Trouver sa place, épisode 2 : La guerre des épingles | l'Encyclopédie Canadienne

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Trouver sa place, épisode 2 : La guerre des épingles

Écoutez Trouver sa place, un balado en cinq parties de Historica Canada.

Par une froide journée de janvier 1916, une douzaine de parents francophones ont combattu la police qui tentait de faire entrave à l’enseignement de la langue française à l’école Guigues en Ottawa. Lors de cette La guerre des épingles tristement célèbre, les mères ont brandi des rouleaux à pâte, des poêles en fonte et des épingles à chapeaux, et elles ont fait obstacle à la police afin que celle-ci ne puisse s'engager sur le terrain de l’école.

Dans cet épisode, Soukaina Boutiyeb, la directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne, nous aide à explorer la longue lutte pour les droits des francophones en Ontario, ainsi que la bataille historique qui l’a marquée.

Narratrice: Retournons au 4 janvier 1916. Nous sommes au beau milieu de la Première Guerre mondiale et les Canadiens sont au combat à l’étranger depuis environ un an. Plus près de chez nous, une autre bataille se prépare…

C’est un froid mardi à Ottawa, et la ville est toujours recouverte de la neige qui est tombée quelques jours auparavant. Imaginez le son de la neige craquante sous les pieds de 120 parents qui marchent vers l’école de leurs enfants, un bâtiment en briques et en pierres de trois étages sur la rue Murray, à quelques minutes à l’est des rives gelées de la rivière Ottawa. L’air est froid et leur souffle est visible. Quelques femmes du groupe ont en main des épingles à chapeaux : de longues et pointues épingles qu’elles utilisent habituellement pour faire tenir leur chapeau sur leur tête. D’autres ont des armes de fortune : des rouleaux à pâte, des ciseaux, des poêles en fonte… et elles sont prêtes à s’en servir. 

Dans quelques minutes, elles arriveront à l’école Guigues, et dans quelques jours, la bataille historique des épingles à chapeaux commencera. 

Voici Trouver sa place : une histoire du multiculturalisme au Canada.

Soukaina Boutiyeb: à mon avis, quelque chose qui s'est fait naturellement. Cette résistance des femmes et des mamans franco-ontariennes s'est faite naturellement. Elle s'est faite en réponse à une injustice.

N: Je vous présente Soukaina Boutiyeb, la directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne, un organisme national voué à la défense des droits des femmes francophones et acadiennes à travers le pays.   

Cette injustice était la négation du droit de la communauté à une éducation en français, et la bataille des épingles à chapeaux a marqué un tournant dans la lutte plus vaste des droits des Franco-Ontariens. De nombreuses femmes y ont participé, mais les deux femmes se trouvant au cœur du débat étaient les sœurs Desloges.

SB: Et les sœurs Desloges, On parle de Diane et Béatrice Desloges, qui sont des héroïnes pour la communauté franco-ontarienne et qui sont aussi connues aussi sous le nom de « gardiennes de l'école Guigues ».

N: Elles sont nées à Ottawa dans les années 1890, d’une famille francophone avec un passé de résistance. Leur grand-père, Michel Desloges, était un Patriote qui a combattu contre les Britanniques lors des Rébellions de 1837 et 1838. Les sœurs menaient une vie typique pour l’époque. Elles fréquentaient une école francophone, l’École modèle d’Ottawa, où elles ont obtenu leur diplôme d’enseignante. Après la fin de leurs études, elles sont parties chacune de leur côté, pour travailler dans diverses écoles à travers l’Ontario. 

Béatrice et Diane ont finalement été réunies en septembre 1915, lorsqu’elles ont toutes deux étés embauchées comme enseignantes à l’école Guigues dans le quartier de la Basse-Ville d’Ottawa. Construite en 1904, l’école Guigues était devenue, à cette époque, la plus importante école francophone de la province. Mais lorsque les sœurs Desloges ont commencé à y travailler, il leur était pratiquement interdit d’enseigner en français aux élèves.

SB: Donc, Le règlement 17, c'est un règlement qui fait partie de l'histoire de la francophonie ontarienne, qui fait partie, je dirais, de l'histoire triste de la francophonie ontarienne.

N: Il a été mis en œuvre en 1912 par le gouvernement de l’Ontario.

SB: C'est un règlement, en fait, qui avait tout simplement pour objectif de restreindre l'enseignement du français dans les écoles en Ontario.

