Relations francophones-anglophones | l'Encyclopédie Canadienne

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Relations francophones-anglophones

« Deux nations en guerre au sein d'un même État », telle était l'opinion de lord Durham au sujet des relations qu'entretenaient les deux communautés culturelles et linguistiques du Bas-Canada au cours des années 1830.
 Henri Bourassa
Fondateur du journal « Le Devoir » et opposant à l'action militaire canadienne à l'étranger, Bourassa stimule la croissance d'un nationalisme vigoureux au Québec (avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada/C-27360 /coll. Henri Bourassa).

« Deux nations en guerre au sein d'un même État », telle était l'opinion de lord Durham au sujet des relations qu'entretenaient les deux communautés culturelles et linguistiques du Bas-Canada au cours des années 1830. Cette opinion se justifiait par le fait que ces relations étaient devenues violentes pendant les rébellions de 1837-1838 que l'armée britannique avaient rapidement réprimées. Certains observateurs du débat qui se poursuit quant au rôle du Québec au sein de la Confédération, en particulier le mouvement indépendantiste québécois d'aujourd'hui, pourraient être tentés de croire que le jugement porté par lord Durham peut constituer un principe général pour l'ensemble de l'histoire canadienne. En réalité, la qualité des relations entre francophones et anglophones au cours des 200 dernières années a fluctué au gré des facteurs socio-économiques, politiques et idéologiques ainsi qu'en fonction de la détermination de la majorité canadienne et des communautés francophones minoritaires à survivre et à atteindre l'égalité.

Toute recherche d'une explication globale des relations francophones-anglophones doit tenir compte du fait que la communauté francophone constitue une minorité linguistique et culturelle d'environ 6,5 millions de personnes. Aujourd'hui, les francophones ne représentent que 24 p. 100 de la population canadienne, ce qui constitue une baisse de près de 6 p. 100 depuis 1900. Cela vient surtout du fait que la majorité des immigrants sont non francophones et que le taux de natalité a baissé chez les femmes francophones. Au Québec, toutefois, les francophones représentent encore 82 p. 100 des 6,2 millions de citoyens, en dépit de l'émigration de près d'un million de francophones au cours de la période de 1870 à 1930.

Maintenant que le taux de natalité des francophones est inférieur au seuil de renouvellement des générations, les nationalistes québécois estiment que leur situation majoritaire est menacée par une minorité anglophone constituant 35 p. 100 de la population de l'agglomération montréalaise. De plus, lorsque les élites intellectuelles et politiques des deux communautés ont formulé, puis tenté d'atteindre des objectifs sociaux et politiques divergents plutôt que concertés, cela a rendu les relations entre francophones et anglophones considérablement tendues. Les relations francophones-anglophones traversent actuellement des tensions telles qu'elles n'en avaient pas connu depuis les rébellions des années 1830.

Relations avec les dirigeants coloniaux britanniques

De 1763 à 1800, les relations entre les dirigeants coloniaux britanniques et le Canada français, traditionnellement dirigé par le clergé et les seigneurs, sont tendues mais cordiales. Les deux groupes adhèrent aux mêmes valeurs et aux mêmes institutions de l'Ancien Régime. L'Acte de Québec de 1774 et l'Acte constitutionnel de 1791 sont des tentatives délibérées de renforcer les structures sociales et politiques coloniales en place. Toutefois, le contrat social commence à s'effriter après 1800, lorsque l'économie et la structure sociale du Québec connaissent des transformations fondamentales. En 1820, Montréal a cessé d'être le centre de la traite des fourrures et l'économie du blé dans le Bas-Canada traverse une grave crise.

La classe des seigneurs, ayant perdu ses sources traditionnelles de richesse que lui donnait son pouvoir sur l'armée, la bureaucratie et le commerce, décline très rapidement après 1800 et l'Église n'est pas encore prête à prendre la direction de la société québécoise (voir Régime seigneurial). C'est dans ce contexte d'instabilité qu'apparaît une nouvelle classe moyenne professionnelle chez les francophones. Cette nouvelle classe ambitieuse mise sur les idéologies du nationalisme et du libéralisme politique pour prendre le pouvoir à l'Assemblée du Bas-Canada, ce qui est chose faite en 1810, puis commence à tenter de s'approprier la charge de gouverneur et le pouvoir total sur les conseils législatif et exécutif.

Lorsque, avec l'appui des marchands anglo-écossais, les gouverneurs successifs refusent tout partage sérieux du pouvoir, la classe moyenne francophone, sous l'étiquette du Parti patriote, préconise alors des réformes politiques qui lui conféreraient l'entière maîtrise des conseils nommés. Lorsque les dirigeants coloniaux britanniques rejettent ces propositions de réforme, le Parti patriote tente de prendre le pouvoir par les armes (1837-1838), se proposant ensuite de créer une république canadienne-française indépendante ayant comme président Louis-Joseph Papineau.

La révolte échoue parce qu'elle manque d'appuis dans la population et de chefs énergiques et courageux, alors que les troupes britanniques bien armées contre-attaquent de façon rapide et brutale (voir Rébellions de 1837). Le Parti patriote en sort totalement désorganisé, et l'option séparatiste est discréditée pour plusieurs générations.

Dans la période qui suit les rébellions, le Rapport Durham et l'Acte d'Union (proclamé en février 1841), qui unit le Bas et le Haut-Canada pour former la Province du Canada et assujettit fermement la société canadienne-française au pouvoir d'une Assemblée et de conseils exécutifs dominés par les anglophones, la classe moyenne professionnelle francophone se divise en deux groupes.

