La Confédération canadienne de 1867 prévoit la création d’un état provincial au Québec, seul territoire où la population est majoritairement de langue française. Cette caractéristique identitaire marque profondément toute l’histoire du Québec par la suite et alimente les débats à propos de son avenir.
La religion catholique est aussi longtemps un marqueur identitaire, à forte teneur conservatrice. La société québécoise doit s’adapter aux grands phénomènes qui se déploient dans le monde occidental (industrialisation, urbanisation et modernité). La population francophone cohabite, parfois dans l’harmonie, parfois dans les tensions, avec sa contrepartie anglophone et intègre d’autres apports de l’étranger. La Révolution tranquille des années 1960 marque un point de bascule : nouveau nationalisme, recul du religieux et programme modernisateur. Cet article fait ressortir les grandes tendances et les principaux événements qui ont marqué l’évolution du Québec depuis 1867.
Les dernières décennies du XIXe siècle
La Confédération permet de régler de façon permanente un problème politique auquel le Canada est confronté depuis plusieurs décennies : l'existence d'une nation canadienne-française dans un pays qui, grâce à l'immigration, est devenu majoritairement anglophone.
La Confédération confirme la mise en minorité des Canadiens français, mais attribue un statut de province à leur territoire d'origine, l'ancien Bas-Canada, et reconnaît le bilinguisme des institutions fédérales. Les Canadiens français constituent la majorité dans la nouvelle province, le Québec, et obtiennent la responsabilité de leur propre développement social et culturel. La minorité anglophone y obtient tout de même d’importantes protections religieuses et linguistiques. Cette réorganisation politique n'est cependant que l'une des transformations fondamentales qui affectent la société québécoise à cette époque.
Pendant longtemps, les auteurs qui écrivaient sur l'histoire du Québec l'ont perçue comme celle d’une société traditionnelle, en marge des changements observés ailleurs en Amérique du Nord. Ils décrivaient le Québec comme une société paysanne et mettaient l'accent sur sa stabilité en affirmant qu'au fond, ses caractéristiques avaient bien peu évolué entre le XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle. Toutefois, depuis les années 1960, de nouvelles recherches historiques permettent de constater que la société québécoise était beaucoup plus complexe, qu'elle a connu une évolution constante, avec des phases d'apparente stabilité et des phases de changement accéléré. Elles montrent que le Québec participe aux grandes transformations qui affectent le monde atlantique entre 1815 et 1930 : mouvements de population de grande envergure, industrialisation et urbanisation croissantes, et que la seconde moitié du XIXe siècle s'avère un moment crucial à cet égard.
Les changements démographiques
Comme on peut le constater en observant l'évolution démographique, la composition ethnique de la population du Québec change de façon significative au cours du XIXe siècle. À la suite d'une forte vague migratoire en provenance des îles Britanniques, entre 1815 et 1860, le quart du 1,2 million d'habitants que compte le Québec vers 1867 tire son origine ancestrale de Grande-Bretagne et surtout d’Irlande, tandis que les trois quarts sont d'origine française. Vers 1870, cependant, cette vague migratoire ralentit et la proportion des Québécois d'origine française va en augmentant au cours des décennies suivantes.
Un taux de natalité élevé explique l'augmentation de la population canadienne-française. Dans les vieilles zones rurales du Québec, celle-ci devient même trop considérable et les fils de cultivateurs doivent se diriger ailleurs pour trouver un emploi. Un Canadien français qui veut être agriculteur n'a alors d'autre choix que d'aller vers les régions de colonisation du Québec, souvent éloignées, où la terre est peu fertile et les conditions de vie difficiles. Certaines, comme les Bois-Francs, sont sur la rive sud, mais la plupart sont situées au nord de la vallée du Saint-Laurent, notamment les Laurentides, Lanaudière, la Mauricie et le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le colon est isolé et, à cause du rendement insuffisant de sa ferme, il doit souvent travailler en forêt, comme bûcheron, pour joindre les deux bouts. Peu de ruraux québécois sont attirés par les nouvelles régions de colonisation, et la majorité préfère se diriger vers la ville, car même les longues heures de travail en usine paraissent préférables à la vie de colon.
Les filatures de la Nouvelle-Angleterre ont alors besoin d'une abondante main-d’œuvre à bas salaires et elles la trouvent dans les campagnes du Québec. Durant les dernières décennies du XIXe siècle, l'émigration aux États-Unis devient un mouvement de masse (voir Franco-américains). On estime qu'entre 1850 et 1930, près d'un million de Canadiens français tentent ainsi l'aventure américaine. Pour la majorité d’entre eux, ce départ est définitif, mais une certaine proportion revient au Québec et contribue à y diffuser l’influence américaine, notamment dans les affaires, le syndicalisme, les arts et le journalisme. Le surplus de population rurale favorise aussi l'émergence d'entreprises manufacturières (voir Fabrication industrielle) au Québec même. C'est un des nombreux facteurs qui expliquent la croissance industrielle au Québec. L'expansion du marché intérieur canadien, la construction ferroviaire et les politiques économiques du gouvernement du Canada, en particulier le tarif protectionniste de 1879 (voir Politique nationale), y contribuent aussi.