N: Tout a commencé lorsqu’une commission présidée par Francis Walter Merchant, l’inspecteur général des écoles ontariennes, a publié un rapport concluant que la qualité de l’enseignement en anglais était inadéquate dans les écoles bilingues. Le rapport émettait quelques recommandations : améliorer la formation des enseignantes, et instaurer plus d’enseignement en anglais d’une manière flexible.

SB: Il faut quand même dire aussi que durant ce temps-là, on commençait à remarquer que la présence francophone au-delà du Québec, donc la présence francophone en Ontario, commençait à augmenter au niveau de son poids démographique. On voyait déjà que ça commençait à représenter 10 pour cent de la population dans ce temps-là, en 1912, 10 pour cent de la population, ça commence à prendre plus de place. La communauté franco-ontarienne est une communauté aussi qui, comme ça l'a toujours été, c'est une communauté qui est soudée et qui est fière de sa langue, fière de ce qu'elle est et qui apporte à sa communauté.

N: Selon certains historiens, vers la fin du 19e siècle en Ontario, les mots « French » et « Catholic » étaient devenus synonymes de termes péjoratifs comme « ignorant » ou « arriéré ». La communauté francophone, ou « la francophonie », bénéficiait, tout comme la communauté anglophone, de son statut de colonisateurs au Canada, mais la communauté fait face à quelques barrières spécifiques et distinctes. Cependant, ces barrières étaient différentes de celles qu’éprouvaient les autres communautés. Comme nous le verrons dans les prochains épisodes, la loi canadienne a été discriminatoire à l’égard des Canadiens non blancs pendant des décennies, et elle les a souvent empêchés d’entrer au pays ou de contribuer pleinement à la société canadienne.

Face à la menace perçue par la majorité anglophone, le gouvernement a décidé d’agir. Au moment de la Confédération en 1867, le bilinguisme français-anglais était officiellement reconnu comme étant un principe fondateur du pays. L’idée était que ces deux communautés ne devaient pas simplement coexister, mais qu’elles devaient plutôt se compléter. Cependant, comme bien des choses énoncées dans la Constitution, ce n’est pas parce que c’est inscrit dans la loi que ça se passe ainsi.

SB: La relation entre les francophones et les anglophones a toujours été une relation… qui a eu beaucoup de difficultés, il faut quand même le dire, au début. Donc il y a eu beaucoup de combats qui se sont passés. Il y a eu des problématiques au niveau de la reconnaissance de chacun dans le territoire et du respect de chacun. Donc, ça n'a pas toujours été une relation, je dirais, très amicale.

N: La présence francophone en Ontario remonte à des siècles, et en fait, elle est même présente avant les Anglais. Mais bien que les Français ont été les premiers à entrer en contact avec les Hurons-Wendats sur les lieux qui allaient un jour devenir l’Ontario, ce n’est que vers la fin du 19e siècle et au début du 20e qu’un afflux de francophones a commencé à s’y installer, principalement à l’est et au nord-est de la province, près de ce qui est maintenant connu comme Québec. 

Des fermiers du Québec à la recherche de terres fertiles et des miniers à la recherche du nickel de Sudbury et de l’or de Timmins sont arrivés en Ontario. En fait, encore plus de gens étaient attirés par l’industrie forestière de la province. La fréquentation scolaire d’enfants francophones a augmenté à travers la province, malgré le fait que leurs taux d’alphabétisation soient demeurés inférieurs à la norme canadienne tout au long du 20e siècle, principalement en raison de facteurs géographiques et socioéconomiques.

Prenons un moment pour décrire ce que nous entendons par « francophone ». À l’époque de cet exode venant du Québec, le terme « francophone » désignait une personne dont la langue maternelle est le français. Mais le mot désignait également une personne qui avait une culture, ainsi qu’une communauté et un héritage français. Notre compréhension du terme a évolué alors que de plus en plus d’immigrants sont venus vivre au Canada. Maintenant, le terme inclut les allophones, ceux dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, mais qui vivent, travaillent et vont à l’école en français.

Alors qu’au début du 20e siècle, les francophones étaient toujours une minorité linguistique, comme Soukaina l’a mentionné plus tôt, leur nombre a augmenté jusqu’à représenter 10 pour cent de la population de l’Ontario, un petit nombre, mais un nombre toutefois non négligeable.

Ce qui nous ramène au règlement 17.

SB: Comment venir réduire l'éducation en français? Donc, outre vraiment de demander à toutes les écoles d'interdire l'enseignement du français?