Le premier, dirigé par L-H. LaFontaine et E. Parent, poursuit une stratégie visant à assurer aux institutions culturelles, sociales et religieuses du Canada français le plus d'autonomie possible, espérant ainsi mettre en échec les intentions assimilatrices de lord Durham et des dirigeants coloniaux britanniques. Pour atteindre ce but, en collaboration avec les réformistes du Haut-Canada, il lutte en faveur du gouvernement responsable, qu'il réussit à obtenir en 1848.

Le deuxième groupe, qui comprend les restes du Parti patriote et une jeune génération de nationalistes, forme l'Institut canadien et le parti rouge Il rejette l'Acte d'Union et fait campagne pour en réclamer l'abrogation. Ses membres sont de fervents partisans du nationalisme politique et luttent pour la création d'un État national canadien-français, politiquement autonome, laïque et démocratique.

Après avoir obtenu le gouvernement responsable en 1848, le parti réformiste de LaFontaine et Parent devient le parti bleu, qui, sous la direction de Joseph-Édouard Cauchon et de George-Étienne Cartier, s'intègre au Parti conservateur.

Celui-ci, appuyé à fond par une Église catholique revigorée, cherche encore à accroître l'autonomie des institutions culturelles, sociales et religieuses du Canada français. Le parti collabore aussi avec la bourgeoisie anglo-écossaise, représentée par le Parti libéral-conservateur de John A. Macdonald, afin de favoriser le développement économique grâce à la construction de chemins de fer et à l'expansion du commerce avec les États-Unis et la Grande-Bretagne.

En 1865, il est clair que l'Assemblée a abouti à une impasse politique du fait qu'une majorité croissante de gens du Haut-Canada, dirigés par George Brown et sa faction Clear Grits, veut s'affranchir du joug d'une Union dominée par les Montréalais anglophones et les Bleus de Cartier. La situation se résout lorsque tous les membres de l'Assemblée, à l'exception des partisans du mouvement rouge, s'entendent pour travailler à l'établissement d'un régime fédéral soit pour le Bas et le Haut-Canada, soit pour l'ensemble des colonies britanniques d'Amérique du Nord.

Création de la province de Québec

À la suite de longs débats, parfois enflammés, à l'Assemblée des Canadas en 1865, les résolutions de Québec, qui prévoient la création d'un gouvernement central et de plusieurs provinces, dont le Québec, sont adoptées. Les Rouges s'opposent à la nouvelle Constitution parce qu'ils estiment qu'elle est trop centralisatrice et ne garantit pas la survie de la communauté francophone. Une faible majorité de francophones, persuadée par le Parti conservateur et par une Église catholique très circonspecte que la nouvelle Constitution offre une autonomie suffisante à la nationalité canadienne-française, soutient la fédération de trois colonies britanniques d'Amérique du Nord en une fédération de quatre provinces dont les institutions parlementaires principales seront situées à Ottawa.

Aux élections fédérales et provinciales de 1867, le Parti conservateur remporte 45 des 65 sièges, ce qui manifeste clairement l'appui général apporté à la nouvelle entente constitutionnelle. Les chefs laïques et religieux du Canada français commencent à participer modestement au développement commercial et industriel du Québec. La modernisation du secteur agricole et l'industrialisation de la province pendant le dernier quart du siècle aident la communauté francophone à poursuivre et à réaliser certaines de ses aspirations culturelles, sociales et politiques.

Pendant les 30 premières années de Confédération, la majorité canadienne-française du Québec adopte graduellement une nouvelle attitude à l'égard du régime fédéral canadien, et ce, pour deux raisons. D'abord, le renouveau et l'essor économique, culturel et religieux de la société canadienne-française du Québec, puis l'expansion démographique remarquable de la communauté canadienne-française au Québec et dans les communautés voisines des états de la Nouvelle-Angleterre et de l'Ontario lui inspirent une confiance accrue.

En second lieu, les minorités francophones hors Québec vivent une situation de plus en plus pénible, marquée par divers épisodes : l'abolition des écoles séparées non officielles fréquentées par les Acadiens du Nouveau-Brunswick (1871); la rébellion de la rivière Rouge (1869-1870) et la rébellion du Nord-Ouest (1885), considérées dans le centre du Canada, tant par les francophones que par les anglophones, comme une lutte entre les francophones catholiques et les anglophones protestants afin de déterminer l'avenir de l'Ouest canadien; l'abolition, décidée en 1890 par le gouvernement libéral du Manitoba, du financement des écoles catholiques, reconnu par la Loi sur le Manitoba de 1870 (voir Question des écoles du Manitoba); la limitation des écoles séparées dans la loi de 1905, qui crée les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan; et finalement, le Règlement 17 de l'Ontario, qui compromet le réseau non officiel d'écoles bilingues séparées en interdisant l'usage du français comme langue d'enseignement jusqu'à la fin des années 20 (voir Question des écoles de l'Ontario).

Suite à ces crises, la majorité canadienne-française du Québec s'identifie de plus en plus aux minorités francophones assiégées sans merci par une société anglo-canadienne agressive et militante, déterminée à créer un État national canado-britannique fort et homogène.

