Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis | l'Encyclopédie Canadienne

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Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis

L’entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) conclue entre le Canada et les États-Unis définit les règles entourant les demandes d’asile et le statut de réfugié dans ces deux pays. En vertu de l’entente, les personnes demandant l’asile sont tenues de présenter leur demande dans le premier pays sûr où ils arrivent, soit le Canada ou les États-Unis, ce qui les empêche, sauf exception, d’entrer dans le pays voisin. Quelques arguments ont été soulevés contre l’entente, en particulier depuis juillet 2017, en raison de préoccupations concernant la protection des droits de la personne aux É.-U. depuis l’élection de Donald Trump et ses décrets présidentiels relatifs à l’immigration. En juillet 2020, un juge de la cour fédérale canadienne a statué que l’ETPS violait la Charte canadienne des droits et libertés, et était conséquemment inconstitutionnelle.

Frontière canadienne

Qu’est-ce que l’Entente sur les tiers pays sûrs?

Une personne qui revendique le statut de réfugié (un demandeur ou une demandeuse d'asile) est celle qui fuit son pays en quête de sécurité et de protection à l’étranger. Cette personne demande souvent le statut de réfugié dans son pays d’arrivée. Le statut de réfugié est en partie gouverné par la Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés de 1951 (voir Nations Unies), et relève à la fois du droit international et national. Le Canada dispose d’un robuste système d’arbitrage, de lois et de politiques sur l’immigration qui lui est propre. (Voir Politique canadienne sur les réfugiés; Politique d’immigration au Canada.)

L’une de ces politiques est celle portant sur les tiers pays sûrs. La première disposition sur les « tiers pays sûrs » au Canada, une précurseure de l’ETPS, provient d’une série de modifications faites en 1988 à la Loi sur l’immigration de 1976. Ces modifications permettent au Canada de désigner un autre pays comme étant « sûr », et ainsi de refuser l’accès aux demandeurs et demandeuses d’asile cherchant à entrer au Canada depuis un « pays sûr ». (Voir Politique canadienne sur les réfugiés; Politique d’immigration au Canada.)

Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, le Canada et les États-Unis signent l’ETPS, qui prend effet le 29 décembre 2004. L’ETPS empêche un demandeur ou une demandeuses d’asile qui arrive d’abord aux États-Unis ou au Canada de faire une demande dans l’autre pays. Pour l’essentiel, cette entente gère le mouvement des personnes demandant l’asile lorsqu’elles tentent de franchir la frontière entre le Canada et les États-Unis. Il existe quelques exceptions à l’ETPS pour des demandeurs et demandeuses d’asile qui arrivent au Canada depuis les États-Unis. Une personne peut tout de même demander le statut de réfugié à la frontière terrestre canadienne si un membre de sa famille habite au Canada. Une personne mineure, non mariée et non accompagnée peut demander le statut de réfugié (voir La migration des enfants au Canada), au même titre qu'un individu qui détient un visa de visiteur valide.

Critiques et contestations judiciaires précédentes

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) est l’organisme des Nations Unies responsable d’assurer la gestion des mouvements et de la réinstallation des réfugiés. Le HCR a fait part de ses préoccupations à l’égard des ETPS de manière générale, invoquant que de telles ententes peuvent enfreindre le principe de non-refoulement. Le non-refoulement est un principe qui relève du droit international et qui, en vertu de la Convention sur le statut des réfugiés de 1951, protège les personnes demandant l’asile de la déportation vers des pays où elles seraient susceptibles d’être persécutées. (Voir aussi Déportation du Canada.) Le droit de fuir un pays et d’obtenir une protection contre la persécution est un droit de la personne reconnu à l’échelle mondiale.

L’ETPS fait l’objet de nombreuses contestations judiciaires, souvent en raison des politiques des États-Unis relatives aux réfugiés, qui sont considérées comme dangereuses pour certains demandeurs et certaines demandeuses d’asile. En 2007, une affaire impliquant un plaignant colombien, que l’on ne connaît que sous le pseudonyme de « John Doe », est portée devant les tribunaux par les groupes de revendication que sont le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Conseil canadien des Églises. La poursuite mène à une décision de la Cour fédérale canadienne selon laquelle l’ETPS est inconstitutionnelle. (Voir aussi Loi constitutionnelle de 1982.) L’ETPS est réputée contrevenir au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne protégée en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et des libertés, ainsi qu’au droit à l’égalité prévu à l’article 15 de cette même charte.

La Cour d’appel fédérale infirme toutefois cette décision, prétextant que la Cour fédérale canadienne n’a pas l’autorité de statuer sur « une grande partie des politiques et des pratiques des États-Unis ». Les juges d’appel affirment que ce qui est pertinent au regard du système judiciaire canadien, c’est de savoir si le cabinet fédéral agit de bonne foi en appliquant l’ETPS en 2004. Selon la Cour d’appel fédérale, le représentant du HCR au Canada déclare à la Chambre des communes, avant que l’ETPS n’entre en vigueur, que les États-Unis sont un « pays sûr ». Ainsi, le gouvernement n’agit pas de mauvaise foi lorsqu’il désigne les États-Unis comme pays qui se conforme à la Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés.

