John Shiwak | l'Encyclopédie Canadienne

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John Shiwak

John Shiwak (Sikoak), chasseur, trappeur et soldat inuit (né en février ou en mars 1889 à Cul-de-Sac, près de Rigolet au Labrador ; décédé le 21 novembre 1917 près de Masnières, en France). John Shiwak est l’un des quelque 60 hommes du Labrador à s’être joint à l’armée pendant la Première Guerre mondiale. Il est rapidement devenu l’un des meilleurs éclaireurs et tireurs d’élite du front ouest.

Premières années

On ne connaît que bien peu de choses sur les premières années de vie de John Shiwak, mais il semble que ça soit Harry Lock Paddon, médecin associé à la mission Grenfell, qui a arbitrairement changé le nom de famille original de John, Sikoak (qui signifie « relatif à la glace mince »). La famille Sikoak vit à Cul-de-Sac, aux limites du lac Melville, près du village de Rigolet.

Comme les autres Inuits de son âge, John Shiwak apprend probablement à vivre et à survivre dans la faune sauvage du Nord, notamment par la chasse, la pêche et le trappage aidés d’un fusil, de chiens ou d’une embarcation. Le « swatching » en particulier, une activité qui consiste à tuer les phoques par balles alors qu’ils sortent brièvement la tête de l’eau pour respirer, l’a sûrement préparé à sa brillante carrière de tireur d’élite.

John Shiwak quitte le domicile familial en 1901 pour travailler, possiblement dans une usine de fourrures et de transformation du saumon exploitée par la Compagnie de la Baie d’Hudson à Rigolet. Des sources prouvent que ses deux frères plus jeunes, Wilfred et William, y ont travaillé. Pendant l’été, John Shiwak travaille pour le compte d’un médecin (peut-être celui qui a changé son nom de famille) et il est trappeur pendant quelques hivers.

En août 1911, John Shiwak rencontre le romancier William Lacey Amy sur un navire à vapeur navigant entre St. John’s et Rigolet, lors d’un voyage financé par ses activités de trappage. Suivant la rencontre, le duo correspond régulièrement, et leurs lettres servent à déduire les différents aspects de la vie de John Shiwak à ses débuts. William Amy décrit son ami, un autodidacte, comme «un poète, un artiste et un raconteur inné». Il raconte aussi que Shiwak lui a parlé de son désir de devenir soldat.

L’intérêt que John Shiwak cultive pour la vie militaire vient peut-être de son contact avec la Ligue des frontaliers, une organisation paramilitaire fondée en Angleterre en 1904 et s’étant établi à Terre-Neuve-et-Labrador en 1911.

Service en temps de guerre

Suivant le début de la Première Guerre mondiale en août 1914, John Shiwak s’enrôle dans le régiment de Terre-Neuve à St. John’s le 24 juillet 1915 et convainc trois autres hommes de sa région, deux Inuits et un homme blanc, à faire de même. Au total, environ 60hommes du Labrador servent au cours de la guerre.

Selon ses papiers d’attestation, c’est-à-dire les documents officiels qui permettent aux soldats de s’enrôler, John Shiwak fait 1,65 mètre (5 pieds 5 pouces) et pèse 59,9kg (132livres). Il fait partie d’un contingent de recrues qui quitte St. John’s le 27 octobre et se rend par train et traversier jusqu’à Québec. De Québec, le groupe monte à bord du navire royal Corsican à destination de Devonport, en Angleterre, et arrive le 9 novembre 1915.

En Angleterre, John Shiwak et ses camarades sont envoyés à l’entraînement au dépôt d’Ayr, en Écosse. Le 24 juillet 1916, exactement un an après s’être enrôlé dans le régiment, John Shiwak arrive sur le front ouest et est envoyé dans la compagnie C. Puisque Terre-Neuve n’a pas encore rejoint la Confédération (1949), John Shiwak est considéré comme un sujet britannique et fait donc partie du Corps expéditionnaire britannique en Europe.

