Siksikáí’powahsin: la langue pied-noir | l'Encyclopédie Canadienne

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Siksikáí’powahsin: la langue pied-noir

Siksikáí’powahsin (communément désigné sous le nom de langue des Pieds-Noirs) est une langue algonquienne parlée par quatre nations Pieds-Noirs : les Siksikas (Pieds-Noirs), les Aapátohsipikanis (Piikanis du nord), les Aamsskáápipikanis (Piikanis du sud) et les Kainai (Gens‑du‑Sang). Bien qu’il existe certaines différences dialectales entre ces groupes, les locuteurs de la langue des Pieds-Noirs peuvent généralement se comprendre. La langue des Pieds-Noirs est une langue menacée; depuis les années 1960, le nombre de nouveaux locuteurs est en chute constante. Des programmes et des ressources linguistiques ont été mis sur pied au Canada et aux États-Unis afin de préserver cette langue et d’en faire la promotion auprès de nouveaux locuteurs potentiels.

Aînés des Pieds-Noirs

Cérémonie de l’ouverture du village traditionnel au cours du Stampede de Calgary, à Calgary en Alberta, par les Aînés des Pieds-Noirs. La cérémonie a lieu tous les jours. Photo prise le 10 juillet 2005. (© Jeff Whyte/Dreamstime)

Siksikaitsitapi : les Pieds-Noirs

Les Piikanis du sud occupent autrefois un territoire considéré comme faisant partie du Montana actuel aux États-Unis. Ils s’appellent eux-mêmes les Pieds-Noirs du Montana, bien que certains, à l’écrit, utilisent plutôt le nom Pikuni. Leur réserve s’étend sur un vaste territoire à l’est des montagnes Rocheuses. (Voir aussi Territoire autochtone.)

Les trois autres Premières nations se trouvent maintenant dans des réserves en Alberta : les Siksikas près de Gleichen, à l’est de Calgary; les Aapátohsipikanis à Brocket, à l’ouest de Fort Macleod; et les Kainai au nord de Cardston. Tous résident sur le territoire du Traité n° 7. (Voir aussi Traités numérotés.)

Famille linguistique algonquienne

La langue des Pieds-Noirs fait partie de la famille linguistique algonquienne. Cela signifie qu’il existe des preuves tangibles que cette langue, de même que certaines autres faisant partie de la famille algonquienne, descend d’une même langue parlée vraisemblablement il y a plusieurs milliers d’années. Bien qu’il n’existe aucune trace de la langue mère (qu’on appelle « proto-algonquien »), on croit que son existence pourrait expliquer les correspondances régulières entre les sons et la grammaire lorsqu’on compare les langues algonquiennes les unes aux autres. Certaines autres langues de cette famille sont le cheyenne, le mi’kmaq, le cri, l’arapaho, le delaware, l’ojibwé, le kickapou, l’algonquin et le shawnee.

Pour expliquer la répartition de ces langues, on formule l’hypothèse que, lors de la migration des locuteurs de la langue mère vers l’est du Canada, les populations demeurées près des montagnes Rocheuses sont devenues les ancêtres des Pieds-Noirs. Le reste du peuple algonquien se réinstalle alors dans une région située non loin des Grands Lacs, pour ensuite se scinder en plus petits groupes qui se dissémineront par la suite, les Cris revenant jusqu’aux montagnes Rocheuses. Cette hypothèse expliquerait la différence entre la langue des Pieds-Noirs et de nombreuses autres langues algonquiennes. Lorsqu’on compare certains noms de la langue des Pieds-Noirs avec des noms d’autres langues algonquiennes, par exemple, on n’obtient que très peu de paires de mots apparentés, à tel point que l’on pourrait penser qu’il ne s’agit que de coïncidences.

Certains linguistes réfutent toutefois la théorie d’« ouest en est », avançant plutôt que les langues algonquiennes se sont déplacées dans la direction contraire. La différence entre le vocabulaire de la langue des Pieds-Noirs et celui d’autres langues algonquiennes pourrait s’expliquer par un mélange avec une autre langue à un moment donné dans l’histoire des Pieds-Noirs, un peu comme c’est le cas avec le michif, qui renferme des noms français et des verbes cris. Cependant, personne n’a encore été en mesure de reconnaître, dans les autres langues existantes, la source des noms de la langue des Pieds-Noirs qui ne sont apparemment pas d’origine algonquienne.

