L'art moderniste dans les Prairies | l'Encyclopédie Canadienne

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L'art moderniste dans les Prairies

D'une manière générale, le mot « modernisme » désigne la littérature, la musique et les arts visuels d'avant-garde du XXe siècle. Cependant, pour ce qui concerne la peinture et la sculpture propres aux Prairies, la définition un peu plus restrictive de Clement GREENBERG est plus appropriée.

L'art moderniste dans les Prairies

D'une manière générale, le mot « modernisme » désigne la littérature, la musique et les arts visuels d'avant-garde du XXe siècle. Cependant, pour ce qui concerne la peinture et la sculpture propres aux Prairies, la définition un peu plus restrictive de Clement GREENBERG est plus appropriée. En plus d'avoir visité les Prairies à plusieurs reprises, sa conception du modernisme est au cœur de la controverse internationale portant sur les arts visuels dans la seconde moitié du XXe siècle. Greenberg croit que le modernisme est le produit d'une avant-garde qui s'appuie sur les normes établies par les grandes œuvres du passé. Pour ce faire, les représentants de cette tendance s'adaptent aux caractéristiques que leur imposent leurs moyens d'expression, soit la forme picturale et l'aspect plat du tableau, pour la peinture, et l'assemblage, plutôt que le modelage ou la gravure, en sculpture. Dans les deux cas, cela mène vers l'abstraction.

L'art abstrait
Le modernisme est peu présent dans les Prairies avant le milieu du XXe siècle. Il émerge à partir de 1950, stimulé par l'arrivée de professeurs d'art formés aux États-Unis. Parmi ces derniers figurent Eli BORNSTEIN qui arrive à l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon en 1948 et Kenneth LOCHHEAD au Regina College en 1953. Même si aucun des deux ne peut véritablement être considéré comme un peintre abstrait à l'époque, ils sont tout de même attirés par l'art moderniste et s'adonneront à l'abstraction plus tard. En 1957, Bornstein s'intéresse à ce qu'il appelle le « relief structuriste » inspiré du néoplasticisme de Mondrian et des écrits de l'artiste et théoricien américain Charles Biederman. Quant à Lochhead, il se lance dans l'abstraction dans les années 1960.

En 1955, Lochhead lance les EMMA LAKE ARTISTS WORKSHOPS au camp d'été spécialisé en art de l'Université de la Saskatchewan, dans le nord de la Saskatchewan. À l'époque, ces ateliers permettent aux jeunes artistes de Regina de rester en contact d'une façon ou d'une autre avec la School of Art et la MacKenzie Art Gallery du Regina College. Avec le temps, le programme prend de l'expansion et exerce une influence vitale et durable sur la peinture et la sculpture dans l'Ouest canadien.

En 1958, la nomination de R. L. BLOORE au poste de directeur de la MacKenzie Art Gallery ouvre la voie à de nouvelles ambitions artistiques à Regina. On reconnaît déjà en lui un véritable peintre abstrait. Il réalise ses tableaux sur masonite et recouvre totalement leur surface d'émail gratté. En 1959, à l'instigation de Bloore et de ses collègues, A. F. MCKAY et Roy KIYOOKA, le peintre abstrait américain Barnett Newman est invité à diriger un atelier à Emma Lake. Sa présence charismatique marquera profondément quatre peintres de Regina de l'assistance. Ils en sortent plus sûrs de leur démarche ou forts d'une nouvelle vision de leur art. Ted Godwin, Douglas Morton, McKay et Bloore forment le noyau du groupe qui sera connu sous le nom de REGINA FIVE. (Kiyooka part à Vancouver à l'automne 1959. Lochhead revient d'un congé sabbatique en Italie et devient le cinquième membre des « cinq ».)