En fait, beaucoup de Canadiens français sont d'avis que leur société est forcée de choisir entre les droits des provinces et ceux des minorités, choix absolument inacceptable parce que l'autonomie provinciale est considérée comme le fondement même de la survie de la nationalité francophone au Canada. Pour résoudre ce dilemme, plusieurs Canadiens français éminents, dirigés par le juge T.J.J. Loranger et le journaliste et politicien Henri Bourassa, commencent à ajouter une théorie du « pacte des nationalités » à la théorie du « pacte des provinces », affirmant que le concept des deux nations ou des deux peuples fondateurs constitue l'essence même de la Confédération.

En conséquence, les chefs francophones réagissent aux crises relatives aux droits des minorités en pressant le gouvernement fédéral de faire respecter la Constitution de 1867. Seule une reconnaissance totale du caractère bilingue et biculturel du pays pourrait prévenir des atteintes renouvelées aux minorités francophones et les divisions qui s'ensuivent. Le premier ministre Wilfrid Laurier tente d'appliquer la théorie des « deux nations » dans son entente de 1897 avec le premier ministre Thomas Greenway , du Manitoba. L'entente, qui accorde aux catholiques des régions rurales du Manitoba certaines mesures de redressement, est annulée en 1916 par le gouvernement libéral de T.C. Norris.

Les Canadiens français et les Canadiens anglais s'entendent encore moins en matière de politique étrangère, particulièrement quant au rôle du Canada dans l'Empire britannique. De 1900 à 1920, les nationalistes canadiens-français et les adeptes d'un nationalisme canadien à caractère britannique s'affrontent à maintes reprises. Les premiers, dirigés par Henri Bourassa, protestent vigoureusement contre la participation accrue du Canada aux entreprises économiques ou politiques impériales, et davantage encore aux opérations militaires.

Bourassa s'oppose vivement à la participation des troupes canadiennes à la guerre des Boers, affirmant que toute forme d'impérialisme est immorale et que l'opération créera un précédent qui justifiera la participation à d'autres guerres impériales britanniques dans l'avenir. Laurier tente de maintenir la bonne entente entre les modérés des deux communautés en évitant de prendre des engagements et en créant en 1910 une marine canadienne qui pourrait prêter main-forte à la Marine royale en temps de guerre, mais cette stratégie ne fait que provoquer la colère des nationalistes des deux camps et contribue à la défaite de Laurier aux élections de 1911.

L'affrontement inévitable entre les deux camps atteint son paroxysme avec la crise de la conscription en 1917 et est symbolisé par la formation du gouvernement d'union de Borden la même année. La question de la conscription divise les partis politiques en fonction de l'appartenance ethnique, la grande majorité des députés fédéraux anglophones appuyant la conscription et le gouvernement d'union alors que tous les députés fédéraux francophones sont réélus en tant que Libéraux opposés à la conscription.

Les conséquences de cette crise sur les relations francophones-anglophones sont désastreuses, particulièrement pour les élites intellectuelles et politiques des deux communautés. Pour le Parti conservateur fédéral, c'est un désastre à long terme. Tandis que les nationalistes canadiens-français se replient sur eux-mêmes et délaissent l'objectif de Bourassa visant à faire du Canada un pays bilingue et biculturel.

L'abbé Lionel-Adolphe Groulx et ses collègues nationalistes de L'Action française concentrent leurs efforts sur la protection de la société canadienne-française du Québec contre les assauts de l'industrialisation et de l'urbanisation rapides. Ils commencent à réfléchir sérieusement à l'infériorité économique croissante des Canadiens français en tant qu'individus et en tant que collectivité.

Les classes moyennes professionnelles et commerciales du Canada français font face à une concurrence accrue de la part de conglomérats canadiens-anglais et américains. Parfois, en désespoir de cause, Groulx et ses collègues rêvent d'une nation canadienne-française indépendante, traditionaliste et rurale. Leur découragement s'explique en grande partie par le fait que la majorité des Canadiens français appuient la politique du gouvernement libéral qui vise l'expansion économique du Québec grâce à l'exploitation de ses abondantes ressources naturelles, notamment ses forêts, ses gisements miniers et son potentiel hydroélectrique.

La Crise des années 30 30 rend évidents pour la population les graves désavantages économiques des Canadiens français sur le plan individuel et collectif. Les Canadiens français de la classe moyenne réagissent en réclamant des réformes socio-économiques et politiques comme l'organisation de coopératives, un soutien de l'État aux entrepreneurs francophones, la nationalisation des compagnies anglophones d'hydroélectricité, la réglementation des grandes sociétés et des campagnes d'encouragement à l'achat de produits canadiens-français. Selon eux, ces mesures renforceront la société canadienne-française traditionnelle, tout en donnant à la classe moyenne plus d'influence sur le développement économique du Québec.

Nationalisme conservateur de l'Union nationale

L'Union nationale, sous Maurice Duplessis, regroupe des Conservateurs de longue date, des Libéraux déçus et des nationalistes traditionalistes. Elle profite du réveil nationaliste provoqué par la crise économique pour défaire le Parti libéral en 1936. En dépit des craintes des Canadiens anglais, Duplessis, fondamentalement partisan du nationalisme constitutionnel, refuse de procéder aux réformes économiques nationalistes que réclament les nationalistes appartenant ou non au parti.

Aux élections provinciales de 1939, il décide de faire de la conscription le thème de sa campagne et il est défait par suite de l'intervention directe du Parti libéral de Mackenzie King et de son lieutenant québécois Ernest Lapointe. Lapointe et ses collègues francophones menacent de démissionner et de laisser le Parti conservateur, partisan de la conscription, prendre le pouvoir au niveau fédéral si les Canadiens français refusent de se débarrasser de Duplessis, qu'ils trouvent gênant. En retour de la promesse de ne pas imposer la conscription pour le service outre-mer, les Canadiens français acceptent de mauvais gré que le Canada participe à la Deuxième Guerre mondiale.

