Conférence de Charlottetown | l'Encyclopédie Canadienne

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Conférence de Charlottetown

C’est la Conférence de Charlottetown qui met en marche le projet de Confédération. Tenue du 1er au 9 septembre 1864 à Charlottetown (sans compter des réunions additionnelles la semaine suivante à Halifax, St John’s et Fredericton), la conférence est organisée par des délégués du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard afin de discuter de l’union de leurs trois provinces. Un groupe de personnes de la Province du Canada – qui n’étaient pas sur la liste initiale des invités – parvient néanmoins à les convaincre de travailler à l’union de toutes les colonies de l’Amérique du Nord britannique. La Conférence de Charlottetown est suivie de la Conférence de Québec (du 10 au 27 octobre 1864) et de la Conférence de Londres (de décembre 1866 à mars 1867). Ces trois événements mènent à la Confédération le 1er juillet 1867.

Des déléguées de la Conférence de Charlottetown, Île du Prince Édouard, 1864.

Une affaire sociale

À Charlottetown, capitale de l’Île du Prince-Édouard, les discussions se tiennent dans la salle du Conseil législatif de l’édifice Province House du jeudi 1er septembre au mercredi 7 septembre, avec une pause le dimanche. Durant toute la semaine passée à Charlottetown, la réunion s’accompagne d’une bonne dose de festivités, au programme desquelles figurent des dîners offrant la spécialité locale, le homard. L’hospitalité permet par ailleurs aux participants de faire connaissance.

Le jeudi 8 septembre – jour férié – un grand bal est organisé pour les délégués à Province House. La salle du Conseil est transformée en salle de réception. La bibliothèque quant à elle sert de bar et la salle de l’Assemblée législative, de piste de danse. Les festivités se prolongent tard dans la nuit et jusqu’au petit matin. Un dîner est servi à une heure du matin. Des discours suivent jusqu’à 5 h, heure à laquelle les délégués montent à bord du SS Queen Victoria qui les emmènera à Halifax.

D’autres réunions se tiennent à Halifax, Saint John et Fredericton jusqu’au 16 septembre. Les discussions sont officiellement conclues le 3 novembre 1864 à Toronto, alors que les délégués voyagent dans le Centre du Canada, dans le cadre de la Conférence de Québec.

Contexte : union maritime

En 1862, la Province du Canada refuse en effet de payer une portion des coûts du projet du chemin de fer Intercolonial devant relier Halifax à Québec. Ce refus déclenche des discussions entre les Maritimes qui envisagent de se fondre en une seule entité. Ils espèrent ainsi acquérir davantage de pouvoir politique et attirer les investissements. Les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard accueillent favorablement tout projet susceptible d’entraîner le rachat des terres de propriétaires qui possèdent de vastes zones sur l’île tout en vivant à l’extérieur. Dans l’ensemble, le soutien pour une Union maritime n’est cependant pas très solide.

Craintes des Canadiens

La Province du Canada chercher à créer une union fédérale avec les Maritimes, principalement à cause des menaces extérieures. La création d’une puissante armée américaine durant la Guerre de Sécession et le désir de la Couronne britannique de réduire son soutien financier et militaire à ses colonies d’Amérique du Nord alimentent au Canada les craintes d’une annexion par les Américains (voir aussi : Association pour l’annexion). Une succession de gouvernements coloniaux faibles et instables dans la Province du Canada ajoute également aux pressions en faveur du changement et d’une nouvelle structure politique.

Lorsque les leaders politiques canadiens apprennent, par l’intermédiaire de Samuel Tilley la tenue prochaine d’une conférence à Charlottetown, ils décident de tenter d’y assister et y envoient une délégation qui sera bien accueillie, bien qu’elle n’ait jamais été invitée par les organisateurs des Maritimes.

Salle de la Confédération de Province House

Délégués des Maritimes

Les trois provinces maritimes nomment chacune cinq délégués pour la conférence de Charlottetown. Chaque délégation comprend des membres du gouvernement et de l’opposition.

Nouvelle-Écosse

Le premier ministre conservateur Charles Tupper dirige la délégation de la Nouvelle-Écosse. Il est accompagné du procureur général William Alexander Henry, de Robert Barry Dickey, du chef des libérauxAdams George Archibald et de Jonathan McCully. Ce dernier en particulier deviendra un fervent défendeur de la Confédération.

