George Morton et la lutte pour le combat: volontaires noirs durant la Première Guerre mondiale | l'Encyclopédie Canadienne

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George Morton et la lutte pour le combat: volontaires noirs durant la Première Guerre mondiale

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L’archiviste Barbara M. Wilson analyse l’importance d’une lettre adressée à sir Sam Hughes par George Morton, un défenseur des droits civiques, originaire de Hamilton, en Ontario, qui exerçait le métier de coiffeur et de facteur. Dans sa lettre, datée du 7 septembre 1915, il demande au ministre de la Milice et de la Défense pourquoi les membres de la communauté noire ont été refoulés lorsqu’ils ont tenté de s’enrôler pour servir dans le Corps expéditionnaire canadien pendant la Première Guerre mondiale. (See also Volontaires noirs dans le Corps expéditionnaire canadien.)

À cette époque, la population noire de l’Ontario avait déjà, dans la province, une longue histoire militaire, certains de ses membres ayant été enrôlés dans la milice du comté du Kent dès 1793 (voir aussi Coloured Corps). En 1914, il est toutefois clair que les volontaires noirs ne sont pas les bienvenus dans le Corps expéditionnaire canadien et c’est dans ce cadre qu’Arthur Alexander, de Buxton, demande une explication au ministère de la Milice et de la Défense. On lui répond « [que] la sélection [...] relève exclusivement des commandants et [que] le quartier général n’interfère pas avec ces décisions. » Arthur Alexander ne donne pas suite; toutefois, moins d’un an plus tard, George Morton, de Hamilton, va reprendre le flambeau en écrivant, le 7 septembre 1915, à sir Sam Hughes. Cette lettre, conservée à Bibliothèque et Archives Canada et dont on peut voir une copie ci‑après, nous rappelle le désir de ces hommes de trouver leur place au sein du Corps expéditionnaire canadien.

George Morton (1859‑1927), précurseur de la défense des droits civils, exerce le métier de coiffeur et de facteur. Actif au sein de la loge locale 28 du Grand Order of Oddfellows of Canada, il s’était distingué en étant en pointe dans le combat contre les écoles ségréguées de la province. Il a également été trésorier de la section locale de la Letter Carriers’ Association et secrétaire de la Brotherly Union Society.

George Morton transmet ensuite le témoin de ce combat à J.R.B. Whitney, éditeur du Canadian Observer, un journal qui se décrit lui‑même comme « l’organe officiel des gens de couleur au Canada ». J.R.B. Whitney propose, en novembre 1915, de constituer une unité de 150 soldats noirs. Sam Hughes lui répond en ces termes : « désormais, ces gens peuvent former un peloton au sein de n’importe quel bataillon, rien au monde ne pourrait les en empêcher… », omettant simplement de mentionner que pour former tel peloton, ce dernier devait être auparavant accepté par le commandant d’un bataillon autorisé.

Sur la foi de la lettre reçue du ministre, le militant des droits civils lance une campagne de recrutement dans son propre journal; toutefois, aucun commandant n’est prêt à accepter le peloton ainsi constitué et, lorsque J.R.B. Whitney fait état de ces refus, on lui répond que « l’autorisation de recruter... ne peut être accordée ». Exaspéré, il demande à revoir le plan qu’il avait conçu et réfléchit aux explications qu’il pourrait fournir aux hommes ayant déjà répondu favorablement à son appel et qui souhaiteraient s’enrôler. Le 18 avril 1916, l’éditeur du Canadian Observer écrit à nouveau à sir Sam Hughes en demandant que son peloton soit « intégré à n’importe quel bataillon, faute de quoi les “gens de race noire” seraient fortement déçus et en concevraient un fort ressentiment vis‑à‑vis du gouvernement »; toutefois, là encore, il ne réussit pas à se faire entendre.

Une affiche de recrutement pour le 2e Bataillon de construction.

À la même époque, le général Willoughby Gwatkin propose la constitution d’un ou de plusieurs bataillons de travailleurs noirs pour servir outre‑mer. La constitution du 2e Bataillon de construction est autorisée le 5 juillet 1916 après réception d’un message du ministère de la Guerre britannique confirmant qu’il accepte une telle unité. Bien que son quartier général soit situé à Pictou et plus tard à Truro, en Nouvelle‑Écosse, le nouveau bataillon recrute d’un océan à l’autre. L’Ontario ne fournit que 71 recrues, un chiffre assez inférieur aux attentes pour cette province que l’on peut probablement attribuer au rejet dont avait fait l’objet, auparavant, la constitution d’une unité noire. En mars 1917, ce bataillon noir se rend à Liverpool en Angleterre pour être ensuite envoyé en France où il est rattaché au Corps forestier canadien (voir également 2e Bataillon de construction).

De George Morton à sir Sam Hughes
52, rue Augusta
Hamilton, Ontario
Le 7 septembre 1915

Cette correspondance a pour objectif d’évoquer l’enrôlement comme soldats des gens de couleur, un sujet qui revêt une importance vitale pour mon peuple.