N: En 1912, le premier ministre de l’Ontario, James Pliny Whitney, a publié le règlement 17, qui interdisait aux enseignantes d’enseigner et de communiquer en français après les deux premières années d’école primaire. Un an plus tard, le règlement a été amendé afin de limiter davantage l’enseignement et l’utilisation du français. À l’époque où les sœurs Desloges ont commencé à enseigner à Guigues en 1915, on ne pouvait étudier le français qu’une heure par jour. Durant leur premier mois à Guigues, Béatrice et Diane ont continué à enseigner en français à leurs élèves. Après tout, c’était l’éducation que les parents désiraient pour leurs enfants.

SB: On voit justement que leur amour vers la francophonie ontarienne et vers l'éducation du français, c'était au cœur de leur... de leur raison d'être et de leur emploi en ce temps-là.

N: Mais les autorités n’avaient que très peu de tolérance à ce sujet, et elles ont fait plusieurs tentatives pour intimider les sœurs. 

SB: Parce qu'on est allé même jusqu'à ne plus payer les sœurs Desloges, on a voulu leur enlever également leur diplôme, de ne plus reconnaître leur diplôme, donc vraiment tout ce qui pouvait être fait pour arrêter l'éducation, ça a été fait.

N: Cette expérience n’était pas unique à Béatrice et Diane. Malgré le règlement 17, plusieurs écoles francophones de l’Ontario ont continué à enseigner dans leur langue. Elles sont devenues reconnues comme « les écoles de la résistance ».

SB: Il faut dire aussi que ce n'est pas quelque chose qui est spécifique à l'Ontario. Il y avait des règlements similaires dans d'autres provinces partout au pays, on vivait un peu la même chose durant cette période-là, que ça soit en Alberta, en Saskatchewan, en Nouvelle-Écosse. Donc il y a eu des règlements aussi similaires qui avaient vraiment pour objectif de diminuer et de restreindre.   

N: Par exemple, en 1871, le Nouveau-Brunswick a adopté des lois qui interdisaient aux écoles d’enseigner le français, en ciblant plus particulièrement les Acadiens. 

Dans l’ouest, vers la fin du 19e siècle, les populations francophones du Manitoba formaient une légère majorité. Avec le temps, cependant, la présence anglophone s’est accrue et le gouvernement provincial a voulu maintenir cette nouvelle prédominance de la population anglaise. D’abord, il a aboli le français en tant que langue officielle de la province en 1890, et dans un même temps, les écoles catholiques. Si les catholiques, pour la plupart des francophones, désiraient continuer à recevoir une éducation selon leur propre religion, ils devaient donc maintenant financer leurs propres écoles. Transportons-nous rapidement en 1916 : l’enseignement de quelque langue qui soit autre que l’anglais, ainsi que l’utilisation de toute autre langue que l’anglais comme langue d’éducation était carrément interdit au Manitoba. De retour en Ontario…

SB: Il y a eu une résistance, une résistance qu'au-delà de: vous voulez restreindre l'éducation en français à nos enfants? On va s'assurer que nos enfants vont quand même étudier en français...

N: Et donc le gouvernement a créé un nouveau règlement : le règlement 18.

SB: Et ce règlement 18, c'est vraiment de... Qui avait aussi pour objectif de menacer, de couper les contributions aux écoles qui résistent et qui continuent à ne pas suivre ce règlement, le règlement initial 17. Donc là, vraiment, on remarque qu'au-delà de restreindre, si vous nous écoutez pas, on va aller dans une étape plus loin, puis on va couper le financement justement. Et à ce niveau-là, vous serez obligé, selon eux, de restreindre, de ne plus avoir d'enseignement en français et que l'assimilation soit là, soit se concrétise pour cette... Pour ces jeunes francophones qui sont à l'école, puis qu'il y ait une assimilation complète par rapport à la communauté anglophone.

N: Il est impossible de parler de discrimination de la langue et d’assimilation durant cette période de l’histoire canadienne sans parler des expériences des peuples autochtones, et surtout des enfants autochtones. Des générations de Métis, d’Inuits et de Premières Nations ont grandi sans connaître leurs langues en raison du système des pensionnats indiens du Canada.

Nous serons de retour après cette courte pause.

Riley Burns:  Je ne voulais pas être un Indien. Je ne savais pas qui je voulais être. Je n’étais pas accepté par l’homme blanc et je n’étais pas accepté par mon propre peuple dans ma réserve... 