Nouveau-Brunswick

Le premier ministre du Nouveau-BrunswickSamuel Leonard Tilley (parti des réformistes – Libéraux) est lui aussi accompagné par son procureur général, John Mercer Johnson, et un autre ministre, William Henry Steeves. Le vétéran du Parti conservateur Edward Barron Chandler et John Hamilton Gray sont également de la partie.

Île-du-Prince-Édouard

Le premier ministre conservateur de l’Île-du-Prince-ÉdouardJohn Hamilton Gray (homonyme du politicien du Nouveau-Brunswick) est accompagné par deux de ses collègues du CabinetWilliam Henry Pope et  Edward Palmer, et des libéraux George Coles et Andrew A. Macdonald. Des luttes intestines dominent alors la politique de l’Î.-P.-É. et trois de ses délégués, Palmer, Coles et Macdonald s’opposent plus tard à la Confédération. Malgré leur opposition, ils entreront dans l’histoire comme faisant partie des Pères de la Confédération (voir aussi : Pères de la Confédération : tableau).

Dans la force de l’âge et ambitieux

Les Pères de la Confédération sont loin d’être une bande de vieux bonhommes. Chandler, du Nouveau-Brunswick, a 64 ans, mais les autres n’ont qu’entre 35 et 55 ans. Charles Tupper a 43 ans et Samuel Tilley 46; ils sont tous deux des politiciens d’âge mûr qui espèrent un jour faire fonctionner les institutions qu’ils prévoient créer. Le plus jeune d’entre eux, Andrew Macdonald, de l’Île-du-Prince-Édouard, ressort dans la photographie du groupe des délégués prise sous le portique de la Maison du gouvernement à Charlottetown. On le voit appuyé contre une colonne, levant d’un air enjoué son haut-de-forme pour se protéger du soleil.

La délégation des Maritimes, composée uniquement d’hommes, comporte quelques lacunes notoires. Aucun délégué ne prendra ainsi la parole au nom des communautés irlandaises de la région, pourtant d’une taille importante. Andrew Macdonald est le seul catholique et il est issu d’une famille aisée écossaise des Hautes Terres. La province unie proposée est baptisée non officiellement l’Acadie, mais aucun représentant francophone n’est présent. Les Autochtones et les Afro-Canadiens sont quant à eux complètement absents de la vie publique.

Conférence de Charlottetown
Les délégués des provinces se rencontrent à Charlottetown pour envisager l’union des colonies de l’Amérique du Nord britannique.

Des participants expérimentés

Certains récits de la Conférence de Charlottetown suggèrent que les Canadiens, par leur sophistication, sont parvenus à éblouir suffisamment les politiciens issus des petites villes des Maritimes pour les convaincre d’accepter une vision complètement nouvelle et plus large de la nation. En fait, une Confédération incluant la Province du Canada faisait depuis de nombreuses années l’objet de discussion dans les Maritimes, même si un tel projet n’était le plus souvent envisagé qu’à long terme.

Tupper et McCully, de la Nouvelle-Écosse, avaient ainsi soutenu l’unification de toutes les provinces. Gray, du Nouveau-Brunswick, s’était fait l’avocat d’une union fédérale dès 1849, tandis que Tilley se montrait prudemment favorable. Gray, de l’Île-du-Prince-Édouard, a déclaré quant à lui rêver depuis son enfance d’une grande nation britannique en Amérique du Nord. Coles a même défini les grandes lignes d’une Confédération, bien que son idée fixe de faire de Charlottetown sa capitale restait irréaliste.

Pour ce qui est de leur expérience et de leur degré de sophistication politique, Chandler, Tilley et Steeves, du Nouveau-Brunswick, ainsi qu’Archibald et McCully, de la Nouvelle-Écosse, avaient participé aux négociations avec le Canada concernant le chemin de fer Intercolonial. Ils étaient tout à fait aptes à évaluer les propositions formulées par les Canadiens. Charles Tupper invite Joseph Howe, le plus célèbre des libéraux de Nouvelle-Écosse, à prendre part aux négociations, mais il ne peut s’y rendre, étant en mission officielle ailleurs. Espérant voir Charlottetown jeter les bases d’une Union maritime, il promet de coopérer pour assurer son adoption et il rejette très tôt l’idée d’une Confédération étendue. (Voir aussi Adversaires de la Confédération.)

