Commission Deschênes | l'Encyclopédie Canadienne

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Commission Deschênes

La Commission Deschênes (officiellement connue sous le nom de Commission d’enquête sur les criminels de guerre au Canada) est une commission d’enquête indépendante créée par le premier ministre Brian Mulroney. Son objectif était d’enquêter sur les accusations selon lesquelles de présumés criminels de guerre de la Deuxième Guerre mondiale avaient trouvé refuge et vivaient au Canada. La commission a adopté une approche large de son mandat, enquêtant sur les crimes de guerre ainsi que sur les crimes contre l’humanité. Alors que les crimes de guerre avaient déjà été établis comme un type spécifique de crime après la Deuxième Guerre mondiale, les crimes contre l’humanité n’étaient pas aussi clairement décrits et ne disposaient donc pas d’une structure de sanction claire et définie. Le résultat de ce rapport a été de formaliser les crimes contre l’humanité et de créer ce cadre. Plus précisément, le Code criminel a été modifié de manière à ce que les crimes de guerre constituent des infractions au droit canadien, quelle que soit la participation du Canada à ladite guerre. Un rapport final en deux parties a été achevé et remis à la fin de 1986. La première partie concluait que des criminels de guerre nazis présumés résidaient au Canada, mais aussi que le Canada n’avait pas les moyens juridiques de poursuivre ces individus. La deuxième partie du rapport — qui concerne les allégations contre des individus spécifiques — reste confidentielle.

Contexte

La Commission Deschênes a été créée à la suite d’une déclaration faite par le député Robert Kaplan à la Chambre des communes le 23 janvier 1985, selon laquelle Joseph Mengele, un tristement célèbre criminel de guerre nazi, vivait peut-être au Canada. Cette affirmation a été faite à un moment où l’intérêt pour les allées et venues de Mengele avait attiré l’attention internationale. Il était l’un des nazis les plus haut placés à avoir échappé aux poursuites judiciaires. De plus, étant donné son infamie pour les expériences médicales cruelles qu’il a menées sur les prisonniers d’Auschwitz, beaucoup jugeaient pertinent qu’on le retrouve et qu’on le traduise en justice.

En janvier 1985, le New York Times a rapporté que Mengele avait tenté d’entrer au Canada dans les années 1960. Cette information a été trouvée par Sol Littman dans des dossiers du gouvernement américain. La Commission Deschênes a par la suite déterminé que Mengele n’avait jamais vécu au Canada ni tenté d’obtenir un visa d’entrée au Canada en 1962.

La question des criminels de guerre ayant échappé aux poursuites et vivant en paix dans divers pays occidentaux est devenue une question majeure à la fin des années 1970 et tout au long des années 1980. Dans un exemple canadien bien connu, le criminel de guerre Helmut Rauca a été extradé au début des années 1980 pour faire face à des accusations en Allemagne de l’Ouest après avoir vécu au Canada pendant près de 30 ans.

Le 7 février 1985, le ministre de la Justice du Canada a annoncé qu’une commission d’enquête indépendante serait dirigée par Jules Deschênes, un juge de la Cour d’appel du Québec. La commission a été chargée de déterminer si des criminels de guerre nazis résidaient au Canada et quelles mesures juridiques pourraient être utilisées pour traduire ces personnes en justice.

Procédures

La commission a enquêté sur les crimes de guerre, qui sont généralement définis comme des infractions commises en temps de guerre contre un ennemi. Elle s’est également penchée sur le concept, alors relativement nouveau, de crimes contre l’humanité. Il s’agit de toutes les atrocités commises en temps de guerre ou de paix à l’encontre de tout groupe identifiable, y compris les personnes résidant dans le pays incriminé ou sur les territoires qu’il revendique.

La commission a été chargée d’enquêter pour savoir si des criminels de guerre vivaient au Canada et, le cas échéant, comment ils y étaient entrés. Elle devait également conseiller le gouvernement fédéral sur la façon de traduire en justice ces criminels de guerre au Canada.