Les groupes de revendication soutenant la poursuite tentent d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada, mais cette dernière, le plus haut tribunal du pays, rejette ce recours en 2009. L’ETPS reste donc toujours en vigueur.

Récents enjeux aux États-Unis

De récents événements politiques qui ont lieu aux États-Unis poussent les défenseurs des droits des réfugiés à contester la légalité de l’ETPS.

Le président Donald Trump et ses décrets-lois relatifs à l’immigration

Donald Trump (aujourd’hui ancien président des États-Unis) remporte les élections présidentielles en 2017. Cette même année, l’administration Trump applique un certain nombre de décrets-lois en vue de restreindre l’immigration et les revendications du statut de réfugié. (Voir aussi Immigration au Canada; Réfugiés au Canada.) Les médias se penchent surtout sur les décrets-lois du 27 janvier 2017 et du 6 mars 2017, qui visent à restreindre l’accès aux États-Unis pour les voyageurs et voyageuses provenant de nations désignées, qui sont majoritairement musulmanes. (Voir aussi Islamophobie au Canada.) Deux autres décrets-lois (Décret-loi 13768 et Décret-loi 13767) suggèrent la mise en place de politiques qui pourraient saper les protections juridiques des demandeurs et demandeuses d’asile, ce qui est réputé contrevenir aux obligations internationales des États-Unis, dont celles relevant de la Convention relative au statut des réfugiés et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Ces politiques promeuvent, entre autres, l’augmentation de la période de détention des personnes immigrantes et la séparation des familles. (Voir aussi Détention d’immigrants au Canada.) Elles visent également à mettre fin au programme de remise en liberté qui permet de libérer certaines personnes sans papiers avant leur procès de déportation. (Voir aussi Déportation du Canada.)

La restriction d’une année des demandeurs d’asile aux États-Unis

La « restriction d’une année » est une disposition de la loi sur la citoyenneté et l’immigration des États-Unis qui exige que tout revendicateur du statut de réfugié sollicite l’asile dans la première année de son entrée aux États-Unis.

En 2010, António Guterres, ancien Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, découvre que le délai fixé pour les demandes d’asile aux États-Unis « dévie des normes internationales ». Il déclare que cela « rend la tâche de prouver le besoin de protection plus difficile pour de nombreux demandeurs d’asile ». Le HCR presse alors les États-Unis d’abroger leur restriction d’une année, surtout dans le cas des demandes faites au nom d’enfants. Selon des juristes américains, ces règles ont des conséquences disproportionnées sur les demandeurs et demandeuses d’asile les plus vulnérables, comme les femmes fuyant la violence sexuelle basée sur le genre et les membres de la communauté LGBTQ+. (Voir aussi Réfugiés LGBTQ+ au Canada.) En conséquence, cela soulève de sérieuses questions quant à l’accès à la justice. Selon le Conseil canadien pour les réfugiés, les États-Unis ne font pas preuve de cohérence dans la reconnaissance des demandes d’asile fondées sur le genre.

Détention des demandeurs d’asile aux États-Unis

Les décrets-lois relatifs à l’immigration promeuvent des pratiques de détention des demandeurs et demandeuses d’asile, ce qui crée d’importants problèmes en matière d’accès à la justice. Selon l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) des États-Unis, les cas de détention de réfugiés, en mai 2017, augmentent de près de 40 % par rapport à l’année précédente. Selon le Conseil canadien pour les réfugiés et Amnistie internationale, seulement 14 % des demandeurs et demandeuses d’asile détenu(e)s aux États-Unis ont accès à un avocat. De plus, le délai de 12 heures durant lequel les personnes demandant l’asile peuvent être détenues est souvent dépassé. Le fait de ne pas avoir accès à un avocat présente énormément de problèmes pour le processus de demande d’asile, surtout auprès des réfugiés vulnérables en raison de leur âge, de leur genre, de leur orientation sexuelle ou d’un trouble de santé mentale.

Les conditions de détention des demandeurs et demandeuses d’asile ont fait l’objet de critiques. Entre janvier 2010 et juillet 2016, le département de la sécurité intérieure reçoit plus de 33 000 plaintes dénonçant des violences physiques et sexuelles. Seules 247 d’entre elles feront l’objet d’une enquête.

Refus des migrants à la frontière États-Unis–Mexique

Depuis juillet 2016, les agents et agentes du service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis refusent l’accès à de nombreuses personnes migrantes d'origine mexicaine aux points de passage frontaliers autorisés, et ce, sans même leur donner la chance de faire une demande d’asile. Ce phénomène pousse certaines personnes qui revendiquent le statut de réfugié à entreprendre une traversée dangereuse et illégale de la frontière américaine. Refuser ainsi l’accès au système d’arbitrage des États-Unis en matière d’asile constitue une violation du droit national et international sur les réfugiés. Cette pratique contrevient au principe de non-refoulement, selon lequel il est interdit de renvoyer une personne demandant l’asile dans son pays d’origine sans avoir d’abord rigoureusement évalué les risques de persécution auxquels elle fait face.

