Voix d'ici : Madeleine Basile | l'Encyclopédie Canadienne

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Voix d'ici : Madeleine Basile

Madeleine Basile raconte son départ au pensionnat de Pointe Bleue et les 10 ans qu’elle y a passé. Elle partage ses souvenirs vifs de son expérience, ainsi que les impacts qu’elle a subit, qui l’ont marquée à vie. Elle discute aussi son travail avec d’autres Survivants et sa participation au Comité des survivants de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Mikwetc, Madeleine, de nous avoir raconté les expériences de ton enfance, de nous avoir parlé de ton travail de guérison et de nous avoir accueilli au Domaine Notcimik.

Mise en garde : Ce témoignage contient du contenu difficile qui pourrait susciter des émotions douloureuses. Il inclut des expériences d’une Survivante du pensionnat de Pointe Bleue. Si vous avez besoin d’aide, la ligne d'écoute téléphonique concernant les pensionnats est 1-866-925-4419.

Tourné le 22 août, 2019 au territoire Nitaskinan, au Québec.

Dir. Photographie : Jonathan Elliott
Monteur offline : Genséric Boyle Poirier
Coloriste : Martin Gaumond + Outpost MTL
Ingénieur du son : Seratone Studios
Portrait - Natasha Donovan

Transcription

Les pensionnats, ça a touché l’âme. L'âme d'un peuple.

Mon nom est Madeleine Basile. Je viens de Wemotaci, une communauté de la nation Atikamekw. Mon expérience des pensionnats dans ma vie…c'est une grosse histoire.

C'est vraiment une histoire d'abominable domination. Il ne faut plus que ça arrive, cette histoire-là.

Quand j’ai participé à la Commission de vérité etréconciliation, il y avait comme un énoncé de philosophie – c’était : « le parent oublié, l’enfant déraciné. » Effectivement, ça a été un déracinement.

Je venais d'avoir six ans quand je suis partie au pensionnat de Pointe Bleue. Puis je m’en souviens, avant qu’on parte au début de septembre, ma grand-mère n’arrêtait pas de faire la couture. Elle nous faisait des robes. Moi, je ne posais pas de question. La journée du départ est arrivée, puis ma grand-mère m’a habillé avec ma robe neuve. J’étais contente! J’avais une robe neuve. Le jour du départ, on nous a dit de monter dans les autobus. Je suis allée voir mon grand-père. Puis j'ai dit : « Nimoshom, Nimoshom, aci ni matcehon. » Ça veut dire : « Grand-père, grand-père, je pars maintenant. » Il m'a regardé, puis il a mis sa main sur ma tête. Puis… c'est ça.

Quand on est arrivé au pensionnat, il y avait beaucoup d'enfants qui pleuraient. Je cherchais mes parents. Dans ma petite tête d'enfant je savais qu'il se passait quelque chose, mais je ne savais pas trop quoi.

J’ai toujours eu les cheveux longs quand j’étais petite. Puis ma grand-mère, tous les jours, elle me brossait les cheveux, puis elle me faisait des tresses. Puis elle m’avait dit que les cheveux étaient sacrés. Mais là-bas au pensionnat, ils m’ont coupé les cheveux. Ils m’ont coupé les tresses. Ça a été l’humiliation totale. J'ai vécu beaucoup d'humiliation là-bas. Les cheveux, mais aussi se faire interdire de parler notre langue. Je suis très fière de parler encore ma langue maternelle. Ils n'ont pas réussi à m’enlever ça. Je parle la langue Atikamekw. La langue Atikamekw, c'est mon identité, c'est ma culture, c'est ma fierté.

Ma mère a perdu tous ces enfants. Ma petite sœur, elle avait 4 ans, sinon 5 ans quand elle est partie là-bas. Ma mère n'avait plus d'enfant. On est tout parti au pensionnat. Ma petite sœur est décédée là-bas. Elle avait 9 ans. Elle était malade. Ça a brisé la cellule familiale. C'est vraiment une tragédie dans la vie de toutes les mamans, de tous les grands-parents. C'est en travaillant dans le dossier des pensionnats que je me suis rendu compte que ce n’est pas que moi qui a souffert des pensionnats. C'est ma mère, mes grands-parents. C'est ma communauté. C'est tout le monde. Il faut en parler. Il faut continuer à en parler.

Je sais qu'inconsciemment j'ai transmis des impacts intergénérationnels à mes enfants. On n’a jamais voulu transmettre la honte, la colère, l'humiliation, le rejet. Je n’ai jamais voulu transmettre ça à mes enfants. Un enfant, c'est libre. Ça vit dans la joie. Les pleurs aussi-les larmes. C'est tellement pur. On dirait que cela m’a enlevé de la pureté en allant là-bas.