Quelque 883 affaires ont fait l’objet d’une enquête. Il s’agissait d’une liste principale de 774 personnes, d’un addendum comprenant 38 noms supplémentaires et d’une liste de 71 scientifiques et techniciens allemands. En ce qui concerne la liste principale, on a découvert que 341 personnes n’avaient jamais vécu ou atterri au Canada, que 21 avaient atterri au Canada, mais étaient ensuite partis dans un autre pays, que 86 étaient décédés au Canada et que quatre étaient introuvables.

En outre, aucun commencement de preuve de crimes de guerre n’a pu être trouvé pour les 154 autres suspects. Le commencement de preuve est un terme juridique selon lequel on présume d’un fait sans pour autant y apporter une preuve irréfutable; il est donc accepté comme vrai jusqu’à preuve du contraire. Étant donné que la commission ne s’intéressait principalement qu’aux cas des nazis et de leurs collaborateurs qui pouvaient être poursuivis pour crimes de guerre avec des commencements de preuve disponibles, on juge que 606 affaires ne méritent aucune action supplémentaire et sont donc classées.

Dans 97 cas, les commencements de preuve sont introuvables, bien qu’on pense qu’elles existent en Union soviétique ou dans des pays d’Europe de l’Est. Des contraintes de temps ont empêché la commission d’enquêter sur les 38 noms figurant sur l’addendum, la liste des scientifiques et techniciens allemands, et sur 34 noms de la liste principale pour lesquels les agences étrangères n’avaient pas fourni de réponses. En raison de ces limitations et d’autres obstacles, la commission a déterminé qu’il n’y avait des commencements de preuve de crimes de guerre que dans 20 cas. Dans la deuxième partie confidentielle de son rapport final, la commission a formulé des recommandations sur la manière de procéder dans ces cas, y compris l’expulsion et les poursuites pénales. Le gouvernement a été encouragé à poursuivre l’enquête sur les cas restants.

Recommandations et conclusions

Le rapport final de la Commission Deschênes a été soumis au gouvernement le 30 décembre 1986, en deux parties, la première rendue publique lors de sa présentation au Parlement en mars 1987 et la seconde restant confidentielle à ce jour. La publication de la première partie du rapport a été retardée afin que les détails clés puissent être rendus plus généraux pour ne pas identifier les individus.

La commission a recommandé des modifications au Code criminel afin que les crimes commis en Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale puissent être traduits en justice au Canada. Elle a également recommandé des modifications à la Loi sur l’extradition afin de simplifier le renvoi des personnes recherchées par des pays étrangers pour crimes de guerre. En outre, la commission a recommandé des changements aux lois et procédures régissant la dénaturalisation (le retrait de la citoyenneté d’une personne) et la déportation.

Le rapport de la commission a conclu que le nombre de criminels de guerre qui pouvait vivre au Canada avait été exagéré, passant d’une poignée à des milliers au moment où la commission a eu lieu. Cette exagération pouvait toutefois s’expliquer par l’inclusion de collaborateurs du temps de guerre avec des criminels de guerre, ainsi que par des accusations contre des unités militaires entières. C’est le cas de la division ukrainienne de Galicie, que la commission, dans une décision hautement controversée, a innocentée de tout crime de guerre collectif. La division de Galicie faisait partie de la Waffen-SS, qui a été reconnue comme une organisation criminelle par le Tribunal militaire international lors du procès de Nuremberg. Des recherches universitaires menées depuis le milieu des années 1980 ont confirmé que la division de Galicie avait participé à des crimes de guerre. Un document fortement expurgé a été publié à la suite d’une demande d’accès à l’information. Il révèle que des membres d’unités de police ukrainiennes parrainées par les nazis qui ont participé au massacre de Juifs ont ensuite été membres de la division de Galicie. Bien que le gouvernement ait eu connaissance de ce rapport, il a choisi de ne pas le publier.

