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Chanson au Québec

La Chanson au Québec. C'est à travers le folklore oral que la chanson au Québec s'est taillée une place privilégiée, puisant son essence même dans les folklores européens.

Chanson au Québec

La Chanson au Québec. C'est à travers le folklore oral que la chanson au Québec s'est taillée une place privilégiée, puisant son essence même dans les folklores européens. Une chanson sur vingt de folklore québécois seulement est née au Canada; les rythmes irlandais et écossais se sont mêlés aux rythmes français et les chansons populaires aux chansons de folklore. Toujours actuelle, la chanson folklorique demeure le grand ancêtre de la chanson québécoise, jadis appelée la chanson canadienne d'expression française.

Dès le début du siècle, des artistes populaires comme La Bolduc, Paul-Émile Corbeil, Eugène Daignault, Lionel Daunais, Conrad Gauthier, Ovila Légaré, Charles Marchand ainsi que le Quatuor Alouette ont prolongé l'esprit folklorique dans un contexte d'urbanisation et d'industrialisation tout en divertissant les francophones à une époque où les conditions d'existence étaient somme toute assez pénibles (1920-45).

Mme Bolduc et Lionel Daunais furent parmi les premiers à s'inspirer de la réalité québécoise. Tenant à la fois du folklore et de la chansonnette, l'art de Daunais imposa à la chanson de nouveaux traits empreints de finesse et d'optimisme. Dans son livre, La Chanson québécoise, Benoît L'Herbier rapporte les paroles du chanteur : « Je voulais faire des chansons canadiennes et non des chansons françaises. J'essayais de donner une couleur locale, en employant des mots ou des expressions d'ici, mais sans aller dans le folklore. Je me servais de la structure folklorique parce que je voulais donner un air québécois. » Par ailleurs, l'humour de La Bolduc, ses gigues et son turlutage contrastaient avec le sentimentalisme à outrance et les romans radiophoniques à l'eau de rose des années 1930. Alain Sylvain écrivait dans La Chanson française : « La Bolduc n'avait pas qu'un sens inné et sans doute inconscient de la fantaisie verbale. Elle nous étonne encore, après plusieurs auditions d'une même chanson, par des alignements de mots inattendus et les rapprochements les plus cocasses, qui feraient sans doute la joie d'un Jacques Prévert, par exemple, si évidemment, l'auteur de "Paroles" connaissait ses disques. »

À Montréal, les Veillées du bon vieux temps au Monument national (1921-41) permirent au folklore et à la chanson populaire de de gagner la ville, alors que la chanson française et américaine dominait à la radio et au cabaret depuis 1930 : Fernand Perron (Le Merle rouge) était l'émule de Tino Rossi, et Jean Sablon, celui de Bing Crosby. Voulant s'universaliser, les artistes québécois interprétaient des chansons populaires à la mode parisienne ou new-yorkaise. Dans un esprit différent, l'abbé Charles-Émile Gadbois entreprit (1937), avec La Bonne Chanson (société d'édition et de diffusion de la chanson), de diffuser la chanson folklorique ou d'inspiration religieuse et patriotique, d'origine française ou canadienne-française. D'Albert Larrieu à Théodore Botrel (deux compositeurs-interprètes français qui firent des tournées au Québec à plusieurs reprises entre 1910 et 1925), la Bonne Chanson servait de préceptes aux valeurs populaires dont la beauté des oeuvres choisies devaient témoigner. Puis vint en 1938 le chanteur-compositeur français Charles Trenet qui allait devenir célèbre et dont l'influence sera grande au Québec. Ses chansons, comme « La Route enchantée », « Le Grand café » et « Les Oiseaux de Paris », figuraient au répertoire des chanteurs du Québec. Un peu plus tard, Fernand Robidoux organisa le concours « La Feuille d'érable » afin de promouvoir la chanson canadienne à la radio. La « Parade de la chansonnette française », animée par le fantaisiste et chanteur québécois Jacques Normand sur les ondes de CKVL (Verdun), permit de relancer la diffusion de la chanson populaire française interrompue par la Deuxième Guerre mondiale. Toutefois, les chanteurs se préoccupaient peu de chanter des oeuvres originales, se contentant de traduire en français les succès américains ou de copier les chansonnettes françaises. Parallèlement, la chanson western se situe dans le prolongement d'un certain lyrisme dont le soldat Lebrun fut le premier et le dernier représentant. Derrière lui apparut, dans un après-guerre ombragé, le phénomène western aux influences essentiellement américaines. Avec Willie Lamothe s'est affirmé le country western québécois qui traduisait en français l'évolution des courants westerns américains (voir aussi Musique country).

