La Force des Nations Unies à Chypre (UNFICYP) a été créée en 1964 pour prévenir les conflits intercommunautaires entre la majorité chypriote grecque et la minorité chypriote turque. Les Casques bleus canadiens ont été les premiers arrivés sur place et sont restés en poste jusqu’en 1993. Depuis, le Canada a fourni un officier d’état-major au quartier général de l’UNFICYP sur une base de rotation annuelle. Plus de 33 000 Canadiens ont servi à Chypre; 28 y sont morts.
Contexte
Avec une superficie de 9250 kilomètres carrés, Chypre est la troisième plus grande île de la mer Méditerranée. Elle est située à environ 65 km au sud de la Turquie. Sa population de 1,3 million d’habitants est composée d’environ quatre cinquièmes de personnes d’origine grecque et d’un cinquième de personnes d’origine turque. Au fil des siècles, Chypre a appartenu à une succession d’empires, le plus récent étant l’Empire ottoman (1571-1878) et l’Empire britannique (1878-1960).
En 1925, Chypre devient une colonie de la Couronne britannique, ce qui détruit tout espoir pour la majorité ethnique grecque d’une union avec la Grèce, union connue sous le nom d’Enôsis. Les Britanniques et les Turcs sont tous deux opposés à l’ Enôsis. Les Britanniques veulent conserver Chypre comme atout stratégique précieux, tandis que les Turcs ne veulent pas d’une île grecque si proche de leur frontière sud.
Lutte nationaliste
En 1955, un officier de l’armée chypriote pro-grecque fonde un mouvement clandestin connu sous le nom d’EOKA, avec le soutien de l’archevêque orthodoxe de Chypre, Makarios III. L’EOKA (traduction française : Organisation nationale de lutte chypriote) a pour objectif de mettre fin au régime colonial britannique et de parvenir à une éventuelle union avec la Grèce.
La campagne armée de l’EOKA contre les opposants à l’Enôsis est d’abord couronnée de succès en raison des préoccupations britanniques liées à la crise de Suez et du manque de forces britanniques sur l’île qui en résulte. Le soutien à l’EOKA est également fort en raison de l’exil et de la détention de Makarios aux Seychelles par les Britanniques.
Au début de 1957, la crise de Suez est terminée. Cela permet aux forces britanniques d’attaquer l’EOKA, qui est désormais en infériorité numérique. Après la libération de Makarios, les attaques de l’EOKA s’apaisent temporairement. Cependant, les hostilités reprennent rapidement jusqu’au milieu de l’année 1958, lorsque les Chypriotes grecs et turcs s’affrontent.
Indépendance
En 1958, Makarios change d’avis et décide d’accepter l’indépendance de Chypre plutôt que l’Enôsis. En février 1959, les représentants chypriotes, grecs, turcs et britanniques parviennent à un compromis et acceptent l’indépendance de l’île.
Le 16 août 1960, Chypre devient une république indépendante, bien que la Grande-Bretagne conserve la souveraineté sur ses deux bases militaires existantes qui sont situées sur la côte sud de l’île. En vertu du traité qui crée le nouvel État, il n’y a pas d’union politique ou économique avec un autre pays ni de partition de l’île. La Grande-Bretagne, la Grèce et la Turquie garantissent conjointement l’indépendance, l’intégrité et la sécurité de Chypre, tandis que la Grèce et la Turquie acceptent de respecter les deux bases militaires souveraines britanniques (SBA).
Makarios est élu président et un dirigeant chypriote turc est élu vice-président. Les deux bureaux disposent d’un droit de veto sur les questions de sécurité, de défense et d’affaires étrangères. Les postes dans la fonction publique, l’armée et la Chambre des représentants sont attribués sur une base proportionnelle.
Action de l’ONU
Malgré le fait que l’endroit soit une république indépendante, les difficultés intercommunautaires s’intensifient entre les deux groupes ethniques. Des désaccords sur la mise en œuvre de certains aspects de la constitution mènent à des hostilités. La zone chypriote turque est réduite à quelques enclaves, et la capitale Nicosie est divisée par une ligne de cessez-le-feu surveillée par des troupes britanniques des SBA.
Le 4 mars 1964, le Conseil de sécurité des Nations unies accepte de mettre en place une force multinationale de maintien de la paix à Chypre afin de séparer les deux camps et de prévenir de nouvelles violences. L’UNFICYP (Force des Nations unies à Chypre) est formée à Nicosie plus tard au courant du mois, avec l’arrivée du premier contingent canadien (CANCON) venant de l’extérieur de l’île pour soutenir les troupes britanniques déjà stationnées sur place. D’autres contingents irlandais, finlandais, danois et suédois suivent au cours des mois suivants, ainsi qu’un hôpital de campagne autrichien. L’île est divisée en six zones, chacune est attribuée à une nation contributrice.
Le premier CANCON est composé du 1er Bataillon du Royal 22e Régiment et de l’escadron de reconnaissance des Royal Canadian Dragoons, ce dernier étant équipé de véhicules de reconnaissance Ferret. À partir du 15 mars 1964, l’Aviation royale canadienne transporte des soldats par avion, tandis que le porte-avions NCSM Bonaventure livre des véhicules, de l’équipement et des fournitures le 30 mars.
À la mi-avril, le Canada envoie un quartier général de brigade de 150 officiers et hommes. Le colonel E.A.C. (Ned) Amy, un officier expérimenté du corps blindé qui a servi durant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée, est aux commandes du CANCON. À la fin avril, le CANCON compte environ 1100 hommes de tous grades sur un effectif d’environ 6350 hommes de la UNFICYP, renforcé par un petit groupe de policiers civils.
