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Musique urbaine

Nul ne peut situer avec exactitude l'apparition de ce phénomène ni cerner le processus qui en est à l'origine. Toujours est-il que vers le milieu de la décennie passée, la musique noire est tout à coup devenue la « musique urbaine ».

Musique urbaine

Nul ne peut situer avec exactitude l'apparition de ce phénomène ni cerner le processus qui en est à l'origine. Toujours est-il que vers le milieu de la décennie passée, la musique noire est tout à coup devenue la « musique urbaine ». Certes, ce n'est pas la première fois que ce genre musical change de nom. En 1982, le palmarès soul du magazine Billboard avait été rebaptisé Black, puis Rhythm & Blues huit ans plus tard.

La musique urbaine, une expression passe-partout englobant le « hip hop » et le « R&B » contemporain, fait vendre des vêtements, des chaussures de sport et tout un style de vie. Par exemple, la légende du rap, Roxanne Shante, vend la marque Sprite à la télévision; Sean « P-Diddy » Combs a orné la couverture des magazines GQ et Fortune; Levi's a commandité, il y a quelques années, la tournée d'été de Lauryn Hill qui a fait un tabac; enfin, les publicités de GAP mettent en vedette des danceurs de breakdance. Un coup d'oeil sur les artistes les plus cotés (comme Justin Timberlake, Nelly, Eminem et Mariah Carey) permet de constater que non seulement la musique urbaine est le genre pop qui domine aujourd'hui, mais qu'il n'est pas nécessaire d'être noir pour être un interprète de ce courant musical.

Les débuts américains

En général, les courants musicaux du Canada emboîtent le pas à ceux des États-Unis, et cela est certainement vrai pour la musique urbaine. Cette musique connaît aujourd'hui un rayonnement mondial, mais a ses origines dans la culture musicale noire américaine, et la plupart des évènements qui ont marqué sa rapide évolution se sont produits aux États-Unis.

La musique urbaine étant un mélange de deux styles distincts, le hip hop (ou rap) et le R&B, il convient d'étudier les origines de ces deux styles, de même que le processus qui en a fait des industries pesant des milliards de dollars. En 1973, six ans avant que The Fatback Band de New York enregistre King Tim III (The Personality Jock), le premier disque de rap, DJ Kool Herc, presque unanimement considéré comme le père fondateur de ce genre musical, rappait sur les parties instrumentales des disques (appelées « breaks » ou « cassures ») qu'il mettait sur la platine lors de ses soirées dans le Bronx. Même si c'est The Fatback Band qui a produit le premier disque de rap, c'est The Sugar Hill Gang qui est crédité du premier succès de ce courant musical. Aussi originaire de la région de New York, ce groupe a produit Rapper's Delight, devenu aujourd'hui un classique.

Pour les grands observateurs de la scène musicale, ce sont deux albums phares, parus en 1986, qui ont permis au rap de sortir de l'ombre et de marquer la conscience du public. Raising Hell, de Run-DMC et Licensed to Ill, des Beastie Boys, sont tous deux un mélange de rap pur et dur et de rock, empreint d'une attitude rebelle qui séduit les jeunes du centre d'Amérique du Nord et ouvre la voie à la pléthore de groupes qui émergent par la suite.

Des groupes comme Salt-n-Pepa apportent un côté sexy à cette musique, tandis que Jazzy Jeff et The Fresh Prince y injectent une certaine dose d'humour ; Public Enemy rajoute une touche de nationalisme militant noir et N.W.A., lui, annonce déjà le sous-genre gangsta rap, avec son album de lancement de 1989 intitulé Straight Outta Compton. Des chanteurs en solo, tels que Mc Hammer et le rappeur canadien Vanilla Ice, font aussi vendre le rap. Au cours de la dernière décennie du XXe siècle, le rap tend à célébrer le matérialisme et le nihilisme, mais connaît également une période d'introspection, surtout après l'assassinat des figures légendaires 2Pac et Notorious B.I.G.

L'histoire du R&B, l'autre précurseur de la musique urbaine, est plus riche que celle de la musique à laquelle il est aujourd'hui si étroitement associé. Né du jump blues entre la fin des années 40 et le début des années 50, ce genre musical comporte une large gamme de styles tels que le gospel, le jazz et le blues. Des artistes comme Ray Charles, Chuck Berry et Little Richard incarnent ce style devenu la « soul » dans les années 60. La soul présente des sonorités différentes selon les villes dont elle est originaire. Il y a le son de Philadelphie, fortement orchestré, le son Stax de Memphis, aux sonorités crues, et le son Motown de Detroit, très entraînant.

D'aucuns soutiennent que ce que l'on appelle aujourd'hui le R&B fait pâle figure à côté de ses ancêtres, surtout parce qu'il est régi par les producteurs et dépourvu de cette âme crue qui caractérisait le R&B classique et qu'ainsi « il manque d'originalité ». Cependant, à la fin des années 1980, le R&B connaît son évolution la plus radicale : un jeune producteur du Bronx, Teddy Riley, commence à mélanger le hip hop au R&B, donnant naissance au New Jack Swing. Ainsi, Riley non seulement permet à des artistes comme Bell Biv DeVoe, Bobby Brown, Al B. Sure!, Keith Sweat et Michael Jackson de connaître un immense succès, mais il influence également les principaux producteurs actuels de musique urbaine Jimmy Jam & Terry Lewis, Jermaine DuPri, Antonio « L.A. » Reid et Kenny « Babyface » Edmonds, pour n'en citer que quelques-uns.