L'occupation de la France en 1940 amène le Canada anglais à réclamer la conscription avec encore plus d'insistance. Le premier ministre King espère affaiblir le mouvement conscriptionniste, et particulièrement son chef, le Conservateur Arthur Meighen, en tenant un plébiscite pour demander à tous les Canadiens de délier le gouvernement fédéral de sa promesse de ne pas imposer la conscription pour le service outre-mer. De nouveau hantés par la menace de la conscription, divers mouvements nationalistes canadiens-français se regroupent pour former la Ligue pour la défense du Canada, qui mène une campagne énergique et victorieuse pour le Non au plébiscite d'avril 1942. Un pourcentage impressionnant de 80 p. 100 de francophones vote non, tandis qu'un pourcentage presque aussi élevé d'anglophones vote oui. Une fois de plus, le Canada voit les deux communautés se diviser.

King tient compte du résultat en déclarant qu'il y aura « la conscription si nécessaire, mais pas nécessairement la conscription ». Son gouvernement parvient à en retarder la mise en vigueur jusqu'à la fin 1944, lorsqu'une minorité tapageuse au sein de son Cabinet et la contestation des officiers militaires forcent King à consentir à la conscription de 16 000 hommes déjà mobilisés pour le service militaire au Canada, auxquels on donne le nom péjoratif de « zombis ». Les nationalistes canadiens-français fulminent, mais la décision est venue trop tard pour aider leur mouvement, le Bloc populaire canadien, lors des élections provinciales de 1944. Aux élections fédérales de 1945, les Canadiens français contribuent à réélire le gouvernement libéral.

Les relations francophones-anglophones résistent aux épreuves de la dépression et de la guerre. Les deux communautés continuent de suivre les règles établies en 1867, en étant cependant toujours en désaccord sur l'interprétation de ces dernières, notamment dans le domaine de l'imposition et de la politique sociale. De 1945 à 1975, cette situation se modifie radicalement en raison de plusieurs facteurs.

Le facteur politique le plus important est la décision d'Ottawa après la guerre, décision appuyée par une nouvelle génération de nationalistes canadiens-anglais, d'entreprendre la mise en place d'un État providence centralisé. Les politiciens et les bureaucrates d'Ottawa, à prédominance anglophone, soutiennent que le gouvernement fédéral doit avoir les pleins pouvoirs sur toutes les formes d'imposition directe (voir Imposition ) pour assurer un développement économique stable et couvrir les frais de programmes comme l'assurance-chômage, les allocation familiales, les pension de vieillesse et les régimes d'assurance-hospitalisation et d'assurance-maladie.

Bien qu'elles rejettent le nouveau fédéralisme proposé par Ottawa, les provinces tardent à faire des contre-propositions. De fait, les scrutins démontrent que les électeurs veulent ces nouveaux programmes. Au Québec, par contre, le mouvement nationaliste canadien-français exerce des pressions assez fortes sur le gouvernement Duplessis pour l'amener à rejeter les plans de location de domaines fiscaux d'Ottawa et les mesures plus audacieuses qu'ils comportent, comme les subventions fédérales aux universités.

Pour les nationalistes canadiens-français de la jeune génération, qu'on appellera les « néo-nationalistes », la stratégie défensive de Duplessis est insuffisante. Dirigés par André Laurendeau, Gérard Filion et Jean-Marc Léger , et appuyés par une nouvelle classe moyenne francophone qui a étudié les sciences et les sciences sociales, ils préconisent la création d'un État québécois laïque et interventionniste à direction francophone, qui entreprendrait la mise en valeur des ressources naturelles par et pour les Canadiens français.

Seul un État nationaliste actif pourrait aider à créer le climat nécessaire à l'essor d'une bourgeoisie industrielle et financière francophone puissante. Pour qu'un nombre suffisant de Canadiens français soit prêt à assumer la direction d'une société laïque moderne, l'État procéderait à une modernisation en profondeur de tous les niveaux d'éducation, et, pour que l'appareil de l'État providence soit dirigé par des francophones pour ce qui se rapporte au Québec, les néo-nationalistes proposent que tous les programmes sociaux soient pris en charge par le gouvernement du Québec. Cet exercice des prérogatives constitutionnelles du Québec, tant anciennes que nouvelles, nécessiterait un accroissement considérable du pouvoir d'imposition de la province.

Les changements socio-économiques conduits au Canada par l'industrialisation et l'urbanisation croissantes ainsi que par l'arrivée au pays de milliers d'immigrants ne parlant ni le français ni l'anglais provoquent dans la société canadienne-française de nouvelles tensions. Ces tensions viennent surtout du fait que les francophones ont réalisé que l'église catholique et le mode de vie rural ne peuvent plus servir de remparts contre l'assimilation. Ils comprennent que leur avenir économique et social réside dans les milieux urbains et industriels. La volonté de survie et le désir d'égalité de la communauté francophone viennent en conflit avec les aspirations nationales des Canadiens anglais de l'après-guerre, et la situation est propice à un affrontement au sujet des ressources et des emplois disponibles. De plus, en raison de la sécularisation rapide de la société canadienne-française, le catholicisme n'est plus un facteur qui distingue le Canada français du reste de l'Amérique du Nord.