L’industrialisation
L'industrialisation du Québec pendant cette période se déroule en deux étapes. La première, au milieu du XIXe siècle, est surtout concentrée à Montréal. La seconde, dans les années 1880, permet de renforcer la structure industrielle montréalaise, mais elle est aussi témoin de l'implantation de l'industrie dans plusieurs autres villes, petites et moyennes, notamment à Québec et dans les centres urbains des Cantons de l'Est, tels Sherbrooke, Magog, Coaticook ou Granby.
Au Québec, l'industrialisation s'appuie surtout sur l'industrie légère, qui emploie une main-d’œuvre abondante et faiblement rémunérée et qui produit des biens de consommation, tels la chaussure, le textile, le vêtement et les aliments. Il y a aussi de l'industrie lourde, liée au secteur des transports et à la transformation des métaux et centralisée à Montréal.
L'industrialisation accélère le processus d'urbanisation et, à la fin du XIXe siècle, le tiers des Québécois vivent dans les villes. La croissance urbaine et industrielle la plus significative se manifeste à Montréal, où la moitié de la production industrielle du Québec est concentrée et où habitent près du quart des Québécois, en 1901.
La majorité de la population du Québec vit néanmoins dans les régions rurales, où l'agriculture de subsistance cède de plus en plus la place à des productions commerciales. Les agriculteurs abandonnent la culture des céréales pour se consacrer à l'élevage laitier et à des cultures spécialisées. Un changement d'une telle importance ne peut se faire que graduellement, à des rythmes fort inégaux d'une région à l'autre.
De nouveaux groupes sociaux
La croissance économique de cette période favorise l'émergence d'une nouvelle bourgeoisie dont les membres, contrairement à leurs prédécesseurs, ne se limitent pas au secteur commercial, mais investissent également dans les transports, le secteur financier et les entreprises industrielles. On les trouve surtout parmi les groupes d'origine anglaise ou écossaise, et ils sont concentrés à Montréal, métropole du Canada. Ils ont la mainmise sur les grandes entreprises œuvrant à l'échelle du Canada telle la puissante Banque de Montréal (fondée en 1817). Les Canadiens français sont à peu près absents des rangs de la grande bourgeoisie, mais ils manifestent de plus en plus leur présence à un autre niveau, celui de la moyenne bourgeoisie, qui œuvre à l'échelle locale ou régionale. Ils participent activement à l'exercice du pouvoir politique au Québec et mettent sur pied des institutions francophones telles des banques, une presse d'affaires, des chambres de commerce.
L'industrialisation conduit aussi à la formation d'une classe ouvrière. À Montréal, à Québec et dans les petites villes industrielles, les Québécois qui ont quitté les fermes pour devenir ouvriers vivent dans des conditions pénibles : bas salaires, longues journées de travail, mauvaises conditions de logement, taux de mortalité élevés et chômage saisonnier. Les ouvriers canadiens-français, peu qualifiés, doivent se contenter des emplois les moins bien rémunérés. C'est particulièrement le cas pour les femmes (voir Condition féminine), de plus en plus nombreuses dans les industries du textile, du vêtement et du tabac. L'importance croissante de la classe ouvrière est confirmée par la montée du mouvement ouvrier dans les années 1880 et 1890 (voir Histoire des travailleurs du Québec). Le syndicalisme est rapidement dominé par deux organisations américaines, les Chevaliers du travail et la Fédération américaine du Travail, qui mettent sur pied des syndicats affiliés au Canada. Pendant cette période, seule une faible proportion des ouvriers québécois (surtout parmi les plus qualifiés) est syndiquée.
Le conservatisme
Sur le plan politique, cette période est dominée par le Parti conservateur qui, sauf pour de brefs intermèdes, est constamment au pouvoir à Ottawa comme à Québec. Après le décès de George-Étienne Cartier en 1873, le parti est déchiré par les querelles entre ses ailes ultramontaine (voir Ultramontanisme) et modérée. Entre 1867 et 1897, le Québec a 10 premiers ministres : 8 conservateurs, dont Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1867-1873) et Joseph-Adolphe Chapleau (1879-1882), et deux libéraux, dont Honoré Mercier (1887-1891). Ce dernier prend le pouvoir à la tête d’une coalition, le Parti national, formée en réaction à la pendaison de Louis Riel.