Le CANCON est affecté au coin nord-ouest de l’île, qui est l’un des coins les plus névralgiques car il comprend une partie de Nicosie (l’autre partie est attribuée aux forces finlandaises). Le brigadier James Tedlie, un autre officier du corps blindé ayant également servi durant la Deuxième la Seconde Guerre mondiale, commande la zone canadienne.
Les forces de l’ONU se déplacent dans leurs zones en compagnie de la police civile. Les soldats canadiens sont déployés entre les lignes défensives des factions en guerre (où elles se trouvent) ou dans les zones où des combats peuvent éclater. Ils construisent également des postes d’observation et établissent des patrouilles mobiles pour surveiller les zones entre les postes ou les zones potentiellement problématiques.
À Nicosie, les Canadiens sont installés dans des bâtiments vides le long de la « ligne verte », qui sépare les enclaves grecques et turques. Bien que cette ligne aide à maintenir les deux factions à distance, elle n’empêche pas les deux camps de tenter de gagner un avantage en occupant des bâtiments et en installant des barrages routiers jusqu’à ce que les soldats canadiens interviennent et rétablissent la situation.
En septembre 1964, les Chypriotes turcs réussissent à barrer la route entre Nicosie et le port de Kyrenia sur la côte nord. Bien que les Canadiens rouvrent la route, des soldats sont désormais nécessaires pour pourvoir une escorte permanente afin de s’assurer qu’elle demeure ouverte.
Coup d’État et invasion
Pendant les dix années qui suivent, la situation à Chypre demeure fragile. Les négociations entre les deux parties échouent et la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre n’arrive pas à empêcher des petits groupes de mener une guérilla faite d’escarmouches et d’attaques éclair souvent motivées par la vengeance. Puis, le 15 juillet 1974, des officiers grecs de la Garde nationale chypriote, qui soutiennent toujours l’Enôsis, organisent un coup d’État pour forcer l’union. La Turquie réagit rapidement et, le 20 juillet, près de 40 000 soldats turcs lancent une invasion sur la partie nord de Chypre pour empêcher l’Enôsis d’avoir lieu. Les Casques bleus de l’ONU se retrouvent pris entre les deux feux.
L’invasion est suivie de plusieurs semaines de combats alors que les forces turques avancent vers le sud pour étendre leur enclave. Les Casques bleus canadiens évacuent les civils pris dans la zone de guerre et ils placent des lieux stratégiques, comme l’aéroport international de Nicosie et l’hôtel Ledra Palace, sous le contrôle de l’ONU pour empêcher les Turcs de les occuper. À l’époque, le CANCON est composé de 450 soldats du 1er Commando du tout nouveau Régiment aéroporté du Canada (RAC).
Le Canada réagit en envoyant le reste du RAC à Chypre à la fin de juillet et au début d’août, ainsi que des armes antichars, des mortiers de 81 mm, une troupe de reconnaissance blindée du Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians) et des véhicules de transport de troupes M113 et Lynx de reconnaissance du 4e Groupe-brigade mécanisé du Canada (4 GBMC) en Allemagne. L’opération Snowgoose, nom de la contribution canadienne à l’UNFICYP, date de juillet 1974.
Lorsque la paix est rétablie à la mi-août, la Turquie contrôle le tiers nord de Chypre, soit quelque 3367 kilomètres carrés. Deux soldats du RAC, les soldats Gilbert Perron et Jean-Claude Berger, sont tués par des tirs de fusil et on compte plus de 30 blessés. La bravoure des Canadiens durant l’invasion leur vaut deux Étoiles du courage et six Médailles de la bravoure, ainsi que cinq nominations à l’Ordre du mérite militaire.
Quelques mois plus tard, les dirigeants turcs de l’île proclament l’État fédéré turc de Chypre, qui devient la République turque de Chypre du Nord (RTCN) en 1983. La ligne verte de l’ONU, longue de 180 km, une zone tampon entre les deux communautés ethniques, devient l’équivalent d’une frontière internationale dont l’entrée est contrôlée par l’UNFICYP.
Après l’invasion, le rôle principal de l’UNFICYP consiste à surveiller la ligne verte, dont la largeur varie de quelques mètres à quelques kilomètres. La ligne est surveillée par des postes d’observation statiques renforcés par des patrouilles à pied et en véhicule. Les violations du cessez-le-feu prennent diverses formes : des cris, des jets de pierres, des insultes, des brandissements d’armes, des tirs d’armes à feu et des tentatives d’incursions dans la zone tampon pour faire avancer la ligne.
Contribution du Canada
Entre 1964 et 1993, plus de 33 000 Canadiens servent à Chypre dans le cadre de 59 rotations de six mois; 28 d’entre eux y meurent. Le Canada maintient un contingent de la taille d’un bataillon à Chypre pendant de nombreuses années. Tous les bataillons d’infanterie réguliers et les escadrons de reconnaissance du corps blindé y servent, ainsi que tous les régiments blindés et d’artillerie qui y servent comme infanterie.
Le major général Clive Milner est le seul commandant canadien de l’UNFICYP (d’avril 1988 à avril 1992). En 1993, le Canada retire sa force de maintien de la paix en raison du manque de progrès entre les deux parties dans la résolution de leurs différends. Depuis lors, le Canada fournit un officier d’état-major au quartier général de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre sur une base de rotation annuelle.
Situation actuelle
Chypre demeure une île divisée, avec une force de l’UNFICYP très réduite, composée d’environ 1000 hommes, dont 740 soldats et 68 policiers. La force supervise la ligne de cessez-le-feu, elle maintient la zone tampon le long de la ligne verte et elle effectue des activités humanitaires. La Turquie est le seul pays à reconnaître la République turque de Chypre du Nord (RTCN), tandis que le reste de la communauté internationale la considère comme faisant partie de la République de Chypre.