Or, comme les francophones hors Québec s'assimilent rapidement et que les immigrants au Québec s'intègrent presque tous à la communauté anglophone (qui se trouve principalement dans la région métropolitaine de Montréal), il est inévitable que la langue devienne une question fondamentale dans le Québec contemporain.

Révolution tranquille

La défaite de l'Union nationale par le Parti libéral de Jean Lesage en 1960 marque le début de la Révolution tranquille, et la lutte est s'engage sur deux fronts. D'un côté, la nouvelle classe moyenne mène une lutte politique et socio-économique pour avoir plus d'emprise sur les ressources économiques du Québec. De l'autre côté, une âpre et déchirante bataille est livrée pour tenter de redéfinir la place de la société francophone au Canada.

Depuis le début des années 60, les gouvernements québécois successifs tentent de modifier les relations socio-économiques entre la majorité francophone de la province et ses minorités anglophones. Pendant la première phase de la Révolution tranquille, le gouvernement Lesage modernise et élargit les secteurs public et parapublic pour fournir des emplois aux francophones très instruits de la génération du baby-boom .

En 1964, il nationalise toutes les compagnies privées d'hydroélectricité, ce qui fait d'Hydro-Québec (fondée en 1944) l'une des plus grandes sociétés d’État du Canada. Les francophones peuvent y travailler totalement en français et y développer leurs compétences techniques, scientifiques et administratives. Cette situation se retrouve également dans les domaines de l'éducation, de l'aide sociale et des services de santé, ainsi que dans tous les ministères et à tous les paliers de la bureaucratie gouvernementale.

Les efforts du Canada français pour redéfinir sa place au sein du Canada ont engendré des débats publics animés et des troubles politiques importants au cours des quarante dernières années. Dans leur rapport provisoire de 1965 sur le bilinguisme et le biculturalisme, les commissaires affirment que le Canada vit actuellement sa crise politique la plus grave depuis la Confédération. À partir de 1963, plusieurs bombes explosent dans des boîtes à lettres de Montréal, et deux partis séparatistes réussissent à recruter des membres chez les étudiants d'université francophones. Au milieu des années 60, toutes sortes de propositions sont déjà formulées en vue de restructurer, de renouveler et même de démembrer le régime fédéral canadien.

S'inspirant des recommandations du rapport de la commission Tremblay (1956), beaucoup de néo-nationalistes québécois réclament qu'une constitution renouvelée consacre un « statut spécial » au Québec, tandis que d'autres revendiquent une forme de statut « d'État associé ». En fait, les partis politiques en sont venus en 1966 à se livrer à une surenchère pour tenter de suivre le rythme de la vague nationaliste qui balaie le Québec.

Daniel Johnsonchef de l'Union nationale, lance à Ottawa un ultimatum, dans un petit pamphlet intitulé « Égalité ou indépendance ». Un statut spécial ou un statut d'État associé supposerait une très grande décentralisation du régime fédéral, que beaucoup de Canadiens jugent déjà beaucoup trop décentralisé. Face à cette réaction insolente, un bon nombre de néo-nationalistes commencent à affirmer que seule l'indépendance politique complète du Québec pourrait assurer la survie de la nationalité francophone.

Au milieu des années 60, les néo-nationalistes font face à l'opposition de tous les partis nationaux et d'un certain nombre de francophones en vue comme Jean Marchand, Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier. Ces soi-disant « sages » ont été recrutés par le Parti libéral fédéral du premier ministre Lester Pearson pour accroître la participation francophone au gouvernement national et aider Ottawa à éteindre les conflits politiques, potentiellement dangereux, avec les partis politiques et les gouvernements successifs du Québec qui s'inspirent de plus en plus du néo-nationalisme et qui, dans certains cas, sont centrés sur le nationalisme.

Les troupes fédérales, dirigées par le Premier ministre Trudeau, proposent une stratégie en deux volets : mettre en valeur la pleine participation des francophones à toutes les institutions nationales au moyen d'une politique de bilinguisme officiel et inscrire des garanties personnelles ainsi que les droits des deux communautés linguistiques officielles dans une constitution renouvelée au moyen d'une charte des droits qui en ferait partie. Le premier objectif est atteint en 1969 grâce à l'adoption de la Loi sur les langues officielles. Le second objectif est atteint avec la Loi constitutionnelle de 1982 (voir Rapatriement de la Constitution) qui intègre une Charte des droits et libertés et une formule de modification générale reposant sur sept provinces comprenant plus de 50 p. 100 de la population canadienne.

Le Québec constitue le principal obstacle au renouvellement de la Constitution. Le nouveau chef libéral Robert Bourassa, qui devient premier ministre du Québec en 1970, tente d'obtenir un élargissement des pouvoirs provinciaux en matière de politique sociale en contrepartie du consentement de son gouvernement à ce que la Constitution soit rapatriée et à ce qu'une charte des droits y soit ajoutée. Lorsque Bourassa échoue dans sa tentative, les pressions des néo-nationalistes le forcent à rejeter la Charte de Victoria de 1971.

