Orgue - Facture | l'Encyclopédie Canadienne

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Orgue - Facture

Orgue - Facture. Intimement lié et souvent même essentiel à la pratique du chant religieux, l'orgue ne tarda pas à s'implanter en Nouvelle-France peu de temps après l'arrivée des premiers colons au XVIIe siècle. Les premiers instruments, aux proportions modestes, furent d'abord importés d'Europe.
Orgue - Facture. Intimement lié et souvent même essentiel à la pratique du chant religieux, l'orgue ne tarda pas à s'implanter en Nouvelle-France peu de temps après l'arrivée des premiers colons au XVIIe siècle. Les premiers instruments, aux proportions modestes, furent d'abord importés d'Europe. Il est cependant certain qu'un orgue a été construit au Canada dès 1723. Le présent article retrace l'évolution et les développements de la facture d'orgues au Canada depuis ses débuts mais traite exclusivement de l'orgue à tuyaux. Les plus importants facteurs d'orgues sont l'objet d'articles détaillés auxquels on voudra bien se référer.

Débuts
C'est à Québec, dans deux églises différentes, que furent installés les premiers orgues du Canada, précédant en cela d'un demi siècle les colonies britanniques de l'Amérique septentrionale. La chapelle des Jésuites eut son instrument avant 1661. Le Journal des Jésuites (Québec 1871) mentionne cet orgue dès février 1661. Quant à celui de l'église paroissiale, réouverte en 1650 après avoir été incendiée en 1640, on en fait mention dans un acte du notaire Guillaume Audouart en date du 22 mai 1657. Cet orgue n'eut peut-être pas la vie bien longue puisque Mgr François de Montmorency-Laval, selon son biographe, Louis Bertrand de La Tour (Mémoires sur la vie de Mgr de Laval, Cologne 1761), rapportait de France, en septembre 1663, un orgue qui fut inauguré en 1664 et dont il est fait mention dans Le Journal des Jésuites (août 1664) ainsi que dans un rapport au Saint-Siège envoyé par Mgr de Laval lui-même. La Tour rapporte aussi que cet orgue, servant de modèle, permit à un ecclésiastique doué pour la mécanique d'en faire des copies pour plusieurs églises, mais en bois seulement et rendant « un son fort agréable ». C'est sans doute cet instrument de 1663 que Paul Jourdain dit Labrosse s'engagea à restaurer (1721-23). Par un autre contrat, la cathédrale lui commanda un instrument « de sept jeux y compris la voix humaine » qui fut livré en 1723. En 1744, Mgr de Pontbriand rebâtit la cathédrale et démantela les orgues. On commanda alors au facteur parisien Robert Richard un orgue neuf dont la composition (décrite dans le Journal de musique ancienne, décembre 1984) était semblable à celle du clavier de positif des orgues de « Saint-Eustache, Saint-Médéric et les Petits-Pères, qui sont les plus beaux de Paris » (lettre du chanoine de la Corne à M. de Lavillangevin, 27 février 1753; reproduite dans le Bulletin des recherches historiques, décembre 1908, p. 359). L'installation fut terminée en 1753 à la satisfaction générale et le chanoine Pierre-Joseph Resche (Québec, 1695 - 1770), qui avait touché l'instrument précédent (1733-41), devint titulaire du nouvel orgue. Il devait être beau cet instrument louangé à Paris par l'organiste du roi de Pologne qui en avait fait l'expertise. Il fut malheureusement détruit, avec la cathédrale, par les canons de Wolfe en 1759. Il faudra attendre octobre 1802 pour que la cathédrale retrouve un autre orgue fait, cette fois-ci, à Londres par Thomas Elliott (plus tard W. Hill & Son). En même temps arrivait à Québec un autre orgue d'Elliott destiné à la cathédrale anglicane. Il fut remplacé en 1847 par un orgue Bevington venu aussi de Londres.

