Juifs et musique juive | l'Encyclopédie Canadienne

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Juifs et musique juive

La communauté juive au CanadaLes 245 860 Canadiens d'origine juive (recensement de 1986) représentent une grande diversité de langues ancestrales et de traditions culturelles.

La communauté juive au Canada

Les 245 860 Canadiens d'origine juive (recensement de 1986) représentent une grande diversité de langues ancestrales et de traditions culturelles. À cause de leur dispersion au fil des ans, la culture juive reflète, en plus de qualités typiquement juives, l'influence des divers pays où ces citoyens ont vécu.

Courants de l'immigration. Bien que des Juifs britanniques, souvent d'ascendance espagnole, soient arrivés en Nouvelle-Écosse et au Québec en 1759, la population juive du Canada demeura limitée jusque après 1880. Une importante famille de musiciens juifs installée avant cette époque, les Nordheimer (venue d'Allemagne), eut tôt fait d'embrasser le christianisme. Harriet Holman, une chanteuse de la Holman English Opera Troupe, était une Juive d'origine britannique. Les pogromes tsaristes de 1881-82 précipitèrent une immigration massive au Canada. Plusieurs enfants d'immigrants juifs devinrent des exécutants remarquables. Dans tous les cas, il s'agit de femmes, nées ou élevées dans la province de Québec et qui y revinrent après une carrière internationale : les cantatrices Pauline Donalda (née en 1882), Irène Pavloska (née en 1889) et Sarah Fischer (née à Paris en 1896 mais venue au Canada dans son enfance), et la pianiste Ellen Ballon (née en 1898).

C'est au tournant du siècle que les juifs commencèrent à arriver en grand nombre au Canada, et ce mouvement se poursuivit jusqu'à la Première Guerre mondiale. La plupart d'entre eux étaient Européens de l'Est profondément enracinés dans les traditions religieuses et la culture yiddish. Ils s'établirent à Montréal, Toronto et Winnipeg. Il est intéressant de noter que la plupart des enfants juifs nés dans la première décennie du XXe siècle et qui étudièrent la musique, optèrent pour des instruments à cordes. Ils comptent parmi eux les frères Adaskin, Percy Faith (qui choisit plus tard le piano et la composition), Louis Gesensway, Samuel Hersenhoren, Adolf Koldofsky, Isaac Mamott, Paul Scherman, Maurice Solway, Berul Sugarman et Harold Sumberg.

Les enfants nés dans la deuxième décennie du même siècle, tout en ne négligeant pas les cordes comme en témoignent Alexander Brott, Hyman Goodman, Eugene Kash, Zara Nelsova, Albert Pratz et Ethel Stark, se tournèrent aussi vers d'autres domaines. Louis Applebaum, Henry D. Brant, Samuel Dolin, Marvin Duchow, Morris Surdin et John Weinzweig ainsi que Brott devinrent compositeurs, et Minuetta Kessler, Ida Krehm, Gordon Kushner, Samuel Levitan et Freda Trepel, pianistes. Éventuellement, les musiciens juifs se firent valoir dans tous les secteurs de la profession musicale.

L'immigration juive de l'entre-deux guerres fut restreinte mais, pour la première fois, elle amena non seulement des chantres (cantors), mais aussi des musiciens profanes de formation, tels que Leo et Sara Barkin, Boris Berlin, Jan Cherniavsky et Elie Spivak. Durant les années 1930, les persécutions croissantes en Allemagne nazie forcèrent beaucoup de musiciens d'ascendance juive ou partiellement juive à émigrer. Peu d'entre eux avaient une connaissance étendue de la musique juive et leur contribution au Canada a été essentiellement celle d'Autrichiens, de Tchécoslovaques, d'Allemands ou de Hongrois. À cause d'une politique d'immigration restrictive du gouvernement canadien durant la Dépression, quelques-uns seulement purent entrer au Canada à cette époque, notamment Lotte Brott qui arriva en 1939 via la Suisse, et Emil Gartner qui s'enfuit de Vienne en 1938. Certains qui avaient émigré en Angleterre furent transférés au Canada en 1940 et confinés à des camps - Freddie Grant, Franz Kraemer, John Newmark et deux adolescents : Walter Homburger et Helmut Kallmann. D'autres arrivèrent par voie détournée pendant la guerre (par exemple Oskar Morawetz via la France) ou après la guerre : les frères Joachim, Andreas Barban, Erwin Marcus et Herbert Ruff via Shanghai, Walter Kaufmann via l'Inde, István Anhalt, Lazlo Gati, Emmy Heim, Charles Reiner et Heinz Unger via divers pays d'Europe.

