Droits de la personne, philosophie des | l'Encyclopédie Canadienne

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Droits de la personne, philosophie des

On en vient à établir une équivalence entre le respect des droits de la personne et la civilisation et entre les violations de ces droits et la barbarie et l'injustice. Cependant, tandis que les droits de la personne forment notre commun dénominateur moral, leur signification n'est pas claire.

Droits de la personne, philosophie des

On en vient à établir une équivalence entre le respect des droits de la personne et la civilisation et entre les violations de ces droits et la barbarie et l'injustice. Cependant, tandis que les droits de la personne forment notre commun dénominateur moral, leur signification n'est pas claire. Ils ne sont pas des droits civils, des revendications spécifiques reconnues par une communauté politique, des droits particuliers reconnus aux citoyens, aux marchands, aux sujets britanniques et autres du genre. Les droits de la personne se présentent plutôt comme un étalon de mesure et d'évaluation des droits civils ou des choix protégés par la loi.

L'équivalent prémoderne des droits de la personne était le droit naturel ou la justice naturelle que la théologie chrétienne codifiera sous forme de loi naturelle. Cependant, la justice naturelle platonicienne ou la loi naturelle thomiste servaient de norme des relations correctes entre personnes, mais n'étaient pas la propriété de ces personnes ni des droits que celles-ci pouvaient faire valoir contre d'autres personnes. Les droits modernes sont, par contre, des droits naturels privatisés et personnalisés, dans le sens de « mes droits » et de « ses droits ».

La contrepartie de ces droits n'équivaut pas à des torts, mais à des devoirs et à des obligations. Si quelqu'un a un droit, il n'a pas alors d'obligation, et réciproquement. Nos obligations nous prescrivent ce qui est moralement correct. Nos droits nous permettent de faire ou de ne pas faire ce qui est moralement correct. Les droits présupposent le droit qu'a quelqu'un de mal agir, de choisir des usages moralement plaisants ou rebutants de son pouvoir ou de sa propriété. Il n'y a pas de contradiction à soutenir le droit à l'autodétermination nationale, tout en affirmant que la sécession est politiquement désastreuse.

Les droits de la personne sont des revendications ou des droits que possèdent les êtres humains en vertu de leur humanité et non de leur participation à une tradition ou à des pratiques historiques spécifiques. Les revendications découlant des droits de la personne ont ceci de caractéristique qu'elles sont indépendantes de l'avènement historique de droits spécifiques conquis au terme de combats concrets menés par des classes, des nations ou des religions particulières et de la justification historique de droits spéciaux limitant les conflits violents. C'est l'ouvrage de John Rawl, A Theory of Justice (1971), qui a rendu populaire cette approche a-historique des droits de la personne. Pourtant, c'est l'histoire du Canada et non pas un principe abstrait d'équité qui pourrait justifier le financement par les provinces de l'enseignement catholique à l'exclusion des écoles juives, islamiques ou baptistes; les droits de chasse et de pêche accordés aux autochtones, mais non aux colons blancs; les droits linguistiques reconnus aux Canadiens francophones, mais non aux Canadiens d'origine ukrainienne ou chinoise.

La fonction dévolue aux droits de la personne par les bâtisseurs de la constitution américaine ou par les auteurs de The Federalist Papers visait à restreindre le pouvoir du Congrès ou des parlements des États, de manière à les empêcher d'empiéter sur les droits des individus et en particulier sur leurs droits de propriété et de contracter. Ces droits ont fonctionné et continuent de le faire pour dissuader les représentants élus d'imposer la volonté de la majorité aux minorités et aux individus ou de se lancer dans des politiques sociales qui menaceraient la propriété des particuliers et des compagnies ainsi que leur droit de contracter et de commercer librement. Les adversaires d'une politique basée sur les droits privés voient dans le langage des droits de la personne une idéologie du capitalisme destinée à empêcher les États de freiner l'emprise du marché global. En outre, les critiques des droits garantis et ceux qui prônent la révision de la législation soulignent la judiciarisation de la politique et la politisation du système judiciaire.

La tension qui existe entre la tradition britannique de la primauté du parlement et la tradition américaine des droits individuels garantis par la constitution apparaît clairement dans la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS; les sections 32 et 33 de celle-ci permettent en effet au pouvoir législatif de voter des lois « nonobstant » les stipulations de cette Charte. L'américanisation de la culture politique du Canada ressort clairement du fait que les Canadiens anglais détestent la clause nonobstant ainsi que la seule partie de cette Charte qui importait aux yeux de Pierre Elliott TRUDEAU, à savoir les droits linguistiques qui sonneraient le glas du « statut spécial » du Québec. Les gouvernements qui se sont succédé au Québec n'ont pas accepté la Charte parce qu'ils ne voulaient pas que des juges nommés par le pouvoir fédéral puissent restreindre les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec. Les Canadiens anglais ont refusé d'accepter les amendements à la Charte proposés par l'ACCORD DU LAC MEECH et l'ACCORD DE CHARLOTTETOWN. Le résultat est un coup fatal porté à la courtoisie entre les communautés anglophone et francophone du pays, malgré l'adhésion presque universelle des Canadiens à la rhétorique des droits de la personne et les protections constitutionnelles dont ils jouissent.

George GRANT écrit que ce qui distingue les Canadiens des Américains d'une part, les conservateurs et socialistes des libéraux d'autre part, est la reconnaissance des droits collectifs autant que des droits individuels. Will Kymlicka s'approche plus que les libéraux américains de la reconnaissance des droits des collectivités tout en soulignant que dans leur tentative de préserver leur caractère distinctif, celles-ci n'ont pas le droit de restreindre les droits individuels. Puisque ces derniers ont priorité sur les droits collectifs, l'autodétermination des Premières Nations et des Québécois doit être soumise aux tribunaux chargés de garantir la sécurité des droits individuels. Il se peut que le langage des droits soit foncièrement individualiste, de sorte que les nationalistes feraient mieux de faire appel au bien commun, aux intérêts collectifs et aux objectifs communautaires, plutôt que de faire violence au langage individualiste des droits en le mettant au service de projets collectifs.

Exprimer son scepticisme au sujet de la signification des droits de la personne ne signifie pas qu'on reste indifférent devant les meurtres, les tortures et les viols, ou que l'on n'apporte pas son appui à Amnistie internationale qui fait connaître la situation tragique des prisonniers d'opinion partout dans le monde. Bien au contraire, on pourrait affirmer que de réduire le viol comme arme délibérée de guerre à une simple violation des droits de la personne représente une grossière banalisation d'actes atroces, qui en ferait une simple exemple d'une catégorie générale de violation des droits de la personne ou encore un déplacement normal de pions dans un jeu d'échec diplomatique. Peut-être rendrait-on mieux service aux conduites humaines en les concentrant sur des droits spécifiques (tels ceux des réfugiés) liés à une situation spécifique découlant de batailles effectives, plutôt que de proclamer les droits de la personne sans référence à des contenus et à des contextes historiques spécifiques.

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