Partout, on entend ce mélange de hip hop et de R&B et, petit à petit, les styles deviennent indissociables. Par exemple, les producteurs peuvent faire appel à des street rappers tels que Nas et Nelly, pour remplir les breaks d'une chanson R&B, ou à des voix mélodieuses comme celles de Mary. J. Blige et Faith Evans pour atténuer un hip hop dur. Alors que dans les années 80, de telles chansons n'auraient pas été diffusées dans leur forme pure sur les radios traditionnelles du pays, dans les années 90, cette musique hybride devient le plus grand phénomène musical sur le plan commercial, et ne semble nullement vouloir céder la place à un autre genre.

La musique urbaine s'exporte au Canada

À en juger par le volume des ventes et les milliers de personnes qui remplissent l'Air Canada Centre, par exemple, pour voir Nelly, vedette du rap américain de 24 ans, la musique urbaine connaît un immense succès au Canada aussi. Cependant, ce ne sont pas uniquement les artistes américains qui attirent le public. En effet, depuis la fin des années 80, des artistes comme Maestro Fresh-Wes, premier artiste canadien noir à recevoir un disque de platine, le duo Michie Mee & LA Luv, ainsi que les Dream Warriors, avec leur premier album classique intitulé And Now the Legacy Begins, contribuent au succès d'un genre musical jeune et dynamique, qui parvient à se maintenir en place malgré le faible soutien des radios et des principales étiquettes.

On peut dire, sans risque de se tromper, que le hip hop canadien vient de jeunes immigrants antillais qui n'ont que les États-Unis comme référence culturelle. Bien que la présence des noirs au Canada remonte à plusieurs siècles, leur culture locale n'attire pas les jeunes caribéens de la même façon que le hip hop américain. Pourtant, ces jeunes ont transformé ce style musical de manière notable. Ils ont ajouté au mélange de l'argot jamaïcain, du toasting (improvisation et chant sur un fond reggae) ainsi que d'autres traditions orales antillaises et se sont fait une niche dans le milieu très serré du hip hop international. Le R&B et la danse canadiens empruntent la même voie. Tout comme pour le hip hop, ils se développent dans le milieu marginal des petites boîtes de nuit, où se produisent des artistes tels que Erroll Starr, Lorraine Scott, George Banton et Liberty Silver, et dont les DJ effectuent la promotion. La musique de ces artistes est distribuée par des étiquettes indépendantes et la promotion se fait grâce à un vaste répertoire musical faisant participer des DJ de tous les coins du pays. Ainsi se sont constituées peu à peu des scènes actives qui ont propulsé les carrières de Glenn Lewis, Remy Shand, Deborah Cox, Tamia et Nelly Furtado.

Au XXIe siècle, des artistes comme Kardinal Offishall, Saukrates, Kid Koala et Choclair perpétuent la tradition lancée par Maestro et Michie Mee. Tout comme Maestro figure dans les annales de la musique, Choclair bat un record avec son premier CD sorti en 2000, Ice Cold, devenu disque d'or en 35 jours. Dès la sortie, cet album occupe la 10e place du palmarès SoundScan, ce qui représente le plus beau début qu'ait connu un album de hip hop canadien. Les Rascalz, un groupe de Vancouver, suivent les traces des Dream Warriors. Leur single Northern Touch, sur lequel figurent Thrust, Kardinall Offishall, Choclair et Checkmate, a fait connaître le hip hop canadien.

Un autre fait marquant de l'histoire de cette musique est l'apparition dans les bacs, en 2002, de Honey Drops, première compilation canadienne de musique urbaine entièrement féminine. Produit par Universal Music Canada, ce CD réunit 19 chanteuses, rappeuses et poétesses canadiennes indépendantes. Rappelons que deux d'entre elles (Nelly Furtado et Jully Black) ont signé des contrats avec de grandes maisons de disques après s'être produites à un Honey Jam, spectacle qui, à Toronto, permet aux artistes féminines de se faire connaître et qui a inspiré cet album.

Les observateurs de la musique urbaine canadienne reconnaissent sans réserve que l'avenir n'a jamais été aussi prometteur pour les artistes sous contrat ou indépendants qui pratiquent cette musique dans le pays. De plus, la popularité grandissante d'organismes comme l'Urban Music Association of Canada ainsi que la tenue de festivals de musique comme Urbanfest à Ottawa et le festival de musique urbaine de Toronto, la création de magazines tels que WORD et Pound, les stations FM comme FLOW 93.5 de Toronto et les chaînes vidéo à l'exemple de MuchVibe, sans parler des émissions énergiques qui s'affirment sur les ondes radiophoniques des universités dans tout le pays, assurent un bel avenir à la musique urbaine.