La mort de l'accord du lac Meech | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

La mort de l'accord du lac Meech

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Le dimanche 3 juin 1990, le premier ministre Brian Mulroney et les premiers ministres des dix provinces soulignent le troisième anniversaire de la conclusion de l’accord du lac Meech à l’occasion d’un souper donné dans la splendeur architecturale du Musée canadien des civilisations (maintenant le Musée canadien de l’histoire) à Hull, au Québec.

Elijah Harper

Or, personne n’a le cœur à la fête, malgré le faste du repas de crevettes, bœuf et crosses de fougère. Trois des premiers ministres provinciaux, Frank McKenna, du Nouveau-Brunswick, Gary Filmon, du Manitoba, et Clyde Wells, de Terre-Neuve, sont élus après la conclusion de l’accord. Ils expriment tous de sérieuses réserves quant au contenu du document. Alors qu’approche l’échéance de la ratification, l’entente s’effiloche. (Voir aussi Accord du lac Meech: document.)

Vingt jours plus tard, l’accord du lac Meech meurt et le Canada s’engage dans une période de défiance et de désillusions de cinq ans qui mènera le pays au bord de la destruction.

Le gouvernement du Québec se retrouve isolé quand la nouvelle Constitution est signée en 1982. (Voir Rapatriement de la Constitution.) Les partisans de l’accord du lac Meech disent qu’ils veulent corriger cette situation et ramener le Québec dans la grande famille constitutionnelle canadienne. Selon les termes de l’accord, la Constitution doit être modifiée pour désigner le Québec comme une « société distincte ». Elle doit aussi donner à toutes les autres provinces un droit de veto sur l’importante réforme constitutionnelle et de nouveaux pouvoirs, par exemple en ce qui concerne l’immigration et la nomination des sénateurs et des juges de la Cour suprême.

L’Assemblée nationale du Québec a ratifié l’accord du lac Meech le 23 juin 1987. Pour qu’il entre en vigueur, le Parlement et les neuf Assemblées législatives doivent le signer dans un délai de trois ans à compter de cette date. Pendant quelque temps, l’adoption de l’accord apparaît comme une certitude et un véritable triomphe de la coopération fédérale- provinciale. (Voir aussi Relations fédérales-provinciales.)

Pendant quelque temps seulement. La résistance se bâtit et le soutien s’effondre quand l’entente conclue dans l’obscurité apparaît au grand jour. L’ancien premier ministre Pierre Trudeau assume le rôle du chef de l’opposition, couvrant de mépris Mulroney et l’accord du lac Meech. Selon la version de Pierre Trudeau, un premier ministre trop timide est en train d’abandonner le pays au profit des provinces. Au début de juin 1990, près des trois quarts du peuple canadien, appuyant Trudeau, s’opposent maintenant à l’accord.

Mulroney travaille d’arrache-pied à reprendre le terrain perdu pendant les six jours du marathon de négociations suivant le souper du 3 juin. McKenna donne son accord. Les deux autres premiers ministres dissidents s’engagent à organiser un vote chacun dans son assemblée, mais sans grand enthousiasme.

Les votes prévus à Winnipeg et à St. John’s n’auront jamais lieu. Pour protester contre le peu d’attention que porte l’accord aux questions autochtones, Elijah Harper, député cri de l’Assemblée législative du Manitoba, répond par un « non » doux, mais emphatique à la demande de Gary Filmon de consentir unanimement à soumettre l’accord du lac Meech au débat. Clyde Wells, depuis le début un opposant déclaré à l’entente, est absolument ravi de la position de Harper. Si aucune décision n’est prise au Manitoba, peut-il alors prétendre, un vote à Terre-Neuve devient inutile.

Les négociations fédérales-provinciales se poursuivent à un rythme effréné jusqu’à la date butoir du 23 juin. Elles seront toutefois desservies par le fait que Mulroney admette, dans une entrevue imprudente consentie au Globe and Mail, qu’il a délibérément gardé sa dernière tentative de parvenir à un consensus pour la dernière minute afin de créer une atmosphère de crise. Dans son langage coloré, le premier ministre se vante d’avoir choisi le début juin comme moment propice à jouer son va-tout (to roll all the dice). Un vent de protestation souffle sur tout le pays face aux manipulations cyniques de Mulroney. Un premier ministre favorable à l’accord du lac Meech se plaint que Mulroney a donné à ses adversaires un avantage moral.

Le débat devient un véritable jeu de société. Qui a tué l’accord du lac Meech? Mulroney et ses malheureux dés? Clyde Wells et son entêtement? Elijah Harper et sa détermination? Dans son compte rendu très convaincant, A Deal Undone, le journaliste Andrew Cohen conclut que les politiciens ont peut-être tenu le couteau, mais que le pays tout entier était complice. « Autant le Canada anglais n’a pas compris le Québec, et c’est bien le cas, autant le Québec n’a pas compris le Canada anglais. Il était à prévoir que le lac Meech ferait apparaître au grand jour cette incompatibilité des points de vue. »

Les peuples minoritaires ont la mémoire plus longue que celle des peuples majoritaires. À Québec, un commentateur rappelle que, dans sa province, « l’échec de Meech a représenté l’un des pires événements politiques à pouvoir survenir en temps de paix. Le flot bleu et blanc qui s’est déversé dans les rues de Montréal pour le défilé de la fête nationale cette fin de semaine-là prouve que les Québécois voulaient prendre leur revanche sur la mort de Meech. »

On peut faire un lien direct entre la date du 23 juin 1990 et le référendum québécois de 1995, alors que les Canadiens ont bien failli perdre leur pays.

Voir aussi: Constitution du Canada; Histoire constitutionnelle; Droit constitutionnel; Loi constitutionnelle de 1982; Rapatriement de la Constitution.

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