Minorité modèle | l'Encyclopédie Canadienne

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Minorité modèle

Le concept de minorité modèle est un mythe et stéréotype que la discipline des études asiatiques américaines a initialement identifié dans les années 1970. Ce champ d’études est né en réponse à l’omission et à la marginalisation des Américains d’origine asiatique dans l’étude de l’histoire américaine. Ce stéréotype aux nombreuses conséquences négatives présente les Asiatiques comme des travailleurs acharnés, prospères sur le plan économique et qui réussissent dans les études et au travail. Il divise les communautés de Canadiens d’origine asiatique, dont les Asiatiques de l’Est, les Asiatiques du Sud-Est, les Asiatiques du Sud et les Centre-Asiatiques, ainsi que les autres groupes issus de minorités raciales. Ce mythe de la minorité modèle fait également abstraction de l’histoire de racisme systémique dont les Canadiens d’origine asiatique font l’objet et banalise les problèmes contemporains au sein de ces communautés. (Voir aussi Canadiens de l’Asie du Sud ; Canadiens de l’Asie du Sud-Est (Asiatiques du Sud-Est) ; Sino-Canadiens ; Canadiens d’origine japonaise.)

Stéréotype de la minorité modèle et histoire connexe de racisme

Les minorités ethniques des États-Unis ont souvent cherché à se présenter sous un jour favorable en vue de lutter contre la discrimination. Durant les années 1940, les Asiatiques et les Noirs cherchent à gagner le respect de la majorité blanche de la société. Ils s’en acquittent en faisant valoir leurs valeurs familiales traditionnelles, l’obéissance de leurs enfants, leur assimilation réussie, leur contribution au sein des forces armées et leur bonne éthique de travail. Cependant, alors que le mouvement des droits civils des Noirs gagne du terrain dans les années 1960, la majorité blanche qui domine la société ne cherche qu’un avantage lorsqu’elle loue les Asiatiques qui se décrivent comme étant respectables. En hissant les Asiatiques au rang de minorité raciale assimilée qui a tendance à réussir, la majorité blanche de la société rejette le récit de l’oppression raciale et les revendications des défenseurs des droits civils des Noirs. C’est par cette manœuvre politique que naît le stéréotype de la minorité modèle asiatique.

Les États-Unis et le Canada entretenant des liens économiques et culturels étroits, le stéréotype de la minorité modèle s’enracine également dans la conscience canadienne. Selon Gordon Pon, professeur agrégé en travail social à l’Université Ryerson, le stéréotype américain de la minorité modèle rejoint la tendance canadienne à présenter les Canadiens d’origine asiatique comme des personnes collectivistes qui réussissent. Il fait valoir que, dans le contexte canadien, le stéréotype de la minorité modèle s’amalgame au multiculturalisme canadien d’une façon qui éclipse le racisme anti-asiatique. La perspective multiculturelle à l’égard des cultures asiatiques entretient une perception obtuse et rigide des cultures asiatiques. En magnifiant les aspects superficiels des éléments culturels asiatiques, comme la nourriture, les vêtements et l’art, ainsi que les valeurs traditionnelles de la minorité modèle, le multiculturalisme réduit les Canadiens d’origine asiatique à des êtres unidimensionnels. Il ne tient pas compte des changements culturels, de la diversité présente au sein des cultures asiatiques et des réalités diasporiques en constante évolution. De plus, en prétendant être un pays multiculturel qui accueille sans distinction des personnes de tous les milieux culturels, le Canada perpétue le mythe que le racisme anti-asiatique est inexistant. Le Canada a en fait une longue histoire de racisme anti-asiatique, qui perdure à ce jour.

Lutte des Canadiens d’origine asiatique contre le stéréotype de la minorité modèle

Lorsque les Asiatiques commencent à être vus comme une minorité modèle, les décideurs politiques blancs instaurent moins de lois racistes et modifient leurs attitudes à l’égard des Asiatiques américains. Dans le contexte canadien, la Loi sur l’immigration de 1967 permet d’accueillir des immigrants au Canada sur la base d’un système de points plutôt que sur celle de la citoyenneté nationale (voir Politique d’immigration au Canada). Elle permet d’accepter de nombreux immigrants asiatiques hautement instruits au Canada. Cette tendance migratoire vient renforcer le stéréotype de la minorité modèle.