Regina demeurera le principal foyer de l'art moderniste en Saskatchewan jusqu'en 1962, au moment où Lochhead invite le critique américain Clement Greenberg à diriger un atelier à Emma Lake. Ce dernier visite les Prairies et rédige pour Canadian Art un article sur l'art dans les Prairies canadiennes. Il y fait l'éloge des peintres abstraits de Regina - particulièrement de McKay -, mais souligne que, à Saskatoon aussi, résident quelques artistes abstraits ambitieux, entre autres Bornstein, Bill PEREHUDOFF, Otto ROGERS et Henry Bonli.

Pendant les années 1960, les artistes de Saskatoon s'investissent de plus en plus à l'école d'Emma Lake jusqu'à ce que, dans les années 1970, l'administration de l'atelier soit assurée par le Département d'art de l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon. Curieusement, l'abstraction moderniste à Regina finit par être un phénomène somme toute assez éphémère. Au milieu des années 1960, Lochhead est parti à Winnipeg et Bloore à Toronto. Morton s'en va à Victoria dans les années 1970. McKay peint de façon de plus en plus sporadique et semble incapable de continuer à faire évoluer son art après 1970. Godwin produit ses plus amitieux tableaux « Tartan » au début des années 1970 mais, à la fin de la décennie, il se tourne vers la représentation de paysages. Parmi la génération suivante, Bruce Parsons et Kenneth Peters s'installent dans l'Est et Parsons abandonne entièrement l'abstraction. Simon de Jong déménage sur la côte Ouest et Donovan Chester se remet à la céramique vers 1975.

Si on l'envisage selon cette définition restrictive, le modernisme ne semble pas s'être enraciné très profondément à Winnipeg. Même si Don Reichert et Ken Lochhead y produisent des œuvres dignes de passer à la postérité dans les années 1960, ils abandonnent tous les deux l'abstraction dans les années 1970. De plus, Lochhead quitte la région pour s'installer à Ottawa. À Calgary, malgré les travaux avant-gardistes d'inspiration postimpressionniste des Maxwell BATES, Illingworth KERR et W. L. Stevenson réalisés dans les années 1950, l'abstraction ne fait pas école. Harold Feist enseigne pendant peu de temps à l'Alberta College of Art vers 1970, mais il ne commencera à peindre ses œuvres plus mûres qu'à New York et à Toronto, quelques années plus tard. Bruce O'Neil est probablement le peintre abstrait le plus accompli de l'Alberta dans les années 1970. Cependant, par la suite, il ne peint plus qu'occasionnellement. Vers 1975, dans les Prairies, le cœur du modernisme se trouve surtout à Saskatoon où il est nourri par les Emma Lake Workshops, et à Edmonton où l'activité se concentre autour de l' EDMONTON ART GALLERY.

Contrairement à Regina, Saskatoon conserve ses modernistes. Bill Perehudoff et Otto Rogers finissent par figurer parmi les principaux peintres canadiens des années 1970 et continuent à peindre à un niveau élevé par la suite. De plus, une nouvelle génération se fait remarquer. Dans les années 1970, Douglas BENTHAM devient le premier sculpteur d'importance dans l'Ouest à travailler avec de l'acier soudé dans la tradition des Picasso, David Smith et Anthony Caro, et le peintre Robert Christie apparaît comme un coloriste à la personnalité marquante. Dans les années 1990, se joindra à eux un peintre plus jeune, Jonathan Forrest, qui figure parmi les meilleurs de sa génération. Sous la direction de Christie et d'Otto Rogers, les Emma Lake Workshops retrouvent un nouveau souffle au cours des années 1970 et 1980.

Même si, de 1970 à 1980, l'Edmonton Art Gallery expose de nombreux artistes internationaux, les artistes de la ville demeurent très actifs pendant cette période. De nouveaux courants artistiques y sommeillent, en attendant de se révéler totalement. Douglas HAYNES a délaissé ses images aux empâtements plutôt rigides, pour un style pictural plus détendu qui s'épanouira après 1980, et le jeune sculpteur Allan REYNOLDS innove avec des constructions de bois qui annoncent les sculptures de pièces d'acier assemblées qui seront réalisées dix ans plus tard.