La télévision vint modifier l'échiquier artistique au début des années 1950 en faisant connaître de nouveaux auteurs, compositeurs et interprètes. Dans les cabarets Au Faisan doré et Au Saint-Germain-des-Prés dont il était l'animateur, Jacques Normand favorisa pour sa part l'émergence d'Aglaé, de Clémence Desrochers, de Serge Deyglun, de Raymond Lévesque et de Monique Leyrac. Entre les boîtes de Montmartre et le music-hall, le Faisan doré réunissait un public différent de celui des cabarets traditionnels. À la radio, on fit des émissions sur la chanson dite canadienne, notamment « Baptiste et Marianne » avec Guy Mauffette (1951). Le « Concours de la chanson canadienne » de la SRC organisé en 1956 donna une première chance à ceux qu'on allait bientôt appeler les chansonniers.

La chanson québécoise est née de la fusion du folklore, de la poésie québécoise et de l'influence des auteurs-compositeurs français (Brassens, Ferré) dont la synthèse fut réalisée par les chansonniers. Plusieurs chansonniers publièrent d'abord des recueils de poésies (Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Georges Dor). En 1959, on entendait déjà Aglaé, Hélène Baillargeon, Jacques Blanchet, Lionel Daunais, Jacques Labrecque, Ovila Légaré, Raymond Lévesque, Monique Leyrac, Pierre Pétel et le plus illustre, Félix Leclerc. Grâce à lui, la chanson québécoise toute nouvelle allait devenir la voie naturelle de l'identité collective des Québécois et il devint ainsi le premier ambassadeur d'une société en profonde mutation. Les Bozos comptèrent parmi les premiers chansonniers : le lyrisme de Jean-Pierre Ferland, la recherche musicale de Claude Léveillée, la poésie inspirée de la langue populaire et la verve de Clémence Desrochers illustraient déjà les forces vives d'un nouveau mouvement culturel. Les boîtes à chansons se multiplièrent à partir de 1960, en même temps que la « Révolution tranquille », vaste mouvement d'émancipation économique et culturel, gagnait tout le Québec. Parallèlement, plusieurs vedettes de la chanson populaire, comme Michel Louvain, Joël Denis, Fernand Gignac, Pierre Lalonde, Donald Lautrec, Margot Lefebvre, Ginette Ravel, Ginette Reno, Michèle Richard, Ginette Sage et Pierre Sénécal, connaissaient d'importants succès populaires.

L'émergence de nouveaux rythmes vint bousculer la jeune chanson québécoise, en même temps que les Beatles, qui se produisirent à Montréal en 1964, annonçant la révolution qui allait secouer la musique populaire internationale. Le Québec connut aussi, comme bien d'autres, sa vogue d'ensembles musicaux et vocaux, période éphémère en raison de la pénurie de compositeurs au sein de ces groupes, qui compensaient parfois leur manque d'originalité par des déguisements hétéroclites (Les Gants blancs, les Classels, César et ses Romains, les Sultans, etc.). L'explosion débridée de la musique américaine, en particulier en Californie, n'échappa pas à Robert Charlebois. Son spectacle L'Osstidcho (1968), auquel participèrent Louise Forestier et Yvon Deschamps, précipita la fin d'une époque et le début d'une autre. Pour la première fois des compositions originales, des textes poétiques francophones (de Péloquin, Ducharme, Charlebois), souvent truffés d'expressions locales, étaient scandés sur des rythmes rock d'inspiration profondément américaine. Le rock francophone était né.

