Les peuples autochtones et la Première Guerre mondiale | l'Encyclopédie Canadienne

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Les peuples autochtones et la Première Guerre mondiale

Les soldats, infirmières et civils ordinaires autochtones ont apporté une contribution majeure à l’effort de guerre du Canada au cours de la Première Guerre mondiale. Plus de 4 000 soldats des Premières Nations ont combattu pour le Canada pendant la guerre, selon les registres officiels du ministère des Affaires indiennes (voir Ministères fédéraux des Affaires autochtones et du Nord). De plus, des milliers d’autres Indiens, Inuits et Métis non inscrits se sont enrôlés sans que leur identité autochtone soit officiellement reconnue. Plus de 50 soldats autochtones ont été décorés pour leur bravoure au combat, dont le soldat anishinabé (ojibwé) Francis Pegahmagabow, le soldat inuit John Shiwak et le soldat métis Henry Norwest.

Première Guerre mondiale, 1914 à 1918

Pendant la Première Guerre mondiale, l’histoire militaire des peuples autochtones la mieux documentée est celle des Premières Nations et, en particulier, des Indiens inscrits. En revanche, l’origine ethnique des soldats n’étant pas mentionnée sur les documents d’enrôlement et aucun ministère, susceptible de laisser une trace écrite, n’ayant alors en charge la supervision des populations métisses, on sait peu de choses des activités militaires des Métis lors du premier conflit mondial. On estime que seul un petit nombre d’Inuits servent durant cette période, essentiellement dans le Royal Newfoundland Regiment qui ne fait pas partie du Corps expéditionnaire canadien.

Le simple soldat Tom Longboat, le coureur de fond amérindien, achetant un journal d’un petit marchand français, juin 1917.

Recrutement et conscription

L’histoire du recrutement et de la conscription des hommes autochtones au cours de la Première Guerre mondiale est complexe et fait encore l’objet de débats entre les historiens. Entre août 1914 et décembre 1915, seuls quelques hommes originaires des Premières Nations se portent volontaires, dans un contexte où les autorités de l’armée de terre hésitent à les recruter, craignant que « les Allemands [ne] refusent d’étendre à ces populations les privilèges de la guerre civilisée ». Il ne s’agit toutefois pas d’une politique rigide et au moins 200 hommes réussissent à s’enrôler. Après décembre 1915, le gouvernement britannique demande à ses dominions de recruter activement des soldats autochtones, ce qui débouche, au Canada, sur un recrutement beaucoup plus intensif dans les réserves.

En 1917, la promulgation de la conscription, portant notamment sur les Indiens inscrits, suscite de vigoureuses protestations parmi les peuples des Premières Nations. En réponse, le gouvernement accorde aux Indiens inscrits, en janvier 1918, une exemption limitée de service outre‑mer dans des unités combattantes.

À la fin de la guerre, le ministère des Affaires indiennes estime que 4 000 hommes originaires des Premières Nations se sont enrôlés; toutefois, les dossiers correspondants sont incomplets et n’incluent ni les Indiens non inscrits ni les Métis. Même si cela reste une hypothèse, le chiffre total pourrait, en fait, être plus proche de 6 000 hommes, des recherches récentes suggérant un nombre encore plus élevé.

Le saviez-vous?
Selon Yann Castelnot, historien amateur basé au Québec, plus de 6 500 Autochtones ont servi dans les Forces armées canadiennes pendant la Première Guerre mondiale. Depuis plus de 20 ans, Yann Castelnot fait des recherches sur les hommes et les femmes autochtones qui ont servi dans les forces britanniques, françaises, canadiennes et américaines depuis le 17e siècle. En date de mai 2018, il a identifié plus de 154 000 personnes, dont approximativement 19 000 ont servi dans les Forces canadiennes.


Charlotte Edith Anderson Monture

Expérience des soldats

Certains régiments comptent un grand nombre de soldats autochtones, notamment le 114e Bataillon, dit Brock’s Rangers, et le 107e, dit Timber Wolf. Cependant, la plupart du temps, ils sont intégrés dans des unités militaires habituelles plutôt que dans des unités séparées. Dans ce cadre, des hommes d’origine autochtone et non autochtone interagissent, pendant la Première Guerre mondiale, comme ils ne l’avaient jamais fait dans le Canada d’avant‑guerre. Pour certains enrôlés autochtones, le choc culturel du passage à la vie et à la discipline militaires s’avère brutal, ceux qui ne respectent pas les règlements étant alors soumis à des mesures disciplinaires, voire exclus des forces armées.

Cependant, dans leur grande majorité, les recrues autochtones font merveille au combat, au moins 37 d’entre eux étant décorés pour actes de bravoure. Un certain nombre de soldats autochtones deviennent célèbres en tant que tireurs d’élite, notamment Francis Pegahmagabow, un Anishinaabe de la réserve de Parry Island auquel on attribue 378 victimes dans les rangs de l’ennemi et le Métis Henry Norwest, au compte duquel on en porte officiellement 115. La plupart des anciens combattants autochtones racontent avoir été acceptés et respectés par leurs camarades de combat; dans les tranchées, il n’y a pas de place pour les préjugés raciaux.

