Les « autres » Métis | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Les « autres » Métis

Afin de promouvoir une meilleure compréhension de la question complexe de l’identité métisse et de son évolution au fil du temps, L’Encyclopédie canadienne a commandé deux articles d'opinion qui explorent différentes perspectives liées à ce sujet. Cet article se penche sur l’identité métisse selon le point de vue des Métis n’ayant pas de liens ancestraux avec la colonie de la rivière Rouge.

Pour une autre perspective sur l'identité métisse, voir Les Métis sont un peuple, pas un processus historique.

Voyageurs \u00e0 l
Les Métis étaient interpr\u00e8tes, gestionnaires, diplomates, commer\u00e7ants, guides et chasseurs. Ils jou\u00e8rent un r\u00f4le essentiel dans la traite des fourrures en fournissant vivres et main-d'\u0153uvre aux compagnies. Leur présence contribua aussi \u00e0 renforcer les liens entre les marchands de fourrures et les groupes autochtones qu 'ils rencontraient.

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnait trois peuples autochtones au Canada : les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Toutefois, en l’absence d’une définition claire du terme « métis », certains descendants des Métis de la rivière Rouge, au Manitoba, confondant les concepts de peuple et de nation, présument que cette reconnaissance s’applique à eux seuls (voir Les Métis sont un peuple, pas un processus historique). Pourtant, le terme « métis » est utilisé dès l’époque de la Nouvelle-France pour désigner tous les descendants des mariages mixtes entre hommes eurocanadiens et femmes des Premières Nations. Graduellement, la Fédération métisse du Manitoba transforme ce terme générique en un ethnonyme dont elle revendique le droit d’utilisation exclusive. Partageant cette position politique, le Ralliement national des Métis (l’organisation qui représente la Nation métisse, définie comme les communautés métisses du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de certaines régions de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, des Territoires du Nord-Ouest et du nord des États-Unis) refuse toujours de reconnaître l’existence d’autres Métis, malgré les recommandations du rapport de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones et les arrêts Powley et Daniels de la Cour suprême du Canada.

La reconnaissance des « autres » Métis

\u00c9tablissements des Métis
Localisation de quelques établissements des Métis dans l'Ouest américain au 19e si\u00e8cle.

En 1996, le rapport de la Commission soulignait l’importance de respecter le nom que choisit un peuple pour se désigner ainsi que la légitimité d’employer le terme « métis » pour nommer les communautés du Labrador, du Québec, de l’Ontario, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest. Abondant dans le même sens, l’arrêt Powley de 2003 accorde des droits autochtones aux demandeurs d’une communauté métisse ontaroise qui vivent à Sault-Sainte-Marie et dans ses environs, à l’extérieur du foyer national des Métis. Il établit trois critères pour la reconnaissance d’autres Métis au Canada : s’identifier comme Métis, avoir des liens avec une communauté historique et faire partie d’une communauté contemporaine. Enfin, l’arrêt Daniels de 2016 corrige 150 ans d’injustice en reconnaissant que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » au sens de la Loi constitutionnelle de 1867. Le paragraphe 17 de ce jugement de la Cour suprême précise qu’il n’est pas nécessaire de définir le mot « Métis », car il s’agit d’une étiquette ethnoculturelle sans limites définies qui peut aussi bien désigner les Métis de la rivière Rouge qu’être utilisée comme « terme générique pour désigner quiconque possède des origines mixtes européennes et autochtones ».

Mais qui sont ces communautés métisses et où vivent-elles? Lors du recensement de 2011, 451,800 personnes s’identifiaient comme Métis, dont 228,150 dans les provinces des Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta). Donc, 223,650 personnes s’identifiant comme Métis sont dispersées dans les autres provinces et territoires. Bien que toutes ces personnes ne soient pas métisses au sens de l’arrêt Powley, il est possible de recenser une cinquantaine de communautés à l’extérieur des provinces des Prairies en consultant les rapports d’enquêtes du ministère de la Justice, les recensements fédéraux, les causes juridiques provinciales et fédérales, les sites Internet et la transcription des audiences de 2012 du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones qui portent sur la reconnaissance juridique et politique de l’identité des Métis au Canada ainsi que sur les droits des Métis au Canada.