Parti québécois

Le Parti québécois (PQ), voué à la réalisation de l'indépendance politique du Québec, est élu en 1976. Le gouvernement péquiste prend rapidement des mesures pour donner suite à ses promesses électorales, particulièrement dans le domaine très controversé de la législation en matière linguistique. Vers la fin des années 50, lorsqu'il était devenu clair que le secteur public ne pourrait pas prendre une expansion illimitée, les cercles nationalistes avaient commencé à exercer des pressions en faveur de lois linguistiques qui feraient du français la principale langue de travail tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

En 1974, le gouvernement libéral de Robert Bourassa applique la Loi 22, qui fait du français la langue officielle du Québec et oblige les immigrants qui y viennent à s'inscrire dans des écoles de langue française. Cette loi est jugée trop radicale par les communautés anglophone et allophone du Québec, parce qu'elle restreint leur liberté de choix de longue date, mais une majorité croissante de Québécois francophones jugent qu'elle ne va pas assez loin, que la Loi 22 contient trop d'échappatoires qui permettent aux parents allophones d'envoyer leurs enfants dans des écoles de langue anglaise et qu'elle ne fait pas grand-chose pour que le français devienne vraiment la langue de travail de toute la population québécoise.

L'Assemblée donne suite aux fortes pressions de tous les milieux nationalistes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du parti, en adoptant la Loi 101, la Charte de la langue française, qui fait du français l'unique langue officielle du Québec, dresse un calendrier en vue de faire du français la principale langue de travail et prévoit que tous les immigrants provenant d'autres régions du Canada ou d'autres pays du monde devront inscrire leurs enfants aux écoles francophones du Québec.

Ces faits nouveaux rendent les relations francophones-anglophones beaucoup plus tendues, non seulement au Québec, mais partout au Canada. Le Parti libéral fédéral, réélu en 1980, mène une dure campagne pour s'assurer de la défaite du PQ au référendum, parrainé par ce dernier et qui demande aux Québécois d'accorder au gouvernement péquiste le mandat de négocier la souveraineté-association.

C'est la victoire des troupes fédéralistes dans la campagne du référendum québécois qui incite le gouvernement Trudeau à procéder au rapatriement de la Constitution et à y inscrire une formule d'amendement et la Charte canadienne des droits et libertés. L'entente constitutionnelle est approuvée par Ottawa et toutes les provinces, sauf le Québec. Les indépendantistes accusent Ottawa et les provinces d'avoir poignardé le Québec dans le dos. Ce mythe puissant contribue à dégrader des relations anglophones-francophones qui étaient déjà précaires.

Le grand malheur est que le gouvernement Lévesque du Québec, au cours de ses manœuvres politiques, s'est entendu avec sept autres provinces pour abandonner son traditionnel droit de veto sur les changements constitutionnels, droit qui était essentiel à la survie de la nationalité canadienne-française. Une démarche de renouvellement de la Constitution, entreprise en grande partie pour répondre aux nouveaux besoins du Québec, aboutit à une entente qui, dans certaines circonstances, pourrait entraîner de nouvelles tensions et même une hostilité ouverte entre les deux communautés linguistiques du Canada.

Accord du lac Meech et ses suites

Le gouvernement péquiste est réélu en 1981, mais il est affaibli par des querelles internes et battu de façon décisive par le Parti libéral de Robert Bourassa en 1985. Bourassa s'engage à ce que son gouvernement signe l'entente constitutionnelle de 1982 si certaines demandes sont acceptées par Ottawa et les provinces. Ces cinq demandes minimales sont les suivantes : la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme « société distincte » ayant le droit de protéger et de promouvoir son caractère distinct; le droit de se désengager de tous les programmes nationaux dans les domaines de compétence provinciale et de recevoir une compensation financière en conséquence; une formule de modification donnant au Québec le droit de veto sur toute réforme constitutionnelle importante; la garantie de pouvoirs accrus sur l'immigration; et une certaine influence sur la nomination des juges de la Cour suprême.

Le 30 avril 1987, après des mois de négociations en coulisses, le gouvernement du premier ministre fédéral Brian Mulroney annonce l'Accord du lac Meech (voir Accord du lac Meech : document). Cet accord, qui accorde à toutes les provinces quatre des cinq demandes du Québec, est jugé acceptable par le NPD et le Parti libéral, mais l'ex-premier ministre Trudeau le dénonce violemment, de même que plusieurs organisations régionales et nationales. Selon Trudeau, l'accord réduit les prérogatives du gouvernement du pays, affaiblissant ainsi le patriotisme national et déclenchant un mouvement irréversible vers l'autonomie accrue des provinces et un statut spécial pour le Québec.

Pour entrer en vigueur, l'accord doit être ratifié au plus tard en juin 1990 par les dix provinces ainsi que par la Chambre des communes et le Sénat. Les gouvernements de trois provinces - le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve et le Manitoba -- ont changé de mains, et les nouveaux Premiers ministres qui ont été élus, respectivement Frank McKenna, Clyde Wells et Gary Filmon, refusent de ratifier l'accord, à moins que des modifications substantielles ne soient acceptées par tous les gouvernements. En deux ans, le Premier ministre de Terre-Neuve, Wells, devient le porte-parole de l'indignation populaire généralisée qui accueille l'accord et son contenu, surtout en ce qui concerne la clause de la société distincte qui prête à interprétation et dont les Canadiens craignent qu'elle ne permette aux futurs gouvernements du Québec de réussir à obtenir un statut constitutionnel particulier pour le Québec grâce à des décisions de la Cour suprême.

En dépit du fait qu'une majorité de la population s'oppose à l'accord, Mulroney et sept Premiers ministres exercent des pressions sur les trois autres Premiers ministres lors d'une réunion tenue en juin 90 à Ottawa, afin que ceux-ci acceptent l'accord inchangé, en leur promettant toutefois d'y apporter des modifications ultérieurement. À la surprise générale, c'est un député autochtone, Elijah Harper, qui, en rejetant le consentement unanime nécessaire aux changements de procédures, empêche Filmon de ratifier l'accord à l'assemblée législative du Manitoba. Après la mort de l'accord à l'assemblée du Manitoba, il est futile pour Wells de poursuivre la ratification. La population rejette les notions contradictoires de « province »et de « deux nations »contenues dans l'accord, parce que l'une ou l'autre de ces théories rendrait la fédération pratiquement ingouvernable.

