Gloria Baylis | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Gloria Baylis

Gloria Leon Baylis (née Clarke), infirmière diplômée, militante des droits civils, fondatrice et propriétaire de la Baylis Medical Company (née le 29 juin 1929 à la Barbade; décédée le 12 avril 2017 à Montréal, au Québec). Gloria Baylis, une infirmière migrante des Antilles formée en Grande-Bretagne, a été le témoin principal dans l’affaire Sa Majesté la Reine, plaignante c. Hilton of Canada Ltd, accusé. (Voir aussi Canadiens d’origine antillaise.) Le 2 septembre 1964, au lendemain de l’adoption de la Loi sur la discrimination en matière d’emploi au Québec, Gloria Baylis s’est renseignée sur un poste permanent d’infirmière à temps partiel à l’hôtel Le Reine Elizabeth (QEH), exploité par Hilton of Canada. On lui a répondu que ce poste avait déjà été pourvu. Avec le soutien de la Negro Citizenship Association (NCA), Gloria Baylis a déposé une plainte. Le tribunal a conclu le 4 octobre 1965 que Hilton of Canada avait violé la Loi. Hilton of Canada fera appel de cette décision pendant 11 ans. Le 19 janvier 1977, la Cour d’appel du Québec a confirmé la condamnation initiale, exigeant une amende de 25 $ et les frais afférents. Cette affaire revêt une importance particulière. En effet, c’est la première fois, dans l’histoire du Canada, qu’une institution est reconnue coupable de discrimination raciale en matière d’emploi. (Voir aussi Préjugés et discrimination au Canada.)

Portrait de Gloria Clarke Baylis, novembre 2006.

Jeunesse et éducation

Gloria Baylis voit le jour le 29 juin 1929 sur l’île de la Barbade, dans les Antilles. Son père se nomme Reynold Leon Clarke et sa mère, Antoinette Margaret Clarke. Gloria grandit dans un foyer de la classe moyenne, aux côtés de ses douze frères et sœurs toujours vivants (deux autres enfants de la famille décèdent quelques mois après leur naissance). La mère de Gloria estime que l’éducation est la voie vers l’ascension sociale. Gloria Baylis fréquente l’école privée Thorpe’s, puis le collège pour filles Queen’s, où elle obtient son certificat de l’école Cambridge. Gloria Baylis aurait eu une enfance sans histoire, s’amusant dans des charrettes tirées par des ânes et jouant avec ses frères et sœurs.

À l’âge de 16 ans, elle donne des cours privés. Lorsque son employeur refuse de la payer, Gloria le poursuit en justice et obtient un accord à l’amiable.

En 1947, Gloria Baylis découvre dans les pages d’un livre de poche britannique une annonce encourageant les bénévoles à s’inscrire comme infirmières en formation. Il y a à l’époque une pénurie de personnel de santé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale (voir Soins infirmiers). À l’insu de ses parents, Gloria Baylis pose sa candidature à l’hôpital général de Kingston, à Londres, en Angleterre. Lorsque la jeune femme est acceptée dans le programme de formation en soins infirmiers, elle l’annonce aussitôt à sa mère. D’abord hésitants, ses parents lui donnent finalement la permission d’aller s’installer à Londres.

Gloria Clarke Baylis, date inconnue.

En 1948, l’année même où est établi le National Health Service (NHS) en Angleterre dans le cadre d’une vaste réforme sociale au pays, Gloria Baylis est en formation. Elle fait partie de l’exode massif de personnes originaires des Antilles ayant aidé le NHS à répondre à la demande accrue de services de soins de santé. À l’époque, les Antillais sont des sujets britanniques qui ont le droit légal de vivre et de travailler en Grande-Bretagne. En 1951, Gloria Baylis décroche son titre d’infirmière diplômée d’État (SRN) ainsi qu’un certificat de sage-femme à l’hôpital général de Kingston, en Angleterre. L’année suivante, elle émigre à Montréal, au Canada, où elle découvre un système de soins infirmiers complètement différent. On dit qu’elle aurait été stupéfiée par le niveau de rémunération, beaucoup plus élevé à cet endroit. Après avoir touché son premier salaire et payé pour ses premières nécessités, il lui reste encore des fonds disponibles. Elle embrasse le sol canadien, promettant de ne jamais le quitter.

