Entretien avec Michael Edgson | l'Encyclopédie Canadienne

Entrevue

Entretien avec Michael Edgson

Après la cérémonie d’intronisation des légendes du sport canadien au Temple de la renommée de Calgary le 17 juin 2015, Edgson s’est entretenu avec Jeremy Freeborn, de L’Encyclopédie canadienne.

Le nageur de compétition Michael Edgson, de North Vancouver, en Colombie-Britannique, a gagné 17 médailles d’or paralympiques, un record canadien, dont 9 médailles d’or lors des Jeux paralympiques de 1988, le plus grand nombre jamais gagné par un Canadien lors de mêmes Jeux paralympiques. Michael Edgson, qui est aussi atteint d’amblyopie, fait partie du contingent d’athlètes intronisés au Temple de la renommée des sports du Canada en 2015. Après la cérémonie d’intronisation des légendes du sport canadien au Temple de la renommée de Calgary le 17 juin 2015, Edgson s’est entretenu avec Jeremy Freeborn, de L’Encyclopédie canadienne.

J.F. : Avant de vous lancer dans la natation de compétition, vous avez joué au hockey et au soccer, en plus de faire de la gymnastique quand vous étiez jeune. Pour quelles raisons vous sentiez-vous plus à l’aise dans une piscine?

M.E. : La raison a de quoi intéresser. Mes parents m’ont très volontiers laissé essayer différents sports. Évidemment, certaines activités me convenaient plus que d’autres à cause de mon handicap visuel. Le soccer, c’était une bande de gamins sur un terrain, qui couraient dans tous les sens après des ballons. Le hockey, c’était une chaudière de rondelles et une meute de jeunes garçons sur des patins. S’il n’y avait qu’une seule rondelle sur la glace, je ne l’aurais probablement pas vue. J’ai commencé à faire de la gymnastique dans les années 1970, mais j’avais des problèmes d’arthrite aux poignets et aux articulations.

À l’âge de 11 ans, j’ai entendu mes voisins qui parlaient autour de la piscine [et j’ai décidé d’essayer la natation]. Ç’a été un coup de foudre[et bien vite] je me suis joint aux Riptides de Nanaimo. Dans le sport individuel qu’est la natation, la vue ne joue pas vraiment de rôle, et je me trouvais dans un milieu assez sécuritaire pour me permettre de m’épanouir. Mon corps s’est adapté et j’étais lancé!

J.F. : Lorsqu’on vous dit que vous faites figure de pionnier en matière de sport paralympique canadien, quelle est votre réaction?

M.E. : « Pionnier »… le mot est fort. Je ne sais pas si j’en suis digne, à la lumière de ce que j’ai fait. Je suis incroyablement chanceux d’avoir évolué au moment où Natation Canada représentait une force exceptionnelle pour les athlètes ayant un handicap, et en particulier pour les nageurs ayant un handicap. Nous avons été intégrés à l’ensemble du programme. Pendant le plus clair de ma carrière, je nageais en tant qu’athlète sans handicap. Je n’étais pas un nageur handicapé, juste un nageur. Mon club de natation local à Nanaimo, l’Université de Victoria et certainement Natation Canada m’ont tous accueilli chaleureusement en me traitant commeun nageur. Beaucoup de celatenait au soutien qu’on nous donnait et aux systèmes en place.

J.F. : Vous avez été un nageur de haut niveau dans les styles papillon, libre et dos, ainsi que dans les épreuves quatre-nages. Est-ce qu’une discipline en particulier vous donnait du fil à retordre?

M.E. :La brasse était de loin la plus difficile. Je n’ai jamais été doué dans ce style. J’ai eu des problèmes avec les tendons de mon aine. Ceux-ci nuisaient vraiment à mes performances de[brasse]ainsi qu’à ma tenue lors d’épreuves de quatre-nages. J’ai toujours été,sans l’ombre d’un doute, un spécialiste du 200 mètres papillon. C’était mon épreuve par excellence.

J.F. : À l’âge de seulement 15 ans, vous avez défendu les couleurs du Canada aux Jeux internationaux pour handicapés (à présent dénommésJeux paralympiques). Que retenez-vous surtout de ces jeux, et qu’avez-vous ressenti de représenter le Canada pour la toute première fois?

M.E. :Représenter le Canada est un honneur. Ce n’est pas pour rien que j’ai une feuille d’érable tatouée sur la poitrine. Représenter mon pays est un privilège. Le sport est à la fois rassembleur et exaltant. Il permet de révéler le caractère. Beaucoup de gens disent que le sport forme le caractère,mais je dirais plutôt qu’il lerévèle.