Dix ans au pensionnat, c'est très long quand on est un enfant. Moi, je suis sortie de là pleine de colère, pleine de rage. Ma grand-mère, elle ne mere connaissait plus. Je l'entendais parler. Elle disait : « Qu'est-ce qu'elle a, Madeleine? Qu'est-ce qu'elle a? » Je suis tombée dans la consommation excessive d'alcool. Pendant plusieurs années, j'ai consommé. Ça m'a mené à ça. Mais à travers ça, pendant ces années, j'ai rencontré mon mari, puis j'ai eu mes enfants. C’était une période accalmie parce que j'avais des enfants. Mais après ça, c'est revenu. On dirait que ça revenait. Les sentiments de colère, surtout la colère. Mais je me suis dit : « Je ne peux pas être en colère tout le temps. » J'ai décidé de me prendre dans la main, puis j'allais faire une thérapie. J'ai beaucoup pleuré et j'ai beaucoup ragé. C’était difficile d'accepter mon passé. Pour ça, ça fait plusieurs années que je travaille avec les survivants.

Au début, j'ai travaillé quelques années ici, à La Tuque. Je travaillais beaucoup avec les familles, les parents. Après ça, on m'a confié le Projet de guérison, qui s'appelait « Projet Mirermowin ». Ça a duré 4 ans. Puis en 2004, j'ai tenté ma chance au Conseil de la nation Atikamekw pour travailler entant que responsable du Programme de guérison, Koskikewetan. Koskikewetan, ça veut dire : « Retour aux sources » . C'était un très beau projet qui a duré 10 ans. Nous offrions des thérapies de l'enfant intérieur offertes à tous les survivants Atikamekw qui voulaient faire un travail sur eux-mêmes. Par la suite, nous avons développé les thérapies de couple. Puis nous commencions à élaborer un programme de thérapie familiale quand le gouvernement fédéral a décidé de mettre fin aux projets de guérison qu'il y avait partout au Canada. Le 31 mars 2010.

PM Harper : Je me lève aujourd'hui pour présenter nos excuses aux anciens élèves des pensionnats.

Madeleine Basile : Je voulais entendre de mes oreilles, le 8 juin 2008, quand qu'il a eu les excuses du gouvernement fédéral. Puis je suis allée avec une de mes amis.

PM Harper : Pendant plus d'un siècle, les pensionnats indiens ont séparé plus de 150 000 enfants autochtones de leurs familles et de leurs communautés.

Madeleine Basile : J'ai participé aussi à la Commission de vérité et réconciliation du Canada, en 2010. J'ai été choisie pour siéger au Comité national des survivants des pensionnats indiens à la Commission de vérité et réconciliation. Principalement, le travail de la Commission de vérité et réconciliation c'était de réaliser sept événements nationaux. Il y avait plusieurs activités dans les événements. Entre autres, d'écouter et d'entendre les témoignages des survivants des pensionnats, ainsi que les gestes de réconciliation. Les gestes de réconciliation ont été remis parles églises, ou les professeurs, ou les représentants des gouvernements. Il en avait qui remettaient des photos, ou un cadeau, ou un livre. Puis ça symbolisait un geste de réconciliation qu'ils déposaient pour les survivants. Au dernier événement qu'il y a eu à Edmonton, j'ai remis un petit porte-bébé parce que quand j'étais petite j'ai joué avec ça. Puis j'ai eu bien la misère à trouver une petite poupée. Finalement, j'ai trouvé une petite poupée, puis je l'ai inséré dans montikinagan. En Atikamekw on appelle ça « tikinagan » - un porte-bébé. J'ai remis ça pour symboliser mon enfance.

Intertitre: En 2015, la CVR a déposé ses conclusions et plusieurs rapports dont :

Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir

Ce que nous avons retenu

Les survivants s’expriment

Appels à l’action

 Les 94 appels à l’action comprennent des recommandations pour favoriser la réconciliation entre les allochtones (les personnes d’origine non autochtone) et les peuples autochtones.


Madeleine Basile : La réconciliation, ça commence par moi. Je me réconcilie avec moi, avec mon passé. Puis graduellement, je me réconcilie avec ma famille, ma communauté, ma nation. Il y a comme une ouverture. Selon moi, c'est ça, la réconciliation. Ici, au Domaine Notcimik, où je suis, la mission a un volet vérité et réconciliation. J'encourage les Québecois, les Canadiens, dans un but de partage, de réconciliation, puis de bienêtre et de la paix, de faire un avancement vers ça. Faire un pont. Faque, mikwetc, mikwetc, mikwetc.

Message à ma famille :

À mes chers enfants : vous avoir a été et est toujours une bénédiction dans ma vie. Je reconnais que, parfois, ça n’a pas été facile par mon attitude, mes actions, mes paroles. Pour ce, je vous demande humblement pardon.

À mes petits-enfants adorés : je vous aime du plus profond de mon être. Vous êtes l’amour, la pureté, la joie de l’enfance. Ces sentiments qui ont été moins présents de mon enfance au pensionnat.

À mon conjoint : merci de ton amour, de ta présence et de ta compassion.

Je suis toujours en apprentissage de vivre dans l’amour, la paix et la joie.

Mikwetc à ma famille de m’accompagner dans la vie et de faire partie de ma vie.

Avec amour,

Madeleine