En même temps que se répandaient les rythmes californiens et britanniques, plusieurs auteurs-compositeurs s'en inspiraient pour métamorphoser le folklore québécois. Les Séguin, Jim (Corcoran) et Bertrand (Gosselin), Jocelyn Bérubé, Breton-Cyr, Louise Forestier et Garolou tentèrent de renouveler la musique traditionnelle québécoise. Tout un mouvement folk s'amorça autour de Jim et Bertrand, François Guy, Plume Latraverse, Paul Piché, Fabienne Thibeault, Guy Trépanier et Gilles Valiquette.

La chanson québécoise mélangeait alors les musiques électronique et traditionnelle. Plusieurs faisaient du rock léger sur des textes simples en langue populaire. Leurs chansons spontanées, anecdotiques, urbaines, à la façon de Beau Dommage, rappellent la simplicité et la fraîcheur des premiers chansonniers, et même de Félix Leclerc, tout comme Jean Lapointe s'en rapprochera un peu plus tard par son lyrisme. Toute une génération sortie des collèges, parmi laquelle Paul Piché, Marie-Claire Séguin, Richard Séguin, Pierre Flynn, Jim Corcoran et Michel Rivard, surgit du foisonnement des groupes pop du début des années 1970. Leur musique plus agressive explorait les sphères du rock et du jazz.

Georges-Hébert Germain parlait ainsi des groupes pop dans La Presse (19 mars 1975) : « Leur musique est en train de transformer radicalement et fondamentalement toute la musique populaire, car elle intéresse justement les musiciens et les chansonniers eux-mêmes, de la même façon que la science pure intéresse les sciences appliquées. » S'exprimant différemment selon une philosophie bien distincte, les groupes Aut'Chose, Harmonium, Héritage, Maneige, Octobre et Offenbach poursuivirent, à l'instar d'un bon nombre de groupes anglais et américains, une recherche originale sur le langage, le rythme, les timbres et les sonorités, tout en intégrant divers genres de musique existants à leur style particulier. En même temps, la chanson québécoise ne s'intéressait plus qu'à la seule cause nationale; porte-parole des mouvements contre-culturels, elle se faisait aussi, avec Pauline Julien, Marie-Claire Séguin et d'autres, le reflet du mouvement d'émancipation des femmes qui balayait la société toute entière. À la fin des années 1970, Diane Dufresne, avec son style éclaté et provocateur, traça le chemin pour toutes celles qui voulaient chanter au féminin: Marjo, Marie Carmen, Jo Bocan, et plus récemment Lynda Lemay, Mara Tremblay, Ariane Moffat, Cœur de pirate (Béatrice Martin), Pascale Picard. Dès 1965, Stéphane Venne faisait remarquer dans Liberté : « On a mis sur le dos de la chanson d'ici une charge lourde comme le monde. Celle d'être pour les Québécois ce que le jazz est pour les Noirs d'Amérique, l'opéra pour les Italiens, et quoi encore. Un pivot de culture ici : un passeport pour tous les pays du monde. » Au début des années 1980, après la défaite du « oui » au référendum de 1980 sur l'avenir constitutionnel, en pleine crise économique, inondée par la nouvelle production américaine, la chanson québécoise traversa une période de disette, partiellement atténuée par l'arrivée de la chaîne de télévision musicale spécialisée MusiquePlus (1986). L'arrivée du vidéoclip bouleversa l'industrie du disque et favorisa un rapprochement, voire une intimité entre l'artiste et le public. Auparavant, en 1978, l'industrie du disque s'était structurée avec la fondation de l'ADISQ (Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo) qui avait comme mandat de « travailler à la survie et à l'épanouissement d'une production musicale indépendante. ». Forcée de se redéfinir hors d'un projet politique qui semblait reporté à plus tard, elle se fit plus internationale dans sa forme mais n'en continua pas moins à exprimer toutes les facettes de la vie d'une société nord-américaine, francophone et moderne. Luc Plamondon, dont les chansons représentent la fusion de la chanson populaire et des textes poétiques, a le mieux représenté le dynamisme d'une chanson qui, tout en demeurant québécoise, fait dorénavant chanter la francophonie. « Il semble que le québécois de Plamondon s'entende désormais aussi bien à Paris qu'à Montréal » disait l'écrivain Jacques Godbout (Plamondon, un coeur de rockeur, Montréal 1988).