À Montréal, l'église Notre-Dame eut son premier orgue, de sept jeux, entre 1701 et 1705, don du sulpicien François Vachon de Belmont. Le deuxième intrument, du facteur Holland, arriva de Londres en 1792. Il comportait au moins sept jeux, répartis sur deux claviers, Grand-orgue et Swell, et coûta 234 livres. En 1836, la paroisse de Montréal échangea son orgue avec celui que venait d'acquérir la paroisse de Nicolet : un orgue anglais de 23 jeux. L'église anglicane Christ Church de Montréal reçut de Londres en 1816 un orgue Elliott, don de George III. L'église anglicane Saint Paul's, Halifax, fut dotée d'un orgue dès 1765. Cet instrument était probablement le fruit de l'arraisonnement d'un vaisseau espagnol en route vers le sud. En 1802, l'église anglicane Trinity à Saint-Jean, N.-B., faisait l'acquisition d'un orgue fait à Londres. C'est aussi un orgue importé qui résonnait dans la cathédrale anglicane Saint James' de Toronto dans les années 1830. À Fredericton, la chapelle Saint Anne's possédait un orgue en 1848 et la cathédrale Christ Church, vers 1860. En ce qui concerne les Prairies et l'Ouest du Canada, la première mention d'un orgue porte sur un instrument à cylindre venu de Londres à Victoria en 1859. En 1860, un orgue à tuyaux à un clavier, sorti de chez J.W. Walker and Sons à Londres, fut installé à l'église anglicane Saint John the Divine (plus tard Saint John's) de Victoria. En 1913, cet orgue fut transporté à l'église anglicane Saint John's à Duncan, où il s'y trouvait encore en 1961. On mentionne bien aussi le nom de John Bagnall comme facteur d'orgues et de pianos actif à Victoria à partir de 1863, mais on ne connaît aucun instrument qui porterait son nom. En 1875, la cathédrale de Saint-Boniface au Manitoba fut dotée d'un orgue de Louis Mitchell.

Premiers facteurs

Richard Coates, auteur présumé de sept instruments, arriva au Canada en 1817. Il a construit principalement des orgues mécaniques mais on conserve un instrument à clavier de lui (1848) au temple des Enfants de la paix à Sharon, Ont. En 1821, Jean-Baptiste Jacotel, émigré français, s'établissait à Montréal. Il fabriqua en 1824, pour l'église du Sault-au-Récollet, un orgue de « quatre pieds d'harmonie à clavier et à cylindre ». Bien qu'ayant peu produit, il semble avoir été le premier en ce pays à s'être consacré principalement à la facture d'orgues, si bien qu'à sa mort (1832), son fils Jean-Baptiste et son gendre Auguste Fay s'annonçaient comme continuateurs de l'entreprise. L'association de Fay et Jacotel fut brève : Fay continua seul avec un certain succès puisqu'il plaça, jusqu'en 1864, plusieurs instruments, surtout entre Québec et Trois-Rivières, sur les deux rives du fleuve Saint-Laurent. Quant à Jacotel fils, associé un temps à Toussaint Cherrier, il ne laissa aucune trace après 1845.

Joseph Casavant (23 janvier 1807 - 9 mars 1874) fut le premier Canadien de naissance à construire des orgues à titre professionnel. Son premier instrument fut livré en 1840 à l'église paroissiale de Saint-Martin-de-Laval dans la région de Montréal. Il a surtout transmis sa vocation de facteur d'orgues à ses fils Samuel et Claver qui ont joué un rôle déterminant dans la facture d'orgues au Canada (voir Casavant Frères, Limitée).