Même si ce comité a entendu des témoignages de Métis de l’Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, son rapport, rendu public en 2013, n’en tient pas compte. Il ne reconnait que les Métis du foyer national, à l’exception toutefois de ceux de Kelowna (Colombie-Britannique) et des Territoires du Nord-Ouest, visés respectivement par le Traité numéro 8 de 1899 et le Traité numéro 11 de 1921. Reflétant la position du Ralliement national des Métis, le Comité sénatorial n’a pas jugé bon de se déplacer jusqu’au Labrador et il n’a pas tenu compte de l’existence des Métis de Sault-Sainte-Marie.

L’histoire des « autres » Métis

Les commer\u00e7ants de fourrure \u00e0 Montréal

Au-delà de cet agenda politique qui veut faire de la Nation métisse le seul peuple métis au Canada, l’origine des Métis remonte au XVIIe siècle en Acadie et dans la vallée du Saint-Laurent. Descendants d’intermariages entre Canadiens français d’un côté et Mi’kmaqs, Abénaquis, Malécites, Algonquins, Cris et Innus de l’autre, ces Métis de l’Est seront nommés Acadiens, Gaspésiens, Canadiens, Canayens, Magouas, Sauvages, Labradorians, Livyers et Settlers. Plus tard, des descendants d’alliances entre, d’une part, des Métis de l’Est, des Canadiens français et des Écossais orcadiens et, d’autre part, des Mohawks, des Saulteux, des Cris des Plaines, des Ojibwés et des Chippewas, participent activement à la traite des fourrures. Ces Métis s’établissent autour des forts et postes de traite et forment des communautés autour des Grands Lacs, le long du Mississippi, dans les Prairies, dans la vallée du Mackenzie puis dans l’actuel État de l’Oregon. Ils sont appelés Bois-brûlés (Wissakodewinmi en cri, Burnt-wood en anglais), Chicots, Gens libres (Otipemisiwak en cri), Métis, Michifs, Sang-mêlés (Half-bloods en anglais), Voyageurs, Bungee, Country Born, Cree Halfbreed, French Halfbreed, French Indians, Freemen, Half-Caste, Halfbreed, Mixed-bloods, Pedlars, Pork Eaters, Rupertslander et Scots. La plupart de ces termes ont été créés par la société dominante coloniale pour désigner les personnes et les communautés issues d’intermariages alors perçus comme une mésalliance qui contrevient à des règles fondées sur une soi-disant pureté du sang. Le résultat? Autant de « prénoms » pour un nom de famille qui s’est imposé avec le temps : Métis.

Habituellement autosuffisants et indépendants, vivant d’agriculture, de chasse, de pêche et de commerce, les Métis se gouvernent eux-mêmes et forment des communautés distinctes de celles de leurs ancêtres européens et autochtones dans plusieurs régions de l’Amérique du Nord, de même qu’une nation aux abords de la rivière Rouge, au Manitoba.

La question des droits autochtones

Comme les Métis ne bénéficient pas des droits autochtones accordés par la Loi sur les Indiens aux Premières Nations et aux Inuits, la voie juridique est la seule qui leur permet de revendiquer ces droits. Se préparant à une série de poursuites judiciaires dans la foulée de l’arrêt Powley, le ministère de la Justice du Canada commande en 2004 une série d’enquêtes visant à déterminer l’existence de communautés métisses historiques dans 20 régions à partir des cinq premiers critères du test Powley.Ces critères sont les suivants : (1) avoir une ascendance mixte; (2) des pratiques, culture, un mode de vie et des traditions reconnaissables et distincts des Européens et des Autochtones; (3) une identité reconnaissable et distincte des Européens et des Autochtones; (4) vivre sur un territoire déterminé; (5) et une implantation avant la mainmise de la Couronne sur le territoire.

