Le Canada et la lutte anti-sous-marine pendant la Guerre froide | l'Encyclopédie Canadienne

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Le Canada et la lutte anti-sous-marine pendant la Guerre froide

Pendant la Guerre froide, la Marine royale canadienne (MRC) a joué un rôle crucial dans la lutte anti‑sous‑marine, travaillant en étroite collaboration avec ses alliés pour patrouiller et surveiller l’Atlantique Nord et le Pacifique en vue de détecter les activités soviétiques sous‑marines. Au cours de cette période, le Canada a continuellement investi dans de nouvelles technologies et modernisé sa flotte de navires et d’aéronefs, afin de pouvoir mieux détecter et contrer les sous‑marins soviétiques. Il a également exploité des systèmes d’alerte stratégique, avec ses alliés, notamment les États‑Unis. À la fin de la Guerre froide, le Canada avait acquis une solide réputation dans ce domaine.

NCSM Bonaventure

Contexte

Pendant la Guerre froide, soit approximativement entre 1946 et 1991, une grande partie du monde est divisée en deux camps idéologiques opposés : « l’Ouest » capitaliste, au sein duquel les États‑Unis assument le rôle de leader, et « l’Est » communiste, qui est dominé par l’Union soviétique. Le Canada est alors allié avec d’autres pays occidentaux, notamment par le biais de son adhésion à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et au Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Bien que la Guerre froide ne se soit, heureusement, jamais transformée en une guerre « chaude » ouverte, la menace est réelle et les enjeux élevés. Le risque que font peser les sous‑marins ennemis sur le Canada et sur ses alliés est encore plus intense qu’au cours de la Deuxième Guerre mondiale (voir Opérations des sous‑marins allemands).

Lorsque la Seconde Guerre mondiale prend fin, la lutte anti‑sous‑marine en est encore à ses balbutiements. À l’époque de la guerre, les sous‑marins allemands ne sont, pour l’essentiel, que des navires de surface qui ne peuvent plonger que pendant de courtes périodes; la portée des sonars est limitée à quelques kilomètres; et le premier contact avec un bâtiment ennemi s’effectue encore largement visuellement ou par le biais d’une détection par radar de surface. Toutefois, ces technologies évoluent très rapidement, dans le cadre de ce que les historiens ont appelé la « révolution navale d’après‑guerre », qui inclut notamment la mise au point de sous‑marins à propulsion nucléaire. Par rapport aux sous‑marins conventionnels, les sous‑marins nucléaires sont plus rapides et peuvent fonctionner en immersion pendant des périodes bien plus longues, les dotant ainsi d’une portée beaucoup plus importante. Pendant la Guerre froide, les sous‑marins occidentaux et soviétiques sont également équipés de torpilles à longue portée et de missiles antinavires, puis, finalement, de missiles balistiques intercontinentaux qui menacent désormais directement les villes de l’Amérique du Nord continentale. Dans le même temps, les alliés occidentaux, en particulier la marine américaine, acquièrent une meilleure compréhension des conditions océanographiques, favorisant ainsi la mise au point de détecteurs à longue portée. Ils élaborent également des systèmes d’armes plus précis et à plus longue portée, ainsi que des navires et des avions spécialement conçus pour les embarquer.

SSBN de la classe Hotel 1972

Lutte anti‑sous‑marine, 1946‑1962

En 1947, le renseignement occidental détermine que l’Union soviétique constitue la seule menace maritime prévisible. À la sortie de la guerre, les Soviétiques disposent d’une flotte maritime de surface négligeable, mais sont d’ores et déjà en cours d’adaptation de la technologie des sous‑marins allemands qu’ils ont capturés, en vue de la production d’un grand nombre de sous‑marins offensifs conventionnels sophistiqués.

En 1949, l’OTAN est créée pour contrer la menace soviétique croissante. À la même époque, la MRC commence à travailler sur la première grande classe de navires de guerre à être conçue et construite au Canada : les « destroyers d’escorte » de la classe Saint‑Laurent, spécialement conçus pour la guerre anti‑sous‑marine et intégrant les derniers capteurs et les dernières armes de la lutte anti‑sous‑marine, sont en mesure de rester en mer pendant de longues périodes, sans avoir besoin de ravitailler. Ces sous-marins sont rapidement donnés le surnom de « Cadillac ». Le navire de tête n’est toutefois lancé qu’en 1955. En attendant, 21 frégates de la classe River, datant de la Deuxième Guerre mondiale, sont sorties de la réserve, modernisées avec un équipement similaire à celui destiné à la classe Saint‑Laurent et désignées comme « escorteurs de haute mer » de la classe Prestonian.