L'immigration juive dans l'après-guerre fut moins liée aux persécutions qu'à l'opportunité et aux engagements professionnels comme ce fut le cas pour Karel Ančerl, Lorand Fenyves, Ida Haendel, Paul Hoffert, Mieczyslaw Kolinski, Ezra Schabas et George Zukerman. Toutefois, à la fin des années 1960 et plus particulièrement au cours des années 1970, de nombreux musiciens vinrent au Canada pour échapper aux vicissitudes de l'antisémitisme en Union soviétique. Plusieurs Soviétiques, instrumentistes à cordes pour la plupart, devinrent membres d'orchestres canadiens. D'autres entrèrent dans les facultés de musique des universités et quelques-uns poursuivirent une carrière de soliste. Au milieu du XXe siècle, des milliers de Juifs d'Afrique du Nord, du Proche-Orient et du Moyen-Orient, incluant Israël, se sont aussi établis au Canada. Dans les années 1980, l'émigration juive au Canada incluait des Beta Israel (d'Éthiopie) et des Bene Israel (de Bombay).

Traditions folkloriques

Au sein des communautés juives, les traditions furent maintenues grâce à des choeurs, des orchestres de mandolines et des orchestres à cordes. L'un des premiers groupes fut le Jewish Folk Choir de Winnipeg, fondé en 1910 par le chantre Moshe Jacob. Il y eut aussi le Toronto Hebrew Male Chorus fondé en 1929 par Ernest Dainty, qui n'était pas juif, le Toronto Jewish Folk Choir, le Montreal Jewish Folk Choir, le Workmen's Circle Choir of Montreal (fl. 1956) et le Sara Sommer Chai Folk Ensemble de Winnipeg, fondé en 1967.

La musique folklorique juive est tributaire de ses racines multiethniques. On peut la diviser en :

Musique askhénaze. Vers 1990, on a remarqué au Canada une légère reprise des chansons yiddish reflétant surtout une influence de l'Europe orientale. Si peu de jeunes parlent le yiddish - une langue d'origine germanique médiévale en grande partie - il était encore possible en 1990 d'enregistrer des chansons yiddish interprétées par les Anciens, ce que l'on fit pour préserver la langue. Dans les communautés d'Ashkénazes très orthodoxes, on parle encore le yiddish. À Toronto, les « Amis du yiddish  » et le Comité yiddish du Congrès juif canadien font la promotion de la chanson yiddish lors de réunions, d'ateliers ou de concerts informels. Plusieurs interprètes professionnels et semi-professionnels incluent régulièrement dans leurs programmes des chansons yiddish.

Musique séfarade. (On associe souvent « séfarade » à « non-ashkénaze » alors que le terme signifiait originellement « d'ascendance juive hispanique ».) La communauté séfarade compte environ1000 familles, établies surtout à Montréal et Toronto, qui parlent le judéo-espagnol (« Ladino »). Elles proviennent pour la plupart de la partie espagnole du Maroc septentrional; quelques douzaines de familles ont toutefois émigré au Canada à partir de la Turquie, de la Grèce, de la Bulgarie et de la Yougoslavie (auparavant terres ottomanes). De nombreux Marocains d'un certain âge chantent encore des romances (ballades) dont on peut retracer l'origine à la poésie espagnole d'antan; on peut aussi entendre des chansons paraliturgiques dans une langue teintée d'hébreu et de judéo-espagnol, de même que des chansons de mariage, de récréation ou des poésies lyriques en « haketiá » (judéo-espagnol marocain) et en « Ladino » (« Dzudez » et « Spaniol »). Dans la famille Oziel (Tanger-Toronto, Montréal), on compte plusieurs chantres liturgiques dont Moses (mort en 1989), Samuel et Abraham. On peut entendre partout dans le monde des chansons traditionnelles judéo-espagnoles; elles ont été enregistrées par Gerineldo de Montréal (fondé en 1980 et dirigé par Oro Anahory-Librowicz de Téhéran); par Kelly Sultan Amar de Melilla; par Solly (Solomon lévy de Tanger; et par Judith Cohen de Montréal.

D'autres groupes séfarades incluent des instrumentistes et chanteurs juifs de l'Irak, de l'Iran, de l'ancienne zone française du Maroc et d'autres régions de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui interprétent souvent de la musique du Moyen-Orient lors de mariages, de bar-mitzvas, etc. Habituellement, ils ont des orchestres mixtes qui peuvent inclure l'oud, l'accordéon (amplifié), la guitare électrique, le violon, les percussions du Moyen-Orient et les ensembles de tambours ou les synthétiseurs. Samy el-Maghribi (Rév. Salomon Amzallag), né au Maroc, a connu une renommée internationale pour ses interprétations de musique hébraïque et arabe, avant son émigration au Canada où il se produisit régulièrement jusqu'à sa retraite en Israël. Selim Azra ainsi que Charlie et Prosper Edéry, tous établis à Montréal, sont au nombre des musiciens juifs nord-américains bien connus.