Larry Langille:  Je ne sais pas ce que j’aurais été si je n’étais pas passé par ce système. Je sais que j’aurais eu une certaine éducation… Je n’ai eu aucune éducation. Je ne peux ni lire ni écrire. Dans les endroits où j’étais, ils s’en fichaient… »

Piita Irniq: L’année 1958, que je sache ou non quoi que ce soit à ce sujet à l’époque, a marqué le début de la fin de ma propre culture et de ma propre langue... »

Louis Bellrose: Ils nous appelaient les sauvages.

Eve Ringuette: Pendant plus d’un siècle, les enfants autochtones à travers le Canada ont été forcés de fréquenter les pensionnats indiens. Plus de 150 000 enfants métis, inuits et des Premières Nations ont été placés en institution. Des milliers sont morts, soit au pensionnat, soit en conséquence de leurs expériences vécues dans le système.

RB: Près du mur, j’écoutais les petites filles pleurer, je les entendais pleurer leurs mères. Durant le premier mois après leur arrivée, c’est tout ce qu’on entendait, des pleurs.

ER: Je suis Eve Ringuette, animatrice de la série Pensionnats indiens, une nouvelle série de baladodiffusion en trois parties de Historica Canada. Joignez-vous à nous alors que nous explorons l’histoire des pensionnats indiens, ainsi que leurs effets sur les survivants et leur impact durable.

Niigan Sinclair: …il est temps que les Canadiens se tiennent également debout. C’est leur défi à eux aussi. 

ER: Abonnez-vous à la série Pensionnats indiens sur Apple Podcasts, Spotify, ou partout où vous écoutez vos balados.

N: Parce que des enseignantes comme les sœurs Desloges ont résisté ouvertement au règlement 17, le premier ministre William Hearst a nommé un nouveau conseil scolaire, appelé la Petite Commission, afin d’appliquer le règlement. Pendant un certain temps, les enseignantes ont résisté. Lorsque les inspecteurs venaient examiner les classes, les enseignantes étaient averties, et elles cachaient les livres français, ou mettaient en scène des sorties de classe dramatiques.

La Commission est donc allée un peu plus loin : en octobre 1915, elle a banni Béatrice et Diane de l’école, et a engagé des enseignantes anglophones pour les remplacer. Lorsque les remplaçantes anglaises sont arrivées, elles se sont retrouvées devant des classes vides. De nombreux parents avaient retiré leurs enfants de l’école, préférant plutôt que Béatrice et Diane enseignent à leurs enfants en français dans n’importe quel autre endroit possible. 

SB: Il y a eu la création de certaines... de certaines classes, des classes clandestines où on... où les élèves, justement, venaient dans des, que ça soit dans des sous-sols d'église qui se créaient, donc vraiment des classes qui n'étaient pas très salubres. Et surtout quand on pense aussi en hiver avec le froid et il n'y a pas de chauffage, l'eau courante n'y est pas. Donc, ce n'était pas dans un contexte vraiment favorable pour l'éducation pour ces enfants.

Donc ça c’est venu définitivement renforcer encore plus cette crise d'injustice que les francophones vivaient à ce niveau-là, puis vraiment à la quête de retrouver la justice par eux-mêmes et à aller combattre justement et résister à ce règlement-là.

Parce que je pense qu'elles savaient, qu'elles se rendaient compte que c'est à travers l'éducation que nous pourrons assurer la vitalité d'une communauté, et ce, pour les générations à venir.

N: Ce qui nous ramène à ce froid jour de janvier 1916. Exaspérés des conditions dans lesquelles leurs enfants devaient étudier, et pour protester contre le licenciement de Béatrice et Diane, les parents ont décidé de reprendre l’école Guigues. Au total, un groupe de 120 parents, 70 mères et 50 pères, sont descendus sur la rue Murray, en chemin pour aller reprendre l’école.  

SB: Ils étaient là, justement, à couvrir et à protéger les écoles pendant que leurs élèves et leurs enfants étudiaient en français.

N: Ils montaient la garde à l’extérieur de l’école, se déversant sur le trottoir et dans la rue, pour que Béatrice et Diane puissent enseigner à leurs enfants. Le troisième jour de cette occupation, 30 policiers d’Ottawa ont escorté un fonctionnaire du gouvernement à Guigues afin qu’il empêche les sœurs Desloges d’y entrer, ainsi que pour fermer l’école. 

