L'invention du tournevis Robertson | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

L'invention du tournevis Robertson

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Quand le New York Times commande à l'auteur canadien Witold Rybczynski un article sur le "meilleur outil" du millénaire, celui-ci a de la difficulté à choisir. Dans son amusant ouvrage « One Good Turn », il décrit la manière dont il examine alors soigneusement sa boîte à outils en quête de candidats. De nombreux outils comme l'équerre à chapeau, le niveau, le cordeau traceur, le ruban à mesurer, l'égoïne, le rabot, le ciseau ont été inventés par les Romains ou les Égyptiens, bien avant le dernier millénaire. C'est son épouse qui lui fait penser à un outil particulier qu'elle conserve toujours à portée de mains, le tournevis.

La recherche de Rybczynski sur les origines de cet outil banal n'a pas été facile. Certains outils, comme la scie à cadre, ont des origines évidentes, car ils ont été conçus comme solution logique à un problème particulièrement aigu. D'autres, tels que le contrevent de menuiserie, sont mystérieusement nés de l'imagination créative de quelque brillant individu. Si l'on peut difficilement associer le tournevis à une inspiration poétique, il reste que la vis elle-même est une tout autre affaire. La vis est une hélice, une forme très compliquée présente de façon visible dans la nature uniquement sur les vignes grimpantes ou dans certains coquillages.

La vis a probablement été inventée par Archimède, ce génie extraordinaire qui nous a donné, entre autres choses, la poulie composée, le treuil simple et l'hélice marine, un dispositif de filtration de l'eau mu par une élégante vis hélicoïdale. Quelque 300 ans plus tard, au premier siècle de notre ère, Héron l'Ancien invente la presse verticale, utilisée pour presser les olives et le raisin. Or, il faut encore attendre 1400 ans avant qu'un esprit éclairé constate que l'hélice qui peut presser les olives peut aussi agir comme une sorte de clou fileté.

Rybczynski découvre que les premières traces de l'existence de la vis remontent au XVe siècle, où elle est utilisée dans les montres, les armes à feu et les armures. Toutefois, elle ne devient d'usage courant que 300 ans plus tard car, fabriquée laborieusement à la main, elle est de piètre qualité. Le premier procédé industriel de fabrication de vis est élaboré en Angleterre dans les années 1760, mais c'est Cullen Whipple de Providence, dans le Rhode Island, qui invente la méthode automatisée d'usinage des vis en 1842.

Au début, c'est la vis à tête fendue utilisée avec le tournevis à lame plate qui est la norme, mais elle présente de nombreux inconvénients. Elle retient mal la lame du tournevis, ce qui peut être frustrant et risque de faire perdre du temps et même de provoquer des blessures. De plus, on ne peut pas en amorcer le vissage d'une seule main. De 1860 à 1890, d'ingénieux inventeurs déposent une kyrielle de brevets pour de nouvelles têtes de vis, mais aucune n'est facile à fabriquer.

Peter L. Robertson passe ses loisirs dans son atelier et invente la clé-vilebrequin Robertson du XXe siècle, un dispositif hybride associant vilebrequin, clé, étau, machine à fabriquer les rivets et tournevis.

C'est Peter L. Robertson, un Canadien de 27 ans, qui trouve la solution. Commis voyageur pour une compagnie d'outillage de Philadelphie, il vend des articles dans les foires commerciales et au coin des rues dans tout l'est du Canada. Il passe ses loisirs dans son atelier et invente la clé-vilebrequin Robertson du XXe siècle, un dispositif hybride associant vilebrequin, clé, étau, machine à fabriquer les rivets et tournevis. Il fait breveter un tire-bouchon perfectionné, de nouveaux boutons de manchette et même une souricière améliorée. En 1907, il fait breveter sa vis à tête avec entraînement intérieur (dite vis à pans creux).

Robertson raconte plus tard que l'idée de la vis à pans creux lui est venue en faisant la démonstration d'un tournevis à ressort à Montréal. La lame a glissé et l'a blessé à la main. Le secret de l'invention de Robertson est la forme exacte de l'empreinte qui est carrée, à bords chanfreinés, avec pans se rétrécissant et fond pyramidal.

Robertson trouve des bailleurs de fonds, obtient un prêt non imposable de la municipalité de Milton, en Ontario, et fonde sa propre usine de vis. La tête Robertson constitue une véritable amélioration des vis. La lame du tournevis s'ajuste parfaitement dans la tête et ne glisse pas. Robertson tente en vain d'établir une usine en Angleterre ou aux États-Unis. Des bailleurs de fonds américains se montrent intéressés, mais exigent de contrôler l'exploitation, ce que Robertson ne peut accepter.

Entre-temps, l'Américain Henry F. Phillips de Portland, en Oregon, commis voyageur lui aussi, fait breveter sa vis cruciforme qui, à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale, devient la norme internationale. La vis Robertson n'est maintenant largement utilisée qu'au Canada, bien qu'une étude indépendante menée par le magazine Consumer Reports l'ait déclarée grandement supérieure à la vis Phillips, connue pour ne pas correctement retenir la lame du tournevis et pour ces réceptacles faussés. Si Rybczynski fait du tournevis et de la vis les outils du millénaire, peut-être Robertson est-il justifié d'appeler son invention "la plus grande petite invention du XXe jusqu'ici".