Musique d'autres groupes. Quelque 200 Bene Israel de Bombay en Inde habitent à Toronto ou dans la région torontoise. Ils ont enregistré de façon plutôt systématique leur musique religieuse et ils offrent des cours en fin de semaine pour les jeunes de la communauté. Il est toutefois assez rare qu'ils chantent dans leur langue vernaculaire traditionnelle, le « marathi ». En 1991, Ann Samson, président du BINA (Bene Israel North America), et Victor Abraham, leader bénévole des services, furent parmi les dirigeants de cette petite communauté qui officie seulement pendant les Grandes Fêtes.

On comptait peu de Juifs yéménites au Canada en 1991; ils se rencontraient quelquefois à Toronto pour les Grandes Fêtes mais n'avaient aucun organisme officiel. Ahura Senemsky, une vocaliste yéménite demeurant à Toronto, a chanté quelques-unes des chansons paraliturgiques les plus connues qui font habituellement partie du répertoire masculin. On ne chante presque jamais, si ce n'est jamais, ici, de chants de la tradition judéo-arabe féminine.

Un petit groupe de Beta Israel, aussi connus sous le nom de « Falashas » - en provenance de l'Éthiopie - se sont établis au Canada au début des années 1980. Comme les Bene Israel et les Yéménites, ils n'officient que pendant les Grandes Fêtes; ils sont dirigés à Montréal par Avi-Shalom Dawit. La plupart sont assez jeunes. Ils interprètent à l'occasion des chansons folkloriques éthiopiennes en « amharic » lors des activités de la communauté juive, en se servant d'instruments traditionnels comme le «  krar » (lyre) et le « masengo » (luth à archet).

Musique folklorique israélienne. Il existe à travers le pays des gens et des groupes des milieux d'amateurs, de professionnels, d'éducateurs ou de récréologues qui portent un intérêt aux chansons et aux danses israéliennes. Parmi les groupes qui se produisent le plus souvent se trouvent le Chai Ensemble de Winnipeg et le Groupe Harimom de Montréal, dirigé par Maurice Perez.

Au sein de la communauté juive élargie, on peut entendre de la musique folklorique juive dans les synagogues, les centres communautaires, les colonies de vacances et les écoles; les groupes de jeunes ou de personnes de l'âge d'or font la promotion de la musique et de la danse juives surtout israélienne et ashkénaze sous des formes variées. Le Festival séfarade annuel de Montréal permet à des artistes séfarades d'ici et d'ailleurs de se produire. La coffeehouse Davka de Toronto recherche des interprètes de toutes les communautés juives. Les centres étudiants Hillel s'intéressent aussi activement à la culture juive et on peut suivre des cours s'y rapportant dans des établissements d'enseignement et des centres communautaires.

Les chants folkloriques yiddish de l'Europe orientale et les chansons séfarades ont fait l'objet de recherches et d'une collecte exhaustives. Israel Rabinovitch, dont l'article « Les Anciens éléments dans la chanson populaire des Canadiens-français » parut dans le Jewish Daily Eagle le 8 juillet 1932, établissait certains parallèles entre des chansons juives et des chansons du recueil d'Ernest Gagnon. L'étude de Ruth Rubin intitulée « Yiddish folk songs current in French Canada » parut dans le Journal de l'IFMC (janvier 1960). Sa collection (1948-69) de plus de 2200 chansons recueillies à Montréal, Toronto et New York a été déposée au Musée canadien des civilisations à Ottawa, de même que les enregistrements sur bande et le document « Yiddish folklore in Toronto » (un rapport sur le folklore yiddish à Toronto, 1968-69) de Barbara Kirshenblatt-Gimblett et l'étude de Dov Noy sur les chants et le folklore yiddish en Ontario. Ramón Pelinski consigna en 1974 les traditions séfarades des Juifs hispano-canadiens (voir CaCM, no 10, printemps-été 1975).

Le mémoire de maîtrise de Feldman porte sur son travail avec les chanteurs yiddish de l'Ouest du Canada. La thèse de doctorat de Sabbah de même que ses quelques articles traitent de la chanson judéo-hispanique. Sabbah et Anahory-Librowicz ont recueilli plusieurs centaines de chansons judéo-hispaniques à Montréal et Toronto. Lenka Lichtenberg et Galia Ben Mordehai, deux étudiantes de maîtrise à l'Université York en 1990, ont fait des études, l'une sur la musique liturgique ashkénaze et l'autre sur la musique juive irakienne.

Bibliographie
Geoffrey CLARFIELD, « Music in the Moroccan Jewish community of Toronto », CFMJ, IV (1976).

