Voix d'ici : Jacey Firth-Hagen | l'Encyclopédie Canadienne

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Voix d'ici : Jacey Firth-Hagen

Dans cette vidéo, Jacey Firth-Hagen partage sa relation complexe avec sa langue, Dinjii Zhuh Ginjik, et son travail de revitalisation de sa langue à travers #SpeakGwichinToMe.

Mahsi cho, Jacey, pour avoir partagé tes expériences avec nous et pour ton travail constant.

Tourné le 8 juin 2019 à Yellowknife, le territoire du traité n°11, TNO.

Dir. Photographie – Kaayla Whachell
Montage – Madison Thomas
Correction des couleurs – Benoît Côté + Outpost MTL
Mixage – Seratone Studios
Portrait - Natasha Donovan

Transcription

Ma langue contient tellement de connaissances. On dit que la moitié de notre cœur est un caribou : que nous ne pourrions survivre sans le caribou et que le caribou ne pourrait survivre sans nous. Les Gwich'in et le caribou ne faisaient autrefois qu’un, puis nous nous sommes séparés, et c’est pourquoi nous disons que la moitié de notre cœur est un caribou. Cela provient d’histoires orales qui ont été partagées de génération en génération.

Des aînés m’ont dit que notre langue provient de la terre. Nous devons donc nous tourner vers la terre pour apprendre notre langue. Et la meilleure façon d’apprendre notre langue est au travers de la chanson et de la prière. Nos langues sont cachées dans la terre : il suffit de les trouver.

C’est très cool, en fait, cette affiche. Toutes ces cartes. Il y a les traités et les revendications territoriales, les groupes autochtones et les langues.

D’apprendre ma langue m’a beaucoup aidée sur le plan de la santé mentale. Au secondaire, j’avais beaucoup de difficulté. J’étais l’un de ces enfants qui n’aiment pas les sports. Je n’aimais pas parler, je détestais l’école, je n’avais pas beaucoup d’amis, mais ma langue me rendait toujours heureuse.

Mon nom est Petite Martre Jacey Firth-Hagen. Je suis née et j’ai été élevée à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest, et j’habite présentement à Yellowknife.Je suis la créatrice de la campagne de relance de la langue Gwich'in, #SpeakGwichinToMe, une initiative de revitalisation linguistique sur les médias sociaux. Je partage mon amour pour ma langue, l’importance des langues, et j’encourage les gens à parler leur langue, car la langue gwich'in et l’une des langues les plus menacées au Canada. Il existe moins de 500 personnes qui la parlent, et la plupart de ces personnes sont âgées de plus de 65 ans.

J’ai été l’une des rares personnes des Territoires du Nord-Ouest à gagner le Prix Peter Gzosky pour l’alphabétisation pour mon travail en lien avec la langue Gwich'in. J’ai donc reçu une plaque et cette magnifiqueœuvre enpeau.

J’ai été élevée par mon père, Willard Hagen, de façon très traditionnelle. Il m’a toujours parlé de mes grands-parents et de mes arrière-grands-parents. Tout l’amour qu’il y a eu au sein de ma famille. Et ma mère Sylvia Firth, et ma belle-mère Mavis Jacobson ont vraiment imprégné l’amour intergénérationnel en moi. J’ai appris les combats et les victoires de mes grands-parents, et d’être aussi capable de passer du temps avec les aînés, particulièrement ma grand-mère Sarah McLeod-Firth. J’ai tout récemment découvert que ma grand-mère me parlait en gwich’in lorsque j’étais bébé.

J’ai toujours voulu apprendre ma langue. Apprendre qui j’étais comme femme autochtone en grandissant, que je suis Gwich'in, Dené, Écossaise et Norvégienne, et mon identité gwich’in était très présente dans mon éducation - sur la terre, manger de la nourriture traditionnelle, apprendre des aînés. Je me suis toujours demandé: « Si je suis Gwich’in, pourquoi ne puis-je pas parler ma langue ? »

Certaines de nos langues n’existent que dans les musées. C’est une bénédiction et une malédiction. C’est une ressource incroyable que de voir nos objets conservés dans les musées. Et ça change, mais souvent, si les peuples autochtones désirent reprendre possession de leurs objets, ils veulent ravoir ce qui reste de leurs ancêtres, c’est difficile. Plusieurs de ces objets, je ne dis pas que c’est le cas ici, n’ont pas été acquis de la bonne façon.