Certaines personnes ont conclu que l’enquête a contribué à blanchir l’histoire et était fonctionnellement incapable de produire des résultats tangibles. Ces conclusions s’appuient sur les raisons suivantes : la portée limitée de la commission, le fait qu’elle n’ait pas consulté les archives soviétiques et est-européennes, le fait qu’elle n’ait apparemment pas consulté les conclusions des procès de Nuremberg et d’autres précédents historiques, la suppression et la censure de certaines preuves documentaires, et les pressions exercées par le gouvernement pour que l’enquête soit conclue rapidement.

Tensions au Canada

La Commission Deschênes a donné lieu à un débat très public et émotionnel entre la communauté juive du Canada et la population canadienne d’origine est-européenne, en particulier les personnes qui avaient immigré au Canada après la Deuxième Guerre mondiale. Le public canadien a été choqué par le livre de Harold Troper et Irving Abella (1982), None is Too Many, qui démontrait que les politiques d’immigration ouvertement antisémites du Canada avaient empêché les Juifs européens de trouver refuge au Canada. Il était presque insupportable que l’on pense maintenant que le Canada hébergeait des criminels de guerre nazis, et ce depuis plusieurs décennies.

Les Canadiens non-juifs d’origine est-européenne qui ont immigré au Canada après la guerre et leurs familles, quant à eux, craignaient que la commission ne se transforme en une chasse aux sorcières. Les membres de ces communautés ont fait valoir qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de se ranger du côté des nazis contre l’Union soviétique (une affirmation controversée et toujours débattue). Les membres de ces communautés voyaient d’un mauvais œil la possibilité que la commission se rende en Union soviétique et dans les pays communistes d’Europe de l’Est pour consulter les documents conservés par ces gouvernements. Ils ont fait valoir que les preuves soviétiques n’étaient pas dignes de confiance. En revanche, les groupes juifs ont fait valoir qu’il n’y avait aucune base ou preuve que les Soviétiques avaient déjà fourni des documents inexacts ou faussés.

Le juge Jules Deschênes a tenté de fixer des conditions pour la consultation des preuves de l’Union soviétique et des pays du bloc de l’Est, mais on n’a pas obtenu de réponse satisfaisante de la part de l’Union soviétique avant l’été 1986. À ce moment-là, il a été déterminé qu’il était trop tard, étant donné que la commission avait déjà pris du retard (elle devait initialement se terminer à la fin de 1985).

Développements ultérieurs

Dans la foulée de la commission Deschenes, au milieu de l’année 1987, le Code criminel est modifié pour permettre le jugement des criminels de guerre nazis présumés vivant au Canada. En décembre 1987, des accusations sont portées contre Imre Finta, le premier Canadien à être poursuivi pour crimes de guerre en vertu du nouveau Code criminel modifié. (Voir aussi Affaire Finta.) Il a été accusé d’avoir confiné de force plus de 8600 Juifs dans une usine de briques située à Szeged, en Hongrie, en 1944, d’où ils auraient ensuite été envoyés dans les camps de la mort nazis d’Auschwitz et de Stasshof. Imre Finta a finalement été déclaré non coupable, et aucun autre procès pour crimes de guerre contre des nazis ou des collaborateurs des nazis n’a eu lieu au Canada par la suite.

Malgré cela, la question des criminels de guerre au Canada n’est pas encore réglée. Dix ans après les modifications apportées au Code criminel et la poursuite d’Imre Finta, les groupes juifs canadiens, les spécialistes de l’Holocauste, les chasseurs de nazis et les médias poursuivent leur enquête. En 1997, des documentaires, des rapports et des segments d’émissions télévisées d’investigation populaires ont été publiés ou diffusés sur les ondes de la CBC, de Global TV et de NBC, dans les pages du New York Times et à l’émission 60 Minutes de CBS.