En 1836, le pays va connaître une facture de type professionnel avec Samuel Russell Warren. Venu de Nouvelle-Angleterre, il se fixa d'abord à Montréal puis, en 1878, à Toronto. Il réalisa plus de 350 instruments dont certains sont encore intacts. L'un de ses mérites fut d'avoir formé Louis Mitchell qui s'installa à Montréal en 1861. La ville de Québec eut aussi à cette époque un bon facteur : Napoléon Déry. Il a peu produit, comparé à Mitchell ou Warren, mais nous avons encore dans leur état d'origine plusieurs de ses instruments. À Saint-Roch-des-Aulnaies, on peut entendre son premier instrument (1874). Si l'orgue de Saint-Joachim (1885) n'est pas très éloquent, celui de Saint-Isidore-de-Dorchester (1889) a conservé assez d'attraits pour convertir à la traction mécanique quelques jeunes organistes du Québec qui, dans les années 1950-60, allaient avoir une influence considérable sur l'évolution de l'esthétique de l'orgue au Canada et en Amérique. L'orgue Déry de Saint-Michel-de-Bellechasse (1897) aurait pu, lui aussi, provoquer la même réaction. L'orgue de Saint-Jean-Baptiste de Québec conserve encore, après l'intervention de Casavant en 1921, l'essentiel de la tuyauterie du bel orgue de 38 jeux que Déry avait livré à sa paroisse en 1885 et qui lui valut le meilleur de sa réputation. Eusèbe Brodeur prit en 1866 la relève de Joseph Casavant et construisit plusieurs instruments dont quelques-uns nous restent : ceux de Cacouna (Rivière-du-Loup), Sainte-Monique (Drummond) et Les Cèdres (Soulanges). Vers 1890, il est passé à l'emploi des frères Casavant qui avaient été ses élèves. Cette époque connut plusieurs autres facteurs d'orgues dont les travaux eurent parfois quelque notoriété, mais dont, hélas, il ne nous reste à peu près rien qui permette de les apprécier. Citons, par exemple, Joseph Pépin qui signa plusieurs instruments avant de se ranger sous la bannière des frères Casavant. D'autres, dont Ovide Paradis à Yamaska de 1854 à 1860 environ, Auguste Desrosiers à Louiseville vers 1875, Pierre Beaudoin à Saint-Henri de Lévis dans les mêmes années et Antoine Couillard à Montréal, furent des amateurs qui connurent certains moments de gloire mais aussi des lendemains plus prosaïques. Il faudrait encore ajouter à cette liste les noms de Godefroy Martel, Charles Paquin, William Dennis, Raymond Roger Charbonneau et un monsieur Jodoin qui se sont occupés de facture ou d'entretien d'orgues.

Alpec et la SRC ont coproduit la collection de sept micr. Les Orgues anciens du Québec consacrée à 14 instruments ayant conservé leur traction mécanique et leur sonorité d'origine (1979-80, Alpec A-81029-35 et RCI 538).

L'Ontario a connu entre 1820 et 1850 une facture locale, grâce aux travaux sporadiques de Richard Coates ou encore à ceux des ébénistes (v. 1830) Blythe et Kennedy, auteurs de l'instrument conservé au Musée Bytown d'Ottawa. L'arrivée d'Edward Roome Lye vers 1856 à Toronto, l'établissement de sa compagnie en 1864 puis de la Lye Organ Company. donnèrent au Haut-Canada une facture d'orgues stable. Edward Lye et la Lye Organ Co. produisirent entre 300 et 400 instruments dont quelques-uns parmi les premiers existaient toujours en 1990, et William Lye, petit-fils d'Edward, eut un atelier de réparation d'orgues jusqu'en 1982. L'Ontario n'a toutefois pas connu de très grandes maisons de facture d'orgues avant l'arrivée à Toronto de Warren, quoique quelques-uns des noms suivants aient eu une importance relative : T.F. Roome qui a oeuvré à Toronto (fl. dans les années 1860), Andrus Bros. et Canada Organ Co. à London ainsi que Hager & Vogt et Limbrecht à Preston, auj. Cambridge (toutes deux fl. 1849). Mentionnons aussi John Thomas qui commença à oeuvrer à Montréal en 1832 et qui, en 1844, était déménagé à Toronto. Les Provinces maritimes connurent aussi une facture qu'il faut mentionner : celle de Watson Duchemin, marchand de bois à Charlottetown, qui a construit vers 1850 quelques instruments pour le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard, et dont il est demeuré au moins un exemplaire de petite taille. À Pictou, N.-É., James Hepburn construisit en 1860 un orgue de 400 tuyaux pour l'Assembly Hall de l'endroit. Un journal local, l' Eastern Chronicle, commenta : « Les assemblées de fidèles ne devraient plus regarder ailleurs pour leurs orgues quand des instruments d'une telle qualité peuvent être fabriqués ici » (cité dans Antique Furniture by Nova Scotia Craftsmen de George MacLaren, Toronto 1975).