Dans les années 1950, la marine américaine met en place le système de surveillance acoustique (Sound Surveillance System, ou SOSUS), un réseau de dispositifs sonars passifs, posés au fond de l’océan, en mesure « d’écouter » les sous‑marins à des distances de plusieurs centaines de kilomètres. Le SOSUS prend la forme d’un réseau de stations installées le long des côtes est et ouest de l’Amérique du Nord. La MRC exploite l’une de ces stations, à Shelburne, en Nouvelle‑Écosse, et contribue à l’exploitation de deux autres, à Argentia, à Terre‑Neuve et à l’île Whidbey, dans l’État de Washington, aux États‑Unis.

L’Aviation royale canadienne (ARC) joue également un rôle essentiel dans le cadre de la lutte anti‑sous‑marine. À compter de 1951, les bombardiers Lancaster datant de la Seconde Guerre mondiale sont convertis et adaptés à la lutte anti‑sous‑marine. En 1955, l’ARC achète 33 avions Lockheed P2V Neptune à moyen rayon d’action, tout en mettant au point son propre avion de patrouille maritime à long rayon d’action, le Canadair CL‑28 (plus tard CP‑107) Argus. Le premier d’une série de 33 Argus produits entre en service en 1958.

Argus

Conjointement avec le système SOSUS, ces navires et ces avions représentent l’apogée de la capacité de la lutte anti‑sous‑marine des Alliés occidentaux et donc du monde. En 1957, la MRC et l’ARC mettent également sur pied un « commandement maritime » conjoint, en vue d’une meilleure coordination de la lutte anti‑sous‑marine, au début de la Guerre froide. Une décennie plus tard, cette structure devient le modèle de l’unification des Forces armées canadiennes.

Telle est la situation des forces canadiennes de lutte anti‑sous‑marine au moment où, en octobre 1962, éclate la crise des missiles cubains, à la suite de la découverte, par les États‑Unis, de la présence de missiles balistiques soviétiques installés sur l’île. Le commandement maritime conjoint participe à l’embargo des États‑Unis contre Cuba, déployant des navires et des avions dans leurs positions de combat, afin de patrouiller dans l’Atlantique Nord. La crise est résolue par le retrait, de la part des Soviétiques, de leurs missiles de Cuba, ainsi que de leurs navires et sous‑marins de la zone d’exclusion.


Lutte anti‑sous‑marine, 1962‑1991

La crise des missiles cubains met cependant en évidence les limites de la lutte anti‑sous‑marine canadienne. Les Soviétiques ont été en mesure d’envoyer des sous‑marins conventionnels à Cuba; le résultat aurait pu être très différent s’ils avaient pu envoyer des navires à propulsion nucléaire, plus rapides et dotés de capacités de plongée à de plus grandes profondeurs. Les navires de guerre canadiens ne sont pas assez rapides et leurs armes embarquées ont une portée trop limitée. Au milieu des années 1950, ces lacunes se sont déjà manifestées au grand jour lors d’exercices conjoints avec des sous‑marins américains, de sorte qu’au moment de la crise des missiles cubains, le Canada a commencé à y remédier. Au cours des décennies suivantes de la Guerre froide, la MRC fait porter l’essentiel de ses efforts sur l’amélioration de ses capacités en matière de lutte anti‑sous‑marine.

Les réalisations les plus significatives en la matière sont l’amélioration de la souplesse et de la vitesse des aéronefs, leur permettant d’attaquer des sous‑marins nucléaires, et le fait que les aéronefs à bord des navires peuvent intervenir plus rapidement que ceux basés sur le continent. En 1959, la MRC acquiert le CS2F‑1 Grumman Tracker, capable d’opérer à partir du porte‑avions NCSM Bonaventure. Début 1962, le Bonaventure est également équipé d’hélicoptères Sikorsky HO4S, faisant de lui l’un des premiers porte‑avions de la flotte alliée occidentale spécialisés dans la lutte anti‑sous‑marine. En 1964, les HO4S sont remplacés par des hélicoptères Sea King Sikorsky CHSS‑2 (plus tard CH‑124) extrêmement performants. Bien que l’on s’attende à ce que le NCSM Bonaventure joue, pour plusieurs décennies, un rôle fondamental dans les opérations canadiennes de lutte anti‑sous‑marine, il est brutalement retiré du service en 1970, à la suite de mesures d’économies prises dans le cadre de l’unification des forces armées.