La mort de l'accord déclenche une crise politique majeure dans la province de Québec. Les nationalistes québécois et les indépendantistes rejettent le blâme sur le Canada anglais. La crise s'accentue lorsque Mulroney et Bourassa décident d'appuyer cette interprétation des événements afin de forcer les Canadiens réticents à accepter une nouvelle version, élargie, de l'Accord du lac Meech.

Bourassa prend la direction du comité constitutionnel du Parti libéral du Québec afin de réaliser un avant-projet constitutionnel, le Rapport Allaire, qui préconise un transfert en bloc des pouvoirs aux provinces. Il crée aussi une commission bipartite, la commission Bélanger-Campeau, qui est rapidement contrôlée par le Parti québécois et par d'autres délégués indépendantistes. La commission recommande que le gouvernement tienne sur-le-champ un référendum sur la séparation du Québec. Pour reprendre le contrôle sur la situation, Bourassa fait voter le Bill 150 à l'Assemblée nationale, lequel recommande fortement au gouvernement de tenir un référendum sur la séparation du Québec en octobre 1992. La question du référendum porterait sur l'indépendance ou sur un ensemble de réformes constitutionnelles acceptables pour le reste du Canada.

En dépit du fait que la population s'oppose manifestement à une reprise des discussions politiques centrées sur la constitution, Mulroney renouvelle son alliance avec Bourassa à la fin de 1991, et il entame des négociations avec de nouvelles propositions intitulées « Bâtir ensemble l'avenir du Canada ». Finalement, un comité conjoint de la Chambre des communes et du Sénat produit en février 1992 un rapport intitulé « Un Canada renouvelé ». Le rapport propose une version élargie de l'Accord du lac Meech. Joe Clark, alors ministre des relations fédérales-provinciales, préside une série de rencontres fugaces sur la constitution, auxquelles participent Ottawa, neuf Premiers ministres et des représentants des quatre organisations autochtones nationales. Ils concoctent ensemble ce qui deviendra au début de juillet 1992 le Rapport Pearson. Il s'agit d'une version révisée de l'Accord du lac Meech, auquel s'ajoutent un Sénat élu, mais sans pouvoirs, et un ensemble séparé de mesures constitutionnelles concernant les Autochtones. Bourassa accepte de signer le Rapport du consensus sur la Constitution en septembre 1992, lorsqu'il obtient à perpétuité pour le Québec 25 p. 100 des sièges à la Chambre des communes, le droit pour le gouvernement du Québec de nommer ses propres sénateurs et certains droits de regard sur les mesures qui touchent aux Autochtones.

Le premier référendum national sur l'amendement de la constitution canadienne a lieu le 26 octobre 1992. Dès le début d'octobre, il est clair que l'entente de Charlottetown est vouée à l'échec. Bourassa perd l'appui de l'aile nationaliste du Parti libéral qui se joint au Parti québécois et au Bloc québécois, les camps dirigés par Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Politiquement, ces derniers marquent des points en démontrant que le nouvel accord offre beaucoup moins que l'Accord du lac Meech et que les organisations autochtones ont obtenu une forme de souveraineté-association qui a été refusée au Québec. Ailleurs au pays, l'entente de Charlottetown est rejetée dans la plupart des provinces, pour les mêmes raisons que l'entente de Meech. En outre, l'Ouest ne réussit pas à obtenir le Sénat selon la proposition « des trois e », tout en devant accepter que 25 p. 100 des sièges de la Chambre des communes soit réservé au Québec.

Juste au moment où le vent commence à tourner contre l'entente de Charlottetown, Trudeau entre dans le débat national en dénonçant le nouvel accord, ce qui précipite l'adhésion de la population au camp du Non. Malgré une campagne du Oui solidement financée et une campagne du Non désorganisée et sous-financée, l'entente de Charlottetown est battue dans une proportion de 54,4 p. 100 contre 44,6 p. 100. Elle est rejetée par la majorité des citoyens de la Nouvelle-Écosse, du Québec et de quatre provinces de l'Ouest, alors que les électeurs de l'Ontario se partagent également en faveur des deux camps.

C'est la deuxième défaite très humiliante pour l'alliance Mulroney-Bourassa, défaite qui est décisive pour l'avenir politique des deux chefs. Affaibli, souffrant d'un cancer en phase terminale, Bourassa quitte la scène politique pour mourir peu de temps après. Mulroney se voit forcé de céder sa place de Premier ministre en 1993. Son successeur, Kim Campbell, porte le poids de la colère publique lors des élections nationales d'octobre en 1993 pendant lesquelles les Conservateurs passent de 169 sièges à 2 sièges.

Le fossé entre les Canadiens anglais et les Canadiens français est plus large que jamais depuis la crise de la conscription de 1917. Au Québec, le Bloc québécois de Lucien Bouchard gagne 54 des 75 sièges de la province, minant ainsi l'ancien bastion libéral et détruisant la coalition fragile des conservateurs de Mulroney. Par ailleurs, le Parti réformiste néo-conservateur et populiste de Preston Manning, enraciné dans une culture politique qui rappelle l'aliénation de l'Ouest, fait élire 52 députés, surtout en Colombie-Britannique et en Alberta.

