Opération McGill français | l'Encyclopédie Canadienne

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Opération McGill français

L’Opération McGill, connue aujourd’hui sous le nom de McGill français, était un mouvement militant, qui culmine lors d'une importante manifestation à Montréal le soir et la nuit du 28 mars 1969. Les journaux estimaient que l’événement avait réuni de 6 000 à 15 000 personnes dans la rue. Le rassemblement a pris fin devant le portail Roddick de l'Université McGill. D'abord pacifique, la manifestation a mené à des affrontements avec la police antiémeute. Le mouvement avait pour but de faire pression sur l'université pour qu'elle se décolonise et devienne une université de langue française. L’université servirait alors avant tout le développement économique de la population majoritairement francophone du Québec. Bien que cet objectif n'ait pas été atteint, le réseau des Universités du Québec, créé en décembre 1968, a permis l’établissement à travers le territoire québécois d’universités publiques de langue française dans les années suivantes (voir Université du Québec à Montréal). L’Opération McGill français s’est inscrite dans les mouvements sociaux et politiques qui constituent la Révolution tranquille.

Contexte

La manifestation du 28 mars 1969 est l'aboutissement d’au moins deux années d'activisme de la part d’un chargé de cours du département de sciences politiques à l'Université McGill, Stanley Gray. Il souhaite que l'Université McGill soit plus ouverte à la société québécoise. Au milieu des années 1960, seuls 7 % de la population étudiante de l’université a le français pour langue maternelle, ce qui rend l’institution très majoritairement anglophone et en décalage avec les importants changements sociaux qui se produisent au Québec. Le 23 novembre 1967, Stanley Gray crée l'organisation « Students for a Democratic University » (SDU), formée d’environ 150 personnes, pour attirer l'attention sur cette question. Stanley Gray et la SDU interrompent le 24 janvier 1969 la réunion du Sénat de McGill, puis celle de son Assemblée du Conseil des gouverneurs trois jours plus tard, pour transmettre leurs revendications à l’administration universitaire. En raison de son militantisme, Stanley Gray perd son poste universitaire. Il intensifie néanmoins ses efforts pour faire de l’université McGill une institution de langue française.

Raymond Lemieux est une autre figure importante de ce mouvement. Il s’implique activement dans les efforts de protection de la langue française pendant la crise concernant la langue d’enseignement dans les écoles de Saint-Léonard, en 1967 et 1968. Au début de l’année 1969, Stanley Gray et Raymond Lemieux organisent ensemble un mouvement de contestation revendiquant à l'administration de l'Université McGill une francisation de leur établissement. La manifestation du 28 mars est organisée pendant plusieurs mois et implique une grande variété d'organisations. On y retrouve des personnes ayant participé au débat public sur les écoles de Saint-Léonard, des étudiants et étudiantes des cégeps ainsi que des syndicats.

Le saviez-vous?
Une partie des personnes qui organisent et participent au mouvement réclamant que l'Université McGill devienne une institution francophone sont eux-mêmes anglophones, y compris la figure principale du mouvement, Stanley Gray.


Le manque de places à l'Université de Montréal pour accueillir tous les nouveaux étudiants et nouvelles étudiantes francophones provenant des cégeps contribue fortement au mouvement McGill français. Le réseau des cégeps est créé en août 1967 et une partie de sa première cohorte étudiante doit entrer à l'université à l'automne 1969. Lors du congrès du département d'éducation de l'Université Laval qui se tient au cours de cette période, il est estimé qu'environ 40 % de la première cohorte étudiante des cégeps se verrait refuser l'admission à l'université par manque de places. En effet, Montréal ne compte à l’époque qu'une seule université francophone. Cette situation explique en partie pourquoi tant d'élèves des cégeps participent à la manifestation du 28 mars à l’Université McGill.

Les demandes clés des partisans de l’Opération McGill visent essentiellement une francisation rapide de l’université par une plus forte représentation des francophones, tant dans la population étudiante que dans la recherche et l’enseignement. L’objectif consiste à faire de l’Université McGill un établissement francophone, n’imposant pas de frais d’admission et qui soit au service de la nation québécoise, comprise comme peuple de langue française.

Déroulement de la manifestation

Le 28 mars 1969, les manifestants et manifestantes du mouvement commencent à se rassembler au Carré Saint-Louis vers 19h00. Aux alentours de 20h30, le défilé se dirige vers l'ouest sur la rue Sherbrooke pour manifester devant l'entrée principale de l' Université McGill ― le portail Roddick. Au cours de l’après-midi, une foule s’était déjà rassemblée près de l’entrée de l'université, bien que la police ait fermé l’accès au campus à toute personne ne disposant pas d’une autorisation d’entrer. L'administration de McGill avait demandé l'aide de la police pour se préparer à la manifestation, annoncée longtemps à l’avance.

Dans les jours précédant la manifestation, le directeur de la police de Montréal, Jean-Paul Gilbert, intervient dans les journaux pour expliquer que la police est bien préparée à protéger l’université. Plus d’un millier de policiers de Montréal, épaulés par un service d’ordre et des agents de la Sûreté de Québec, sont en service le soir du 28 mars pour contenir la manifestation. La police est postée sur le campus et devant le portail Roddick. Des projecteurs éclairent aussi toute la nuit l'ensemble du campus.

La manifestation dure environ deux heures. On y prononce des discours en faveur de l'effort de francisation de l'Université McGill. Plusieurs déclarations en faveur de l’indépendance du Québec et de la classe ouvrière (voir Classes sociales) sont également faites. Un petit groupe de contre-manifestants et contre-manifestantes se moque de la manifestation et la confronte. Certaines personnes chantent God Save the Queen.

La manifestation reste pacifique, jusqu’à ce que la foule soit dispersée par la police vers 22h, en face de l’Université McGill. C’est alors que des combats surviennent entre certaines personnes participant à la manifestation et la contre-manifestation. Des actes de vandalisme sont rapportés dans les rues environnantes jusqu’au milieu de la nuit. En fin de compte, 41 personnes sont arrêtées et 18 personnes, dont 6 policiers, sont blessées; personne n’est gravement blessé.

Conséquences

Contrairement à l'affaire Sir George Williams de janvier 1969, les conséquences de l'Opération McGill français restent limitées. La manifestation n'a pas mené à une occupation de l'université ni obtenu l'appui du Parti québécois, qui est à l'époque un nouveau parti politique. Une tentative de tenir une manifestation similaire à l’Université Bishop’s l'année suivante est un échec. De plus, l'Université McGill ne devient pas une université francophone.

Cependant, McGill institue certains changements à la suite de la manifestation. L’administration s'engage notamment à admettre plus d'étudiants et étudiantes francophones et à embaucher plus de professeurs et professeures francophones.

Aujourd’hui, environ 20 % de la population étudiante de l'Université McGill a le français comme langue maternelle. De plus, la majorité des étudiants et étudiantes anglophones de McGill provenant du Québec sont bilingues (français et anglais).