Joey Smallwood | l'Encyclopédie Canadienne

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Joey Smallwood

Joseph « Joey » Roberts Smallwood, C.C., premier ministre de Terre-Neuve de 1949 à 1972, journaliste (né le 24 décembre 1900 à Mint Brook, à Terre-Neuve; décédé le 17 décembre 1991 à St. John’s, à Terre-Neuve). Principal promoteur de la Confédération à Terre-Neuve au 20e siècle, Joey Smallwood a joué un rôle important dans l’entrée de cette province dans la Confédération en 1949. Il est le premier à avoir occupé le poste de premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador et il y est resté pendant presque 23 ans. On l’appelle souvent « le dernier Père de la Confédération ». Avant sa mort, on l’appelait aussi « le seul Père de la Confédération encore vivant ».

Joey Smallwood
Smallwood signant l'entente qui fait entrer Terre-Neuve au sein du Canada, 11 décembre 1948.

Enfance et début de carrière

Joseph Roberts Smallwood naît le 24 décembre 1900 à Mint Brook, près de Gambo, à Terre-Neuve. Il est élevé dans la pauvreté à St. John’s et commence son éducation dans les écoles de la ville jusqu’à ce que son oncle Fred l’aide à s’inscrire comme pensionnaire au Bishop Feild College. Il quitte le collège en 1915, sans avoir terminé ses études, et devient apprenti imprimeur au journal Plaindealer, de St. John’s. En grande partie autodidacte, il connaît très bien le mouvement ouvrier et les questions de réforme (voir Histoire des travailleurs du Canada anglais). Pendant qu’il travaille comme compositeur typographe, il acquiert une expérience de journaliste, et il suit et commente les premiers vols transatlantiques en 1919.

Joey Smallwood se rend à New York, où il vit et travaille presque exclusivement pendant cinq ans (il revient au Canada plusieurs fois entre 1920 et 1925). Pendant ce temps, il occupe des postes dans les quotidiens progressistes The New York Call et The New Leader, ainsi qu’au New York Times et dans une agence de presse. Pendant l’élection présidentielle de 1924, il fait campagne pour le parti socialiste états-unien, lequel est affilié à The New York Call. Joey Smallwood se proclame « socialiste ».

De retour à Terre-Neuve en 1925, il devient organisateur syndical et radiodiffuseur. Il continue à travailler dans l’industrie journalière et fonde le Labour Outlook. Revenant d’un voyage en Angleterre en 1926, il s’établit à Corner Brook, à Terre-Neuve, et fonde le Humber Herald.

Joey Smallwood pense se présenter comme candidat libéral à Humber en 1928, mais il cède ce privilège au dirigeant du parti, sir Richard Squires, servant plutôt de directeur de campagne pour celui-ci. En remerciement de son travail, il est nommé juge de paix. En 1932, il échoue dans sa tentative de devenir le représentant de la conscription de Bonavista South.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il exploite une ferme porcine sur la base aérienne de Gander, à Terre-Neuve. Sa deuxième occasion de se lancer en politique se présente en 1946, avec l’annonce d’une convention nationale. Le nouveau gouvernement travailliste de Grande-Bretagne annonce que les Terre-Neuviens, jusqu’alors gouvernés en tant que protectorat par une Commission de gouvernement nommé, pourront élire des représentants pour conseiller le gouvernement sur l’avenir politique de Terre-Neuve. Joey Smallwood, partisan de la Confédération avec le Canada, est élu à la Convention en tant que délégué pour Bonavista Centre.

Carrière politique et Confédération

Pendant les années de la Convention nationale (1946-1947), Joey Smallwood fait sa place en tant que principal promoteur de la Confédération. En politique, il fait preuve de volonté, de courage et de rudesse, et maîtrise la propagande populiste pour devenir un exceptionnel politicien contemporain. Il croit que l’union avec le Canada amènera la prospérité à Terre-Neuve, et améliorera la qualité de vie des Terre-Neuviens en leur donnant accès aux normes nord-américaines de services sociaux, d’aide sociale et de services publics. Il domine les débats de la Convention nationale, malgré l’opposition de commerçants influents de St. John’s qui l’accusent de trahir l’indépendance de Terre-Neuve. Dans un discours mémorable, il assène aux Terre-Neuviens une triste vérité : « Nous ne sommes pas une nation. Nous sommes une municipalité […] délaissée par la marche du temps. »