Anna FELDMAN, « Yiddish songs of the Jewish farm colonists in Saskatchewan, 1917-1939 », mémoire de M.A. (Université Carleton 1983).

Salomon LÉVY, « Le Monde musical des Séphardim montréalais », Samy el-Maghribi, S. Benbaruk et autres dir. (Montréal 1984).

Barbara KIRSHENBLATT-GIMBLETT et autres, « Folksongs in the eastern European tradition from the repertoire of Mariam Nirenberg », notices pour un micr. produit par le Yivo Institute chez Global Village Recordings (1986).

Oro ANAHONY-LIBROWICZ et Judith R. COHEN, « Modalidades expresivas de los cantos de bode judeo-españoles », Revista de Dialecrogía y Tradiciones Populares, XLI (1986).

Judith R. COHEN, « The Lighter side of Judeo-Spanish traditional songs : some Canadian examples »CFMJ, XV (1987).

-, « Judeo-Spanish songs in the Sephardic communities of Montreal and Toronto », thèse de Ph.D. (Université de Montréal 1989).

Dina SABBAH, « La Pratique de la musique liturgique et paraliturgique des Juifs originaires du Maroc à Montréal », thèse de Ph.D. (Université de Montréal 1989).

Musique de synagogue

Musique religieuse juive. Les styles de la musique religieuse judaïque ont changé au cours des siècles sous l'influence des divers pays où les juifs ont vécu. Néanmoins, cette musique s'est rarement éloignée de ses trois idiomes fondamentaux  : la cantillation exécutée à la synagogue le jour du sabbat, les modes juifs, sorte de système musical pour les prières chantées durant les jours saints, et les « scarbove » (mélodies sacrées) relativement récentes en regard de leur développement au cours des siècles, dont chacune constitue une sorte de leitmotiv signalant et délimitant du point de vue musical les principales prières de ces jours saints.

Les Juifs canadiens gardent un attachement plus marqué à la tradition que les Juifs américains parce que leur immigration massive au Canada s'est produite plus tard. Alors que les compositeurs contemporains des synagogues des É.-U. « modernisent » la musique religieuse de façon à la fois efficace et maladroite, la musique de synagogue canadienne reflète plus étroitement ses origines de l'Europe orientale et centrale et, par là même, ses caractéristiques sémitiques orientales. L'Europe orientale continue à influencer la musique de synagogue canadienne d'une part par sa musique folklorique, d'autre part par son traitement oriental plus ancien, plus fleuri, des textes de la prière. Ses chants tendent à être mélismatiques et, dans le cadre des modes spécifiés, improvisés. La contribution de l'Europe centrale, par ailleurs, consiste principalement en des mélodies et fragments de mélodies (notamment des airs de l'Autrichien Salomon Sulzer, 1804-1890, et de l'Allemand Lazarus Lewandowski, 1821-1894). Ces mélodies furent écrites dans un style volontairement « anti-oriental » tentant de subordonner le chant de synagogue aux canons de l'art du XIXe siècle, de la même manière que le fit Salomone Rossi au XVIIe. Dans les deux cas, il en résulta ce que Rabinovitch appela l'une des « inhibitions et des fastidieuses contraintes occidentales ».

Ces influences se fondent et se retrouvent dans la plupart des offices des diverses synagogues. Ainsi la même assistance, habituée au chant libre, mélismatique du cantor, acceptera sans commentaires, le très germanique « Sh'ma Yisrael » (« Écoute, O Israël  ») de Sulzer, une franche imitation du style de musique religieuse allemande du XIXe siècle qu'il connaissait et admirait.

Trois « divisions » du judaïsme sont représentées au Canada : l'orthodoxe, la conservatrice et la réformée.

La secte orthodoxe conserve le chant traditionnel et n'autorise qu'un nombre restreint d'innovations musicales. Le cantor orthodoxe a pour fonction essentielle de perpétuer les pratiques musicales de ses prédécesseurs européens. Il chante les prières avec ses fidèles dans un style responsorial, s'arrêtant parfois pour embellir à l'aide de la musique certains textes importantes (par exemple le K'dushah ou Sanctification). Aucun instrument ne peut être utilisé le jour du sabbat, mais toute grande synagogue orthodoxe entretient un choeur d'hommes et de garçons pour mener le chant de l'assistance, interpréter des compositions et accompagner le cantor en chantant les répons ou en soutenant à bouche fermée, un peu à la manière d'un orgue, les accords requis par les improvisations modales ou les solos du cantor.