Gloria Baylis travaille dans divers hôpitaux, dont l’Hôpital général de Montréal, le Reddy Memorial Hospital et l’Hôtel-Dieu de Montréal. En 1955, elle fait la connaissance de Richard, un citoyen britannique lui aussi immigré à Montréal. Le couple se marie en 1956. De cette union naîtront cinq enfants. Malheureusement, le premier enfant, une fille, décède peu après sa naissance. On dit que Gloria Baylis adore son métier d’infirmière. En 1964, avec deux jeunes enfants à la maison, elle veut continuer à travailler. Pauline Tisseur, une amie proche de l’infirmière, lui dit que l’hôtel Le Reine Elizabeth (QEH) recherche de nouveaux employés; un poste d’infirmière à temps plein et un autre à temps partiel sont annoncés dans la Montreal Gazette.

Sa Majesté la Reine c. Hilton of Canada Ltd.

Le 2 septembre 1964, Gloria Baylis se rend à l’hôtel Le Reine Elizabeth pour postuler au poste permanent à temps partiel. Toutefois, le personnel de l’hôtel lui répond que les postes ont déjà été pourvus. Plus tard dans la soirée, lors d’une conversation avec Pauline Tisseur, qui a postulé au poste à temps plein, Gloria Baylis réalise qu’il est impossible que les postes aient déjà été pourvus. On a donné à Pauline Tisseur un rendez-vous avec le médecin responsable le 4 septembre. À la suite de leur conversation, Gloria Baylis prend contact avec le personnel de l’hôtel, cherchant à savoir si les deux postes annoncés dans la Gazette ont été pourvus. La réponse : non.

Gloria Baylis s’adresse à la Negro Citizenship Association (NCA) pour obtenir de l’aide. La NCA, fondée par Donald Moore, conteste les politiques d’immigration qui refusent systématiquement aux Antillais l’entrée légale au Canada (voir Canadiens d’origine antillaise). À Montréal, les Noirs sont victimes de discrimination dans tous les domaines de la vie publique, y compris l’emploi. Il faudra attendre l’adoption de la Loi sur la discrimination en matière d’emploi en 1964 au Québec pour enfin voir l’interdiction de la discrimination raciale. (Voir aussi Canadiens noirs; Préjugés et discrimination au Canada.) La NCA espère que l’adoption de la Loi et un précédent judiciaire réussi pourront faire évoluer ces pratiques. La NCA encourage Gloria Baylis à déposer une plainte. L’organisme embauche ensuite Gerald N.F. Charness comme avocat principal. À la phase préliminaire, la défense du Reine Elizabeth demande le rejet de l’affaire, prétextant l’absence de preuves étant donné que le poste a été pourvu. Le juge Marcel Gaboury refuse.

Issue du procès

Le procès vise à déterminer si l’hôtel Le Reine Elizabeth a ou non enfreint la Loi le 2 septembre 1964. Alors que l’affaire Sa Majesté c. Hilton porte sur la race, la défense suggère que la maîtrise insuffisante du français de Gloria Baylis est la raison pour laquelle l’hôtel ne l’a pas embauchée (voir Langue française au Canada). Au moment du procès, Gloria Baylis travaille pourtant à l’hôpital Catherine Booth, où elle parle français. Comme l’affaire Sa Majesté c. Hilton concerne la discrimination raciale, il est nécessaire de démontrer la race, et seule Gloria Baylis peut témoigner et confirmer qu’elle est effectivement de race noire. Un moment clé du procès survient lorsque Gloria Baylis, en réponse à une question du procureur de la Couronne, se lève à la barre des témoins, déclarant : « Je suis Noire ».