Le déclassement du Bonaventure entraîne le transfert à terre des Trackers; toutefois, la MRC dispose encore d’une autre plate‑forme pour les hélicoptères Sea King. Au milieu des années 1950, elle commence à étudier de près la possibilité pour des hélicoptères spécialisés dans la lutte anti‑sous‑marine d’opérer en escortes de taille réduite. En 1959, elle démontre la pertinence du dispositif d’appontage « Beartrap », conçu au Canada, permettant à des hélicoptères d’atterrir sur un petit navire, dans les conditions maritimes agitées du Nord. Entre 1962 et 1966, les sept Saint‑Laurent originaux sont convertis en « destroyers porte‑hélicoptères » (DDH), chacun étant équipé d’un hangar et d’un pont d’atterrissage pour un Sea King.

Les Saint-Laurent bénéficient également d’une autre technologie pionnière, le sonar à immersion variable (VDS), leur permettant de détecter les sous‑marins à une plus grande distance. Le VDS devient une caractéristique standard de tous les navires de guerre canadiens, jusqu’à ce qu’il soit dépassé par des innovations ultérieures, dans les années 1980. Il est important de noter que la combinaison du VDS et des destroyers porte‑hélicoptères s’est rapidement avérée particulièrement efficace, ce qui a conduit à son adoption par la plupart des autres marines occidentales, puis par la marine soviétique.

Ces innovations ne constituent toutefois qu’un sous‑ensemble, particulièrement important il est vrai, de la recherche navale canadienne, dans un contexte où la MRC tente de conserver à sa flotte son caractère polyvalent. Cependant, l’unification des Forces armées canadiennes en 1968 coïncide avec une croissance importante des programmes sociaux du gouvernement, à l’origine de compressions budgétaires draconiennes dans le budget de la défense. La lutte anti‑sous‑marine devient alors la principale contribution maritime du Canada à l’OTAN.

Pendant ce temps, les capacités navales soviétiques s’améliorent également. De nouvelles classes de sous‑marins d’attaque à propulsion nucléaire et de lanceurs de missiles balistiques entrent en service, ainsi qu’une flotte, toujours plus nombreuse, de navires de surface et de bombardiers à longue portée, conçus pour rechercher et attaquer les convois alliés occidentaux. Outre les attaques à la torpille sous‑marine, les navires de guerre occidentaux doivent désormais faire face à la menace « aérienne » de missiles tirés à partir de navires, d’aéronefs et, bientôt, de sous‑marins soviétiques. Même le VDS n’est pas en mesure de détecter les nouvelles menaces à une distance suffisamment sécuritaire.

La réponse immédiate, la plus efficace, de l’armée de l’air canadienne, face à ces nouvelles menaces, consiste à remplacer, au début des années 1980, l’Argus par le CP‑140 Aurora. En ce qui concerne l’équipement des navires de guerre canadiens, le choix porte sur le système de sonar remorqué (TASS), une version mobile du réseau passif de type SOSUS, pouvant être réglé pour être remorqué, à différentes profondeurs et à diverses distances, depuis un navire ou un sous‑marin. L’adoption d’un puissant ordinateur embarqué de traitement des signaux constitue la principale contribution de la MRC à ce système. Le système CANTASS est doté d’une portée de détection de plusieurs centaines de kilomètres et est installé de manière opérationnelle, à la fin des années 1980, sur les DDH Fraser, Annapolis et Nipigon. Il s’agit du principal capteur équipant les frégates de la classe Halifax, entrées en service au début des années 1990, juste après la fin de la Guerre froide.

Aucune analyse de la lutte anti‑sous‑marine pendant la Guerre froide ne serait complète sans reconnaître qu’à l’ère des navires hautement manœuvrables, plongeant profondément et pouvant rester en profondeur pendant de longues périodes, la meilleure arme anti‑sous‑marine est un autre sous‑marin. Pendant la période de la Guerre froide, la MRC tente à plusieurs reprises, sans succès, de créer une flotte de sous‑marins. À la fin des années 1950, elle envisage d’acheter des sous‑marins d’attaque conventionnels à propulsion nucléaire de la classe Thresher ou de la classe Barbel auprès de la marine américaine, avant de reculer face au coût de l’opération. Elle commande plutôt trois sous‑marins britanniques conventionnels de la classe Oberon, qui seront utilisés à des fins d’entraînement uniquement. Ces bâtiments, améliorés au début des années 1980, avec des torpilles Mk 48 et avec un système de commande de tir plus performant, connaissent un certain succès lors de patrouilles opérationnelles au large de la côte est. En 1987, le gouvernement progressiste‑conservateur de Brian Mulroney dépose le Livre blanc sur la défense de 1987, une proposition de politique de défense ambitieuse incluant l’acquisition de 10 à 12 sous‑marins à propulsion nucléaire. Toutefois, la Guerre froide ayant pris fin peu de temps après, ce projet est abandonné.