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Patria

Patria. Terme latin signifiant « patrie », ce titre coiffe un gigantesque cycle d'oeuvres musicodramatiques de R. Murray Schafer. À la fin de 1991, il comprenait 12 oeuvres dont 7 complètes et 5 inachevées.

Patria

Patria. Terme latin signifiant « patrie », ce titre coiffe un gigantesque cycle d'oeuvres musicodramatiques de R. Murray Schafer. À la fin de 1991, il comprenait 12 oeuvres dont 7 complètes et 5 inachevées. D'une façon générale, l'action de Patria peut être décrite comme le cheminement physique, psychologique et spirituel d'un héros et d'une héroïne vers la complétude et la rédemption. Les comédiens qui, tout au long du cycle, apparaissent sous divers accoutrements, tirent leur identité principale de trois mythes : l'ancienne légende grecque de Thésée, Ariane, le Minotaure et le labyrinthe; d'un mythe fabriquée par Schafer lui-même « La Princesse et les étoiles », qui rappelle des légendes amérindiennes; et du conte « La Belle et la bête ». L'héroïne est, par exemple, la divine Princesse des étoiles dans le Prologue, la princesse Ariane de Crète dans Patria 5 et la pathétique coureuse de « party » qui se suicide dans Patria 2. Le héros est Wolf dans le Prologue, le prince athénien Thésée dans Patria 5 et l'immigrant P.D. (« personne déplacée ») aussi connue comme la « Bête » dans Patria 1. Parce que Schafer a été fortement influencé par les idées de Carl Jung, les thèmes jungiens, tels la recherche de l'holisme, l'union des opposés et la confrontation avec son côté sombre ou son ombre, sont en évidence dans le cycle tout entier.

Schafer entreprit la composition de Patria en 1966. Le plan initial consistait en une oeuvre unique en deux parties destinées à être présentées simultanément sur deux plateaux séparés. Après avoir rejeté cette idée et divisé l'oeuvre pour en arriver à ce qui est maintenant Patria 1 et Patria 2, le compositeur planifia une troisième oeuvre et Patria demeura une trilogie en gestation jusqu'à la fin des années 1970. En juin 1979, Schafer envisageait 6 oeuvres pour Patria et, bien que ce nombre ait doublé en 1990, le cycle semble avoir atteint son sommet avec 12 oeuvres. Schafer n'a pas composé les oeuvres dans l'ordre chronologique et, selon sa manière caractéristique, a mis en chantier en même temps deux oeuvres ou plus. Patria 2, le Prologue et RA ont été les seules oeuvres composées sur commande; cependant, il arrive souvent à Schafer de présenter comme compositions indépendantes des oeuvres faisant partie de Patria afin de remplir des commandes. Requiems for the Party Girl pour mezzo-soprano et orchestre de chambre, vient en tête d'une liste de plus de 20 compositions de Patria qui ont été créées et publiées indépendamment. Requiems consiste en des passages solo, ou airs pour l'héroïne Ariadne extraits de Patria 2 : Requiems for the Party Girl et fut commandée par la SRC pour le centenaire du Canada. Il fut créé le 21 novembre 1967 à la radio de la SRC par la mezzo-soprano Phyllis Mailing et les Chamber Players de l'Orchestre symphonique de Vancouver.

La plupart des oeuvres de Patria exigent pour leur présentation une scénographie inusitée, laquelle reflète l'intérêt du compositeur pour des alternatives au théâtre d'opéra ou théâtre intérieur. Par exemple, Schafer situe Patria 4 : The Black Theatre dans une manufacture abandonnée, une mine souterraine ou un décor similaire; Patria 3 : The Greatest Show, dans un foire de village ou un carnaval; et le Prologue Princess of the Stars et la Conclusion And Wolf Shall Inherit the Moon, en plein air dans une région sauvage, ce qui dénote l'intérêt du compositeur pour le paysage sonore naturel et le théâtre. Les oeuvres à présenter dans un théâtre, telles que Patria 1 et Patria 2, utilisent des configurations scéniques non orthodoxes.

