Michel de Broin | l'Encyclopédie Canadienne

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Michel de Broin

​Michel de Broin, artiste visuel transdisciplinaire (né en 1970 à Montréal, Québec).

Michel de Broin, artiste visuel transdisciplinaire (né en 1970 à Montréal, Québec). Michel de Broin présente de nombreuses expositions individuelles sur la scène internationale, notamment au Musée national des beaux-arts du Québec et au Künstlerhaus Bethanien de Berlin, en plus de participer à plusieurs expositions de groupe. Il réalise des œuvres d’art public pour les villes de Rennes (Révolution, 2010), Paris (La maîtresse de la Tour Eiffel, 2009), Toronto (Overflow, 2008) et Montréal (Révolutions, 2003), entre autres. En 2007, il reçoit le Prix artistique Sobey.

Formation

En 1995, Michel de Broin termine son baccalauréat en beaux-arts à l’Université Concordia, à Montréal. Deux ans plus tard, il obtient sa maîtrise en arts visuels à l’Université du Québec à Montréal.

Entropie

Un des leitmotivs qui sous-tend la production de Michel de Broin est l’entropie, c’est-à-dire la dysfonction ou la résistance face à des systèmes établis. À travers ses objets hybrides et ses installations, de Broin détourne la fonction première d’objets utilitaires pour livrer un résultat paradoxal, dangereux, qui dérange autant la logique interne de ces choses que les préconceptions qui les entourent. Dans l’installation Révolution (2010), un escalier déformé s’entortille en un nœud complexe, allant à l’encontre de sa fonction ascensionnelle. Dans un discours décriant implicitement la réciprocité de toute destruction armée en contexte de guerre, deux canons sont reliés entre eux par leur bouche dans Blowback (2013). Un système d’échange autodestructeur est ainsi créé. L’inconfort du public est à son comble face à des œuvres telles que Bleed (2009) et Fuite (2009), dans lesquelles de Broin associe des éléments électriques, respectivement une perceuse branchée et une prise de courant, à de l’eau. Son installation intitulée Stabilité anxieuse (2014) crée une certaine angoisse et défie les lois de la physique : une colonne de briques, reposant sur un mince cric hydraulique et quelques fines poutres de métal, tient invraisemblablement en équilibre et monte jusqu’au plafond de la salle d’exposition.

Dans son projet multidimensionnel Matière dangereuse (1999), de Broin s’attaque à de nombreuses conventions, tant urbaines qu’historiographiques. Dans le cadre de son action illustrée par la photographie L’épreuve du danger (1999), l’artiste roule en voiture à travers Montréal en transportant un énorme cube noir sur le toit de son véhicule. De façon comique, il se réapproprie le pictogramme du losange noir, symbole de matière dangereuse, que l’on aperçoit sur des panneaux de signalisation routière. Ce même cube noir se retrouve par la suite en galerie, traversant de bord en bord un mur blanc de l’espace institutionnel, dans Le contenant ne peut supporter le contenu (1999). Alors que l’action en ville défie avec humour le système routier et permet une réappropriation de ses symboles, l’utilisation du carré noir en galerie, espace tout aussi réglementé que la rue, n’est pas sans rappeler le discours critique de l’artiste russe du XXe siècleKazimir Malevich, qui désirait faire table rase face aux ordres et hiérarchies du monde de l’art visuel.

Consommation

Par le biais de certaines de ses installations et sculptures qui renversent les processus ou la finalité propre à des objets du quotidien, Michel de Broin exprime parfois une critique écologique et sociale, s’attaquant plus spécifiquement aux notions de consommation et de gaspillage. L’installation Monochrome Bleu (2003) est composée d’un conteneur à ordures reconverti en jacuzzi. Le système complexe de pompes évoque la pureté de l’eau remplissant la benne, qui symbolise quant à elle la saleté et la surconsommation. Luxe, confort, hygiène et relaxation s’opposent de façon flagrante aux notions de crasse et de gaspillage dans cette critique du système capitaliste, source d’une production technologique donnant une illusion de propreté et de bien-être tout en polluant et en détruisant. Le titre, qui fait référence à la production de l’artiste Yves Klein, est un clin d’œuvre sardonique au pouvoir de légitimation que détient souvent la référence à de grandes figures d’autorité.

C’est dans le même ordre d’idées que de Broin propose les œuvres teintées de cynisme et d’ironie Keep on Smoking (2005) et Shared Propulsion Car (2005). Dans Keep on Smoking, l’artiste modifie une bicyclette en lui posant une petite génératrice dont s’échappe de la fumée, produite grâce au pédalage. La machine hybride va ainsi à l’encontre aussi bien de la propriété écologique de la bicyclette comme moyen de transport n’émettant aucune pollution que de la propriété de propulsion d’une génératrice ordinaire. Certes, l’objet final demeure fonctionnel, mais il devient source de nombreux paradoxes. Pour son projet Shared Propulsion Car, de Broin vide une vieille carcasse de Buick de ses composantes internes (moteur, système électrique, transmission) et y installe un pédalier permettant aux quatre passagers de faire avancer la structure de façon fort peu aérodynamique. Critiques de la recherche constante d’optimisation et de performance, ces deux sculptures aux contradictions inhérentes poussent les spectateurs à réfléchir à la fonction des objets et structures qui les entourent, de même qu’aux dynamiques productivistes de l’actuel système de création technologique.

Trous et vides

Malgré l’omniprésence de références à la technologie dans sa production, de Broin présente certaines œuvres pourvues d’aspects charnels, voire sexuels. Plusieurs contiennent ou évoquent des orifices de nature ambiguë. Dans Ironie (2002), un contenant rectangulaire en plexiglas renferme en son centre une membrane de latex d’allure phallique qui se gonfle, se rétracte, puis se déploie en sens inverse. Le mouvement répétitif n’est pas sans rappeler un coït, malgré son aspect mécanique et industriel. En 2002, l’artiste installe une cuvette lisse et blanche sur la paroi arrière d’une roulotte. La cavité de l’œuvre intitulée Trou, tout juste assez grande pour qu’une personne s’y glisse et pénètre la chose, attire et inquiète.

L’idée du trou est exploitée de façon toute autre dans Black Whole Conference (2006), une installation composée de 74 chaises reliées entre elles pour former une sphère colossale. Les pattes des chaises pointent vers l’extérieur de la sphère, créant une bulle hérissée qui évoque un organisme microscopique élargi à l’extrême. Le centre est protégé, inaccessible, et la fonction des meubles est ainsi renversée. La sculpture Tortoise Cube (2012), présentée au Musée d’art contemporain du Massachusetts (MASS MoCA) dans le cadre de l’exposition collective Oh, Canada (2013), prend une allure similaire. Constituée de tables à pique-nique assemblées en un cube hirsute, la sculpture rappelle la formation militaire de la tortue effectuée par les soldats romains, qui se regroupaient en tenant leur bouclier de façon à former une carapace protectrice autour du bataillon. Alors que le matériau premier évoque un divertissement familial typiquement nord-américain, l’allure finale de l’œuvre oscille entre une invitation à l’escalade et l’expression d’un système organisé de défense et de résistance stratégiques. L’objet est une chose et son contraire, passant d’outil utilitaire à arme défensive autonome.