SB: La police est venue, elle est venue justement pour essayer de renforcer, renforcer ce règlement-là qui a été mis en place par le gouvernement. Donc il y a eu une bataille qui s'est créée. Les sœurs Desloges étaient en avant justement pour se combattre, pour résister, pour continuer à enseigner le français. Et on leur interdisait à ces deux enseignantes-là d'accéder à d'accéder à l'école. Mais c'est vraiment grâce aux parents qu'elles ont pu y accéder quand même.

N: Des mères francophones ont brandi des rouleaux à pâte, des poêles en fonte, et des épingles à chapeaux très pointues et coupantes, et elles ont empêché la police d’entrer sur le terrain de l’école. Un policier a été mordu, un autre a eu un œil au beurre noir, et la police et le fonctionnaire du gouvernement ont tous été bombardés de morceaux de glace. Au milieu du chaos, on a fait entrer secrètement les sœurs Desloges dans l’école par une fenêtre sur le côté. Elles ont continué à enseigner alors que dehors, la bataille des épingles à chapeaux faisait rage.

Lorsque la police a finalement battu en retraite, le président de la Petite Commission, Arthur Charbonneau, est entré dans l’école pour tenter une dernière fois de convaincre les parents de cesser leur occupation. C’était peine perdue. Les parents ont physiquement sorti Arthur Charbonneau des lieux et ils ont continué à monter la garde durant six mois de plus, jusqu’à la fin des classes en juin. Leur résistance a inspiré des manifestations d’étudiants partout à Ottawa lors des mois suivants, en guise de soutien aux Gardiens de Guiges.  

N: La bataille et les manifestations qui ont suivi ont en effet mis fin à l’application du règlement 17 dans la région d’Ottawa, et l’épingle à chapeau est devenue le symbole de la lutte pour les droits liés au français à travers l’Ontario. Mais dans un revirement de situation pour Béatrice et Diane, leur travail d’enseignantes a pris fin quelques années plus tard, dans les années 1920, non pas parce qu’elles ont enfreint les règlements et ont enseigné en français, mais parce qu’elles se sont toutes deux mariées, et que la loi interdisait aux femmes mariées d’enseigner.    

SB: L'apport et l'impact que les sœurs Desloges et la communauté franco-ontarienne ont fait à ce moment-là, ça continue d'avoir des retombées jusqu'à aujourd'hui.

N: En 1963, la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme a été lancée, en partie en réponse à l’agitation croissante des Québécois. Ceux-ci voulaient une protection officielle de leur langue et de leur culture, ainsi que la possibilité de participer pleinement à la prise de décisions politiques et économiques. La Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme est considérée comme l’une des commissions les plus influentes de l’histoire canadienne, et elle a mené à des changements dans l’éducation en français à travers le pays. Ses recommandations ont également servi de bases pour la Loi sur les langues officielles de 1969, et la politique sur le multiculturalisme de 1971. Elle a préparé le terrain pour le Canada que nous connaissons aujourd’hui : un Canada qui ouvre les bras au multiculturalisme au sein d’un cadre bilingue.      

SB: Quand je pense au Canada, on a trois piliers au Canada: nous avons la dualité linguistique. Nous avons la communauté autochtone dans sa richesse et nous avons le multiculturalisme. Quand il y a eu l'opposition du règlement 17, ça a certainement inspiré la communauté franco-ontarienne dans les années '79 et '80 a également milité justement pour par la suite essayer d'avoir une école francophone, ce qu'on appelle justement l'École de la Résistance.

N: Au moment où la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme était en cours durant les années 1960, 80 pour cent des résidents de Penetanguishene, une ville située à l’extrémité sud-est de la baie Georgienne en Ontario, étaient des francophones. Et pourtant, la ville n’avait pas d’école secondaire francophone.  

SB: La seule école, ou je dirais la salle de classe qui existait, c'était une annexe dans une école anglophone qui existait déjà dans les conditions d'éducation.

N: Vers la fin des années 1970, des propositions pour la construction d’une école francophone ont été rejetées à la fois par le Conseil scolaire du comté de Simcoe, et plus tard par le comité consultatif de langue française du gouvernement provincial.   

Ceci a conduit à une manifestation de la part des élèves, des parents et des enseignants. Et durant l’été de 1979, ils ont décidé de créer leur propre école : l’école secondaire de la Huronie, également appelée l’école de la résistance. 

SB: Donc, pourquoi on appelle ça une école école de résistance? C'est suite à la résistance de la communauté francophone, surtout de Penetanguishene, qui a manifesté et qui a milité et qui est sorti dehors pour faire valoir ses droits et qui a permis justement à la création de cette école-là.