Les oeuvres qui composent Patria ne peuvent être appelées opéras, mais elles combinent des éléments de l'opéra et du théâtre dans un genre hybride que Schafer appelle « théâtre de la confluence ». Avec ce médium, il cherche à créer un théâtre qui emploie tous les arts, mais qui s'écarte de l'approche du Gesamtkunstwerk traditionnel de diverses façons. En premier lieu, bien que le théâtre de la confluence inclue la technique de fusion de diverses formes d'art, il permet aussi de les séparer (comme le prône Bertold Brecht) ou même de les traiter en contrepoint direct afin d'en arriver aux effets dramatiques désirés. En second lieu, contrairement aux drames musicaux de Wagner où la musique règne en maître absolu, Patria propose une hiérarchie flexible entre les diverses formes d'art afin que texte, musique, mise en scène ou tout autre élément de l'oeuvre puisse être en relief pour souligner une situation dramatique donnée; selon les termes de Schafer : « coopéra plutôt qu'opéra ». En troisième lieu, dans quelques oeuvres de Patria, Schafer agrandit le nombre de formes d'art qui sont traditionnellement utilisées au théâtre en créant des expériences qui mobilisent les sens du goût, de l'odorat et du toucher de l'auditoire. L'un des aspects qui distingue le plus le théâtre de la confluence de l'opéra est l'importance accordée au texte parlé. En fait, il y a dans Patria plus de rôles parlés que chantés (ceux confiés à des acteurs, mimes et danseurs) et les interprètes qui sont surtout appelés à chanter se voient aussi généralement confier du texte parlé. Parce que, dans le théâtre de la confluence, le texte comme la musique peut dominer une scène suivant une situation dramatique donnée, Schafer a trouvé une solution pratique à l'éternel conflit de suprématie entre la parole et la musique qui harcèle l'opéra depuis sa conception.

Schafer, comme Wagner, a utilisé la prose pour explorer ses théories en musique et en théâtre. Il a écrit deux essais sur le théâtre de la confluence de même que des articles sur toutes les oeuvres complétées de Patria, réunies dans le livre Patria and the Theatre of Confluence. Comme Wagner encore, Schafer préfère écrire ses propres livrets, bien que pour Patria 6 : RA et Patria 5 : The Crown of Ariadne, dans lesquels les langues anciennes occupent une place prépondérante, Schafer ait travaillé en collaboration avec des experts en linguistique - D.B. Redford de l'Université de Toronto pour les langues de la Moyenne Égypte utilisées dans RA et Michael Silverthorn de l'Université McGill pour le grec ancien utilisé dans The Crown of Ariadne. Des langues étrangères ou inventées prévalent dans tout le cycle et sont souvent traduites pour l'auditoire par les personnages qui agissent comme interprètes. Les livrets de Patria 1, 2, et 3 se distinguent par leurs copieux emprunts et allusions provenant d'une grande variété de sources littéraires qui rappellent la technique d'Ezra Pound dans Cantos ou de T.S. Eliot dans The Waste Land. Seulement trois oeuvres du cycle sont basées sur des intrigues préexistantes : Patria 5 et 7 (la légende de Thésée et d'Ariane), et Patria 6 : RA (ancienne mythologie égyptienne); toutefois, même ces oeuvres utilisent plusieurs des ajouts de Schafer lui-même ou ses interprétations des mythes originaux. Les intrigues de toutes les autres oeuvres de Patria sont originales bien qu'il soit possible qu'elles fassent usage de matériaux préexistants comme les textes alchimiques et gnostiques qui figurent de façon proéminente dans Patria 4 ou dans le conte de la Belle et la bête qui est raconté dans Patria 3.

Musicalement, le cycle est en partie unifié par une série de 12 sons, tout intervalles, que Schafer traite d'une manière très libre. La série est surtout présente dans Patria 1, 2 et 4 ainsi que dans le Prologue, mais son usage est moins fréquent dans Patria 3 : The Greatest Show, une oeuvre qui affiche un mélange éclectique de styles musicaux. Pour RA, dans lequel Schafer cherche à recréer l'ambiance de l'Ancienne Égypte, la série se retrouve dans un seul numéro (l'aria d'Amente Nufe), et pour le monde de la Crète Ancienne exploré dans Patria 5, elle est employée avec ménagement.

Chaque oeuvre de Patria utilise les ressources d'un orchestre de chambre, souvent dans une instrumentation inusitée. Les choeurs sont importants dans tout le cycle au double plan musical et dramatique. Plusieurs des numéros confiés aux solistes du chant peuvent être chantés par des acteurs alors que la plupart des numéros pour des chanteurs de formation sont confiés à des voix de femmes.

