Entre 1725 et 1779, la Grande-Bretagne signe une série de traités avec divers peuples micmacs, wolastoqiyik (malécites), abénaquis, penobscot et passamaquoddy qui habitent dans des régions des provinces maritimes et de la Gaspésie d’aujourd’hui au Canada, ainsi que dans le nord-est des États-Unis. Communément désignés sous le nom de « traités de paix et d’amitié », ces accords visent principalement à prévenir l’éventualité d’une guerre entre ennemis et à faciliter le commerce. Bien qu’ils ne contiennent aucune disposition particulière relativement au transfert d’argent ou de terres, les traités garantissent aux descendants de leurs signataires autochtones des droits de chasse, de pêche et d’utilisation des terres. Les traités de paix et d’amitié demeurent en vigueur de nos jours.
(avec la permission de Native Land Digital / Native-Land.ca)
Contexte historique
En Amérique du Nord, les nations autochtones établies dans la plus grande partie du Nord de la région de l’Atlantique comprennent les Micmacs, les Wolastoqiyik, les Passamaquoddys, les Abénaquis et les Penobscots. Ces peuples, locuteurs de langues algonquiennes de l’Est, se retrouvent en quelque sorte unis dans une alliance politique forgée au 18e siècle, du nom de « confédération Wabanaki ». À l’arrivée des Européens, les habitants de la région – qui englobe alors les provinces actuelles de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick, ainsi que la région de la Gaspésie au Québec, en plus d’une partie de l’État du Maine aux États-Unis – se retrouvent au cœur de guerres coloniales entre les Français et les Britanniques.
Les Français ne
tardent pas à sceller des alliances avec les peuples autochtones de la région.
Après la revendication de l’Acadie par la France en 1604, suivie de l’établissement
d’une colonie à Port-Royal en 1605, les relations entre Français et
Autochtones sont surtout
axées sur la paix et la collaboration commerciale. Les nations autochtones
d’Acadie s’allient politiquement avec la France au 17e siècle,
et la confédération Wabanaki lutte aux côtés des Français contre les forces
coloniales anglaises lors de la première guerre abénaquise (1675-1677), de la
guerre du roi William (1688-1697) et de la guerre de la reine Anne (le chapitre
nord-américain de la guerre de la succession d’Espagne, 1701-1713).
Alors que le Traité d’Utrecht de 1713, qui met fin à la guerre de la reine Anne, cède la majeure partie de l’Acadie à la Grande-Bretagne, les frontières du Maine et du Nouveau-Brunswick, elles, demeurent floues. Un nouveau conflit armé éclate en 1722. S’ensuit une alternance de périodes de paix et de conflits entre les nations Wabanaki et la Grande-Bretagne, qui se poursuivra jusqu’à la Conquête de 1760, qui sonne le glas de l’influence militaire française dans la région. (Voir aussi Traités autochtones au Canada.)

Traités de 1725 et 1726
Le Traité de 1725 met
officiellement fin à la guerre de Dummer (1722-1725), une série de conflits
entre les Britanniques et la confédération Wabanaki portant sur le tracé des
frontières entre l’Acadie et la Nouvelle-Angleterre. Une fois venu l’été 1725,
les deux côtés souhaitent cesser les hostilités. Avec l’approbation
britannique, un Penobscot du nom de Sauguaaram (ou Saccamakten) lance des
pourparlers d’armistice parmi son peuple, lesquels débouchent, en décembre
1725, sur la signature, par les Penobscots et certaines autres bandes autochtones alliées du nord-est des États-Unis, d’un
document connu sous le nom de Traité de Boston (ou Traité de Dummer).
Un an plus tard, les Micmacs et les Wolastoqiyik de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick (ainsi que les Abénaquis et les Passamaquoddys vivant dans le Massachusetts et
le New Hampshire) signent pratiquement le même accord, parfois désigné sous le
nom de Traité de Mascarene (en raison de l’officier militaire Paul Mascarene, qui devient gouverneur par intérim de la
Nouvelle-Écosse en 1740). En signant le traité, les peuples autochtones
consentent à mettre fin aux hostilités contre la Grande-Bretagne ; en échange,
celle-ci promet de ne plus faire obstacle aux activités de chasse, de pêche et
d’agriculture des Autochtones.