De façon plus importante, les recrues arrivent trois semaines après l’anéantissement du régiment de Terre-Neuve à la bataille de Beaumont-Hamel le 1er juillet, première journée d’une série de combats sanglants que l’on connaît aujourd’hui comme le premier jour de la Somme. Des 767 Terre-Neuviens qui participent à la bataille, seulement 58 ne sont pas tués, blessés ou manquants. De nos jours à Terre-Neuve, le 1er juillet n’est pas seulement l’occasion de célébrer le Jour du Canada, mais également le jour du Souvenir, en l’honneur des morts et blessés qui ont chamboulé tant de familles dans la province.

Pendant les 15 mois qui suivent, John Shiwak survit au chaos de la guerre des tranchées et se révèle être un éclaireur et un tireur d’élite de talent. Un officier britannique le qualifie d’ailleurs du « meilleur tireur d’élite de l’armée britannique ». Le rendement de John Shiwak dans ces rôles lui vaut d’être nommé caporal suppléant le 16 avril 1917, premier échelon de l’échelle des jeunes leaders.

Au début, John Shiwak est timide, mais il finit par s’acoquiner avec ses camarades. Un de ses amis, le Terre-Neuvien Howard L. Morry, le décrit comme « timide et solitaire », mais aussi de « grand tireur » qui a fait remarquer que « le tir d’élite, c’est comme abattre des phoques ». Malgré son succès en tant que tireur d’élite, John Shiwak devient de plus en plus déprimé à mesure qu’il assiste au massacre quotidien de la guerre de tranchées sur le front ouest. Ses derniers mois sont marqués par le désespoir et la solitude, surtout suivant la mort d’un ami proche et collègue trappeur du Labrador.

John Shiwak
John Shiwak
Soldat Inuit John Shiwak durant la Première Guerre mondiale.
(avec la permission de la famille Shiwak, Anciens Combattants Canada, Mémorial virtuel de guerre du Canada, 2017)

Décès

Le 21 novembre 1917, pendant la bataille de Cambrai, John Shiwak et d’autres soldats marchent le long d’un canal vers une sucrerie à Masnières, en France, lorsqu’un obus d’artillerie allemande explose au milieu de la colonne, tuant sept personnes et en blessant dix. John Shiwak fait partie des victimes.

Les morts sont enterrés dans des tombes temporaires sur le champ de bataille à proximité. Malheureusement, la zone est disputée par les deux camps et donc bombardée à répétition, effaçant tout signe des tombes, qui sont perdues à jamais.

Bien que son lieu de sépulture ne soit pas connu, le nom de John Shiwak est inscrit sur la plaque commémorative de la magnifique statue de caribou du Mémorial terre-neuvien à Beaumont-Hamel, en France, avec 819 autres soldats de Terre-Neuve-et-Labrador qui n’ont également pas de tombe connue. Le mémorial se dresse sur le site de la terrible bataille du 1er juillet 1916. Une autre statue de caribou est également érigée dans le parc Bowring, à St. John’s.

Dans une lettre adressée en février 1918 à la famille Shiwak, le capitaine Robert (« Bert ») Holland Tait, adjudant du régiment, note que John Shiwak était « un grand favori des gens de tous les grades, un excellent éclaireur et observateur, et un homme très bon et fiable en tout point ». Comme ses compagnons d’armes, John Shiwak reçoit la Médaille de guerre britannique et la Médaille de la victoire pour son service.

Héritage

Même si John Shiwak ne survit pas à la guerre, sa feuille de route comme tireur d’élite en fait l’un des meilleurs soldats du Régiment de Terre-Neuve. En outre, étant l’un des seuls soldats inuits à servir durant la Première Guerre mondiale, John Shiwak est considéré comme un pionnier par son peuple (voir Les peuples autochtones et les guerres mondiales). En 2014, une nouvelle aile résidentielle à la Memorial University of Newfoundland est nommée Shiwak Hall en son honneur. En 2023, une plaque à la mémoire de John Shiwak est dévoilée à Masnières, en France, près de l’endroit où il a été tué. Le texte de la plaque est en anglais, en français et en inuktitut.

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