La synagogue conservatrice du Canada est très proche de l'orthodoxe dans son style musical. Contrairement à son équivalent américan, qui permet souvent l'utilisation de l'orgue pendant les offices, elle conserve le style a cappella de jadis et, à l'exception d'un livre de prières plus succinct, demeure « orthodoxe » dans son approche musicale. Les choeurs mixtes y sont toutefois acceptés et il est possible d'y introduire de nouveaux arrangements musicaux.

Dans le judaïsme réformé, l'association coutumière du choeur, de l'orgue et du cantor permet une expansion musicale contrôlée. Le danger inhérent d'« occidentalisation » de ce style essentiellement oriental n'a pas toujours été évité. Au cours de ces dernières années, cependant, des compositeurs ont montré un plus grand souci de conserver les anciens chants tout en les revêtant de neuf et, de fait, plusieurs nouvelles mises en musique sont créées spécifiquement pour le livre de prière du judaïsme réformé. Avodath Hakodesh d'Ernest Bloch et Service sacré pour le samedi de Milhaud en sont des exemples européens. On compose beaucoup à l'intention du livre de prière du judaïsme réformé. Mais ces nouvelles oeuvres restent cependant plus traditionnelles au Canada qu'aux États-Unis et tendent davantage à remodeler les styles déjà existants qu'à s'en éloigner.

Peu de compositions canadiennes pour la synagogue ont été imprimées. La première fut probablement Erech Tefila de L. Herzig (Montréal 1915). Parmi les autres figurent les oeuvres de Ben Steinberg, publiées aux États-Unis et en Israël. Dans ce contexte, les autres compositeurs et chefs de choeur canadiens incluent : Milton Barnes, Benjamin Brownstone (cantor, chef de choeur, compositeur; Bessarabie, Russie, v. 1888 - Winnipeg, 1972), Boris Charloff (cantor, compositeur; Tiktin, Pologne, 1896 - Toronto, 1972), Allan Fine (Siauliai, Lituanie, 1926; basse, chef de choeur du Beth Israel Temple Choir, Hartford, Conn., alors qu'il vivait à Montréal), Emil Gartner (voir Toronto Jewish Folk Choir), Srul Irving Glick, Yekutiel Kronick (pédagogue, chef de choeur, compositeur; décédé à Montréal, v. 1964), Abraham Krashinsky (chef de choeur actif à Montréal, né en 1893?), Gordon Kushner, Samuel Levitan, Sid Robinovitch, Aaron Rosemarin (cantor, compositeur; Loutsk, Volhynie, v. 1865 - Montréal, 1932), Jacob Rosemarin (compositeur, chef de choeur; Sidilkov, Russie, 1892), Mordecai Sandberg (compositeur; Roumanie, 1897 - Toronto, 1973), Sara Udow (chef de choeur, soprano; Winnipeg, 1921 - 1971), Yehuda Vineberg (chef de choeur actif à Montréal, né v. 1925) et Bernard Wladowski (cantor, compositeur; Smila, près Kiev, Russie, 1871 - Toronto, 1963).

Chantres juifs (« cantors »). Après la destruction du second Temple de Jérusalem en l'an 70, des synagogues furent ouvertes partout où vivaient des juifs, et le hazan (« cantor ») se devait d'y chanter une partie différente de la Torah (les cinq livres de Moïse) à chaque sabbat, achevant le cycle entier à la fin de l'année. À l'origine, le hazan n'était rien de plus qu'un bedeau pour qui le chant du rituel s'ajoutait à d'autres tâches comme l'enseignement aux enfants ou l'abattage rituel des animaux (effectué humainement) pour la nourriture de la communauté. Finalement, grâce à leurs belles voix et à un vaste répertoire de riches mélodies, les chantres furent de plus en plus considérés au sein de leurs communautés. En effet, de la fin du Moyen Âge au XIXe siècle, la musique de synagogue fut presque exclusivement le domaine du chantre virtuose, dont les improvisations mélodiques et interprétations de la cantillation traditionnelle constituèrent souvent le sommet de la culture des communautés juives d'Europe. Même en 1991, après l'introduction, en quantité importante, de musique chorale et, dans certains cas, d'orgue au sein du culte juif, le rôle musical de l'hazanut (chant du « cantor ») demeurait fondamental et conférait toujours à la musique de synagogue ses caractéristiques les plus distinctives.

Jusqu'à l'époque de l'holocauste nazi, la principale source de vitalité et de créativité dans l'art du hazan émanait des chantres et musiciens des synagogues d'Europe. Après la Deuxième Guerre mondiale, l'autorité en matière de culture juive se transporta en Amérique du Nord. Les « cantors » canadiens, peut-être à cause de leur attachement ferme à leur héritage musical, ont été plus conservateurs que novateurs. C'est dans les trois centres principaux où vivent les juifs au Canada - Montréal, Toronto et Winnipeg - que la musique du « cantor » s'est développée avec le plus de vigueur.