Les médias de masse canadiens perpétuent le mythe de la minorité modèle dans leur façon de présenter les Canadiens d’origine asiatique dans les reportages d’actualités, ce qui entraîne parfois de vives réactions défavorables. Lorsqu’un segment télévisé intitulé « Campus Giveaway » est diffusé, en 1979, dans le cadre de l’émission W5 sur la chaîne CTV, les Canadiens d’origine asiatique sont scandalisés (voir Télévision). Ce segment avance que les étudiants étrangers chinois « prennent d’assaut » les universités canadiennes. Il fait valoir que le gouvernement fédéral subventionne leur formation et prive les étudiants canadiens blancs de la possibilité de suivre des études postsecondaires. Ces revendications sont reconnues comme sans fondement et racistes par le regroupement Ad Hoc Committees of the Council of Chinese Canadians Against W5. On découvre plus tard que de nombreuses personnes présentées à l’écran comme étant des citoyens chinois sont en fait des étudiants canadiens d’origine chinoise. Les étudiants canadiens d’origine asiatique se mobilisent pour écrire des lettres de protestation visant à dénoncer le segment télévisé. Les dirigeants de communautés de Canadiens d’origine asiatique se joignent à leurs manifestations et à leurs réprobations. Sous l’écrasante pression exercée par ce regroupement, CTV finit par présenter des excuses et congédie le producteur du segment. Cet incident provoque le ralliement des membres de la communauté asiatique canadienne et mène à la fondation du Conseil national des Canadiens chinois, un groupe militant toujours actif à l’heure actuelle.

En 2010, un autre incident de nature raciste en lien avec la minorité modèle suscite l’indignation. La revue Maclean’s publie un article intitulé « Too Asian? », dans lequel on déplore le nombre important d’étudiants asiatiques fréquentant les meilleures universités du pays. Les auteurs de l’article dénigrent la propension des étudiants asiatiques à agir en travailleurs acharnés hautement performants et peu enclins à socialiser ou à s’amuser. Ils justifient également le déséquilibre régnant sur les campus canadiens par le fait que les étudiants blancs instruits refusent de s’inscrire à certaines universités parce qu’elles sont considérées comme « trop asiatiques ». Les Canadiens d’origine asiatique de partout au pays se rassemblent pour condamner le magazine. Leurs actions font en sorte que des villes de partout au Canada, comme Toronto, Vancouver, Victoria, Markham et Richmond Hill, adoptent des motions qui réprouvent l’article et exigent des excuses. Encore aujourd’hui, Maclean’s refuse de présenter des excuses pour cet article. Celui-ci ravive toutefois le dialogue entourant le racisme anti-asiatique.

Problèmes actuels dans la communauté des Canadiens d’origine asiatique

Le stéréotype de la minorité modèle cause un préjudice grave à la communauté des Canadiens d’origine asiatique. Des études publiées dans le Journal of Community Health et le Journal of Mental Health montrent que la pression induite par le fait de chercher à correspondre au mythe de l’idéal parfait entraîne des problèmes de santé mentale chez les jeunes Canadiens d’origine asiatique. Une mauvaise santé mentale résultant de ce stéréotype est liée à un risque accru de décès par suicide chez les membres de cette communauté.

Un article d’Angelyn Francis paru en 2021 dans le Toronto Star met en évidence à quel point le stéréotype de la minorité modèle crée des clivages au sein de la communauté des Canadiens d’origine asiatique qui ne s’y conforment pas. Ce mythe amène certains membres de cette communauté à adopter une tactique de survie consistant à observer ses normes malsaines. Ce mythe peut également pousser certains à jeter l’opprobre sur ceux qui ne s’y plient pas ou refusent de le faire. De plus, il divise les Canadiens d’origine asiatique des autres communautés ethniques du Canada. Le mythe est utilisé comme un outil destiné à faire fi du racisme que subissent les Canadiens noirs (voir Racisme anti-noir au Canada), les peuples autochtones et les autres Canadiens de couleur en présentant les Canadiens d’origine asiatique comme l’exemple d’un groupe ethnique qui réussit en dépit de l’oppression dont il est victime.

Des universitaires et des journalistes révèlent également que le stéréotype de la minorité modèle ne tient pas compte du racisme systémique que subissent les Canadiens d’origine asiatique. Ce stéréotype n’aborde pas non plus l’inégalité de revenu et les écarts de niveaux d’instruction au sein de la diaspora des Canadiens d’origine asiatique. Il exclut également la montée des crimes motivés par la haine perpétrés à l’encontre des Canadiens de l’Est asiatique durant la pandémie de la COVID-19 (voir aussi Le SRAS au Canada). Le stéréotype de la minorité modèle met de côté la diversité ethnique, culturelle et linguistique présente au sein des communautés de Canadiens d’origine asiatique. Il représente à tort la communauté des Canadiens d’origine asiatique comme étant homogène et fait abstraction des expériences de vie et historiques des divers groupes démographiques qui la constituent.

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