Les villages perdus | l'Encyclopédie Canadienne

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Les villages perdus

​Les villages perdus (en anglais, Lost Villages) sont neuf communautés canadiennes qui ont été détruites lors de la construction de la voie maritime du Saint-Laurent et d'une centrale dans les années 1950.

Les villages perdus (en anglais, Lost Villages) sont neuf communautés canadiennes qui ont été détruites lors de la construction de la voie maritime du Saint-Laurent et d'une centrale dans les années 1950. Situés à l'origine sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, entre la ville de Cornwall en Ontario et le village de Morrisburg en Ontario, les villages de Milles Roches, Moulinette, Dickinson's Landing, Wales, Farran's Point et Aultsville et les hameaux de Woodlands, Santa Cruz et Maple Grove représentent les villages perdus. Les sites de ces communautés sont aujourd'hui ensevelis sous le lac Saint-Laurent.

Fondation

Les villages perdus sont d'abord établis par des loyalistes de l’Empire Uni en 1784, après la guerre de l'Indépendance américaine, et les descendants de ces derniers constituent la majorité de leur population à l'époque de la construction de la voie maritime du Saint-Laurent. Plusieurs de ces loyalistes sont des anciens soldats du King's Royal Regiment of New York, un groupe appelé les « Royal Yorkers ». Le capitaine Jeremiah French est l'un des premiers à recevoir un lot de terre de la part du roi George III — le lot 22 et une partie du lot 23 — sur le territoire de ce qui deviendra par la suite le hameau de Maple Grove. Pendant l'expropriation, la maison French-Robertson est l'un des seuls bâtiments à être transporté au Musée du Upper Canada Village, où elle se trouve toujours. Les cantons environnants de Osnabruck et de Williamsburg sont quant à eux fondés par des luthériens allemands, tandis que le canton de Matilda est établi par un mélange de colons pour la plupart anglais et allemands.

Cause de la perte de communautés

La composante énergie hydroélectrique du projet de la voie maritime du Saint-Laurent exige la construction du barrage hydro-électrique Robert H. Saunders/Robert M. Moses sur le fleuve Saint-Laurent, entre Cornwall en Ontario et Massena dans l'État de New York. Le barrage donne lieu au lac Saint-Laurent, un lac artificiel de 15 400 hectares. L'inondation nécessaire à la création du lac, du côté canadien, cause la délocalisation de vieilles routes et de chemins de fer, la perte de quelque 8 093,7 hectares de terres agricoles et de vergers ainsi que l'expropriation de 6 500 habitants. Malgré que l'État de New York ait perdu du front dans les villes de Massena et Waddington et des terres agraires le long de la nouvelle rive, les impacts majeurs sont confinés à la rive canadienne dans les environs des villages perdus, maintenant appelés « l’ancien rivage ».

Projet de réhabilitation

La création d'une nouvelle rive au Canada représente une partie importante du projet de voie maritime et constitue une source d'intérêt international, autant que l'ingénierie de la voie elle-même. Le projet de réhabilitation au Canada est mené par Ontario Hydro (aujourd'hui divisée en plusieurs entreprises, dont Ontario Power Generation et Hydro One). Le village d'Iroquois est relocalisé 1,6 km au nord de son site d'origine afin de faire place à la construction du barrage de régulation Iroquois. Le village de Morrisburg perd sa rue principale et son quartier commerçant. Les villages d'Iroquois et de Morrisburg sont certes affectés par le projet, mais ils existent encore aujourd'hui et ne sont donc pas considérés comme faisant partie des villages perdus.

Deux nouvelles communautés sont fondées au-dessus de la zone inondée afin d'accueillir les résidents des villages perdus. New Town Number 1 (aujourd'hui le village d'Ingleside) accueille les habitants d'Aultsville, de Farran's Point, de Wales, de Dickinson's Landing, de Woodlands et de Santa Cruz, tandis que les résidents de Mille Roches, de Maple Grove et de Moulinette s'installent à New Town Number 2 (aujourd'hui le village de Long Sault).