En 1978, Peter HIDE, un jeune sculpteur britannique, vient enseigner à l'Université de l'Alberta. Hide a été formé à la St. Martins de Londres par Anthony Caro. Son arrivée à Edmonton stimule le développement de la sculpture par assemblage lancée par Reynolds. Depuis cette époque, de nombreux sculpteurs - en général des élèves de Hide - ont transformé Edmonton en un centre international doté d'un style régional qui diffère des traditions dominantes de Smith et Caro (en fait, Caro - qui a dirigé un atelier à Emma Lake en 1977 - vient ensuite à Edmonton pour travailler sur place). Le style ayant cours à Edmonton a tendance à être compact, massif et monolithique, contrairement à celui de Caro plus ouvert et linéaire. Même si les artistes partagent certains intérêts communs, rien ne les empêche de développer un style personnel. Parmi eux figurent Catherine Burgess, Ken MACKLIN, Isla Burns, Vesna Makale et Clay Ellis, laquelle a récemment exploré les reliefs colorés en plastique cellulaire extrudé.

La peinture abstraite d'Edmonton a aussi quelque chose de banal. Beaucoup d'artistes ont été influencés par la technique abstraite, très courue dans les années 1970, qui consiste à recouvrir toute la toile, technique présente en particulier dans les tableaux des Américains Jules Olitski et Larry Poons. Ils trouvent leur propre voie dans les années 1980, à une époque où Edmonton cesse d'être une ville-champignon et où on peut trouver des espaces d'atelier dans des locaux commerciaux. C'est le cas de Terrence KELLER, Robert SCOTT, Graham PEACOCK, Phil Darrah et, plus récemment, de Mitchell Smith et de Sheila Luck, ainsi que de Douglas Haynes déjà mentionné. Malheureusement, la situation éloignée d'Edmonton pénalise bien des artistes qui aimeraient bien atteindre la notoriété nationale que mérite la qualité de leur art.

La peinture de paysages

Avant la Deuxième Guerre mondiale, la tradition anglaise domine la peinture dans les Prairies. Bien des artistes de l'Ouest de cette époque sont nés en Angleterre et y ont été formés. Leurs paysages sont influencés par Constable, Turner et les grands aquarellistes britanniques. Après la guerre, cette tradition fusionne avec le modernisme français et américain pour produire un nouveau genre des plus dynamiques.

Dans les années 1950, l'abstraction est « dans l'air ». Elle permet de réaliser des tableaux de grande dimension, à partir d'une organisation schématique et d'un dessin cubiste, et d'intégrer au processus créatif l'accident et le hasard. Les peintres-paysagistes se soumettent à cette influence tout en dénonçant sa prépondérance. Les artistes plus expérimentés sont soumis à cette tendance au milieu de leur carrière, alors que bon nombre des plus jeunes commencent par l'abstraction pour se tourner vers le paysage plus tard. Ils sont nombreux à vouloir explorer de nouvelles approches parce que les sujets des Prairies ont été largement traités par le GROUPE DES SEPT qui a dominé la peinture canadienne avant la guerre.

Juste après la guerre, la ville de Calgary est le centre d'art le plus en vue des Prairies. L'Alberta College of Art constitue le cœur de la scène artistique locale dont la vitalité est renforcée par la proximité de Banff avec ses paysages montagneux et son école d'art d'été. Même si l'influence du Groupe des Sept est forte à Banff, il est également possible de s'inspirer des aquarelles à la manière anglaise de W. J. PHILLIPS et d'A.C. Leighton. L'arrivée d'Illingworth Kerr à la direction de l'Alberta College of Art après la guerre paraît d'abord renforcer l'influence du Groupe des Sept. Kerr a été formé à l'Ontario College of Art à la fin des années 1920 et, dans les années 1930, il peint les paysages des Prairies dans le style du Groupe, particulièrement celui de Jackson. Cependant, au cours d'un été de la fin des années 1940, il étudie avec le peintre germano-américain Hans Hofmann, à Provincetown (N.Y.). Par la suite, malgré quelques expériences d'art abstrait, Kerr trouve le moyen de fusionner le style du Groupe et le modernisme d'après-guerre. De plus, il parvient à réaliser de grands tableaux avec des couleurs fauvistes, ce que les Sept n'ont jamais réussi à faire.