Sur 34 causes juridiques impliquant les « autres » Métis, la plupart ont été perdues faute de preuve de l’existence de communautés historiques. Parmi ces causes, vingt-quatre touchaient les droits de récolte, huit avaient trait aux droits autochtones, une portait sur les droits de la personne et une était liée aux droits territoriaux; un peu moins de la moitié ont précédé l’arrêt Powley de 2003.

Causes provinciales

À Terre-Neuve, où une cause touchait les droits de récolte et trois les droits autochtones, la province a préféré reconnaître que les demandeurs étaient tous des autochtones au sens de l’article 35 et que leurs droits de pêche étaient les mêmes qu’ils soient Inuit ou Métis.

Au Nouveau-Brunswick, six causes relatives aux droits de récolte ont été perdues, soit parce que l’ascendance autochtone était trop ancienne, soit parce que les intimés, ayant revendiqué successivement le statut d’Indiens non inscrits puis celui de Métis, n’ont pu démontrer l’existence d’une communauté historique liée à la leur.

Au Québec, sur cinq causes touchant les droits de récolte, quatre ont été perdues en raison de l’absence de communauté métisse historique et la cinquième était encore devant les tribunaux en 2016; une cause relative aux droits autochtones a également été perdue.

En Ontario, sur sept causes liées aux droits de récolte, seule la cause Powley a été gagnée. Les six autres ont été perdues faute de pouvoir démontrer l’existence de communautés métisses historiques. Deux causes touchant les droits autochtones ont par ailleurs été perdues, et une cause liée aux droits de la personne, la cause Vanfleet, qui représente les 4 500 Métis et Indiens sans statut légal ayant fréquenté les pensionnats autochtones, était toujours en instance en 2016.

En Colombie-Britannique, quatre causes touchant les droits de récolte ont été perdues. Dans la première, on n’a pu démontrer l’existence d’un degré suffisant de continuité et de stabilité entre la communauté historique et la communauté contemporaine; dans la seconde, on n’a pu prouver l’existence d’une communauté historique; dans la troisième, c’est l’expertise qui a fait défaut, et dans la dernière, l’intimé n’était pas Métis! Également en Colombie-Britannique, deux causes de revendication de droits autochtones par la communauté de Kelly Lake ne sont pas encore réglées : l’une est encore en négociation et l’autre est en instance devant les tribunaux.

Enfin, dans les Territoires du Nord-Ouest, une cause touchant les droits de récolte a été gagnée en raison des conséquences démesurées qu’un tel procès aurait sur les lois régissant la chasse dans les parcs nationaux, et une cause très complexe sur les droits territoriaux (Clem Paul) a été perdue.

Perspectives d’avenir

L’obtention de droits autochtones pour les « autres Métis » demeure difficile et l’arrêt Daniels de 2016, qui confirme la compétence législative de la Couronne à l’égard des Métis et des Indiens non inscrits sans toutefois comporter d’obligation de fiduciaire de la Couronne envers eux, ne change rien à leur statut actuel. Le choix de s’identifier comme « Métis » revient encore aux communautés elles-mêmes, mais ce sont toujours les critères de l’arrêt Powley qui définissent quelles communautés sont titulaires de droits. Dans ce contexte, certaines pourront revendiquer des droits autochtones pour leurs membres en tant que Métis ou en tant qu’Indiens non inscrits. L’avenir nous dira quel sera le meilleur choix stratégique d’identification pour ces communautés qui demeurent libres de se donner le nom qu’elles désirent.

Denis Gagnon est professeur d’anthropologie à l’Université de Saint-Boniface depuis 2002 et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse depuis 2004. Il est le cochercheur principal du Volet sauvegarde et mise en valeur du patrimoine culturel et linguistique des Métis francophones de l ’Alliance de recherche universités-communautés sur les identités francophones de l’Ouest canadien (ARUC-IFO). Il est professeur associé à l’Université Laval et membre régulier du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones de l’Université Laval (CIÉRA).

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