L’action des gouvernements du Québec à cette époque est modeste, car leurs moyens sont limités. Les revenus de la province proviennent des subventions fédérales et des redevances sur les ressources naturelles. Les dépenses publiques les plus substantielles relèvent des municipalités (voirie, aqueducs et égouts). Les gouvernements qui se succèdent à Québec tentent de favoriser le développement économique par la colonisation agricole, l’exploitation des ressources naturelles et surtout la construction ferroviaire (voir Histoire du chemin de fer). Ils cherchent à hausser le niveau d’éducation de la population, mais s’en remettent à l’Église catholique et aux Commissions scolaires pour y parvenir. La fonction de premier ministre du Québec gagne en prestige et devient associée à un rôle de porte-parole des francophones du Canada, surtout sous Honoré Mercier.
Le pouvoir de l’Église catholique
L'Église catholique (voir Catholicisme) représente une puissante force sociale. Elle a la mainmise sur le système d'éducation et, grâce à son réseau de paroisses et d'associations religieuses, exerce une forte emprise morale sur le peuple. Ses évêques (Ignace Bourget, Elzéar-Alexandre Taschereau et plusieurs autres) disposent d’une forte autorité. La vitalité et le pouvoir social de l'Église sont alimentés par la rapide croissance des effectifs du clergé et des communautés religieuses, qui se manifeste depuis le milieu du XIXe siècle. Les communautés féminines ont les effectifs les plus nombreux et dispensent des services éducatifs, sociaux et hospitaliers. Dans un contexte où le Code civil réduit la femme mariée à un statut de mineure, de nombreuses Québécoises trouvent dans la vie religieuse un lieu où peut s’épanouir une activité professionnelle, malgré les limites imposées à leur vie personnelle. Chez les hommes, l’arrivée de France de congrégations de prêtres et de frères enseignants, qui recrutent ensuite au Québec, vient renforcer l’encadrement religieux.
Le pouvoir de l'Église a cependant ses limites. Malgré ses succès dans les champs social et culturel, son influence est moins forte dans les domaines de l'économie ou de la politique. Le clergé ne parvient pas à freiner l'industrialisation ou l'émigration vers les États-Unis. Il tente bien de contrôler les hommes politiques, allant même jusqu'à appuyer le Programme catholique aux élections de 1871, mais n'y parvient pas. Plusieurs prêtres expriment ouvertement leur opposition au Parti libéral, mais celui-ci, sous la direction de Wilfrid Laurier au fédéral et d’Honoré Mercier au provincial, atténue son intransigeance et accroît ses appuis parmi la population.
Le clergé protestant est beaucoup plus morcelé. Ses fidèles, presque tous anglophones, se répartissent entre les anglicans (les plus nombreux), les presbytériens (voir Églises presbytériennes et réformées) et les méthodistes, mais aussi parmi un grand nombre de sectes. Les temples protestants parsèment le paysage et abritent une vie associative intense. Minoritaires, les protestants québécois pratiquent une stratégie d’unité en matière d’éducation (commissions scolaires et Université McGill) et de santé.
Sur le plan culturel, le Québec est encore une société périphérique. La mère patrie française attire les élites francophones, même si dans les milieux cléricaux, on fustige la France officielle, républicaine et laïque, pour privilégier la France profonde, rurale et catholique. Les promoteurs américains dominent néanmoins les arts de la scène, organisant les tournées d’orchestres et de troupes de théâtre, et rares sont les spectacles en français. En littérature, le roman français, diffusé en feuilletons dans les journaux, est le plus lu. Timidement émerge une littérature nationale avec des auteurs comme Louis-Honoré Fréchette, Joseph Marmette et Laure Conan (Félicité Angers). Dans les beaux-arts, les artistes acquièrent leur formation lors de séjours aux États-Unis et en France. Le sculpteur Louis-Philippe Hébert et le peintre Napoléon Bourassa ont un certain succès auprès des autorités politiques et religieuses, responsables des principales commandes. Dans les médias, l’époque voit émerger la presse populaire à grand tirage (La Presse, La Patrie et The Montreal Daily Star) qui contribue à façonner la culture québécoise.
Même si le monde rural représente toujours une caractéristique importante à la fin du XIXe siècle, le développement économique et social du Québec est parallèle à celui d'autres régions d'Amérique du Nord qui sont en voie d'industrialisation. Toutefois, la langue et la culture (dont la religion catholique) distinguent nettement le Québec du reste du continent. De plus, les Canadiens français ne dominent pas le développement économique de leur province. Ils sont souvent des citoyens de seconde zone, plus susceptibles d'être ouvriers que patrons.
