Beatrice Worsley | l'Encyclopédie Canadienne

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Beatrice Worsley

Beatrice (Trixie) Helen Worsley, informaticienne et professeure (née le 18 octobre 1921 à Querétaro, au Mexique; décédée le 8 mai 1972 à Waterloo, en Ontario). Beatrice Worsley est une chercheuse pionnière dans le domaine émergent de l’informatique. Elle enseigne et effectue des recherches à l’Université de Toronto et à l’Université Queen’s, à Kingston. Elle est considérée comme la première femme informaticienne au Canada. En 2014, l’Association canadienne de l’informatique (AIC) lui décerne un prix pour l’ensemble de sa contribution.
Photographie de Beatrice Worsley

Beatrice Worsley assise au Ferut dans le centre de calcul de l'Université de Toronto, vers 1952-1958.

Enfance

Beatrice Helen Worsley (aussi connue sous le nom de Trixie) nait le 18 octobre 1921 à Querétaro, au Mexique. Son père, Joel Worsley, est originaire de Manchester, au Royaume-Uni, mais déménage avec sa femme, Beatrice Marie, à Xia (Mexique) pour travailler au sein de l’usine de textile familiale en 1908. Lorsque l’usine est détruite par des rebelles pendant la Révolution mexicaine, en 1917, le couple s’installe à El Salto. Beatrice Helen et son frère aîné, Charles Robert, reçoivent une éducation à domicile et vivent en grande partie isolés de la communauté qui les entoure.

Éducation

En 1929, la famille Worsley décide de quitter le Mexique pour Toronto, en Ontario, afin d’assurer une meilleure éducation aux enfants. Beatrice Worsley fréquente la Brown Junior Public School jusqu’en 1934, puis suit un programme préuniversitaire à la Bishop Strachan School. Bien qu’elle soit cadette de sa classe, Beatrice Worsley se distingue pour ses notes, et remporte même des prix d’excellence en mathématiques, en physique, en religion, en anglais et en connaissances générales en 1937. Elle passe ses examens d’immatriculation senior avec brio en 1939. Elle reçoit, encore une fois, des prix pour ses performances en maths, en sciences et en connaissances générales, ainsi que le Prix du Gouverneur général de la meilleure moyenne générale.

En 1939, elle commence des études de premier cycle au Trinity College, de l’Université de Toronto. Tout au long de son parcours, elle obtient de multiples bourses d’études. À l’été 1942, elle travaille comme stagiaire au département d’actuariat de la Manufacturers Life Insurance Compagny, à Toronto, où elle découvre les calculatrices mécaniques. En 1944, elle obtient son baccalauréat en mathématiques et en physique.

Recherche militaire

Une fois son diplôme en poches, Beatrice Worsley rejoint les rangs du Service féminin de la Marine royale du Canada. Le 5 avril 1944, elle entame un mandat d’essai à titre de sous-lieutenante à la base du NCSM Conestoga à Galt, en Ontario (aujourd’hui Cambridge). Le 9 septembre 1944, après des mois à s’entraîner et à accomplir des tâches générales, elle est envoyée au Naval Research Establishment (NRE) du NCSM Stadacona à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Là-bas, elle travaille comme chercheuse en défense portuaire, analysant des données liées à la démagnétisation des navires, un procédé qui amoindrit la signature magnétique des bateaux et les rend plus sécuritaires dans les champs de mines allemands. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale prend fin, en 1945, Beatrice Worsley est la seule membre du Service féminin de la Marine royale du Canada à rester en poste au NRE. Elle est promue au rang de lieutenant, et concentre ses recherches sur la corrosion des coques, une étude qui implique un séjour de 150 jours en mer, souvent dans de difficiles conditions hivernales.

Études de deuxième cycle au MIT

En 1946, Beatrice Worsley quitte le NRE pour effectuer une maîtrise en mathématiques et en physique au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Cambridge, au Massachusetts. Au MIT, elle étudie sous la tutelle d’éminents professeurs, dont Laszlo Tisza et Henry Wallman, respectivement spécialistes de la physique de l’état solide et de la théorie des fonctions.

C’est aussi au MIT qu’elle est exposée aux premiers ordinateurs. En effet, le professeur Vannevar Bush a créé un analyseur différentiel, soit un calculateur analogique doté de pièces mobiles qui résout des équations différentielles complexes. À mesure que cette technologie avance, le calculateur utilise à la fois des pièces mécaniques et électroniques. Dans le cadre de sa maîtrise, Beatrice Worsley rédige une étude mathématique de ces premiers ordinateurs, A Mathematical Survey of Computing Devices with an Appendix on Error Analysis of Differential Analyzers. Après l’obtention de sa maîtrise, en 1947, elle retourne au Canada et annonce à sa famille son intention de travailler dans le domaine alors émergent de l’informatique.

