Les orphelins de la famine en Irlande au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Les orphelins de la famine en Irlande au Canada

Des milliers d’enfants se sont retrouvés orphelins durant la migration vers l’Amérique du Nord britannique des Irlandais victimes de la famine de 1847. Les pouvoirs publics, les organismes caritatifs privés et les représentants religieux ont tous joué un rôle pour faire face à cette crise. De nombreux orphelins ont été placés chez des parents ou au sein de familles irlandaises. Un nombre considérable d’entre eux ont également été pris en charge par des catholiques francophones du Canada-Est, et par des protestants anglophones au Nouveau-Brunswick. De nombreuses familles ont adopté les orphelins par charité, mais la plupart étaient motivées par l’arrivée d’une main-d’œuvre supplémentaire sur la ferme ou au foyer.

Contexte

À la fin des années 1840, la famine de la pomme de terre entraîne la dernière vague de migration irlandaise vers les terres qui forment aujourd’hui le Canada. L’année « noire » de 1847, la pire des années, voit ainsi arriver approximativement 110 000 migrants. Près de 90 000 d’entre eux débarquent à la station de quarantaine de la Grosse Île avant de continuer vers Québec, Montréal, le Canada-Ouest ou les États-Unis. Le second point d’entrée important est la station de quarantaine de l’île Partridge à l’extérieur de Saint John, au Nouveau-Brunswick, qui a enregistré près de 17 000 migrants. Un petit nombre est également arrivé à Halifax et dans d’autres ports de l’Est.

Environ un migrant sur six embarqué pour l’Amérique du Nord britannique en 1847 ne survivra pas plus de douze mois. Ils meurent dans les cales putrides des « navires-cercueils  », dans les tentes surpeuplées sur les îles quarantaines ou dans les citées portuaires. La plupart sont emportés par l’épidémie de typhus qui fait rage à l’époque.

Partridge Island, New Brunswick
Partridge Island, N.-B.
Vestiges d'un édifice et d'une croix celtique commémorant les milliers d'immigrants irlandais décédés du typhus sur l'île, ancienne station de quarantaine.

Les enfants de la famine

Le nombre de migrants enfants qui se retrouvent orphelins en 1847 est sans précédent. À l’époque, la Grosse Île enregistre habituellement 10 orphelins par an, mais elle en compte plus de 100 en moins d’un mois au début de la saison de navigation de 1847. À la fin de cette année, des milliers d’enfants se retrouvent orphelins. Le nombre exact est difficile à déterminer, car nombre d’entre eux ont été placés de manière non officielle et les registres n’en ont pas gardé trace. Approximativement neuf orphelins sur dix étaient catholiques.

À l’époque, le terme « orphelin » désigne habituellement un enfant dont personne ne s’occupe et qui dépend directement de la charité. Le terme ne s’applique pas uniquement aux enfants dont les parents sont morts. En fait, de nombreux « orphelins » possèdent un parent vivant, mais malade, qui n’a pas assez d’argent pour s’occuper d’eux, qui travaille comme domestique à domicile, qui les a abandonnés, qui vit ailleurs en Amérique du Nord, ou qui est resté en Irlande. Certains enfants ont migré en compagnie de membres plus âgés de leur famille pour rejoindre des parents déjà installés en Amérique du Nord et se retrouvent « orphelins » lorsque ces gardiens décèdent ou les abandonnent. À Québec, plus d’un tiers des orphelins de la famine ont au moins un parent encore en vie.

Structures d’accueil

Les pouvoirs publics, les représentants religieux et les organismes caritatifs privés contribuent tous à faire face à la crise des orphelins. Au début, la Province du Canada et le Nouveau-Brunswick s’efforcent principalement de contenir l’épidémie, supervisant les stations de quarantaine et un grand nombre des hôpitaux qui reçoivent les migrants malades. Les représentants religieux et les organismes caritatifs privés prennent soin des malades, administrent les sacrements et trouvent des foyers pour les enfants.

Dans la plupart des grandes villes, les pouvoirs publics et les autorités privées construisent des baraques en bois pour accueillir les malades et des orphelinats pour gérer dans l’urgence. La lente incubation du typhus fait que de nombreux migrants amènent avec eux l’infection à l’intérieur du pays. Il en résulte que plus de 3 000 migrants vont mourir dans les baraques de Montréal, plus de 1 000 dans celles de Toronto et près de 700 dans les structures temporaires construites à Kingston. Dans certaines villes, ce sont des sœurs qui travaillent dans ces abris. C’est le cas à Montréal où de nombreuses sœurs de la Providence et sœurs grises perdent leur vie en prenant soin des migrants. Ailleurs, comme à Québec, ce sont surtout des civils qui s’occupent des malades rassemblés dans les abris.