Visiteurs canadiens

Huit des 12 membres de la Grande Coalition de la Province du Canada font le voyage jusqu’à Charlottetown, signe qu’ils prennent la chose très au sérieux. Plusieurs d’entre eux sont des poids lourds sur la scène politique. Le conservateur John A. Macdonald, grâce à sa connaissance du droit et à son habileté politique, apparaît comme une figure emblématique de la conférence. George Brown, propriétaire du journal Globe, est le principal réformateur (libéral) de la Coalition. Il parle au nom du Canada-Ouest (anciennement le Haut-Canada, aujourd’hui l’Ontario).

Le Canada-Est (anciennement le Bas-Canada, aujourd’hui le Québec) est représenté par l’expert financier Alexander Galt et par le tribun et écrivain catholique irlandais Thomas D’Arcy McGee. Les deux seuls francophones présents, George-Étienne Cartier et Hector-Louis Langevin, parlent tous les deux couramment l’anglais (il est peu probable qu’un seul mot de français ait été prononcé à la conférence). Les autres Canadiens sont le réformateur  William McDougall et le conservateur Alexander Campbell.

Les Canadiens sont essentiellement des gens dans la quarantaine. Le plus jeune d’entre eux, Langevin, a juste 38 ans tandis que le plus vieux, Cartier, fête ses 50 ans durant la conférence. McGee est le seul qui connaît bien les Maritimes. C’est en effet lui qui était en liaison avec Samuel Tilley pour organiser la participation des Canadiens à la Conférence de Charlottetown. Les Canadiens se font également accompagner par deux hauts fonctionnaires et un sténographe, ce qui laisse penser qu’ils espèrent élaborer un modèle détaillé de la confédération à la conférence.

Début des rencontres confus

L’arrivée des délégués de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick le 31 août révèle les déficiences administratives de leurs hôtes de l’Île-du-Prince-Édouard. Aucune chambre n’a été réservée dans les hôtels locaux, et peu de logements sont en fait disponibles, car Charlottetown est envahie de visiteurs attirés par la présence d’un cirque. Le contraste entre le côté brouillon des Maritimes et l’efficacité des Canadiens est souligné par l’arrivée, le lendemain matin, du Queen Victoria, le bateau à vapeur officiel de la Province du Canada qui va faire office d’hôtel flottant pour les Canadiens privés de logements à terre. Le ministre de l’Île-du-Prince-Édouard W. H. Pope en est réduit à être transporté à bord d’une barque de pêche, assis sur un baril de farine, pour aller les accueillir. Un peu plus tard, les Canadiens sont convoyés vers la terre par des hommes d’équipage portant de flambants uniformes.

Dans l’après-midi du 1er septembre et le lendemain matin, les délégués des Maritimes se rassemblent à Province House. Ils élisent comme président le premier ministre Gray et examinent les priorités des trois délégations. L’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a autorisé l’examen d’un plan visant à une Union maritime. Les délégations du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard, toutefois, avaient pour seul mandat de participer à des discussions générales. La Conférence se heurtait donc dès le départ à un problème d’agendas différents.

Publication des bans du mariage

Une session générale est organisée dans l’après-midi du vendredi 2 septembre pour souhaiter la bienvenue aux Canadiens. Après quelques discussions et discours supplémentaires le lendemain matin, les Canadiens offrent un déjeuner au champagne à bord du Queen Victoria (voir La conférence de Charlottetown de 1864 : le pouvoir de persuasion du champagne). Quelqu’un cite alors les mots prononcés habituellement lors d’une cérémonie anglicane de mariage : « Si quelqu’un a quelque raison que ce soit de s’opposer à ce mariage, qu’il parle maintenant, ou se taise à jamais ». Les éclats de rire qui s’en suivent confirment, dans l’esprit de certains, que les bans de mariage d’un nouveau Canada ont été proclamés et que l’union peut s’effectuer.

En fait, les délégations des Maritimes n’ont pas encore donné leur accord à la Confédération. Le délégué canadien George Brown interprète néanmoins l’épisode comme une preuve qu’elles approuveraient. Comme l’a écrit l’historien J.M.S. Careless dans sa biographie, Brown of the Globe : « Dans le grand salon du Queen Victoria, au milieu de verres de vin et de la fumée de cigare, vingt-trois hommes avaient décidé, avec enthousiasme, de fonder une nouvelle nation. D’autres pays auront connu un début plus frappant, mais bien peu en auront connu de plus agréables. »

Les sessions d’une journée ont lieu les lundi et mardi suivants. Dès lors, la distinction entre les délégations officielles des Maritimes et le contingent non officiel du Canada est pratiquement abandonnée.