Début de carrière

À l’été 1947, Beatrice Worsley décroche un poste au Conseil national de recherches Canada (CNRC), à Ottawa, en Ontario. Pendant un temps, elle travaille dans la division du génie mécanique en tant qu’agente de recherche en aérodynamique. Après quelques mois, toutefois, l’Université de Toronto ouvre un nouveau centre de calcul – le premier du genre au Canada, et Beatrice Worsley s’empresse d’accepter un poste d’assistante de projets en janvier 1948. Le Centre de calcul est le prédécesseur du Département d’informatique de l’université.

Beatrice Worsley et son homologue, J. Perham Stanley, travaillent à l’aide de calculatrices à poinçon IBM et effectuent, avec leur superviseur, Calvin C. Gotlieb, une foule de calculs pour Énergie atomique du Canada Limitée, à Chalk River, en Ontario. À l’époque, l’intérêt pour les ordinateurs commence à grandir à l’extérieur du domaine universitaire. En 1948, Beatrice Worsley utilise Meccano (un jeu de construction à base de pièces en métal) pour créer son analyseur différentiel.

Le saviez-vous?
En 1948, Beatrice Worsley a construit un analyseur différentiel (un calculateur analogique mécanique servant à résoudre des équations) à l’aide de pièces Meccano. Elle n’est pas la première chercheuse à utiliser ces modules de construction pour bâtir un ordinateur (Meccano vend ses produits depuis 1901). Douglas Hartree et Arthur Porter ont construit leur premier analyseur différentiel en pièces Meccano en 1934 à l’Université de Manchester, suivis de près par J. B. Bratt de l’Université de Cambridge, qui a construit une machine semblable en 1935. On estime qu’environ 15 machines du genre ont été construites partout dans le monde. Les machines Meccano étaient relativement abordables et assez précises pour résoudre une foule de problèmes scientifiques.

Beatrice Worsley et J. Perham Stanley se rendent ensuite au laboratoire de mathématiques de l’Université de Cambridge afin d’en apprendre plus sur un système informatique appelé Electronic Delay Storage Automatic Calculator (EDSAC). Bien qu’à leur arrivée, l’ordinateur est presque terminé, ils participent aux préparatifs précédant le premier test d’EDSAC, le 6 mai 1949. Dès le premier test, l’EDSAC imprime avec succès des tableaux de nombres premiers et carrés, que Beatrice Worsley collige dans un rapport publié plus tard dans The Origins of Digital Computers (1975), un ouvrage de Brian Randell portant sur les débuts de l’ordinateur.

Études doctorales

Après ce séjour de recherches, Beatrice Worsley reste en Angleterre pour effectuer un doctorat en physique mathématique au Newnham College, de l’Université de Cambridge, tout en continuant à travailler au laboratoire de mathématiques. Elle suit également un cours de théorie des nombres et des séries sommables d’Albert Ingham, un d’analyse numérique auprès de Douglas Hartree, ainsi qu’une foule de cours sur la théorie quantique. Sa thèse doctorale est supervisée par les plus éminents chercheurs en informatique de l’époque, incluant Alan Turing, Douglas Hartree et Maurice Wilkes.

En 1951, elle rentre au Canada, bien qu’elle n’a pas encore terminé sa dissertation. Elle poursuit ses études sous la supervision de Byron A. Griffith, un professeur de mathématiques de l’Université de Toronto. Elle conclut rapidement sa dissertation et s’intègre à l’équipe du Centre de calcul de l’Université de Toronto en tant que mathématicienne en juillet 1951. Sa thèse, Serial Programming for Real and Idealized Digital Calculating Machines, est l’une des premières études portant sur l’ordinateur moderne. Beatrice Worsley reçoit son doctorat en 1952, devenant ainsi la première femme à compléter un diplôme de troisième cycle en informatique.

Ferut, le premier ordinateur électronique du Canada

Alors que Beatrice Worsley est au Royaume-Uni, les chercheurs à l’Université de Toronto travaillent à concevoir et à construire le premier ordinateur du Canada. Ce système, nommé University of Toronto Electronic Computer (UTEC), est censé servir au Conseil national de recherches Canada (CNRC), au Canadian Defense Research Board et à l’industrie. L’UTEC est mis en fonction en octobre 1951, mais il est à ce point criblé de bogues qu’on l’abandonne dès l’année suivante, lorsque le CNRC et le Canadian Defense Research Board décident d’acheter un système au Royaume-Uni : le Ferranti Mark I. Il s’agit du premier ordinateur électronique entièrement fonctionnel du Canada.