Une ère de croissance (1896-1930)
Pendant les trois premières décennies du XXe siècle, le Québec connaît une forte croissance économique et sa population passe de 1,5 à 2,9 millions de personnes. Le rythme des changements qui ont caractérisé l'époque précédente s'accélère. L'industrialisation et l'urbanisation poursuivent leur progression : pendant la Première Guerre mondiale, la part de la population urbaine atteint 50 % et elle grimpe à 60 % en 1931.
L'agglomération de Montréal s'affirme encore plus comme la métropole du Québec et rassemble 35 % de la population de la province en 1931. Sa croissance industrielle est remarquable : de nouvelles industries se développent, tandis que les entreprises déjà bien établies accroissent substantiellement leur production pour répondre à la demande engendrée par la croissance rapide du Canada. Grâce à ses réseaux de chemins de fer, à ses grandes banques et à ses nombreuses entreprises commerciales et industrielles, Montréal devient le centre organisateur du développement des provinces de l'Ouest. Son port expédie le blé canadien vers l'Europe. Montréal reste le plus important centre industriel du Canada et assure les deux tiers de la valeur de la production manufacturière du Québec (voir Fabrication industrielle).
Un univers social plus diversifié
Simultanément, le paysage québécois est transformé par un nouveau type d'industrialisation centré sur l'exploitation des ressources naturelles. Des industries liées aux ressources hydroélectriques et forestières (pâtes et papiers, aluminium, chimie) se développent rapidement dans les anciennes régions de colonisation, comme la Mauricie et le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Elles provoquent l’émergence de villes nouvelles, telles Shawinigan, Arvida ou Kénogami. Plus au nord, l’Abitibi est cédé au Québec par le gouvernement fédéral en 1898. L’arrivée du chemin de fer National Transcontinental permet d’y lancer la colonisation agricole vers 1912. Puis, à partir des années 1920, l’exploitation minière transforme la région et entraîne la création d’un nouveau pôle autour de Rouyn et Noranda. L'émigration vers les États-Unis ralentit, bien qu'elle reste importante jusqu'en 1930.
À mesure que s'accroît la concentration des entreprises dans les secteurs bancaire et industriel, le pouvoir économique devient encore plus centralisé aux mains d'une poignée de grands capitalistes de Montréal, presque tous Canadiens anglais. La bourgeoisie canadienne-française est marginalisée et son emprise réduite aux entreprises de nature locale et aux secteurs traditionnels. Elle conserve toutefois une forte présence sur la scène politique, surtout à l'échelon provincial.
La majorité des Canadiens français n'a cependant d'autre choix que l'agriculture ou le travail en usine. La situation des agriculteurs québécois continue à s'améliorer jusqu'à la Première Guerre mondiale, grâce à la spécialisation et à la commercialisation accrues. Pendant les années 20, ils cherchent à briser leur isolement traditionnel en formant des associations et des coopératives (voir Fermiers Unis du Québec; Mouvement coopératif).
Dans les villes, les ouvriers canadiens-français font maintenant face à la concurrence d'une nouvelle vague d'immigrants, venant de plus en plus d'Europe continentale. Parmi les groupes ethniques qui ne sont ni d'origine française, ni d'origine britannique, les Juifs d'Europe de l'Est sont les plus nombreux, suivis de loin par les Italiens. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la proportion des Canadiens français dans la population du Québec passe de 75 % à 80 % et elle se maintient à ce niveau dans les premières décennies du XXe siècle. La part du groupe d'origine britannique décline toutefois à 15 % en 1931, tandis que celle des groupes d'autres origines que française ou britannique atteint près de 6 %. La diversité ethnique est cependant un phénomène de plus en plus limité à l'île de Montréal, où environ 60 % de la population est d'origine française.
La situation de la classe ouvrière s’améliore. L’essor du syndicalisme permet des gains dans les conditions de travail. L’imposition de mesures d’hygiène publique (filtration de l’eau, pasteurisation du lait, vaccination des enfants) fait reculer la mortalité. Les nouveaux logements sont dotés du confort moderne. Il subsiste néanmoins de fortes inégalités et les ouvriers peu qualifiés vivent souvent dans la précarité. Les organismes de charité associés aux Églises continuent à porter le fardeau de l’aide aux démunis et il faut attendre 1921 pour que le gouvernement commence à leur accorder un appui financier.
Par ailleurs, l’urbanisation favorise l’essor des services et la multiplication des emplois de commis de bureaux et de magasins, de comptables, d’agents d’assurance ou de petits commerçants. Parmi ces cols blancs émerge une nouvelle classe moyenne, mais se développent aussi des couches d’emplois à bas salaires, notamment occupés par les jeunes femmes. Celles-ci sont de plus en plus présentes sur le marché du travail, aussi bien dans l’industrie que dans les services, jusqu’au moment de leur mariage, et elles reçoivent un salaire nettement inférieur à celui des hommes.