Comparaison de la langue des Pieds-Noirs avec la langue crie

Il est possible de démontrer l’origine algonquienne de nombreux éléments lexicaux de la langue des Pieds-Noirs. En outre, dès que l’on se familiarise avec la grammaire de cette langue et certaines autres langues algonquiennes, la relation devient de plus en plus évidente. La comparaison qui suit entre la langue des Pieds-Noirs et la langue crie met en évidence certaines similitudes qui existent dans leurs formes possessives respectives du mot « mère » :

Cri


nikâwiy

ma mère

       

nikâwiyinân

notre mère (n’incluant pas la deuxième personne)

  

kikâwiyinaw

notre mère (incluant la deuxième personne)

kikâwiy

ta mère (singulier) 

kikâwiyiwâw

votre mère (pluriel)

okâwiya

sa mère (lui ou elle)

okâwiyiwâwa

leur mère


Langue des Pieds-noirs


niksíssta

ma mère     

       

niksísstsinnaana

notre mère (n’incluant pas la deuxième personne)

  

kiksísstsinoona

notre mère (incluant la deuxième personne)

kiksíssta

ta mère (singulier) 

kiksísstowaawa

votre mère (pluriel)

oksísstsi

sa mère (lui ou elle)

oksísstowaawayi

leur mère

Remarquez ici la structure identique des préfixes dans ces deux paradigmes. Les suffixes sont également en grande partie les mêmes. Même si les racines pour le mot « mère » sont différentes, le modèle d’inflexion pour la personne du possesseur est trop similaire pour être qualifié de simple coïncidence.On retrouve le même degré de similitude dans les paradigmes applicables aux verbes. On remarquera surtout le système direct-inverse des verbes transitifs avec objet au genre animé. Examinez les paires de formes verbales suivantes, tirées de la langue crie et de la langue des Pieds-Noirs :

Cri

Langue des Pieds-noirs

nimiweyimânân aniki 

« nous aimons ceux-là »              

nitáákomimmannaani  omiksi 

« nous adorons ceux-là »

nimiweyimikonân aniki

« ceux-là nous aiment »              

nitáákomimmokinnaani  omiksi

« ceux-là nous adorent »

Les formes verbales sont identiques dans chacune des paires, à l’exception d’une petite partie (en surbrillance) à la fin des racines des verbes. Ces parties en surbrillance sont les marqueurs directs-inverses. Notez également que les préfixes et suffixes de la langue crie et de la langue des Pieds-Noirs sont, encore une fois, très similaires.

LE SAVIEZ-VOUS?
L’« ancienne langue des Pieds-Noirs » est une variante de la langue souvent parlée par les aînés; elle est légèrement différente de la langue parlée par les personnes plus jeunes (« nouvelle langue des Pieds-Noirs »). L’ancienne langue ressemble davantage à la langue parlée par les Pieds-Noirs au tournant du 20e siècle. La nouvelle langue diffère parfois sur le plan du choix des mots, de la grammaire et des formes lexicales. Toutefois, les langues ne sont pas différentes au point où les locuteurs de l’une ou l’autre ne peuvent se comprendre.

Système d’écriture

Dans les années 1960, un alphabet pour la langue des Pieds-Noirs est élaboré par Donald G. Frantz, un linguiste, avec l’aide de locuteurs natifs de la langue. Cet alphabet est basé sur l’analyse sonore de la langue des Pieds-Noirs, ainsi que sur la mise à l’essai de la facilité d’utilisation pour les locuteurs. Les comités de l’éducation des trois réserves parlant la langue des Pieds-Noirs dans le sud de l’Alberta adoptent officiellement ce système d’écriture en 1975.

Treize lettres de l’alphabet anglais sont alors adoptées, dont trois voyelles et dix consonnes. La plupart des lettres de la langue des Pieds-Noirs ont deux longueurs distinctives, les sons plus longs étant écrits en double. L’une des consonnes de la langue est représentée par une apostrophe plutôt que par une lettre; il s’agit d’un coup de glotte, un peu comme l’interruption qui survient entre les deux « oh » de l’expression « oh-oh ».

Langue parlée

En tant que bandes distinctes, autant avant que pendant l’ère des réserves, les quatre nations Pieds-Noirs créent des dialectes légèrement différents de la langue. Ces différences, bien qu’elles soient peu nombreuses et qu’elles compliquent rarement la communication, sont assez bien connues, ce qui permet aux locuteurs d’une réserve donnée d’identifier le dialecte parlé par les membres d’une autre réserve. (Voir aussi Langues autochtones au Canada.)