George Brown

L’ultimatum distingué des Canadiens

L’ordre précis des discours prononcés par les Canadiens reste flou, mais il semble que Cartier ait pris la parole en premier. Convaincu que la Confédération devait garantir l’autonomie des Canadiens français, Cartier rassure les délégués des Maritimes quant à son désir de les voir conserver un contrôle local sur les questions régionales vitales. (Voir aussiPartage des pouvoirs.). Brown, qui a été la force motrice de la Confédération au sein de la législature canadienne, fait possiblement deux discours. Il souligne également que le Canada-Ouest désire diriger ses propres affaires. Il a probablement indiqué que si la Confédération n’était pas mise en place dans les douze mois, la Grande Coalition devait transformer la Province du Canada en une fédération locale composée de l’Ontario et du Québec. Les délégués des Maritimes doivent faire face à un subtil ultimatum de la part des Canadiens : s’ils approuvent le principe de la Confédération, c’est maintenant – ou peut-être jamais.

John A. Macdonald fait contrepoids à l’accent mis sur les droits provinciaux en faisant passer un fort message en faveur du centralisme. L’exposé impressionnant que fait Galt le 3 septembre sur la manière dont les provinces seront financées dans le cadre de la Confédération est particulièrement important. Galt défend les dettes publiques élevées du Canada, dettes qui ont alarmé les délégués des Maritimes, plus économes. Il explique notamment que la forte population du Canada fait que sa dette par habitant est en fait moindre que celle du Nouveau-Brunswick.

En 1862-1863, la Province du Canada a rejeté un plan prévoyant qu’il paierait cinq douzièmes des coûts associés au chemin de fer Intercolonial. Maintenant, la construction de la voie ferrée serait garantie dans le cadre de la Confédération. Cinq sixièmes des coûts, soit le double de la part initialement prévue, devraient être assumés par les contribuables canadiens, plus prospères. Il s’agissait là d’une offre attrayante.

Le « Oui » conditionnel

Charles Tupper est peu enclin à abandonner complètement l’idée d’une Union maritime. Samuel Tilley pense quant à lui que les Maritimes pourraient obtenir de meilleures conditions des Canadiens s’ils entrent dans la Confédération en tant que provinces séparées. Les délégués du Nouveau-Brunswick sont particulièrement préoccupés par la question de l’emplacement du gouvernement : où la capitale de la province unifiée se situerait-elle? Si Halifax est déclarée capitale, l’Union maritime prendra l’allure d’une « Grande Nouvelle-Écosse ». Samuel Tilley est prêt à envisager une union régionale si le plan à plus grande échelle échoue et il assure que les trois colonies maritimes pourraient facilement être rassemblées pour former une province unique une fois la Confédération établie. Ses collègues délégués sont pour la plupart d’accord et ils persuadent Charles Tupper de ne pas soumettre sa proposition à un vote.

Après s’être concertés en privé le 7 septembre, les délégués des Maritimes donnent leur réponse aux Canadiens : ils soutiennent unanimement une fédération de toutes les provinces, tant et aussi longtemps que les termes de cette unification sont satisfaisants.

Le consensus s’étend au-delà du principe général de la Confédération. On considérera plus tard, lors de la Conférence de Québec, que plusieurs questions importantes ont fait l’objet d’un consensus non officiel à Charlottetown. Le chemin de fer Intercolonial est une question centrale de l’accord. Les délégués des Maritimes se disent prêts à accepter la Confédération s’ils obtiennent cette voie ferrée. Les Canadiens ne sont prêts à la construire que dans le cadre d’une union politique. Le principe d’égalité régionale (en vertu duquel chaque région obtient un nombre égal de sièges) dans la future Chambre haute (Sénat) du nouveau gouvernement fait également partie du consensus (voir aussi : Représentation selon la population). Les calculs effectués à Charlottetown montrent que les Maritimes prises dans leur ensemble ainsi que les futures provinces de l’Ontario et du Québec devaient chacune fournir 20 sénateurs.

Il en est convenu qu’une autre conférence se tiendrait à Québec en octobre 1864 pour mettre au point les détails de la Confédération. Voir aussi : Conférence de Québec; Conférence de Londres, Pères de la Confédération; Mères de la Confédération; Confédération : collection; Confédération : chronologie; Confédération de 1867 : éditorial; Loi constitutionnelle de 1867; L’histoire depuis la Confédération.

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