Les églises assument de nombreux coûts associés aux soins prodigués aux orphelins grâce à l’argent levé lors des collectes du dimanche et des campagnes caritatives. Au cours des quatre derniers mois de 1847, le gouvernement augmente sa participation et rembourse les dépenses afférentes aux vêtements, aux abris, à l’assistance médicale et aux déplacements offerts aux orphelins. Les pouvoirs publics insistent néanmoins sur le fait que cette aide est exceptionnelle et non renouvelable, et que les orphelins doivent être rapidement placés.

Trouver des foyers

La plupart des orphelins sont rapidement placés dans des foyers. À Québec, par exemple, les orphelins ne restent en moyenne qu’un à deux mois dans une paroisse ou une institution.

De nombreux enfants se retrouvent avec des parents ou d’autres membres de leur famille. À Saint John, environ la moitié des orphelins de la famine ont été envoyés auprès de membres de leur famille, dont la majorité vivent aux États-Unis.

Pour le reste, les prêtres et les pasteurs joueront un rôle important pour le placement des orphelins. Ils sollicitent leurs paroissiens tous les dimanches, font défiler les orphelins lors de processions publiques et collaborent avec le clergé des autres paroisses. La plupart des orphelins du Canada-Est sont placés dans des familles de même confession, mais pas forcément de même origine ethnique. À Québec, par exemple, plus de la moitié des orphelins ont été placés au sein de familles francophones catholiques, dont un grand nombre habitent à la campagne. Les responsables de l’Emigrant Orphan Asylum, à Saint John, ont par contre délibérément placé la plupart des enfants catholiques dans des familles protestantes, pour faciliter leur conversion.

Placement

À l’époque, la procédure d’adoption en Amérique du Nord britannique est informelle et non contraignante. Le terme « adoption » est utilisé, mais dans les faits, il s’agit plus d’un accueil au sein d’une famille ou d’une mise en apprentissage. Le processus officiel d’adoption et les garanties juridiques de tutelle qui l’accompagnent ne verront le jour au Canada qu’à partir des années 1870. Les parents n’ont aucun droit officiel sur les orphelins placés sous leurs soins, et les enfants n’auront plus tard aucun recours juridique vis-à-vis de leur « famille ». Les données de recensement montrent qu’environ deux tiers des orphelins ne sont pas considérés comme les propres fils ou filles de leurs parents adoptifs.

Malgré cette situation, les récits relatés de génération en génération suggèrent que la plupart des orphelins ont été correctement traités par leur famille d’accueil. L’orphelin Daniel Tighe, par exemple, adopté par la famille Coulombe, de Lotbinière, a fini par hériter de la ferme familiale et a fait part à ses descendants de ses souvenirs chaleureux concernant ses parents adoptifs. Certains orphelins ont dû être replacés deux ou trois fois, lorsque la famille d’accueil n’était pas adaptée, mais plus de 75 % des orphelins qui ont transité par Québec sont restés avec leur première famille adoptive.

Les familles peuvent avoir plusieurs raisons de prendre un orphelin de la famine. Plusieurs familles irlandaises sont motivées par la solidarité ethnique. D’autres sont guidées par la charité chrétienne. La plupart des familles sont cependant heureuses de voir arriver une main-d’œuvre supplémentaire à la ferme ou à la maison. Cela explique pourquoi les enfants les plus âgés sont habituellement préférés. Les orphelins les plus jeunes restent plus souvent au sein des institutions, jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment âgés pour pouvoir se rendre utiles au sein d’une famille.


Remise en question de certains récits

Dans les décennies qui ont suivi la famine, l’histoire des orphelins a été romancée. Des écrivains tels que John Maguire et Bernard O’Reilly ont transformé la réalité pour en faire une parabole de la réconciliation entre les Canadiens français et les Irlandais. Les parents adoptifs sont décrits comme des francophones qui se sacrifient et qui s’efforcent de préserver l’héritage catholique irlandais de l’orphelin. Cette interprétation est renforcée dans les années 1990 par les Minutes du patrimoine intitulées « les orphelins » et diffusées régulièrement sur CBC et Radio-Canada.

Au cours des vingt dernières années, plusieurs historiens ont remis en question le mythe qui entoure les orphelins de la famine. Jason King a examiné la construction de ce mythe, tandis que Marie-Claude Belley l’a détruit à l’aide de chiffres et de faits. Les orphelins ont la plupart du temps été adoptés pour des raisons bien terre à terre. Ils ont conservé leur nom de famille irlandais parce qu’ils n’ont pas été adoptés officiellement, mais plutôt placés de manière non officielle en famille d’accueil. Ce révisionnisme a émoussé le côté romantique de l’histoire populaire entourant les orphelins de la famine, mais certaines anecdotes montrent que l’épisode fut tout de même l’occasion de plusieurs réconciliations entre différents groupes ethnoreligieux.

Voir aussi : Les réfugiés irlandais de la famine de la pomme de terre (en anglais).

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