont si supérieures que certains la soupçonnent d’être un homme. (Les rumeurs persistent à tel point que son père doit témoigner publiquement du sexe de sa fille. Les journaux font aussi enquête, et le 12 février 1916, les lecteurs apprennent que « le représentant du Montreal Star a demandé d’en connaître davantage sur le passé de Mademoiselle Lapensée, et selon ce qu’il a appris, il est convaincu qu’elle est bien une jeune fille ».) Albertine Lapensée reçoit les surnoms « l’étoile des étoiles » et « The Miracle Maid », et semble pouvoir compter des buts à volonté. Une demi-douzaine de buts en un match n’est pas rare pour elle, et lors de son meilleur match, elle compte 15 buts, pour mener à une victoire de 21 à 0. Les Vics ne perdent jamais pendant qu’elle revêt leur uniforme. Toutefois, Albertine Lapensée commence à demander plus d’argent, ce qui agace les propriétaires de l’équipe, qui veulent garder les profits pour eux.

L’argent est très certainement l’un des attraits du hockey féminin pendant la Première Guerre mondiale, du moins pour les investisseurs. Les gens d’affaires américains ignorent les joueurs canadiens et demandent plutôt à voir les joueuses; ils offrent 10 000 $ (l’équivalent d’environ 200 000 $ en 2013) pour qu’une équipe des étoiles fasse une tournée « Arabian Nights » aux États-Unis. Hugh Graham, l’éditeur conservateur du Montreal Star, commence un tollé général, et indique que toute femme qui prend part à la tournée perdra son statut de joueuse amatrice et même peut-être sa vertu. Le voyage est donc annulé.

L’Eastern Ladies Hockey League disparaît après la fin de la guerre. Avec le retour des hommes, les ligues professionnelles de hockey masculin reviennent en force, et l’intérêt commercial du hockey féminin s’évapore (bien que les femmes continuent à jouer dans des ligues amatrices partout au pays). En outre, les propriétaires de l’Eastern Ladies Hockey League, tous des hommes, passent plus de temps à se battre et à se voler des joueuses qu’à établir un plan opérationnel qui pourrait consolider les impressionnants progrès réalisés. En 1920, ils sont tous disparus des pages sportives, à l’exception de Len Porteous, le fondateur de la ligue, soupçonné d’avoir volé la machine à écrire qu’il avait laissée chez un prêteur sur gages.

Les femmes aussi disparaissent des journaux et des annales du sport. Albertine Lapensée, « l’étoile des étoiles », se retire en 1918 et disparaît. (Selon un rapport, elle meurt lors de l’épidémie de grippe espagnole la même année à New York.) De plus, nous connaissons peu de choses sur la vie des autres joueuses après la dissolution de la ligue. Toutefois, pendant une brève période, elles auront été les étoiles du sport canadien, célébrées des deux côtés du 49e parallèle.

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