Francis “Peggy” Pegahmagabow

Front intérieur

L’expérience vécue par les Inuits, les Métis et les Premières Nations sur le front intérieur varie considérablement sur tout le territoire du Canada. Dans la plupart des réserves du sud du Canada, le conflit joue un rôle déterminant dans la vie des gens et les Autochtones font preuve d’une mobilisation intense : les taux d’enrôlement y sont élevés, les dons pour des causes charitables et patriotiques généreux (près de 45 000 $ pour le seul Fonds des bandes indiennes) et le soutien public pour le roi, l’Empire britannique et l’effort de guerre national marqué. Parallèlement, on met en place, avec ardeur, des initiatives d’accroissement de la production sur les terres agricoles des réserves, et les Autochtones se voient offrir de nombreuses occasions de travailler dans le cadre de l’effort de guerre qu’ils acceptent avec enthousiasme.

En dépit de ces efforts consentis par les résidents des réserves, le gouvernement fédéral exproprie les Autochtones de près de 127 000 ha et force certaines bandes à louer leurs terres. En matière de perception et d’attitude vis-à-vis de l’effort de guerre, de nombreux membres des Premières Nations se montrent ambivalents, indifférents, voire hostiles, certains parce qu’ils ne se sentent pas concernés par le conflit et d’autres en raison des relations passées difficiles avec le gouvernement. Dans les régions les plus reculées, les Métis, les Inuits et les Premières Nations vivent à l’écart des événements mondiaux et la guerre n’a que peu de répercussions sur leur vie quotidienne.

John Shiwak

Anciens combattants et entre‑deux‑guerres

Lorsque la guerre prend fin en 1918, les soldats autochtones reviennent à la vie civile avec leurs camarades, espérant réintégrer un monde meilleur; toutefois, leurs espoirs sont déçus. Le conflit et les contributions qu’y ont apportées les peuples autochtones n’ont en rien modifié la situation marginale qu’ils occupent sur les plans politique, juridique, économique et social. Les anciens combattants des Premières Nations, dont les pouvoirs publics considèrent qu’en tant qu’Indiens inscrits, ils sont des « pupilles » de l’État et que l’on « s’occupe » déjà d’eux, sont, pour l’essentiel, privés des avantages offerts aux soldats qui reviennent de la guerre. La Loi d’établissement de soldats, dont l’objectif consiste à aider les militaires de retour de la guerre à s’installer comme agriculteurs, s’avère, à cet égard, douloureuse à double titre. En effet, non seulement il est presque impossible pour les Indiens inscrits d’être admissibles aux avantages prévus par la Loi, mais le gouvernement confisque près de 35 000 ha supplémentaires de terres des réserves afin de les mettre à la disposition des soldats non autochtones dans le cadre de ce plan. L’accès, après la guerre, des Métis et des Inuits aux avantages prévus demeure, quant à lui, un mystère encore entier.

En réaction à sa frustration engendrée par le piètre traitement réservé aux peuples autochtones à l’issue du conflit, un ancien combattant haudenosaunee, F.O. Loft, un Mohawk de la réserve des Six Nations de la rivière Grand, crée en 1919 la League of Indians of Canada qui milite pour la résolution d’un ensemble de griefs communs à tous les peuples autochtones du Canada. Cependant, en raison des difficultés à unifier, en une unique organisation autochtone, des bandes réparties d’un océan à l’autre et divisées sur les plans ethnique, linguistique et religieux, la ligue échoue à atteindre ses objectifs durant l’entre‑deux‑guerres. L’ensemble de la période avant la Deuxième Guerre mondiale se caractérise, de fait, par un abandon gouvernemental des populations autochtones, en particulier au cours de la crise économique des années 1930.

Patrimoine et reconnaissance croissante

Malgré leurs contributions à l’effort de guerre national, les anciens combattants autochtones sont largement oubliés dans les décennies suivant 1918, jusqu’à ce que, des années 1970 aux années 2000, ils commencent à s’organiser, à faire campagne pour que leurs sacrifices soient reconnus et à réclamer la restitution des avantages offerts aux anciens combattants jamais perçus. Leur persévérance va payer : un rapport, établi sur la base d’un consensus, est accepté par les groupes d’anciens combattants des Premières Nations et par le gouvernement en 2001; il est suivi d’une offre d’excuses publiques et d’une offre d’indemnisation en 2003. Les revendications des anciens combattants métis et inuits ne feront toutefois pas l’objet de la même écoute. Au cours des dernières années, les anciens combattants autochtones sont devenus bien plus visibles à l’occasion des manifestations locales et nationales du Souvenir, notamment lors de la Journée des anciens combattants autochtones le 8 novembre (inauguré par le conseil municipal de Winnipeg en 1994), et sur les lieux de mémoire comme le Monument aux anciens combattants autochtones du Canada à Ottawa (dévoilé en 2001).

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