À son arrivée, la console Ferranti se fait rapidement donner un surnom par Beatrice Worsley : « Ferut » (pour Ferranti de l’Université de Toronto). Beatrice Worsley et Calvin C. Gotlieb enseignent la programmation du Ferut, mais beaucoup d’étudiants abandonnent le cours en raison de la grande complexité de la machine. En 1953, Beatrice Worsley et le professeur J. N. Patterson Hume créent Transcode, une langue de codage automatique pour le Ferut. Transcode est très populaire parce qu’il permet aux utilisateurs d’écrire des instructions au Ferut en langue simplifiée. De 1952 à 1964, Beatrice Worsley rédige et publie plus de 17 articles techniques sur l’utilisation de Transcode pour résoudre des problèmes spécifiques et effectuer des calculs. En 1958, l’Université de Toronto remplace le Ferut par un ordinateur IBM 650.

Enseignement

Pendant les années 1950, Beatrice Worsley enseigne une foule de cours d’informatique sans crédit qui deviennent éventuellement des cours à crédit aux premier et deuxième cycles. En 1960, l’Université de Toronto lui offre un poste de professeure adjointe de physique, au lieu d’un poste en mathématiques. À mesure que les ordinateurs prennent une place plus importante dans la société, les cours que Beatrice Worsley donne au Département de physique incluent de plus en plus de contenu informatique.

En 1962, l’Université de Toronto fonde l’Institut d’informatique. Deux ans plus tard, en 1964, elle inaugure un programme de deuxième cycle en informatique et promeut Beatrice Worsley au poste de professeure d’informatique.

En 1965, Beatrice Worsley quitte l’Université de Toronto pour devenir conseillère en informatique pour l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario, où elle effectue également de l’enseignement. En 1969, elle devient professeure associée du nouveau Département d’informatique et de sciences de l’information, qu’elle aide à créer avec Mers Kutt. C’est elle qui développe le programme aux premier et deuxième cycles.

En 1971, elle prend une année sabbatique à l’Université de Waterloo afin de mener des recherches au Département d’informatique et d’analyse appliquée. Là-bas, elle renoue avec ses premiers intérêts de recherche, soit la langue d’assemblage et sa relation dans la structure informatique. Pendant cette sabbatique, Beatrice Worsley souffre d’une crise cardiaque et meurt le 8 mai 1972, à 50 ans.

Publications et affiliations

Beatrice Worsley est membre de l’Association for Computing Machinery et de la Computing and Data Processing Society of Canada (aujourd’hui Canadian Information Processing Society), dont elle dirige le comité exécutif en 1968. Tout au long de sa carrière, elle publie une foule d’articles dans des revues scientifiques, ainsi que dans le Quarterly Bulletin, une publication de la Canadian Information Processing Society. Elle a donné un certain nombre de ses premiers articles et rapports à la Smithsonian Institution.

Vie personnelle

En plus d’être une pionnière du domaine émergent de l’informatique, Beatrice Worsley s’intéressait à la musique (elle jouait du piano) et à la photographie. Ses collègues s’en souviennent comme d’une femme calme et agréable.

Patrimoine

Beatrice Worsley a légué ses biens à l’Université de Cambridge, y compris une somme d’argent pour le Fonds Lundgren, créé en l’honneur d’un certain Helge Lundgren. Le prix Lundgren de la recherche est décerné chaque année aux étudiants du doctorat qui mènent des études sur un sujet scientifique, en particulier les candidats qui travaillent auprès d’un laboratoire informatique et « dont les recherches ont été interrompues par un malheur personnel ou un service national ». À ce jour, on ignore toujours qui est Helge Lundgren.

La professeure Charlotte Froese Fischer a également créé la bourse Beatrice « Trixie » Worsley d’études supérieures en informatique à l’Université de Toronto afin d’honorer le travail de pionnière de sa collègue et amie. Le prix subventionne les candidats au doctorat qui promeuvent activement la présence des femmes en informatique. En 2014, l’Association canadienne de l’informatique a décerné à Beatrice Worsley un prix pour sa contribution exceptionnelle à la recherche.

Prix et honneurs

Prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations, Association canadienne de l’informatique (2014).