Il y a plus de 300 ans, les premiers peuples non autochtones ont commencé à venir dans les Territoires du Nord-Ouest. Tout comme ils « découvraient » la terre, ils ont rencontré les peuples Gwich'in et Inuvaluit et ont commencé à bâtir des partenariats. Après que les commerçants et les explorateurs aient commencé à s’installer dans les Territoires du Nord-Ouest, les missionnaires sont arrivés, et leur but était bien sûr la christianisation des peuples autochtones. À l’époque où ma grand-mère est née, même si elle avait voulu apprendre la langue gwich’in, cela était découragé. C’était considéré comme démode du genre: « On parle anglais maintenant ». Mes grands-parents, mais pas tous, ont fréquenté les pensionnats indiens. Et là, parler les langues autochtones était interdit. Cela m’a donc affectée dès mon jeune âge. Bien sûr, cela est difficile à entendre pour tout le monde… et en tant que jeune fille je me suis juréque j’allais parler ma langue couramment un jour. Je voulais être capable de parler gwich’in tout comme je parlais anglais.

Je porte aussi mes « kaiitreh » ou « kaiichan » fabriqués par une femme Gwich'in, Mildred Edwards, d’Aklavik, dans les Territoires du Nord-Ouest. Ces bottes sont nommées « bottes corbeau ». C’est un style très beau et unique, très prisé. C’est de la fourrure de lapin. Lorsque je porte mes objets, lorsque je porte mes bijoux et mes accessoires, je montre vraiment qui je suis en tant que femme Gwich’in, en tant que femme autochtone et en tant que personne.

Je feuille tais le dictionnaire gwich'in afin de choisir des mots de ma langue que je voulais apprendre. J’ai ensuite pris des cours de langue, approximativement une heure par jour, tous les jours. Je passais ensuite au travers de ma liste de mots choisis dans le dictionnaire avec ma professeure. Elle couvrait la liste avec moi, puis pendant à peu près une semaine, je passais une trentaine de minutes ou une heure à apprendre ma liste de mots gwich'in. J’ai fait cela toutes les semaines pendant à peu près un an.

Après avoir terminé l’école secondaire, je suis déménagée dans la capitale, Yellowknife, pour l’université. J’ai laissé ma communauté, et j’ai quelque peu perdu mes forts liens avec l’apprentissage de la langue gwich'in. Je suis déménagée loin de ma grand-mère qui s’assoyait toujours avec moi et me parlait et m’enseignait. Elle est la personne la plus forte de notre famille, notre matriarche. Tant d’humour! Pouvoir passer du temps avec elle, apprenant d’elle, je lui posais des questions au sujet de ma langue et je la regardais coudre. « Je dois faire cela pour elle. Pour ma famille. Nous avons traversé tellement de choses ».

Je souhaitais donc créer une campagne « hashtag » parce que les hashtags sont si accessibles. Tu peux cliquer sur un hashtag et tu vas voir soudainement toutes les publications où les gens en parlent, créent des photos, publient des égoportraits – créant vraiment leur propre contenu, augmentant la sensibilisation et alimentant la conversation. Et c’est ce que vous trouvez lorsque vous utilisez le hashtag #SpeakGwichinToMe. C’est une communauté.

Au début, il y avait des jeunes de toutes les communautés Gwich'in qui parlaient de la langue. Même de mots simples comme « lapin » ou « neige ». En fin de compte, je voulais vraiment créer #SpeakGwichinToMe pour redonner, pour rendre hommage aux gens, et pour augmenter la sensibilisation au fait que sinous ne parlons pas nos langues, qui le fera? Qui transmettra notre langue si personne ne la parle? Comment survivra-t-elle? J’aime ma langue, et je ne veux jamais voir nos langues mourir, disparaître. La revitalisation de la langue est très importante.

Je ne parle pas couramment la langue, et j’ai 25 ans. Cela fait donc plus de dix ans et j’apprends toujours. J’adore parler ma langue. Je parle avec les autres, je fais de l’enseignement sur les médias sociaux, et je m’améliore. Des aînés gwich’in et des gens qui parlent la langue couramment m’ont dit que cela pourrait me prendre toute ma vie pour apprendre ma langue, et c’est correct.

Mais vous savez, un mot par jour équivaut à 365 mots appris dans une année. Cela peut être difficile, vous pouvez vous sentir isolé, mais ça vaut la peine. Vous savez que vos ancêtres sont fiers lorsque vous parlez votre langue. Il y a maintenant des mouvements de revitalisation linguistique à travers l’Arctique et partout à travers le Canada et dans le monde. Je ne dis pas que c’est moi qui ai inspiré tout cela, mais c’est une période incroyable pour faire partie de ce mouvement de revitalisation linguistique! C’est notre communauté, nos peuples,nos jeunes -ils se réapproprient notre langue et notre culture.