En 1994, le chef du Parti québécois, Jacques Parizeau, remporte aisément la victoire sur le Parti libéral dirigé par Daniel Johnson, même s'il promet de tenir un référendum sur la séparation du Québec d'ici un an. Lorsqu'il devient manifeste que la question directe de Parizeau sur la séparation sera refusée par les électeurs francophones, Lucien Bouchard -- avec l'aide de Mario Dumont, l'ex-libéral devenu le fondateur de l'Action démocratique du Québec -- convainc Parizeau de tenir à l'automne 1995 un référendum sur le concept de souveraineté-partenariat avec le Canada. Si le Canada refusait de négocier une association économique avec un Québec indépendant à la suite d'un vote majoritaire en faveur de la souveraineté, le Québec déclarerait alors unilatéralement son indépendance.

Au début de la campagne référendaire, il est clair que le camp fédéraliste va gagner et de loin. Le Premier ministre Jean Chrétien confie le contrôle de la stratégie et des moyens au Comité du Non, qui est dirigé par Daniel Johnson et Jean Charest. Persuadé qu'une défaite humiliante attend les indépendantistes, Parizeau permet à Bouchard de prendre en charge la campagne du Oui et le nomme négociateur en chef avec le Canada si les indépendantistes gagnent le référendum. À une semaine du vote, les sondages montrent que les indépendantistes mènent dans une proportion de 54 p. 100 contre 44 p. 100. Le camp fédéraliste est plongé dans le désarroi quand les observateurs de la scène politique prédisent que Parizeau déclarera rapidement l'indépendance du Québec. En état de choc, Chrétien prend la campagne en charge et promet aux Québécois d'opposer un veto à tout changement constitutionnel majeur et à la reconnaissance du Québec comme société distincte. Après le vote des citoyens québécois, le résultat tombe comme un couperet : un peu plus de 50 p. 100 ont voté Non, tandis qu'un peu moins de 50 p. 100 ont voté Oui, 50 000 votes étant déclarés nuls pour diverses raisons très discutables. Parizeau, consterné et contrarié, déclare que « l'argent et le vote ethnique » ont spolié les Québécois de leur indépendance. Discrédité aux yeux d'un bon nombre de francophones, Parizeau est remplacé par Lucien Bouchard à la tête du gouvernement du Parti québécois.

Le gouvernement Chrétien réalise tardivement qu'il doit être bien mieux préparé à affronter les indépendantistes et leur chef plus que redoutable, Bouchard. Le gouvernement fédéral tente de se rabibocher avec les francophones du Québec en votant une loi qui accorde à l'ensemble des cinq régions du Canada, y compris au Québec, un droit de veto sur tous les futurs changements constitutionnels. Le gouvernement vote aussi une résolution qui appuie le concept de société distincte pour le Québec. Chrétien presse aussi les Premiers ministres de voter la Déclaration de Calgary, qui reconnaît le caractère unique de la société québécoise. Ils accèdent à sa demande, mais en ajoutant la condition préalable suivante : toutes les provinces sont égales et quoi que le Québec puisse obtenir par l'interprétation de la clause de la société unique, ils le recevront aussi.

Après bien des hésitations, le gouvernement Chrétien accepte de référer à la Cour suprême du Canada les revendications du Québec concernant son droit absolu de déclarer unilatéralement son indépendance. La Cour suprême déclare à l'unanimité que le Québec n'a pas le droit, ni en vertu de la loi constitutionnelle canadienne ni en vertu de la loi internationale, de se séparer du Canada unilatéralement. Les neuf juges expriment néanmoins l'opinion que si les électeurs québécois faisaient la preuve, en répondant à une question franche, de leur volonté de se séparer par une majorité importante, et pas seulement par une petite majorité, Ottawa et les provinces se verraient alors dans l'obligation d'entreprendre des négociations avec le gouvernement du Québec. Ils précisent aussi qu'il n'y a aucune garantie que ces négociations seraient réussies ou que le territoire québécois demeurerait intact si des négociations aboutissaient, étant donné que les droits de la majorité doivent respecter ceux des diverses minorités.

C'est dans ce contexte très lourd que le Premier ministre Bouchard cherche à renouveler le mandat du gouvernement du parti québécois le 30 novembre 1998. Les résultats de l'élection montrent une fois de plus que les Québécois hésitent à vivre un autre référendum qui pourrait s'avérer source de discorde et serait fort probablement non décisif. Face à un Parti libéral du Québec divisé et quelque peu désorganisé dirigé par Jean Charest, le Parti québécois remporte 77 sièges avec seulement 43 p. 100 du vote. Les Libéraux de Jean Charest remportent 47 sièges avec plus de 44 p. 100 du vote. L'élément qui est venu brouiller les cartes ici, c'est le parti de l'Action démocratique dirigé par Mario Dumont, dont les 125 candidats ont amassé près de 12 p. 100 du vote, surtout auprès des électeurs déçus du Parti québécois. Ils n'ont cependant remporté qu'un seul siège, celui de Dumont. Découragé, Bouchard déclare qu'il ne prévoit pas la tenue d'un autre référendum pendant au moins deux ans, et qu'entre-temps il concentrera ses efforts sur l'équilibre budgétaire du Québec et le rétablissement des finances dans l'éducation, l'aide sociale et les programmes des soins de santé (Voir Crise d'octobre; Le Québec depuis la Confédération).