La zone inondée cause également le déplacement de chemins de fer et d’autoroutes. Soixante-quatre kilomètres du chemin de fer historique Grand Trunk Railway of Canada (aujourd'hui les Chemins de fer nationaux du Canada) sont détruits et reconstruits plus au nord. L'autoroute 2, route principale qui connecte à l'époque Toronto et Montréal et qui longe le fleuve en passant par les villages perdus, voit elle aussi 56 de ses kilomètres reconstruits au nord. Contrairement au chemin de fer qui est détruit, l'ancienne autoroute 2 est tout simplement submergée et demeure visible encore aujourd'hui sous l'eau. Au total, 6 500 habitants et plus de 500 bâtiments sont déménagés pendant la réhabilitation au Canada.

Les 18 petits cimetières qui parsèment l’ancien rivage posent eux aussi un problème épineux. Seul l'un d'entre eux est déplacé dans son intégralité, celui de Maple Grove, qui se trouve aujourd'hui près de la County Road 2 (auparavant l’autoroute 2), à l'extrémité ouest de Cornwall. Ce cimetière doit être déplacé, puisqu'il se trouve en plein sur le terrain où l'on construit le barrage hydroélectrique Moses-Saunders. En ce qui concerne les autres cimetières, les tombes sont déplacées seulement sur demande ou si elles sont récentes. Près de 2 560 monuments sont déplacés. Les tombes qu'on laisse derrière sont couvertes de calcaire ou de grosses dalles en pierre pour prévenir l'érosion.

Déplacement des maisons

La science de déplacer les maisons, un projet d'ingénierie d'envergure, captive le public : des maisons et des communautés deviennent mobiles le long de l’ancien rivagependant trois des quatre années de construction de la voie maritime du Saint-Laurent. Au début des travaux en 1954, Ontario Hydro offre aux résidents la possibilité de choisir une nouvelle maison ou d’obtenir la valeur marchande de leur maison plus 10 %. On pense reconstruire les maisons dans les nouvelles communautés afin de remplacer celles de la zone inondée, qui sont toutes vouées à la démolition. Toutefois, les résidents sont mécontents de la piètre qualité des maisons proposées par Ontario Hydro. Ils s’opposent également à l’offre financière, puisque les terres dans la zone prévue pour l'inondation ont perdu de leur valeur pendant des années, à cause du projet de voie maritime. La valeur marchande ne suffit donc pas à remplacer les maisons. Effectivement, construire une nouvelle maison signifie une hypothèque et un stress financier considérable pour ceux qui vivent dans des maisons familiales centenaires libres d’hypothèque. À la fin de 1954, Ontario Hydro explore plutôt la possibilité de déplacer les maisons et d'installer les villageois dans les nouvelles communautés, où ils recevraient des lots où déménager leur maison. Cette option s'avère être la plus avantageuse pour les résidents. Le contrat de ce chantier colossal est attribué à l'entreprise Hartshorne House Moving Company, de Moorestown au New Jersey.

William (James) et Clarence Hartshorne finissent tout juste de déplacer des maisons pour la route New Jersey Turnpike lorsqu'est entrepris le projet de voie maritime. Ils emmènent avec eux leur équipe ainsi que deux immenses machines qui sont transportées par train et assemblées sur place à Iroquois. Le déplacement des maisons implique la séparation de la structure de sa fondation, la coupure de toutes lignes de courant et de téléphone, et le transport de la maison jusqu'à une nouvelle fondation expressément construite pour l'accueillir dans les nouvelles villes.

Ontario Hydro doit aussi participer aux travaux, puisque les villages perdus n'avaient pas l'eau courante et que la plupart des maisons étaient chauffées au bois. Les maisons déplacées exigent l'installation de plomberie; certaines requièrent l'installation de systèmes de ventilation pour de nouvelles fournaises. Un déménagement dure en moyenne une journée, et une seule journée de préavis est donnée aux résidents. Cependant, ce type de déménagement n'exige pas que la maison soit vidée. En fait, on demande seulement aux habitants de déposer les lampes de table sur le plancher. Le transfert des maisons à Iroquois débute au printemps 1955 et se termine en janvier 1958, ayant lieu même pendant les jours les plus froids de l'hiver.