Années 1880-1950

Durant cette période, la facture d'orgues connaîtra au Canada un essor sans précédent, aussi bien quantitativement que qualitativement. Le grand nom qui se détache de cette époque est celui de Casavant Frères, entreprise inaugurée dans des conditions modestes à la fin de 1879 par les frères Samuel et Claver Casavant, fils de Joseph. L'entreprise ne tardera pas à prospérer et, au tournant du siècle, elle avait déjà à son crédit d'importants instruments à Saint-Hyacinthe, Montréal et Ottawa. Ayant complété leur formation en Europe, les deux frères prirent soin de se tenir au courant des développements considérables survenus dans l'art du facteur d'orgues, notamment l'électrification de la soufflerie et des jeux, et, avec la collaboration du Dr Salluste Duval, ils furent eux-mêmes à l'origine de certains perfectionnements comme les pédales de combinaisons ajustables. Du sein même de Casavant son sortis quelques facteurs indépendants. Ainsi, en 1910, la Compagnie d'orgues canadiennes opérait à Saint-Hyacinthe et allait durer 20 ans. Pareillement, Odilon Jacques et un certain Daudelin ont construit des instruments surtout unifiés et sans grande signification.

En Ontario, les 20 dernières années du XIXe siècle n'ont à peu près pas vu naître de nouveaux facteurs, bien qu'on puisse encore citer J. Coleman & Sons à Toronto (fl. dans les années 1880), J.H. Phillips à Napanee et la firme aux multiples facettes de R.S. Williams qui produisit notamment quelques orgues à tuyaux. C'est à l'époque de la Karn-Warren Organ Co. que l'harmoniste anglais William Potter arriva à Woodstock après un séjour aux É.-U. chez Wurlitzer. Il travailla d'abord chez Karn-Warren - la S.R. Warren and Son ayant été vendue à D.W. Karn de Woodstock en 1896. Alors que Karn-Warren semblait en perte de vitesse, il passa vers 1901 chez un ébéniste, Hay, qui, avec le concours d'un tuyautier venu d'Angleterre, J.A.G. Webb, se mit à faire des orgues. Hay fera peu d'instruments et préféra bientôt louer une partie de ses ateliers à Frank, Samuel Russell et Mansfield Warren qui formèrent en 1907 la maison Warren Church Organ Co. Frank était le fils de Charles S. Warren qui avait succédé à son père, Samuel Russell, en 1882; Samuel Russell et Mansfield étaient les fils de Frank. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale semble avoir démantelé la facture d'orgues à Woodstock. En 1922, un regroupement de la main-d'oeuvre spécialisée donna naissance à la Woodstock Pipe Organ Builders. Cette maison a installé des instruments un peu partout au Canada avant de disparaître à son tour en 1948. L'harmoniste Potter et le tuyautier Webb, qui prêtèrent leurs services à tous les facteurs qui se sont succédé à Woodstock après 1897, furent largement responsables du style anglais qui aura caractérisé toute cette facture. Ailleurs en Ontario, le début du XXe siècle va voir apparaître quelques facteurs nouveaux. Ainsi, Breckels & Matthews de Toronto, devenu ensuite Matthews Church Organ Co., a construit des instruments dont on retrouve encore des traces qui ne manquent pas d'intérêt. C'est aussi à cette époque qu'arrivait à Toronto Lorenzo Morel, représentant de Casavant Frères. Dans les années 1920, il a construit sous son nom un certain nombre d'instruments dont plusieurs existent toujours. Parallèlement, Richard et James Dawson, venus de Warren Church Organ Co., firent des orgues durant quelques années sous le nom de Dawson Bros. L'activité de ces facteurs ne fut pas très longue. Le nom de Franklin Legge Organ Co., fondée à Toronto en 1915, durera plus longtemps.

Dans les Provinces maritimes, il fallut attendre les années 1880 pour connaître une facture locale. En 1881, John Bath Reed ouvrit une fabrique d'orgues à Bridgetown, N.-É., et termina la même année un orgue pour l'église méthodiste Providence. À Saint-Jean, N.-B., Landry & Son et Peter Organ Co. ont fabriqué des instruments que nous connaissons mal, exception faite de l'orgue de l'église de Carleton, Gaspésie, construit par Landry en 1877. La restauration faite par Casavant en 1970 a conservé la façade et une bonne partie de la tuyauterie originale. Mentionnons aussi W.R. Chute à Dartmouth, N.-É. (fl. 1908).