Calgary tarde à accepter l'abstraction, mais ce retard apparent présente des avantages. La peinture de paysages continue à y connaître un essor respectable. La ville abrite Maxwell Bates et W. L. Stevenson, qui sont influencés par l'expressionnisme européen. Bien que Bates soit tout d'abord un portraitiste, ses paysages, plus simples, obtiennent un succès qui ne se dément pas. Les paysages de Stevenson, qui rappellent ceux de Soutine, figurent parmi les plus saisissants du genre que le Canada ait produits. Malheureusement, il décède prématurément en 1965. Plus tard, Bill Dumas réalise de beaux paysages d'influence fauviste, et Barbara Ballachey, Ken Christopher et Michael Matthews, en partie dans le cadre de leur engagement à Emma Lake, développent un vigoureux style semi-abstrait qui doit beaucoup à l'abstraction des années 1960 et à l'Américain, Milton Avery.

À Winnipeg, vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, George Swinton peint des paysages « expressionnistes ». Dans les années 1970, Ivan EYRE peint, quant à lui, de grands paysages méticuleux en s'inspirant du surréalisme et de l'expressionnisme allemand.

Pour une raison quelconque, Regina n'abrite aucun peintre-paysagiste d'inspiration moderniste pendant la période de l'après-guerre, exception faite de Ted Godwin, qui commence à peindre des paysages à la fin des années 1970 et continue à le faire après avoir pris sa retraite à Calgary dans les années 1980. Tout comme son ancien professeur, Illingworth Kerr, il marie avec succès l'approche du Groupe des Sept avec le modernisme américain.

Edmonton ne dispose d'une véritable tradition de peinture de paysages ni pendant ni après la guerre. Toutefois, dans les années 1970, Ron Myren et Brian Chubb réalisent de nouvelles œuvres marquantes influencées par Goodridge ROBERTS et W. L. Stevenson. Dans les années 1980, Hendrik Bres, Gerald Faulder et Hilary Prince explorent des sujets plus nordiques. Bres, en particulier, trouve un moyen original de fondre l'abstraction contemporaine dans de longs tableaux qui rappellent des frises. John McKee, formé aux États-Unis, développe une approche photo-réaliste pour peindre les espaces verts des parcs.

Saskatoon, en partie à cause de son attachement aux ateliers d'Emma Lake, génère plusieurs peintres-paysagistes d'orientation moderniste, rivalisant ainsi avec Calgary. Trois d'entre eux, Ernest LINDNER, Reta Cowley et Wynona Mulcaster, émergent à la fin des années 1940. La sensibilité allemande de Lindner le pousse vers le couvert des forêts nordiques où il effectue, à l'aquarelle et à l'acrylique, des « portraits » en gros plan de souches pourries. Cowley s'inspire d'abord de W. J. Phillips, puis de John Marin pour produire quelques-unes des aquarelles les plus originales du moment. L'une des étudiantes de Cowley, Dorothy KNOWLES, passe de l'abstraction au paysage au début des années 1960 en suivant un atelier à Emma Lake et devient l'un des principaux peintres-paysagistes canadiens de l'époque. Ses toiles recouvertes d'une mince couche de peinture présentent un entrelacement de dessins suggestifs, souvent de grandes dimensions, qui rappellent de nombreuses influences, allant des aquarelles anglaises à Cézanne et même à Jackson Pollock. Greg Hardy et David Alexander apprennent aussi à Emma Lake à produire de saisissants paysages modernistes et Edward Epp - un autre artiste qui a fait ses premières armes dans l'abstraction - développe un style personnel original dans ses paysages à l'aquarelle.

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