Au nom de ce dernier, je souhaiterais savoir si votre ministère a édicté des règles, des règlements ou des restrictions interdisant absolument l’enrôlement d’hommes de couleur de bonne moralité et en bonne condition physique en tant que soldats ou prévoyant certaines discriminations en la matière.

D'autre part, vous‑même, en tant que chef compétent, populaire et honorable de ce ministère, avez‑vous émis des instructions en ce sens à l'intention de vos subordonnés?

La raison pour laquelle je souhaite attirer votre attention sur cette question et qui m’amène directement à solliciter ces renseignements est le fait qu’un certain nombre d’hommes de couleur dans cette ville [Hamilton], ayant proposé de s’enrôler et de servir, se sont vu opposer un refus uniquement sur la base de la couleur de leur peau, l’officier recruteur ayant fourni ce motif sur la carte de rejet ou de refus émise.

Il semblerait toutefois qu’il y ait, ici, divergence d’opinions à ce sujet entre les officiers recruteurs, certains faisant valoir qu’il n’existe ni ordonnances réglementaires ni règles rendant illégitime ou odieuse une telle discrimination et une telle distinction.

J’ai attiré l’attention d’un certain nombre de citoyens blancs de premier plan de cette ville à ce sujet et ils ont catégoriquement rejeté, dans des termes extrêmement forts, l’idée qu’il pourrait être conforme à la dignité du gouvernement de faire une distinction selon la race ou la couleur dans ce domaine. Ils sont absolument certains que de telles restrictions interdisant le recrutement de gens de couleur n’existent pas. Ils m’ont assuré que s’il devait toutefois s’avérer que de telles règles étaient en vigueur, ils en seraient profondément désolés et considéreraient ces discriminations comme injustifiables, m’enjoignant de communiquer avec vous pour clarifier la situation réelle.

Malgré cette opinion exprimée avec la plus grande gentillesse et la plus grande compassion, il n’en demeure pas moins que l’on dispose de nombreuses preuves du fait, brut et inexpliqué, que les gens de mon peuple ayant offert de s’enrôler pour servir ont essuyé un refus. Cette position peu enviable dans laquelle se trouvent ainsi placés les gens de race noire les blesse profondément et ils sont extrêmement perturbés et frustrés par la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui. Le sentiment prévaut, parmi eux, que dans ce pays que l’on appelle la « Terre de la liberté » et le « Pays des braves », il ne devrait y avoir aucune différence ni aucune discrimination due à la couleur de la peau. En tant qu’humbles mais loyaux sujets de Sa Majesté le roi, cherchant à construire leur propre destinée, les Noirs de ce pays estiment qu’ils devraient être autorisés à accomplir leur devoir et à assumer leur part de responsabilité, aux côtés de tous leurs concitoyens, dans le cadre de ce conflit généralisé dévastateur. Ce sentiment est d’autant plus fort qu’ils se souviennent, le cœur plein de reconnaissance, que le Canada a été le seul à les accueillir et à leur offrir un asile où se réfugier à l’époque sombre de l’esclavage américain et que sur cette terre consacrée, vouée à l’égalité, à la justice et à la liberté, plus personne ne se permettrait de les maltraiter ou de les effrayer.

C’est pourquoi notre peuple, empli de gratitude et se souvenant, parmi d’autres raisons possibles, de son ardente obligation à défendre son pays, est extrêmement impatient de servir son roi à l’occasion de cette crise capitale dans l’histoire du Canada et estime qu’il ne devrait pas en être empêché sur la base de la couleur de sa peau.

S’il existe effectivement des règlements restrictifs en matière d’enrôlement des gens de couleur (et je suis certain que ce n’est pas le cas), le fait de le savoir, aussi désagréable que cela puisse être, les refrénera et ils s’abstiendront d’offrir leurs services à leur pays au moment où celui‑ci en a cruellement besoin, au risque de subir une humiliation et d’être rejetés sur la base de critères purement raciaux.

Je serais très honoré que vous puissiez, à votre convenance, répondre à mes questions et me transmettre les renseignements sollicités, ce dont je vous remercie par avance.

En l'attente, permettez‑moi, Sir Hughes, Honorable Ministre, de vous féliciter humblement pour l'insigne honneur que vous a récemment octroyé Sa Majesté le roi, en récompense de vos services distingués pour le pays.


Cet article est d’abord apparu dans la série en ligne Findings/Trouvailles publiée par la Champlain Society, une publication régulière présentant des éléments fascinants de l’histoire canadienne dont elle éclaire le contenu et le contexte. Par l’entremise de Findings/Trouvailles, la Champlain Society donne à tous ceux qui sont passionnés par l’histoire canadienne un espace dans le cadre duquel ils peuvent partager leur goût pour les gens et les événements du passé et expliquer la façon dont ils sont touchés par ces artefacts.

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