Avec le développement d'un véritable réseau de spectacles francophones (Festival de La Rochelle, Francofolies, TV5, etc.) qui a amené aussi les vedettes françaises, belges ou africaines à Montréal, Daniel Lavoie, Roch Voisine et des productions comme l'opéra rock Starmania ont donné au Québec ses premiers véritables grands succès populaires en France, où ils ne sont plus appréciés que pour leur exotisme mais participent de plein pied à la scène française. De nombreux artistes y font carrière : Diane Tell, Robert Charlebois, Fabienne Thibeault, etc. Les artistes québécois peuvent dorénavant s'appuyer sur une industrie qui, bien que vulnérable, compte des maisons de production importantes et diverses associations professionnelles.

En retour, les courants musicaux et poétiques métissés de la francophonie ont aussi influencé plusieurs auteurs québécois, d'où les sonorités maghrébiennes de Jean Leloup et le son proche de celui des groupes rock français de Vilain Pingouin. D'autres, comme le groupe The Box et Men Without Hats, tentèrent de percer le marché anglophone avec des enregistrements et des spectacles qui se comparent aux productions américaines. Céline Dion demeure à ce jour la seule artiste québécoise à avoir complètement réalisé ce rêve « américain. » Enfin, des groupes comme Kashtin (Montagnais), Taima (Innu) et sa chanteuse Elisapie Isaac, Paul Kunigis, les Frères Diouf, Lynda Thalie, et Monica Freire manifestent la diversité culturelle grandissante du Québec. Multiethnique, Montréal compte des communautés de musiciens venant des quatre coins du monde, qui s'intègrent à la vie culturelle québécoise. Avec les nombreux festivals de musique classique (Festival international de Lanaudière), folklorique (Festival mondial de folklore de Drummondville), ethnique ( Festival International Nuits d'Afrique) ou contemporaine (Festival de musique actuelle de Victoriaville), et surtout le succès populaire phénoménal du Festival international de jazz de Montréal, la chanson populaire québécoise accueille désormais les influences les plus diverses et offre un visage éclaté. Sa source d'inspiration première demeure cependant ancrée dans la culture québécoise comme en témoignent les succès de Richard Desjardins, Daniel Bélanger, Pierre Lapointe qui, en exprimant avec force la réalité de leur milieu, atteignent l'universel.

Après la tenue d'un second référendum (1995) sur l'avenir du Québec, plusieurs vétérans « engagés » de la chanson québécoise sont devenus plus discrets, de nouveaux musiciens ont renouvelé l'art de la chanson politique : Les Cowboys Fringants et de jeunes artistes issuse du milieu hip hop, notamment Loco Locass et Samian.

Gilles Vigneault, patriarche de la chanson, se dirigeait alors vers ses 50 ans de vie artistique ; il enregistra un disque avec le groupe de musique traditionnelle Les charbonniers de l'enfer, se rapprochant ainsi du folklore qui anime l'ensemble de son œuvre. À l'aube du 21e siècle, le Québec connait, dans la foulée du groupe La bottine souriante, un autre renouveau folklorique avec notamment les groupes, Mes Aïeux, La Volée d'Castors et Le Vent du Nord qui se produisent avec un certain succès à l'étranger. Dans l'univers de la mondialistion et de la dématérialisation, c'est en étant local que l'on devient international.

« Nous sommes intéressants, expliquait Gilles Vigneault, à titre de symbole du cri de liberté poussé par l'Amérique, et, dans le sens exactement contraire, par les peuples qu'elle opprime » (Propos de Gilles Vigneault de Marc Gagné, Montréal 1974).

Voir aussi Chansonniers, Musique folklorique canadienne-française, Rock.

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