Caractéristiques notables

Langue polysynthétique

Du point de vue des non-locuteurs, la caractéristique la plus notable de la langue des Pieds-Noirs est peut-être le fait que différentes significations et catégories exprimées en tant que mots distincts en anglais ou en français sont en langue des Pieds-Noirs des composants du verbe, y compris la négation, les adverbes, les verbes auxiliaires et les prépositions. Les linguistes, pour parler de ce phénomène, utilisent le terme « polysynthétique », qui signifie que les mots de la langue sont constitués de différents « morphèmes », ou mots porteurs de sens.

Voici un long verbe suivi de l’analyse de ses parties :

Nimátomaakohkottsikkamitapokska’sspa.  

 « Je ne pourrai pas encore courir rapidement jusque-là »

n-imat-oma-ak-ohkott-ikkam-itap-okska’si-hpa. 

   1-nég.-encore-futur-pouvoir-rapidement-courir-non affirmatif              

Catégories de genres

La langue des Pieds-Noirs, à l’instar de certaines autres langues algonquiennes, classifie tous les noms dans l’une de deux catégories de genres, le genre animé et le genre inanimé. Ces catégories ne s’appuient que partiellement sur la sémantique. Par exemple, tous les noms faisant référence aux animaux ou aux esprits appartiennent à la catégorie des noms animés, même s’il ne s’agit pas dans tous les cas d’êtres vivants. Le processus d’apprentissage de la langue des Pieds-Noirs passe donc par la mémorisation des catégories de noms qui font référence aux entités non vivantes.

Le saviez-vous?
La Urban Society for Aboriginal Youth (USAY) a fait un partenariat avec une compagnie de réalité virtuelle et augmentée nommée Mammoth afin de créer Thunder VR, un outil d’apprentissage immersif de conservation de la langue et de la culture des Pieds-Noirs. Le jeu de réalité virtuelle, basé sur le roman graphique pieds-noirs Thunder, raconte l’histoire  ancienne  des Pieds-Noirs d’un homme qui perd sa femme et qui doit fait un voyage épique afin de confronter l’esprit de Thunder (Ksistsikoom) pour la ravoir. Thunder a été développé par des jeunes de USAY et Randy Bottle (Saakokoto), un aîné kainai. Le jeu technologique de pointe, pour lequel Saakokoto assure la narration, est conçu afin d’enseigner le langage en voie d’extinction des Pieds-Noirs à une nouvelle génération d’apprenants, et est présenté comme un mélange de tradition et de technologie. USAY et Mammoth, deux organismes basés à Calgary, ont reçu du financement du gouvernement du Canada et planifient introduire Thunder VR, ainsi que les casques 27 Oculus Go, dans les écoles de Calgary à l’automne 2019. Thunder VR est offert gratuitement sur Oculus Go.

État actuel de la langue

La langue des Pieds-Noirs est une langue menacée. Depuis la fin des années 1960, on observe une baisse graduelle du nombre d’apprenants de cette langue. Si l’on en croit le recensement de 2016, il y aurait 5 565 locuteurs d’une langue des Pieds-Noirs au pays. Les membres de la communauté, eux, sont sceptiques quant à ce nombre élevé. En effet, ce nombre n’opère pas de distinction entre ceux qui parlent couramment la langue, ceux capables d’entretenir une conversation et les apprenants. Ainsi, le nombre de personnes pouvant parler couramment la langue est probablement plus faible, certaines sources de la communauté estimant qu’il y aurait tout au plus 1 500 locuteurs natifs de la langue des Pieds-Noirs, dont la plupart sont selon toute vraisemblance âgés de plus de 50 ans.

On déploie beaucoup d’efforts pour promouvoir l’utilisation de la langue des Pieds-Noirs. Un certain nombre d’écoles dans le sud de l’Alberta disposent de groupes aux niveaux élémentaire et intermédiaire qui se rencontrent une ou deux fois par semaine. Mizuki Miyashita, linguiste à l’Université du Montana, mène différents projets visant à accroître l’utilisation de la langue dans la réserve des Pieds-Noirs. On offre également des cours de langue dans les bibliothèques, les musées et les centres d’amitié au sein de la communauté.



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