Renaissance du cidre artisanal au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Renaissance du cidre artisanal au Canada

Quand les premiers colons arrivent en Amérique du Nord, ils apportent leur boisson préférée : le cidre, un breuvage alcoolique fait de jus de pomme fermenté.
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Quand les premiers colons arrivent en Amérique du Nord, ils apportent leur boisson préférée : le cidre, un breuvage alcoolique fait de jus de pomme fermenté. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les gens pensaient que l’eau était la source de plusieurs maladies. À la place, les gens consommaient des boissons fermentées faiblement alcoolisées, même les enfants, à qui l'on donnait une forme diluée. Les pommiers robustes poussaient facilement et en abondance, et on pressait leur jus pour en faire du cidre.

Le cidre au Canada : le temps des pionniers

Les colons apportent des pousses et des pépins de pommes de France et d’Angleterre, amenant leurs cidres patrimoniaux et leurs pommes à dessert au Nouveau Monde. Mais quand un pépin de pomme tombe au sol, le nouvel arbre ne produit pas la même variété de pomme. En effet, les pommes sont des « hétérozygotes extrêmes », ce qui veut dire que chaque arbre issu d’un pépin plutôt que d’une greffe produira un fruit unique et imprévisible dont l’ADN est souvent fort différent de celui de son parent.

C’est avec le jus de ces pommes que sont fabriqués certains des premiers cidres alcoolisés canadiens. On croit que la première cidrerie (c.-à-d. une brasserie où l’on produit du cidre) au pays date de la seconde moitié du XVIIe siècle, quand des prêtres Sulpiciens plantent un verger et construisent un moulin à cidre sur le Mont Royal en Nouvelle-France. À l’extérieur des centres urbains, le cidre est une boisson de ferme : en plus des pommes, les colons ajoutent des raisins, de la mélasse, et d’autres sucres pour faire augmenter le taux d’alcool. Parfois, ils font vieillir le cidre dans des barils vides qui avaient contenu du rhum ou du porto.

Dans ce temps-là, tous les cidres étaient alcoolisés. Le cidre non alcoolique et le jus de pomme sont produits pendant le mouvement pour la tempérance et pendant l’époque de la prohibition et deviennent populaires avec l’introduction de la réfrigération au début des années 1920.

La production du cidre diminue pendant l’exode rural qui accompagne la révolution industrielle (de 1760 à 1850). Le cidre doit être produit près des vergers et il est trop cher de transporter les pommes jusqu’aux centres urbains en expansion pour fabrication. De plus, le cidre se garde mal, tandis que la bière peut être brassée en ville, en partie parce que l’orge se transporte plus facilement sans pourrir.

Ces conditions économiques défavorables et le changement des goûts font en sorte que la bière devient la boisson de prédilection et que le cidre tombe dans l’oubli. De plus en plus de pommes à dessert sont cultivées à des fins culinaires tandis que les pommes sûres qui possédaient assez de tannins et d’astringents pour faire du bon cidre sont éradiquées. Des facteurs sociaux comme la montée en puissance du mouvement pour la tempérance à la fin du XIXe siècle et l’époque de la prohibition (fin du XIXe siècle à 1920) donnent le coup de grâce à la production du cidre à grande échelle.

Renaissance du cidre

Les cidres fabriqués aujourd’hui de façon industrielle diffèrent grandement du cidre des premiers colons, même le cidre artisanal. Les cidres artisanaux sont fabriqués exclusivement avec du jus de pomme fraîchement pressé, tandis que les cidres industriels sont faits avec du concentré de pomme avec une faible quantité de jus de pomme pressé et des sucres supplémentaires, qui varient selon la marque.

Poussés par un intérêt renouvelé pour la cuisine locale et une soif de boissons artisanales, les cidres artisanaux sont revenus en force près de 100 ans après que l’héritage cidrier canadien soit tombé en désuétude. Les petits fabricants de cidre à l’origine du boum emploient l’approche expérimentale employée par premiers colons.

Québec : début du boum

Quand la Société des Alcools du Québec est formée en 1921, le cidre alcoolisé n’est pas mentionné dans le projet de loi sur la régulation de la vente et de la production des boissons alcoolisées, ce qui a pour effet de rendre la production et la vente du cidre illégales au Québec pendant presque 50 ans. Cette bavure est corrigée pendant les années 1970, mais ces premiers cidres commerciaux sont faits avec des pommes de qualité inférieure et ont un goût amer.

Les consommateurs mettent du temps avant de revenir au cidre. Ce n’est pas avant le début des années 1980 que Michel Jodoin de Cidrerie Michel Jodoin et Robert Demoy de Cidrerie du Minot et les autres cidriers aujourd’hui renommés sont enfin reconnus pour la qualité de leurs produits.

Le cidre de glace est brassé pour la première fois en 1989 par Christian Barthomeuf dans les Cantons de l’Est au Québec. Christian Berthomeuf travaille d’abord comme cidrier pour les chefs de file Domaine Pinnacle et Face Cachée de la Pomme, qui s’accaparent à eux deux près de 80 % du marché du cidre au Québec, avant de lancer son propre cidre, Clos Saragnat, en 2002.