En 1887, l'église presbytérienne de Birtle, Man., fit l'acquisition d'un orgue de quatre jeux construit à Winnipeg par Bolton et Baldwin. Le Musical Journal écrivit de cet instrument en 1888 qu'il était le seul orgue à tuyaux à l'ouest de Winnipeg. Cela est inexact, car Victoria et la région avaient acquis bien avant cette date des instruments arrivés sur des navires qui avaient contourné le cap Horn. L'un des premiers en Colombie-Britannique fut un orgue Bevington arrivé en 1861 et installé à Victoria l'année suivante par William Seeley, organiste à la Christ Church. De toute façon, on trouve encore aujourd'hui plusieurs instruments anciens, mais on ignore s'ils furent installés là dès leur naissance : témoins l'orgue américain Appleton (1869) si intéressant de la Church of Our Lord à Victoria et cet orgue londonien de l'église unie de Cumberland. La Colombie-Britannique a d'ailleurs conservé plusieurs instruments intéressants et relativement anciens, tel l'orgue Lye de l'église luthérienne Saint Paul's à Nanaimo, ou ceux de type anglais de l'église Saint Saviour's de Victoria et de l'église de Sooke, instruments qui ont été restaurés récemment par Hugo Spilker. À New Westminster, Chandos Dix (v. 1890-1940) s'occupa surtout d'entretien mais construisit et assembla quelques instruments dont ceux de la Shawnigan Lake Boys' School à Shawnigan Lake, de l'église anglicane Saint Paul's à Kamloops, de l'église anglicane All Saints à Vernon et de l'église catholique romaine Saint Francis' à Vancouver. On peut citer encore d'autres instruments anciens apportés des États-Unis et installés au Canada assez récemment : ainsi, à Edmonton, l'orgue Colburn (1870) de l'église catholique allemande ou le Chadwick (1900) de l'église Westend Christian Reformed. Dès le début du XXe siècle, l'Ouest se couvrit d'instruments de valeur, importés parfois des États-Unis ou d'Angleterre, mais le plus souvent commandés à Casavant.

Renouveau (1950-90)

Le début des années 1950 fut marqué dans tout le Canada, mais particulièrement au Québec, par une profonde insatisfaction vis-à-vis de la facture existante. Le renouveau que connaissait l'orgue en Europe finit par atteindre le Canada, notamment par l'arrivée de ces disques qui font scintiller des plenums d'inégal intérêt, mais qui exercent ici une séduction irrésistible par comparaison à la fadeur incommensurable devenue caractéristique de trop d'instruments canadiens. Chez les organistes, certains favorisèrent alors le néoclassicisme d'Aeolian-Skinner ou de Hill, Norman & Beard. D'autres, plus jeunes, rentrés d'Europe après avoir vécu là-bas l'expérience de l'orgue classique, firent bientôt croisade pour défendre le retour à l'esthétique des anciens. À Montréal, ils réussirent l'implantation de trois instruments admirables de Rudolf von Beckerath : à l'église unie de Queen Mary Road, à l'oratoire Saint-Joseph et à l'église de l'Immaculée-Conception. Cet art nouveau, prôné par les concerts d'Ars Organi, attira bientôt un public fervent et l'audience à des concerts fut multipliée par les retransmissions à la radio de la SRC. Chez Casavant, la nouvelle orthodoxie fut assimilée de façon éclatante. Il faudrait citer ici tant d'admirables instruments à traction mécanique et d'esthétique classique comme ceux de Saint-Pascal de Kamouraska, Québec, ou d'Edmundston, N.-B., tant d'autres à traction électropneumatique et d'esthétique néoclassique comme celui de la basilique du Cap-de-la-Madeleine, qui, au cours de la décennie 1960, plaçaient le Canada à l'avant-garde de la facture nord-amér.