Parmi les chantres les plus réputés de Montréal ont figuré Aaron Rosemarin, Joseph Dlin (Bessarabie, 1907), Otto Staeren (Vienne, 1907), Nathan Mendelson (Glasgow, v. 1902), Samuel Taube (v. 1912) et Solomon Gisser (Varsovie, 1917). Les synagogues de Toronto se sont enrichies des contributions d'Abraham Barkin (1882 - Toronto, 1939), Akiva Bernstein (Jesiorna, Pologne, 1893 - Toronto, 1968), Boris Charloff, Alexandre Steinberg (Zhtomer, Russie, 1893 - Toronto, 1960), Nathan Stolnitz (1893 - Toronto, 1969), Bernard Wladowski et Chaim Meyer Zimmerman (1884 - Toronto, 1954). À Winnipeg, les « cantors » Moshe Jacob (1884 - Winnipeg, v. 1960) et Benjamin Brownstone furent renommés dans leur milieu.

Les deux esquisses biographiques ci-après sont des exemples caractéristiques de carrières des premiers « cantors » au Canada.

Bernard Wladowski fut l'un de nombreux « cantors » réputés nés à Kiev ou dans les environs. Il reçut sa première formation et remplit son premier office de « cantor » à Kiev. Par la suite, il devint successivement hazan municipal de Bakhmut et de Sébastopol, premier « cantor » de la nouvelle synagogue de Constantinople, et « cantor » en chef de la grande synagogue de Bucarest, en Roumanie, où il travailla aux côtés du talentueux compositeur Leo Low. Après trois ans d'exercice à un poste important à Chicago, il se fixa à Toronto et fut « cantor » à la synagogue de la rue McCaul durant plus de 25 ans, jusqu'à sa retraite. Directeur et compositeur de musique de choeur réputé, il donna plusieurs concerts et, vers 1910, fut l'un des premiers à enregistrer de la musique de « cantor ». Il mourut à Toronto à 92 ans.

Le « cantor » Benjamin Brownstone se fixa à Winnipeg en 1921 et se fit connaître comme compositeur de musique synagogale, auteur de nombreux articles savants sur la musique juive et chef de choeurs d'adultes et d'enfants. À titre de dir. du Jewish Community Choir de Winnipeg, il donna plusieurs concerts et, en 1960, fut honoré par la communauté juive de cette ville pour ses réalisations. Il reçut également un grade h.c. du Hebrew Union College de New York. L'une de ses plus grandes contributions fut indubitablement son enseignement de l'art cantorial. Certains grands « cantors » d'Amérique du Nord reçurent leur formation et leur inspiration du « cantor » Brownstone.

Les trois écoles nord-américaines dispensant une formation de « cantor » sont situées aux États-Unis. L'un des « cantors » canadiens est diplômé de la New York School of Sacred Music (Benjamin Maissner de Toronto) alors que d'autres ont reçu leur formation de « cantors » plus âgés reconnus comme des maîtres - un système qui a fait ses preuves. Il en fut ainsi, par exemple, des « cantors » Joseph Cooper, Paul Kawarski, Eli Kirshblum et Severin Weingort de Toronto; de Louis Berkal et Judah Smolack de Winnipeg; de Murray Nixon de Vancouver et Montréal; de David Bagley, Sidney Dworkin, Hyman et Solomon Gisser, Shimshon Hammerman et Ari Subar de Montréal. Durant les années 1970, Esther Ghan Firestone de Toronto était la seule femme « cantor » au Canada et, pendant les années 1980, Ruth Slater de Hamilton se joignit à elle, de même que quelques autres pour de courts laps de temps.

Bibliographie
A.Z. IDELSOHN, Jewish Music in Its Historical Development (New York 1929).

Nathan STOLNITZ, Music in Jewish Life (Toronto 1957).

-, On Wings of Song (Toronto 1968).

4. Musique de concert. Les oeuvres profanes de compositeurs juifs dénotent fréquemment l'influence de la musique liturgique juive ou incorporent les mélodies folkloriques des juifs de l'Europe de l'Est. Toutefois, plusieurs oeuvres composées après les années de persécutions nazies sont basées sur l'expression, en prose ou en vers, d'une douleur profonde à l'égard des Juifs qui souffrirent l'humiliation et la mort. D'autres sont de joyeuses célébrations du rétablissement d'Israël, même si l'on y trouve encore quelques sentiments de douleur et d'anxiété. From the Diary of Anne Frank d'Oskar Morawetz reçut un prix spécial de la fondation Segal de Montréal en 1971, comme la plus importante contribution canadienne à la musique juive à ce jour. La cantate Echoes of Children de Ben Steinberg gagna l'International Gabriel Award en 1979 lors de sa création à la SRC.