Sur la base des preuves présentées, le juge conclut que l’hôtel Le Reine Elizabeth a enfreint la Loi. Selon le tribunal, l’hôtel a fait preuve de discrimination à l’égard de Gloria Baylis en raison de sa race et de la couleur de sa peau (voir Préjugés et discrimination au Canada). Le juge estime qu’au cours de la procédure d’évaluation des candidats, Gloria Baylis a reçu un traitement différent des autres personnes ayant postulé au même poste. Il soutient que le dossier de l’infirmière n’a pas été examiné, qu’il n’a pas été transmis au médecin et que Gloria n’a pas été invitée à un entretien. En ce qui concerne la sanction applicable, la Loi stipule à l’époque que « toute personne qui enfreint la présente loi est passible, en procédure sommaire, d’une amende de vingt-cinq à cent dollars ou, dans le cas d’une association d’employeurs ou d’employés, d’une amende de cent à mille dollars ». Hilton of Canada est ainsi condamné à une amende minimale de 25 $, plus les frais afférents. La communauté noire de Montréal, déçue par cette amende peu sévère, estime quand même que l’affaire aura eu un impact positif.

Importance

Sa Majesté c. Hilton est la toute première affaire de discrimination raciale dans le domaine de l’emploi à être couronnée de succès. (Voir aussi Affaire Fred Christie (Christie c. York.) Dans un article sur cette affaire en 2012, la Dre Dorothy Wills, ancienne secrétaire de la CNA, se souvient de l’époque où il n’y avait pas encore de Commission des droits de la personne du Québec ou de Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR). (Voir aussi Charte des droits et libertés de la personne du Québec.) Les membres de la communauté noire de Montréal n’avaient autrefois aucune protection juridique contre la discrimination et étaient donc peu disposés à faire documenter leur expérience afin de constituer un dossier en vue de l’adoption d’une législation contre la discrimination en matière d’emploi et de logement. La Dre Wills souligne que, grâce au courage de Gloria Baylis, « les gens avaient moins [peur] de raconter leurs expériences de discrimination ».

Pour l’Oracle, un journal de la communauté noire, cette décision en dit long et envoie un message clair sur le racisme au Canada. On peut lire dans un article paru en 1977 : « Cette affaire représente une victoire morale pour les Noirs, en particulier à une époque où le racisme semble se propager chaque jour davantage. La Cour, en agissant comme elle l’a fait, a montré que les institutions de notre société peuvent jouer un rôle positif dans la lutte contre le cancer qu’est le racisme. »

La confirmation, par la Cour d’appel du Québec, de la décision initiale de 1977 à la suite d’appels répétés de Hilton of Canada, illustre l’importance de cette affaire.

Fin de carrière

Gloria Baylis travaille comme superviseure à la salle d’opération de l’hôpital Catherine Booth jusqu’en 1969; l’affaire est alors toujours en cours. Elle travaille également aux côtés du Dr Henry Morgentaler, et continue de le faire même après son déménagement à Toronto avec sa famille en 1970. Le 1er juin 1970, alors qu’elle se trouve à Montréal, Gloria Baylis est mise en état d’arrestation avec le Dr Morgentaler, ainsi que deux autres infirmières et une secrétaire. L’arrestation a lieu avant l’arrêt de 1988 de la Cour suprême qui statue que la loi sur l’avortement contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés (voir Avortement au Canada). Après son arrestation, Gloria Baylis poursuit son travail en tant qu’infirmière privée, ainsi qu’aux unités de soins intensifs et aux salles d’opération de divers hôpitaux de Toronto.

De 1983 à 1984, Gloria Baylis agit à titre de vice-présidente du conseil d’administration du Central Registry of Graduate Nurses. Elle est également infirmière de plateau pour le film Youngblood en 1986.

Gloria Baylis fonde la Baylis Medical Company au début des années 1980 depuis son domicile. Cette entreprise, à l’origine un importateur et distributeur de dispositifs médicaux, sera constituée en société en 1986. En 2001, la Baylis Medical Company se réoriente vers la recherche, le développement et la production. Gloria Baylis prend sa retraite de la Baylis Medical Company en 2004.

Prix et distinctions

En hommage à Gloria Baylis, George Elliott Clarke, septième poète officiel du Canada (2016-2017), compose le poème Hommage à Gloria Clarke Baylis  : pionnière de la défense des droits de la personne au Canada (2017). En plus de cet hommage, Gloria Baylis reçoit les distinctions suivantes :

  • Prix de réalisation spéciale pour ses contributions remarquables au domaine de la condition physique et du sport amateur, gouvernement de l’Ontario (1985)
  • Prix Jackie-Robinson de la personne d’affaires de l’année, Association montréalaise des gens d’affaires et de profession de race noire (1999)

Lecture supplémentaire

Liens externes