Cette renaissance fut assez vigoureuse pour faire émerger, dans le sillage de Casavant, plusieurs facteurs indépendants qui témoignent, eux aussi, de la richesse de la facture canadienne. Karl Wilhelm, d'origine allemande et formé en Europe, a travaillé chez Casavant à partir de 1960. En 1966, il se mit à son compte. De son atelier, situé d'abord à Saint-Hyacinthe puis à Mont-Saint-Hilaire, sont sortis, de nombreux instruments qui témoignent par la richesse et la vigueur de leurs timbres de cette « bonne santé » qui fait les instruments racés. Hellmuth Wolff, venu de Suisse chez Casavant en 1963, fonda son propre établissement à Laval, Québec, en 1968. Parmi ses réalisations, marquées au coin de l'ingéniosité et de la poésie, on trouve certains instruments construits « à l'authentique ». Guilbault-Thérien Inc., auparavant Orgue Providence Inc., construit à Saint-Hyacinthe depuis 1969 des instruments mécaniques de grande qualité. Par ailleurs, ce facteur s'est beaucoup occupé à réparer des dizaines d'instruments pneumatiques ou électropneumatiques en s'appliquant, chaque fois que nécessaire, à leur donner une structure sonore mieux équilibrée et plus riche, opération délicate où il a obtenu d'éclatantes réussites. En 1979, Fernand Létourneau, après 14 ans chez Casavant, ouvrait la firme Orgues Létourneau Limitée qu'il voue principalement à la construction d'orgues à traction mécanique. Il oeuvre avec succès aussi à la reconstruction ou à la restauration d'orgues anciens. L'atelier de Létourneau, d'abord installé à Sainte-Rosalie, a été réaménagé à Saint-Hyacinthe en 1984.

En Ontario, Gabriel Kney, d'origine allemande, s'associa à John Bright en 1955. De leur atelier de London sortira le premier instrument à traction mécanique du renouveau au Canada. À compter de 1967, c'est sous son propre nom que Kney multiplia les instruments mécaniques : des orgues qui ont porté sa réputation bien au-delà de son pays d'adoption. Il faut encore mentionner quelques facteurs ayant oeuvré un certain temps : la T. Eaton Co. à Toronto (1947-60); Hallman à Kitchener entre 1964 et 1976; Neutel à Brantford. Par ailleurs, Keates Organ Co., qui avait débuté à London en 1945, emménagera ensuite à Acton et opère aujourd'hui sous le nom de Keates-Geissler Pipe Organs Ltd., tandis que Principal Organs Co. oeuvre à Woodstock depuis 1962. À Fergus, Brunzema Organs Inc. voyait le jour en 1979. Fondée par Gerhard Brunzema, cette compagnie est vouée aux orgues à traction mécanique et se spécialise dans la production d'instruments de petite ou moyenne dimension.

Conclusion

Depuis 1960 surtout, la facture d'orgues au Canada s'est hissée à un niveau de perfection qu'elle n'avait jamais connu. Cette ascension rapide aurait été impossible sans les solides infrastructures créées par les générations précédentes d'organiers et sans l'enthousiasme d'une école d'orgue vivante et riche. En dernier ressort, ces réalités seraient elles-mêmes inexplicables si l'attachement à l'orgue n'avait été aussi vivace et répandu chez les Canadiens.

Mais, il y a aussi des ombres au tableau. D'abord, l'apparente désaffection de l'église chrétienne pour un instrument qui l'a si bien servie, puis la hausse constante des coûts de production qui rend de plus en plus difficile l'acquisition d'un orgue de qualité. En contrepartie, beaucoup de gens sont devenus conscients de l'importance de sauvegarder comme un héritage précieux les témoins authentiques de la facture du XIXe et du début du XXe siècle. Dans le même ordre d'idée se dessine un mouvement heureux de remodelage d'instruments de l'entre-deux-guerres, permettant ainsi de renouer, grâce aux progrès esthétiques de la facture actuelle, avec la grande tradition de l'orgue.

En 1983, la Bibliothèque nationale du Canada présenta l'exposition « Tuyaux et jeux : pages d'histoire de l'orgue au Canada », préparée par Stephen C. Willis.

Voir aussi Canadian Piano and Organ Manufacturers' Association, CRCO, Harmoniums, Instruments mécaniques, Orgue - Composition, Orgue - Pratique et enseignement, Orgues mécaniques, Morse Robb.

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