Nombre de synagogues de Toronto ont commandité des séries de concerts d'oeuvres de compositeurs juifs. La première, commencée en 1970, est celle du temple Sinai qui continue à chaque année d'organiser une série de huit événements dont un récital-récompense annuel gagné par un jeune interprète de talent; le temple Holy Blossom a entrepris une série de trois événements en 1986 comme le fit la synagogue Beth Tikvah en 1989.

Dans plusieurs synagogues canadiennes, le « Shabbat Shira » (le sabbat de la chanson qui survient d'ordinaire en janvier et signale le début du Mois de la musique juive) donne l'occasion de faire des offices-concerts de musique liturgique, à la fois traditionnelle et contemporaine. Un groupe de chefs de choeur de synagogue dynamique continue cette tradition, notamment Eleanor Ackerman-Rice, Amy Gilbert, Srul Irving Glick, Brahm Goldhamer, Charles Hiller, Gordon Kushner et Ben Steinberg de Toronto; Sheila Roitenberg de Winnipeg; Miriam Brightman de Vancouver; Lou Burki, Yossi Milo et Yehuda Vineberg de Montréal.

À partir de 1967, le Comité de la musique du Congrès juif canadien a joué, sous la codirection de Gordon Kushner et Ben Steinberg, un rôle de premier plan en commanditant à chaque année le Jewish Choral Festival de Toronto et la venue d'artistes israéliens renommés comme le chef d'orchestre et compositeur Aharon Harlap, natif de Winnipeg, le chef de choeur Maya Shavit et la Yehud Youth Orchestra. Ce comité coordonne les activités du Mois de la musique juive, une célébration annuelle durant de six à huit semaines et ayant pour but d'encourager les compositeurs de musique juifs à écrire de la musique juive liturgique ou profane. Mis sur pied aux États-Unis en 1944, le Mois de la musique juive fut inauguré au Canada par le Congrès juif canadien lors d'un concert, donné le 3 mai 1948 au temple Holly Blossom de Toronto par la Canadian Little Symphony sous la direction de Harold Sumberg. Ces dernières années, les activités comprenaient des émissions à la radio et la télévision, des concerts de musique chorale et instrumentale, des festivals de danse, des expositions et des conférences à Montréal, Toronto, Vancouver et Winnipeg. Plusieurs oeuvres ont été parrainées par les comités de musique du Congrès de Toronto et Montréal, notamment la Symphonie no 1 d'István Anhalt, commandée en 1958 pour célébrer le bicentenaire de l'établissement des Juifs au Canada. Parmi les autres commandes des Congrès juifs du Canada et de Toronto, on note :

1950

« Courage My People, You Need Courage », chanson de Philip Podoliak.

« Psalm 26 », chanson; paroles d'A.M. Klein; musique de Harry Freedman.

Credo pour orchestre de Morris Surdin.

1952

Invocation and Dance pour violon et piano d'Alexander Brott.

« Die Zun Fargeht », chanson de Jack Kane.

« Artzah Alinu » pour piano d'Oskar Morawetz.

« Dance of Massadah », chanson; paroles d'après un poème d'I. Lamdam; musique de John Weinzweig.

1953

She'Hecheyanu, oeuvre chorale de Benjamin Brownstone.

Am Yisrael Chay, oeuvre chorale; paroles d'après un poème de Malka Lee; musique de John Weinzweig.

1955

Mood (Shtimmung) pour violon et piano de Leo Spellman.

« Yam Lieder », chanson folklorique yiddish; arr. de Morris Surdin.

« Dem Milner's Trern », chanson folklorique yiddish; arr. de Morris Surdin.

« Oif'N Veg Shteht A Boim », chanson folklorique yiddish; arr. de Louis Applebaum.

« Unser Rebbenyu », chanson folklorique yiddish; arr. de Louis Applebaum.

Suite of Israeli Dances pour orchestre de Raymond Jessel.

1960

Psalm 148 pour baryton, choeur et piano de Raymond Jessel.

1971

Who Has Allowed Us to Suffer pour choeur; paroles d'après le journal d'Anne Frank, musique d'Oskar Morawetz.

1972

Jerusalem pour voix solo, choeur et piano de Ben Steinberg.

1973

B'Reisheet pour orchestre de chambre de Morris Surdin.

1974-86

Mah Tovu, prière pour choeur mixte et quatuor à cordes de Srul Irving Glick.

Three Songs From Medieval Jewish Life de Sid Robinovitch.

« Yiddish »; paroles d'après un poème de Peter Miransky; musique de Samuel Levitan.

Deuteronomy XXXII pour voix et flûte de Samuel Dolin.

We Are One deSaul Chapman.