La majorité des 73 cidreries du Québec brassent au moins une sorte de cidre de glace, doté d’un plus haut taux d’alcool par volume et d’un goût qui peut être sucré, aigre, ou sec. Basé sur le vin de glace, le cidre de glace est fait de pommes gelées récoltées en automne ou en hiver. Ces pommes ont une haute teneur en sucres, produisant une boisson de dessert sucrée et sirupeuse avec une plus forte teneur en alcool. Ils mettent plusieurs mois à fermenter.

Les producteurs de cidre de glace sont souvent de petites entreprises familiales, comme celle de Charles Crawford et sa femme, Susan Reid. Ces Montréalais tombent sur un verger de pommes dans la campagne du Vermont en 2000 et décident de l’acheter. Leur cidrerie, Domaine Pinnacle, a récolté plus de 100 prix internationaux en 2013 pour leurs cidres de glace, nature et pétillants.

Les Cidriculteurs artisans du Québec sont une association industrielle qui stipule qu’une « cidrerie artisanale » doit être une production agricole et utiliser les pommes de ses propres vergers dans son cidre, qui doit être produit sur place. En 2014, il y a au moins 60 cidreries artisanales certifiées au Québec.

Production du cidre en Ontario, en Colombie-Britannique et dans l’est du Canada

La tradition cidrière est encore plus jeune dans le reste du Canada, où la plupart des entreprises se sont mises à croître dans les régions productrices de pommes de la Nouvelle-Écosse, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique au début des années 2000. Ces nouvelles cidreries s’inspirent des traditions cidrières anglaises, normandes, et coloniales de l’Amérique du Nord.

En 2005, John Brett, un monteur de film et amateur de cidre, s’associe avec le fermier Andrew Bishop pour fonder Tideview Cider dans la vallée d’Annapolis en Nouvelle-Écosse. John Brett recherche les variétés de pommes préférées pour la production du cidre pendant la période coloniale le long de la côte est allant du Delaware à la Nouvelle-Écosse. « Très peu d’entre elles étaient des pommes à cidre anglaises traditionnelles, qui ne servent pas à grand-chose à part ajouter du tanin. En Amérique du Nord, nous n’avons pas connu le même degré de divergence entre les pommes à usages multiples et des pommes cultivées spécialement pour le cidre. Mais nous avons bel et bien favorisé certaines variétés comme la Golden Russet et la Ribston Pippin ». Tideview cultive et produit ces pommes ainsi que d’autres cépages patrimoniaux combinés avec des pommetiers sauvages.

À part quelques vergers privés, les entreprises cidrières d’Ontario, de Colombie-Britannique et de Nouvelle-Écosse ont du mal à trouver les cépages patrimoniaux d’Amérique du Nord coloniale et des vieux pays, plus amers, acides et tanniques que les pommes domestiques plus populaires. Une étude d’incidence économique commandée par l’Ontario Craft Cider Association (OCCA) en 2013 prévoyait que les ventes de cidre artisanal continueraient d’être l’une des catégories à la croissance la plus rapide à la Régie des alcools de l’Ontario, passant de 1,13 million de dollars en 2013 à 35 millions en 2018. On s’attend à ce que ces nombres influencent les décisions des cultivateurs de pommes. Quand l’OCCA est formée en 2012, elle ne compte que sept producteurs de cidre. En 2014, l’OCCA compte 16 membres, représentant tous les producteurs de cidre de l’Ontario vendant leurs produits au public. Certaines entreprises vinicoles produisent aussi de petits lots de cidre, qu’ils vendent dans leur propre boutique. Aucun n’est compté parmi les 16 producteurs de cidre de l’OCCA.

Merridale Estate est la plus ancienne cidrerie encore en activité en Colombie-Britannique, ouverte en 1987 dans la Cowichan Valley sur l’île de Vancouver. De l’autre côté de l’anse Saanich, la Sea Cider Farm and Ciderhouse à Victoria est elle aussi célèbre. En 2014, la Colombie-Britannique compte au moins 14 cidreries.

Suivre l’exemple de la bière artisanale

Plusieurs cidriers ont suivi l’exemple des brasseurs artisanaux canadiens, dont plusieurs se sont lancés en affaires en louant des réservoirs d’alcool dans de plus grandes brasseries avant d’investir dans leur propre équipement.

Chris Hawort, un Britannique de naissance, lance le West Avenue Cider à Toronto en 2013 sans cidrerie ni verger. En 2006, il avait remarqué une pénurie de cidre artisanal en Ontario et y a vu une opportunité. En 2013, il quitte son travail de chef cuisinier et loue un espace auprès de Pommies Dry Cider à Caledon.

Chris Haworth fait vieillir toutes sortes de cidres, du Niagara Merlot aux barils de Bourbon, utilisant aussi des levures sauvages, de bière, de vin ou de champagne. En décembre 2013, il opère les chantepleures du Momofuku Noodle Bar à Toronto, et sert des cidres personnalisés faits avec des poires, du shiso, du yuzu, du gingembre, de l’amazake, et de la levure de saké.

Les cidres offerts par les cidreries artisanales émergentes du Canada sont composés de 80 à 100 % de jus de pomme fraîchement pressé. Les cidreries à l’extérieur du Québec ne reçoivent pas les mêmes allégements fiscaux que les brasseries artisanales ou les entreprises vinicoles locales, ce qui les empêche de faire concurrence à Magners et aux autres importations commerciales ou à d’autres marques artisanales plus grandes comme Angry Orchard. Les associations cidrières font pression auprès du gouvernement pour changer cet état de fait.