Joey Smallwood est membre de la première délégation envoyée à Ottawa en 1947 pour discuter des dispositions potentielles de l’union de Terre-Neuve avec le Canada. Il joue un rôle déterminant pour faire inscrire la Confédération sur le bulletin de vote du référendum qui suit la Convention nationale. Ce référendum a pour but de choisir la forme de gouvernement que Terre-Neuve adoptera : maintenir la Commission de gouvernement, revenir au gouvernement responsable ou se joindre à la Confédération en tant que dixième province du Canada.

Joey Smallwood est directeur de campagne pour la Confederate Association, créée le 21 février 1948. Le parti lance officiellement sa campagne référendaire le 7 avril 1948, et son journal, The Confederate, est dirigé par Joey Smallwood, qui emporte deux référendums durement gagnés et très serrés le 22 juillet 1948 en promettant d’augmenter les services sociaux, y compris l’assurance-chômage, l’allocation familiale (aussi connue sous l’appellation « bonus du bébé »), des pensions bonifiées et une baisse du coût de la vie. À la suite de ce succès, Joey Smallwood est inclus comme membre de la délégation qui négociera les dispositions finales de l’union entre Terre-Neuve et le Canada. Il est nommé premier ministre du gouvernement provincial intérimaire le 1er avril 1949, élu chef du Parti libéral et gagne les premières élections provinciales en mai 1949. Pendant 20 ans, il n’aura pas d’adversaire sérieux aux élections provinciales. (Voir aussi Terre-Neuve-et-Labrador et la Confédération; Terre-Neuve se joint au Canada.)

Vie et carrière après la Confédération

En tant que ministre du Développement économique, Joey Smallwood contribue directement aux efforts de développement et d’industrialisation de Terre-Neuve-et-Labrador. Il encourage les investissements étrangers qui aideront à construire des usines et à stimuler la croissance de nouvelles industries. Son conseiller économique et directeur du développement économique, Alfred A. Valdmanis, aide à faciliter l’implication d’un certain nombre d’investisseurs allemands, mais rien de substantiel ne se concrétise. Par contre, Alfred A. Vandalmis accepte des pots-de-vin des constructeurs engagés pour bâtir les usines de ciment et de plâtre. Il est arrêté en avril 1954. En septembre de la même année, il est reconnu coupable de détournement de fonds.

Joey Smallwood établit aussi des relations privilégiées avec des chevaliers d’industrie, y compris John C. Doyle (exploitation minière) et John Shaheen (exploration et production du pétrole). Le politicien facilite l’acquisition des droits fonciers et miniers de John C. Doyle autour du lac Wabush, au Labrador (voir Wabush), et passe sur les transactions financières suspectes de son entreprise, la Canadian Javelin. La proposition de John Shaheen de construire une raffinerie à Come by Chance, à Terre-Neuve, se solde par une des faillites les plus importantes de l’histoire du Canada.

Dans le but de vivifier l’économie, Joey Smallwood cherche à développer les ressources naturelles de la province. Il développe une obsession à l’égard du projet d’énergie hydroélectrique des chutes Churchill, malgré que son développement s’avère un cauchemar de logistique et que le contrat de 1969 apporte peu d’avantages économiques à la province. Cela ternira sa carrière.

L’émeute de Badger en 1959 ternit également sa carrière et sa réputation de défenseur des travailleurs (voir Grève des bûcherons de Terre-Neuve). Le conflit éclate lorsque les bûcherons demandent aux International Woodworkers of America (IWA) de les représenter en remplacement de la Newfoundland Loggers Association (NLA). Celle-ci, avec l’appui de l’entreprise forestière, s’oppose à ce choix. En 1959, Joey Smallwood appuie l’entreprise et la NLA en retirant son accréditation à l’IWA, et en adoptant des lois qui annulent les droits de négociation collective des bûcherons et des syndicats en général. Pour protester, l’IWA déclenche une grève, et les bûcherons ajoutent leurs plaintes relatives à leur faible salaire et aux piètres conditions de travail. Le 10 mars 1959, le conflit s’envenime. Un membre de la Newfoundland Constabulary est matraqué et meurt peu après. L’Organisation internationale du travail, le Congrès du travail du Canada et le premier ministre John Diefenbaker condamnent la manière dont Joey Smallwood a géré la situation.