Psalm 121 pour voix, flûte et piano de Steven Gellman.

Shir Hashirim (Song of Songs) pour choeur mixte, flûte alto et piano de Sasha Weinstangel.

Milton Barnes est un compositeur dont les oeuvres sont typiquement juives. Il a composé plus de 80 oeuvres dont The Dybbuk : a Masque for Dancing; les cantates Psalms of David et Shir Hashirim, Hannukah Suite no 1 pour orchestre de chambre, Poème juif pour quatuor avec piano, l'oeuvre chorale Madrigals (d'après des textes séfarades médiévaux).

La Jewish Music Society of Toronto, bras droit du Comité de la musique du Congrès juif de Toronto, formée en 1987, a organisé des concerts de musique vocale, mettant en vedette le ténor Nico Castel, le « cantor » Louis Danto, Jerome Barry et d'autres; des concerts de musique de chambre instrumentale avec le trio Ekko, Lawrence Cherney, Erica Goodman et le Quatuor à cordes Amati; des programmes pour enfants avec Helena Tine; des concerts de musique populaire avec l'harmonie klezmer Finjan de Winnipeg; et des concerts de musique floklorique avec Gerineldo. Solomon Volkov a présenté un document universitaire sur Chostakovitch, Kay Shelemay sur la musique juive syrienne, et Phillip Bohlman sur la musique juive allemande.

John Reeves a réalisé plusieurs excellents programmes de musique juive canadienne à la radio de la SRC, dont Sons of Jacob de Sid Robinovitch (avril 1981), The Story of Ruth, une cantate de Saul Chapman (juin 1981), The Scattered of Israel, une cantate de Ben Steinberg (décembre 1981), Shir Hanagid'de Robinovitch (décembre 1983) et The Crown of Torah, une cantate de Steinberg (avril 1983).

Musique populaire juive

Les ensembles « klezmer » ont connu un regain de popularité internationale pendant les années 1980. Le mot yiddish « klezmer » vient du hébreu « kele-zemer », terme signifiant « instruments de musique ». Le terme « klezmorim » (pluriel) qualifiait des musiciens juifs européens itinérants qui existèrent de la fin du Moyen Âge jusqu'au milieu du XIXe siècle. Ils improvisaient, accompagnaient les chanteurs et jouaient lors de mariages ou autres événements communautaires juifs ou non juifs. Maurice Solway dans son livre Recollections of a Violinist (p. 16) mentionne avoir joué dans son cercle familial à Toronto, au début du XXe siècle « des pièces de musique folklorique russe et juive, dont quelques-unes se rapprochaient de la tradition klezmer avec son côté violoneux très ornemental ». Les deux harmonies canadiennes « klezmer » les plus connues, de la période de reprise sont Finjan, formé à Winnipeg en 1982 par Myron Schultz, clarinettiste et saxophoniste, et la Flying Bulgar Klezmer Band, formée à Toronto en 1987 par le trompettiste David Buchbinder. Ces ensembles ont enregistrés des oeuvres - le premier From Ship to Shore (1987, F-001) et le second, Flying Bulgar Klezmer Band (1990, Flying Bulgar CD-001). Ils se sont fait connaître en dehors de la communauté juive, dans des milieux de folklore, de jazz ou de « world music ». Les groupes Simchaphonics de Vancouver et Tzimmus de Victoria ont aussi connu une certaine popularité dans leurs communautés respectives.

Le Chai Folk Ensemble de Winnipeg, qui se spécialise dans la chanson et la danse juives, ajoute aussi beaucoup au tissu musical de la communauté juive canadienne. Plusieurs chorales communautaires dynamiques ont un répertoire allant de la musique populaire juive à la musique liturgique et sérieuse. Parmi celle-ci, on remarque la chorale Ron Am, le Kinnor Choir, (séfarade francophone) et le Workmen's Circle Choir de Montréal; le Jewish Folk Choir (chorale juive canadienne la plus ancienne) de Toronto; la Jewish Community Chorale de Windsor; le Rinat Folk Ensemble et les Shiron Singers de Vancouver.

Des vocalistes se spécialisent aussi en musique populaire juive (chansons de folklore et de théâtre yiddish, chansons populaires israéliennes), notamment : Batsheva, Bluma, Naiomi Bell, Jenny Eisenstadt et Lenka Lichtenberg de Toronto ainsi que Fran Avni de Montréal. Parmi les vocalistes d'harmonies « kezmer », on compte : Floralove Katz d'Ottawa, Shayla Fink de Winnipeg et Allan Meyerovitch de Toronto.

De plus, les principaux centres juifs canadiens (Toronto, Montréal, Winnipeg et Vancouver) ont tous des ensembles qui se produisent lors de mariages, bar-mitzvas et autres événements communautaires.

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