Clara Brett Martin : Héroïne ou coquine? | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Clara Brett Martin : Héroïne ou coquine?

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

« Votre demande d'inscription auprès de la Société du barreau du Haut-Canada est refusée. En ce qui a trait à l'admission de « personnes », la loi qui régit cet organisme ne correspondant plus à l'opinion du jour, l'interprétation du terme « personnes » ne peut inclure les femmes. » Voilà le sens de la réponse donnée à Clara Brett Martin suite à sa demande d'étudier le droit en 1891.

Malgré ce refus, elle persiste. Avec optimisme, ou peut-être naïveté, elle fait appel au «libéralisme d'esprit et au sens d'équité» qui caractérise le milieu juridique. Grâce au soutien de gens influents comme le Dr Emily Stowe et sir Oliver Mowat, l'appel de Clara Brett Martin nous conduit à la promulgation d'une loi provinciale qui autorise les femmes à devenir avocate. En 1893, elle est admise comme étudiante en droit et se classe première aux examens.

Avec l'aide de lady Aberdeen et le soutien indéfectible de sir Oliver Mowat, le deuxième appel de Clara Brett Martin nous conduit à la loi admettant les femmes comme avocats plaideurs. Elle réitère alors son admission au Barreau, mais on la lui refuse de nouveau. Le Barreau cède finalement à la pression exercée par de riches clients et, le 2 février 1897, Clara Brett Martin devient la première avocate de l'empire britannique. Elle obtient éventuellement son baccalauréat en droit civil et LL.B., puis ouvre à Toronto un cabinet d'avocats. Ses efforts sont couronnés de succès.

Clara Brett Martin
Première femme avocate du Canada (avec la permission des Archives du Barreau du Haut-Canada).

Si l'on considère la façon dont Clara Brett Martin a été traitée par le régime patriarcal de l'époque, on trouve certes déplorable que l'on puisse faire fi de l'identité individuelle d'une femme et empêcher son admission dans une institution pour laquelle elle était qualifiée. Toutefois, resituons les événements dans leur contexte historique sans pour autant nous en inquiéter.

À l'aube du XXe siècle, les femmes se présentent devant les tribunaux comme parties à un litige, témoins ou victimes, mais pas en tant que représentantes de la Cour . L'accès même des femmes aux études supérieures demeurait un point litigieux. Après tout, «conférer des diplômes aux femmes aurait pour effet de les encourager à pratiquer la profession et à participer à la vie publique», ce que ne pouvait approuver ceux qui «apprécient la grâce et la délicate beauté des femmes». D'ailleurs, elles ne manqueraient pas d'user de leurs charmes pour influencer les juges et jurys.

Clara Brett Martin n'est jamais montée aux barricades pour propulser le mouvement féministe, mais elle a toujours travaillé avec ardeur à promouvoir l'égalité des chances pour les femmes. En effet, elle engage des étudiantes en droit et contribue à la création d'un tribunal pour femmes. Pendant dix ans, elle siègera au Conseil scolaire de Toronto, convaincue que la maîtrise de sa destinée se doit de passer par l'éducation. Ses réalisations demeureront dans l'obscurité jusqu'au début des années 1980, époque où le monde universitaire commence à reconnaître l'accomplissement des femmes.

En septembre 1989, la renommée de Clara Brett Martin atteint son apogée lorsque le procureur général de l'Ontario annonce que les nouveaux bureaux du ministère seront nommés en son honneur. L'inauguration de l'édifice Clara Brett Martin s'accompagne d'une reconstitution historique de sa lutte, et l'auditoire en a les larmes aux yeux. Clara Brett Martin y fait figure d'héroïne.

En juillet 1990, moins d'un an plus tard, elle dégringole de son piédestal, lorsqu'un professeur de droit de l'Université Western Ontario publie une lettre, qu'elle a écrite à un avocat du ministère public en mars 1915. Clara Brett Martin s'y plaint que les titres de propriété sont obscurcis par l'enregistrement de fausses conventions de vente. Elle attribue à un ''Juif'' chacun des cas cité par le professeur. Elle insiste également pour que la Loi sur l'enregistrement des actes soit modifiée afin d'empêcher l'œuvre scandaleuse des étrangers.

Aujourd'hui exécrables, ces insultes ne l'étaient peut-être pas à l'époque. Qu'importe. De tels propos se révèlent irréparables : certains demandent que l'on retire son nom de l'édifice; d'autres s'y opposent, défendant le fait que nombre d'édifices portent le nom d'hommes reconnus comme étant antisémites. Néanmoins, le nom de Clara Brett Martin y demeure jusqu'à la défaite du gouvernement libéral plus tard, au cours de l'année. Le prochain procureur général retire son nom de l'édifice . Il n'en reste alors que de l'ombre, ce qui replonge les accomplissements de Clara Brett Martin dans l'obscurité.

Le dilemme persiste : doit-on malgré tout l'honorer pour ses réalisations ou la dénoncer pour ses croyances désormais inacceptables? Il semble impossible de trancher sans pour autant nier la complexité de l'histoire humaine.