Malgré tout, Joey Smallwood et les libéraux sont reconnus pour la construction d’écoles, d’hôpitaux et de routes. Cependant, pour offrir les services à tous les Terre-Neuviens, les résidents de certaines communautés éloignées ont été réinstallés dans des « centres de croissance ». Cette expérience a produit un profond sentiment de bouleversement chez toute une génération de Terre-Neuviens.

Après avoir annoncé son intention de quitter la vie politique en 1968, Joey Smallwood a du mal à abandonner sa carrière politique et change d’avis plusieurs fois. Il survit à la contestation lancée par un ministre du cabinet mécontent, John Crosbie, lors du congrès à la direction de 1969. Cependant, aux élections d’octobre 1971, les conservateurs, dirigés par Frank Moores, gagnent 21 sièges, les libéraux de Joey Smallwood, 20 sièges, et le Nouveau Parti du Travail, un seul siège. Joey Smallwood démissionne de son poste de chef du parti le 18 janvier 1972 et quitte son siège peu après. Il tente sans succès de regagner la direction du Parti libéral en 1974. Il crée le Parti réformiste libéral, qui remporte quatre sièges aux élections de 1975. En 1977, il rejoint les libéraux, mais cède son siège et quitte la politique en juin de la même année.

Pendant sa retraite, il retourne à l’écriture. Il rédige notamment l’Encyclopedia of Newfoundland and Labrador (volume 1, 1981, volume 2, 1984). Trois autres volumes sont publiés de façon posthume (volume 3, 1991, volume 4, 1993, volume 5, 1994) par Harry Cuff Publications pour la Joseph R. Smallwood Heritage Foundation. Les recettes des ventes sont données au J. R. Smallwood Centre for Newfoundland Studies, à la Memorial University. En décembre 1986, Joey Smallwood est désigné Compagnon de l’Ordre du Canada.

Culture populaire

Joey Smallwood est le sujet du long-métrage documentaire de l’Office national du film du Canada A Little Fellow from Gambo: The Joey Smallwood Story (1970). Le documentaire montre le congrès à la direction du Parti libéral de Terre-Neuve en 1969, où est disputé le leadership de Joew Smallwood, premier ministre depuis 20 ans.

En 1974, Joey Smallwood apparaît dans un autre long-métrage documentaire de l’ONF intitulé Waiting for Fidel. Redevenu simple citoyen, Joey Smallwood se rend à Cuba avec le propriétaire de stations de radio et télévision Geoff Stirling et le réalisateur Michael Rubbo pour interviewer le dictateur cubain Fidel Castro. Joey Smallwood, qui se décrit lui-même comme un socialiste, et Geoff Stirling, capitaliste convaincu, débattent au sujet de la situation de l’État communiste, tout en attendant une entrevue avec Fidel Castro qui n’a jamais lieu.

Joey Smallwood apparaît dans plusieurs récits romancés de sa carrière politique, dont le film Joey (1982) de CBC télévision et la nouvelle de Wayne Johnston The Colony of Unrequited Dreams (1998). En 2015, Artistic Fraud of Newfoundland, une troupe de théatre située à St. John’s, met en scène une adaptation de The Colony of Unrequited Dreams. La pièce est présentée à Ottawa, Halifax et London en 2017.

Postérité

En tant que principal promoteur de la Confédération, Joey Smallwood est souvent appelé le « père de la Confédération » de Terre-Neuve. Son héritage est cependant contesté : il est loué pour ses accomplissements, comme l’amélioration des routes, des écoles et des services sociaux à Terre-Neuve-et-Labrador, mais est critiqué pour son échec à assurer le développement industriel de la province, et pour sa méthode de gouvernement de plus en plus autocratique au cours de son long mandat.

Joey Smallwood meurt le 17 décembre 1991 à St. John’s, à Terre-Neuve, quelques jours avant d’avoir 91 ans.

 

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