N: Une fois l’école établie, les organisateurs francophones ont dû faire face à une forte opposition de la part des membres de la communauté anglophone. La ville de Penetanguishene a même porté la question devant la Cour suprême de l’Ontario, pour tenter d’empêcher l’école d’entrer en fonction. Leur requête a été refusée.

Initialement, l’école secondaire de la Huronie ne devait que faire figure de manifestation temporaire, mais les 55 élèves et enseignants y sont restés durant 7 mois. Leur persévérance a porté fruit. Le soir du 23 avril 1980, le premier ministre de l’Ontario, Bill Davis, a accepté de financer la construction d’une école francophone indépendante à Penetanguishene. Deux ans plus tard, l’école secondaire Le Caron a ouvert ses portes. Mais la lutte n’était pas encore terminée. En 1986, après une longue bataille juridique, la Cour suprême de l’Ontario a donné ordre à la province et au conseil scolaire de Simcoe d’offrir la même qualité d’enseignement que l’école anglophone.      

Les effets à long terme du règlement 17 ne se font pas seulement sentir au niveau institutionnel. En Ontario, certains francophones n’ont jamais appris à écrire en français. Par conséquent, un bon nombre d’entre eux ont envoyé leurs propres enfants dans des écoles anglaises.

SB: Ce qu'il faut mentionner, c'est en 2016, justement la première ministre de l'Ontario dans ce temps c'était Kathleen Wynne, elle a donné officiellement des excuses à la communauté franco-ontarienne par rapport justement à l'impact du règlement 17, un impact qui a eu lieu par rapport à la communauté franco-ontarienne.

 

N: Les excuses ont été faites peu après le 400e anniversaire de la présence francophone en Ontario. Kathleen Wynne a noté que la communauté franco-ontarienne - et je cite - : « a fait preuve d’un remarquable courage et de ténacité dans sa longue lutte pour s’assurer que la culture francophone fasse partie intégrale de l’Ontario dynamique et prospère que nous connaissons aujourd’hui

SB: C'était un geste qui a été très bien accueilli par la communauté franco-ontarienne, mais ça a été justement, pour une fois, de reconnaître l'impact de ce règlement là et l'impact qui a eu lieu dans la mémoire collective des Franco-Ontariens. Évidemment, on en parle encore parce que ça a un impact concret dans la communauté.

N: Plus d’un siècle après la bataille des épingles à chapeaux, le droit à une éducation en français est maintenant protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Bien que l’accès à cette éducation continue d’être un enjeu dans certaines régions, l’inscription aux programmes francophones est plus populaire que jamais parmi les parents, et même en dehors de la communauté francophone. De plus, la francophonie de l’Ontario continue de grandir et de changer, et c’est en grande partie grâce à des immigrants comme Soukaina.

SB: La francophonie d'aujourd'hui, c'est une francophonie qui est plurielle. C'est une francophonie qui est riche de ses accents pis qui est fière également de ses accents. Je dirais aussi C'est une francophonie qui sait se souder quand il le faut. L'histoire l'a montré et continue à le démontrer quand il y a, quand il y a des injustices, quand nos droits sont brimés, on est les premiers à sortir dehors pour faire valoir leurs droits, mais aussi en, c'est également célébrer notre communauté. Je pense qu'on est une communauté qui aime beaucoup les célébrations.

N: Dans le prochain épisode de Trouver sa place, nous explorons l’histoire du peuple chinois au Canada, et la détermination d’une femme chinoise à sauver le quartier chinois de Toronto.

Arlene Chan: Ce que ma mère a fait nous enseigne que pour que le Canada demeure le grand pays qu’il est, il faut prendre parole. Il faut prendre position. C’est ce qu’elle a fait. Et quand je pense à ce qu’elle a fait en fonction de l’époque où elle a grandi, et au fait qu’elle était une femme, qu’elle était Chinoise et qu’elle était Sino-Canadienne, elle a accompli énormément de choses.

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CREDITS

N: Cet épisode de Trouver sa place a été coécrit et produit Historica Canada. Soutien à la production par Andrew Chung et Edit Audio. Postproduction par Edit Audio. Merci à Soukaina Boutiyeb et à notre consultant en scénario, l’historien Marcel Martel. Vérification des faits par Sebastian Leck. Ce projet a été rendu possible en partie grâce au gouvernement du Canada.

Merci d’avoir écouté.