Critiques du traitement des États-Unis à l’égard des demandeurs d’asile

Selon les organismes de défense des droits civils, les problèmes constants engendrés par le régime d’asile des États-Unis exposent les demandeurs et demandeuses d’asile à des risques graves. Les pratiques de détention des personnes immigrantes aux États-Unis font l’objet de critiques en raison du fait qu’elles ne respectent pas la loi internationale sur les réfugiés et les normes internationales en matière de droits de la personne, y compris celles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les normes de droit international entourant le traitement des enfants.

Au Canada et aux États-Unis, divers groupes demandent l’abolition de l’ETPS. Parmi ces groupes, on retrouve l’Association canadienne des libertés civiles, l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Harvard Immigration and Refugee Clinical Program (le programme clinique pour les réfugiés et l’immigration de Harvard).

En 2007, la Cour fédérale du Canada reconnaît les problèmes engendrés par le traitement des États-Unis à l’égard des demandeurs et demandeuses d’asile, mais pas la Cour d’appel fédérale dans sa décision ultérieure. Des organismes de défense des droits civils exigent néanmoins la suspension immédiate de l’ETPS.

Augmentation des migrations irrégulières au Canada

Depuis la promulgation des décrets-lois du président Donald Trump, le Canada enregistre une augmentation du nombre de demandeurs d’asile qui traversent la frontière canado-américaine. En 2017, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) intercepte 20 593 demandeurs et demandeuses d’asile. (Voir Réfugiés au Canada.) Ce chiffre est très élevé lorsqu’on le compare au total de 2 464 personnes en situation d'immigration irrégulière de 2016.

Ces demandeurs et demandeuses d’asile franchissent la frontière canado-américaine de façon irrégulière. Cela signifie qu’ils évitent d’entrer au Canada à un point de passage frontalier autorisé, choisissant plutôt de franchir la frontière à un point d’entrée non officiel, pour ensuite demander le statut de réfugié de façon légale. Ils contournent ainsi l’ETPS, puisqu’ils se trouvent désormais au Canada. Ces personnes en situation d'immigration irrégulière sont habituellement interceptées par la GRC dans des zones comme Roxham Road.

Début 2017, plusieurs demandeurs et demandeuses d’asile font les manchettes pour avoir traversé la frontière gelée du Manitoba. Au moins une personne de cette cohorte parvient à obtenir le statut de réfugié au Canada. Traverser la frontière peut toutefois se transformer en un périple mortel. En mai 2017, une ressortissante du Ghana de 57 ans meurt en tentant de traverser la frontière pour entrer au Canada.

Réponse du gouvernement canadien

Malgré les critiques, le gouvernement du Canada voit l’ETPS comme « un outil important pour que le Canada et les États-Unis puissent travailler de concert à la gestion efficace des demandes d’asile dans nos nations ». Ahmed Hussen, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, déclare qu’il « n’y a absolument pas lieu de modifier l’Entente sur les tiers pays sûrs ». Les autorités de l’immigration du Canada expriment publiquement que « des ententes similaires sont utilisées par des pays de partout sur la planète pour réduire les pressions exercées sur leur régime d’asile ». De plus, le gouvernement s’est engagé à protéger la frontière qu’il partage avec les États-Unis.

Les membres du parti conservateurs de l’opposition demandent également que l’ETPS reste en vigueur. Un politicien conservateur suggère même le déploiement des Forces armées canadiennes à la frontière canado-américaine.

Renégociation de l’ETPS (2023)

Vers la fin de mars 2023, le gouvernement du Canada et celui des États-Unis annoncent des modifications significatives à l’ETPS. Dès maintenant, l’Entente s’applique à toute la frontière terrestre, y compris aux passages frontaliers irréguliers comme celui du chemin Roxham. En vertu de cette modification, les demandeurs d’asile traversant irrégulièrement la frontière seront renvoyés aux États-Unis (voir Immigration irrégulière au Canada). Certains groupes sont exemptés, y compris les mineurs non accompagnés, les migrants dont la famille est établie au Canada et les demandeurs d’asile ayant commis une infraction pouvant donner lieu à la peine de mort.

Affaires judiciaires récentes

En juillet 2017, le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Conseil canadien des Églises se joignent à un groupe de personnes demandant l’asile pour intenter une action auprès de la Cour fédérale du Canada contre l’ETPS. Ils invoquent le fait que les États-Unis ne constituent pas un pays « sûr » pour toutes les personnes qui revendiquent le statut de réfugié.

Le 22 juillet 2020, Ann Marie McDonald, juge à la Cour fédérale du Canada, statue que l’ETPS viole la Charte canadienne des droits et libertés, et est donc inconstitutionnelle. La Cour d’appel fédérale invalide toutefois sa décision en avril 2021. L’ETPS reste alors en vigueur.

Voir aussi Relations canado-américaines; Le Canada et les États-Unis

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