Patria a été présenté avec grand succès : toutes les oeuvres achevées ont été créées et plusieurs ont été reprises. (Compte tenu de ses dimensions gigantesques et de ses diverses exigences scéniques, Schafer ne s'attend pas à ce que le cycle entier soit jamais présenté pendant des jours consécutifs.) Patria 2 fut la première oeuvre du cycle à être présentée : elle fut chantée à trois reprises au Third Stage du Festival de Stratford à compter du 23 août 1972, dans une mise en scène de Michael Bawtree sous la direction musicale de Serge Garant, avec Phyllis Mailing dans le rôle titre d'Ariadne.(Patria 2 fut en réalité présentée pour la première fois en version radiophonique sous le titre de Dream Passage, le 27 mai 1969; commande de la radio de la SRC, Mailing chantait le premier rôle, avec les University of British Columbia Singers sous la direction de Cortland Hultberg, et les Chamber Players de l'OS de Vancouver dirigés par Norman Nelson.) Princess of the Stars, commande des NMC, fut la deuxième oeuvre de Patria à être créée et reçut deux exécutions sous la direction du compositeur, les 26 et 27 septembre1981 à Heart Lake, près de Brampton, Ont. (Dans Princess, les personnages sont convoyés sur l'eau en canots, alors que l'orchestre et le choeur sont placés le long de la rive et invisibles pour l'auditoire.) Dirigée par Robert Aitken, la première mettait en scène Kathy Terrell comme Voix de la princesse, avec les poètes du son Paul Dutton, Steve McCaffery, Raphael Barreto-Rivera et bp Nichol interprétant Wolf, l'Ennemi à trois cornes, le Disque du soleil et le Présentateur, respectivement. Princess fut reprise pour une deuxième série de représentations au Two-Jack Lake près de Banff, Alb., du 10 au 12 août 1985 avec Eleanor James comme Voix de la princesse, James Howley comme Ennemi à trois cornes ainsi que Nichol, Dutton et Barreto-Rivera reprenant leurs rôles de la première présentation. La production de Banff était conjointement mise en scène par le compositeur et Brian MacDonald et dirigée par Michael Century. De spectaculaires effets d'écho furent réalisés par les voix et les instruments réverbérant sur les montagnes Rocheuses environnantes. RA fut créé à l'Ontario Science Centre, Toronto, en 1983, par le Comus Music Theatre; il fut aussi l'objet d'une seconde série de représentations au festival de Hollande de 1985 à Leyde. La première de Patria 1 eut lieu en 1987 au Tanenbaum Opera Centre à Toronto, une coproduction de la COC et du Festival Shaw. La mise en scène était signée Christopher Newton et la direction musicale était assurée par Robert Aitken. L'acteur Peter Millard tenait le rôle de la P.D. L'oeuvre fut exécutée à six reprises à compter du 21 novembre1987.

En 1986, Schafer fonda le Patria Music/Theatre Project avec le metteur en scène Thom Sokoloski et les décorateurs Jerrard et Diana Smith, tous des participants à des productions ultérieures de Patria. Voué à la réalisation des oeuvres de Patria, le nouvel organisme se fixa comme projet initial une version d'atelier de Patria 3 : The Greatest Show en collaboration avec le Peterborough Festival of the Arts au Crary Park de Peterborough, les 6 et 8 août 1987. La création officielle de Patria 3, aussi une initiative du Project, prit place l'année suivante au même endroit avec 10 représentations à l'affiche à partir du 25 août 1988. Patria 4 : The Black Theatre fut créée par le Project au Festival de Liège (Belgique) où 10 représentations prirent place à compter du 9 mars 1990; la distribution comptait des Belges et des Canadiens, dont Eleanor James et Theodore Gentry. (Une version d'atelier de The Black Theatre, mise en scène par le compositeur, fut présentée au California Institute of the Arts à Valentia, Cal., le 10 mars 1984.) Une version d'atelier de Patria 5 : The Crown of Ariadne fut montée au Premiere Dance Theatre de Toronto le 11 novembre 1990. Une version concert de la version révisée de 1991 de Patria 5 fut donnée au théâtre Jane Mallet du Saint Lawrence Centre, Toronto, le 2 mars 1992.