[Les Jeux de 1984] ont constitué ma première occasion de défendre les couleurs du Canada à l’étranger. Je me souviens de la piscine. Je me souviens de mes collègues. Je me souviens de mes concurrents. Je me souviens d’être à la cérémonie d’ouverture, de l’excitation qui m’habitait, du grondement de la foule, de l’électricité dans l’air… Je me souviens de sauter dans la piscine, d’être impatient d’amorcer la course.

J.F. : À l’approche des Jeux paralympiques de Séoul en 1988, vous deviez participer à neuf épreuves. Parlez-moi de votre niveau de confiance à la veille des Jeux. Pensiez-vousremporter chacune de ces neuf épreuves?

M.E. :1988 a été une année particulièrement intéressante. Les commanditaires commençaient à faire leur apparition. Les Jeux paralympiques faisaient l’objet d’une couverture médiatique et gagnaient en amateurs. Ils étaient télédiffusés pour la toute première fois de l’histoire. Je comptais prendre part à neuf épreuves, dont deux courses à relais. D’emblée, je débordais de confiance, mais jamais ne je pensais pouvoir gagner neuf épreuves. Dans pareils cas, il faut se concentrer sur une course à la fois. En y pensant aujourd’hui, je me souviens qu’après chaque épreuve gagnée, la suivante devenait plus ardue. On pourrait penser qu’après en avoir enlevé une ou deux, les autres seraient de plus en plus faciles. C’était tout le contraire. Les attentes étaient chaque fois plus élevées. Idem pour l’attention dont je faisais l’objet. Le besoin de rester concentré et le stress « mental » ne cessaient de s’accroître. La dernière épreuve a constitué mon plus important défi. Il s’agissait d’une course à relais. Impossible d’avoir le plein contrôle lorsqu’on fait partie d’une équipe à relais. Il faut espérer que les trois coéquipiers fassent eux aussi leur part. Ce fut une très longue compétition. J’ai été incroyablement chanceux d’en sortir vainqueur.

J.F. : Y a-t-il une médaille d’or en particulier qui s’est révélée plus gratifiante que les autres?

M.E. : Deux épreuves me viennent à l’esprit en 1988 [lors des Jeux paralympiques de Séoul, en Corée du Sud]. L’une était la courseà relais 4 × 100 m nage libre. J’étais le quatrième nageur etnous étions troisièmes au début de mon relais. Nous avons fini par gagner par seulement neuf centièmes de seconde. C’était incroyable. Et très satisfaisant. L’autre était le 100 m dos. À l’époque, on avait le droitde s’enfoncer aussi profondément dans l’eau qu’on le souhaitait. Je m’immergeais complètement pour les 42 premiers mètres, puis je faisais surface pour trois brasses avant de me retourner. Mes bras étaient frais et dispos, mais mes jambes étaientabsolument épuisées et vidées de leur oxygène. C’était extraordinaire.

J.F. : Qu’est-ce que cela a représenté d’avoir porté l’unifolié aux cérémonies de clôture des Jeux paralympiques de 1988?

M.E. : J’ai eu la chance d’être sélectionné comme porteur de drapeau lors des cérémonies de clôture des Jeux paralympiques de 1988 en Corée du Sud. C’est de ces honneurs auxquels on ne s’attend pas. C’est tout simplement incroyable. Il ne s’agit pas que de porter le drapeau, mais d’être à l’avant de l’équipe et de la représenter. C’était fantastique.

J.F. : Après les Jeux paralympiques de 1992 à Barcelone, en Espagne, vous avez décidé de vous retirer de la natation de compétition, et ce, à l’âge de seulement 23 ans. Plus de vingt ans se sont écoulés depuis. En pensant à votre carrière de nageur, regrettez-vous d’avoir tiré votre révérence à un si jeune âge, ou estimez-vous que c’était le bon moment pour vous attaquer à d’autres défis?

M.E. : Sans aucun doute, c’était le bon moment pour passer à autre chose. Les nageurs des années 1980 atteignaient leur apogée de 20 à 22 ans. Les nageuses connaissaient quant à elles leurs meilleures performances de 16 à 18 ans. C’était différent d’aujourd’hui. J’ai toujours cru, en tant qu’athlète, en l’importance de me retirer au sommet, à l’apogée de ma carrière. Malheureusement, tant que nos performances s’améliorent, impossible d’être sûr du moment où on l’atteint, ce sommet. On ne le connaît que lorsqu’on en descend.