Inondation de l’ancien rivage

Ontario Hydro choisit la fête du Dominion, le 1er juillet 1958 (aujourd'hui la fête du Canada), pour l'inauguration du lac principal. Le dernier batardeau doit être démoli à 8 h, et on promet au public un grand spectacle, celui d'un mur d'eau qui inonde la terre à toute vitesse. On estime que 70 000 personnes viennent assister au spectacle ce matin-là. L'autoroute 2 est fermée temporairement et les maisons environnantes sont évacuées par précaution.

Le coup détonne à 8 h 1 : vingt-sept tonnes métriques d'explosifs percent le batardeau A-1, engendrant l'inondation d'environ 160 km2 de terres agricoles derrière la centrale. Aucun mur d'eau n'apparaît pour les spectateurs. En fait, rien du tout n'apparaît pendant au moins une heure. Le coup n'est qu'un bruit étouffé et l'inondation se fait sur quatre jours. Les résidents des anciens villages la documentent de multiples façons : certains suivent l'évolution de l'eau en voiture, d'autres se déplacent chaque jour et marquent le progrès de l'eau, certains demeurent sur le site de leur ancienne maison jusqu'à ce que l'eau les oblige à le quitter, tandis que d'autres s'enferment chez eux pour éviter l'événement à tout prix.

Patrimoine

Les nouveaux villages et leur développement subissent les répercussions de la voie maritime. Seulement quelques semaines après la complétion des travaux, la majorité de la main-d'oeuvre temporaire quitte la région et amène avec elle la prospérité artificielle qu'elle avait créée pour l'économie locale. Sur le bord de l'eau, où des communautés et des installations touristiques se trouvent alors, se trouvent dorénavant la voie maritime ainsi que des terres de la Ontario Hydro. La fin du vieux canal est également la fin de l'économie de rivière de l’ancien rivage, puisque la nouvelle voie maritime constitue un corridor pour les paquebots entre le Port de Montréal et les ports du lac Ontario.

Puis, avec la construction de l'autoroute 401 en Ontario (autoroute Macdonald-Cartier) entre Kingston et Lancaster de 1964 à 1968, la nouvelle autoroute 2 (qui avait remplacé l'ancienne, maintenant submergée) n'est plus la route principale est-ouest de la région. En découle une baisse du tourisme et des affaires, malgré la création, après la voie maritime, de plusieurs parcs publics et du Upper Canada Village sous la tutelle de la St Lawrence Parks Commission. La région ne connaît donc jamais la prospérité démographique et économique que les représentants de la voie maritime lui avaient promise. Le village d'Iroquois compte 1 036 habitants en 1950, et 1 139 en 2011.

L'expérience des villageois pendant la construction met en relief l'absurdité des lois qui gouvernent l'expropriation en Ontario, en particulier lorsqu'on constate l'ampleur du pouvoir de la Ontario Hydro sur les citoyens. Un comité provincial est mis sur pied afin de revoir le processus d'expropriation en Ontario. Celui-ci recommande que la prise de possession d'une terre sans avis formel ou sans le consentement du propriétaire ne doive être permise qu'avec l'approbation du Ontario Energy Board et après une audience publique. Dans les années 1960, on modifie les lois régissant l'expropriation et on fusionne toutes les procédures dans une seule et même loi qui garantit aux propriétaires qu'ils seront informés de la compensation à laquelle ils ont droit, et qu'ils recevront de l'aide financière pour le déménagement et les coûts afférents. À la fin des années 1960, la Loi sur l'expropriationau fédéral, qui n'a pas été modifiée depuis son adoption en 1886, est elle aussi modifiée.

Dans les nouveaux villages, les liens d'appartenance avec les villages perdus persistent. Des célébrations soulignent les 30e, 40e et 50e anniversaires de l'inondation. En 1977, la Société historique des villages perdus est fondée; aujourd'hui, elle présente le Musée des villages perdus à l'est de Long Sault.