Même si Patria évolue au milieu des décors exotiques de la Crète Antique, de l'Ancienne Égypte et du monde des arcanes de l'alchimie médiévale, le cycle contient aussi plusieurs éléments nationalistes. Il explore l'expérience de l'immigrant en Amérique du Nord dans Patria 1, avec l'environnement des décors naturels dans le Prologue comme dans la Conclusion; Patria commence et s'achève dans la région sauvage canadienne. Comme on pourrait s'y attendre avec des oeuvres aussi peu conventionnelles que celles du cycle Patria, certaines premières ont suscité des comptes rendus mixtes; toutefois et de façon générale, les diverses oeuvres ont reçu de grands éloges, en particulier pour leurs partitions. Quoi qu'on puisse dire de Patria, ses proportions monumentales, ses multiples détails, l'originalité de son approche théâtrale et l'attrait irrésistible de sa musique, en font l'une des oeuvres les plus intrigantes de la deuxième moitié du XXe siècle. En 1990, il y avait déjà six des oeuvres terminées qui étaient publiées, et, même s'il n'existait pas encore de disques commerciaux d'une exécution complète d'aucune des oeuvres, Centredisques avait réalisé un album d'extraits de RA et des sections séparées de plusieurs autres oeuvres étaient disponibles sous diverses étiquettes. Une adaptation cinématographique de The Greatest Show, basée sur la création à Peterborough en 1988, a été produite par Rhombus Media sous le titre A Carnival of Shadows

Patria (1966 -)

Prologue : The Princess of the Stars (Schafer) : 1981 (Heart Lake, près Brampton, Ont. 1981); 4 poètes du son ou acteurs, sop, ch, 6 danseurs, fl, cl, quat cuivres, 4 perc, canoteurs, petit lac; Arcana 1986.

Patria 1 : Wolfman (auparavant The Characteristics Man) (Schafer) : 1974 (Tor 1987); mezzo, mime, acteurs, ch de 32 vx, orch, guit élec, basse élec, org, acc, bande; Ber 1978.

Patria 2 : Requiems for the Party Girl (Schafer) : 1972 (Stratford, Ont. 1972); mezzo, acteurs, danceurs, ch de 12 à 32 vx, ens chamb, bande; Ber 1978.

Patria 3 : The Greatest Show (Schafer) : 1987 (atelier, Peterborough, Ont. 1987; création officielle, 1988); approx 120 ex (acteurs et chanteurs), orch chamb; Arcana 1987 (The Greatest Show; texte), Arcana 1987 (Miscellaneous Music), autres musiques publiées séparément.

Patria 4 : Le Théâtre noir d'Hermes Trismegistos / The Black Theatre of Hermes Trismegistos (Schafer, div tests alchimiques et gnostiques) : 1988 (atelier, Valencia, Cal. 1984; atelier; création officielle, Liège, Belgique 1989); 11 acteurs, 7 chanteurs, 2 danceurs (optionnel), ch de 8 à 16 vx, ens chamb; Arcana 1988 (partition inclut textes français et anglais).

Patria 5 : The Crown of Ariadne (Schafer) : 1991 (atelier, Tor 1990; présentation en concert, Tor 1992); 6 acteurs, 4 danceurs, 6 mimes enfants (garçons), div extras (tous danseurs), ch de 8 vx d'hommes, ch de 8 vx de femmes, orch (20 vents, 6 cdes, hp, acc, 4 perc); Arcana.

Patria 6 : RA (Schafer, La Litanie de Re, Le Livre égyptien des morts, et autres) : 1983 (Tor 1983); 7 chanteurs, 4 chanteurs-acteurs, 8 danceurs, acteur nain, danseuse du ventre, div extras, ch de 8 vx d'hommes, vn, hp, perc, oud, qânûn, darbukka et autres instruments de perc du Moyen Orient, bande et sons élec, et un auditoire participant de 75 membres; Arcana 1989; (sélections) Centredisques CMC-1283. Patria 7 : Asterion (auparavant Theseus) : en cours.

Patria (8) : The Enchanted Forest : en cours.

Patria (9)  : The Spirit Garden : en cours.

Patria (10)  : The Palace of the Cinnabar Phoenix : en cours.

Conclusion : And Wolf Shall Inherit the Moon : en cours.

Lecture supplémentaire