[Aux Jeux de 1992], j’ai perdu ma première course en huit ans, et je ne m’améliorais pas autant qu’auparavant, d’une épreuve à l’autre. Je pouvais gagner, mais je n’allais pas nécessairement plus vite. C’était sans aucun doute le moment de me retirer. En 1992, il ne me restait également qu’une année d’université et je me suis marié. Cette année-là a représenté un tournant dans ma carrière de natation et ma vie personnelle, et c’était le temps de tourner la page.

J.F. : Vous travaillez actuellement pour la Banque Royale du Canada à Richmond, en Colombie-Britannique. Est-ce que votre carrière sportive vous a aidé, d’une manière ou d’une autre, à évoluer dans le secteur financier?

M.E. : Sans aucun doute. J’y ai appris l’importance d’être discipliné, déterminé et concentré. En cela, ma carrière sportive s’est révélée cruciale, non seulement pour ma carrière professionnelle, mais également pour mon rôle de père. L’énergie et la passion qui nous habitent peuvent se transmettre aux gens qui nous côtoient.

J.F. : Que diriez-vous aux jeunes Canadiens ayant un handicap physique qui souhaitent faire de la compétition sportive de haut niveau?

M.E. : [Pour être un athlète de hauteperformance], il faut savoir faire abstraction de toutes les distractions possibles et rester concentré sur ses objectifs. On a aussi besoin de mentorat, de soutien et d’accompagnement. Il faut s’entourer de personnes positives. Il y a beaucoup de négativité dans le monde. Débarrassez-vous-en, dans la mesure du possible. Restez positifs et concentrés.

J.F. : Les Jeux parapanaméricains bénéficient d’une importante couverture médiatique, aux côtés des Jeux panaméricains. Croyez-vous qu’il s’agit là d’un pas dans la bonne direction pour le mouvement paralympique?

M.E. : Le mouvement paralympique évolue, et même progresse, rapidement. On se fait désormais commanditer. On a droit à une couverture médiatique. Il y a maintenant de la controverse quant au dopage et à l’entraînement à divers niveaux. Lorsqu’on commence à voir ce genre de choses dans un sport, on sait que son profil est à la hausse.

Le Canada et le Comité paralympique canadien veulent être à la pointe, ils veulent faire office de chefs de file et de pionniers du sport paralympique. C’est l’évidence même. Le gouvernement fédéral nous soutient. Les commanditaires de même. Le mouvement lui-même connaît une progression fulgurante et l’attraction suscitée par ses athlètes d’élite ne fait aucun doute.

J.F. : À votre avis, est-ce que les athlètes paralympiques sont plus appréciés aujourd’hui qu’à l’époque où vous faisiez de la compétition?

M.E. : Je dirais qu’ils sont mieux compris et appréciés, particulièrement du fait que le calibre du sport paralympique a augmenté considérablement.

J.F. : Est-ce que vous vous êtes parfois senti découragé par l’approche adoptée dans le sport paralympique, telle qu’elle se distingue du sport pour athlètes sans handicap?

M.E. : Je ne pense pas que j’étais découragé… pour l’essentiel de ma carrière, je me suis mesuré à des nageurs sans handicap. Je participais également aux Jeux paralympiques ou auxchampionnats mondiaux de natation du Comité paralympique international. Je parvenais à équilibrer les deux. Je me trouvais au sommet international dans une catégorie, et bien moins bien classé dans l’autre. Étais-je découragé? Non, car je vivais des expériences édifiantes. Lorsqu’on commence à se plaindre du transport ou de l’hébergement, on sait qu’on est parvenu à atteindre la scène internationale, et c’est une bonne chose.

J.F. : Quel a été le plus grand moment de votre vie, et pourquoi?

M.E. : J’ai trois garçons, et mes meilleurs moments dans la vie, c’est de les voir faire du sport et s’améliorer sans cesse.

J.F. : Quel Canadien vous a le plus inspiré?

M.E. : Le Canadien qui m’a inspiré le plus était [le nageur] Alex Baumann. J’admirais son dévouement envers le sport,sa conduite et ses performances. J’admire aussi Walter Gretzky, que j’ai eu la chance de rencontrer, il y a quelques années. Il m’a dit un jour que les gens exceptionnels n’ont pas besoin de dire qu’ils sont exceptionnels. Ces sages paroles me sont restées et je tâche de les inculquer à mes enfants.

J.F. : Quels sont vos futurs objectifs de vie?

M.E. : De continuer à être actif, de m’impliquer dans le sport à l’échelon local, et de contribuer à créer des occasions, là où je le peux,pour ceux qui n’en ont pas. Je vois des personnes qui ont le désir de s’entraîner et de faire de la compétition. J’espère inculquer l’amour du sport à la prochaine génération.