Les traités de 1725 et
1726 ne sont pas les premiers accords de paix signés par la Couronne et les nations autochtones de l’est ; par exemple,
les Abénaquis concluent un traité de paix avec le Massachusetts en 1678, qu’ils
renouvellent en 1686, 1693, 1689, 1713 et 1714. Les traités de 1725 et 1726,
toutefois, incluent les Micmacs, qui auparavant n’avaient jamais signé un tel
accord avec la Grande-Bretagne.
Traité de 1749
La paix est de courte
durée : en effet, les Micmacs et les Wolastoqiyik s’allient avec la France contre la Grande-Bretagne
pendant la guerre du roi George (le chapitre nord-américain de la guerre de la succession d’Autriche, 1744-1748). À l’issue du conflit, Edward Cornwallis, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, invite les deux nations autochtones à signer un
nouveau traité. Son objectif est double : s’assurer le contrôle des terres
situées à l’ouest de la rivière Missaguash, et confirmer à nouveau la loyauté
de ces peuples envers la Couronne. Toutefois, la plupart des chefs micmacs refusent
d’assister aux pourparlers de paix de 1749, en guise de protestation contre la
fondation d’Halifax par le gouverneur cette année-là. En outre,
l’intensification de la présence militaire et des activités de colonisation
britanniques dans la région menace les villages et les territoires des Micmacs,
de même que leurs zones de pêche et de chasse. Seuls les Micmacs de Chignecto
se joignent aux Wolastoqiyik pour signer le traité à Halifax le 15 août.
Cet accord vient renouveler le traité de Boston de 1725 sans y ajouter de
nouvelles dispositions.
Traité de 1752
Le gouverneur Edward Cornwallis punit le reste des Micmacs pour leur refus de participer à la signature du
traité en offrant une récompense de 10 guinées pour tout Micmac capturé ou
scalpé dans la région ; cette récompense passe à 50 guinées en juin 1750.
D’autres comptes rendus historiques suggèrent que le gouverneur Cornwallis
aurait plutôt lancé un appel à la capture des Micmacs après que ceux-ci lui
eurent envoyé une lettre, à la fin septembre 1749, laissant entendre que « l’endroit
où vous vivez, où vous construisez des fortifications et dont vous souhaitez
devenir le maître absolu m’appartient. Moi, l’Indien... » Une troisième théorie soutient qu’Edward
Cornwallis aurait voulu se venger des Micmacs après la capture, en septembre
1749, d’un navire à Canso par des guerriers micmacs.
Quoi qu’il en soit, le
gouverneur Cornwallis offre une prime pour tous les Micmacs capturés. Les
hostilités entre Britanniques et Micmacs à cette époque mènent à la première
phase de la guerre anglo-micmac (1749-1760), au cours de laquelle les soldats micmacs,
soutenus par les miliciens acadiens, tentent en vain d’expulser les colons britanniques
des terres traditionnelles des Wabanaki. Une trêve est décrétée en 1752 avec la
signature d’un traité à Halifax le 22 novembre par Jean-Baptiste Cope,
chef de la bande micmac de Shubenacadie (Sipekne’katik) en Nouvelle-Écosse, et Peregrine Hopson, gouverneur de la province. Ce
traité est parfois désigné sous le nom de Traité d’Halifax. En 2002, la
Première Nation Sipekne’katik érige un monument rendant hommage à Jean-Baptiste
Cope et commémorant la signature du traité de 1752.
Pour les historiens
contemporains, la question de savoir si Jean-Baptiste Cope a signé le traité au
nom de tous les Micmacs, ou seulement pour sa propre bande, demeure nébuleuse. Dans un cas comme dans l’autre,
cependant, ce sont vraisemblablement des considérations financières qui l’ont
incité à accepter les conditions du traité. L’accord de paix qui s’ensuit
prévoit un engagement, par la Grande-Bretagne, à établir des « maisons de
troc » (postes de traite) destinées à l’utilisation des peuples
autochtones impliqués dans le traité. Cela permettrait à la Grande-Bretagne de
faire échec au commerce français dans la région, en plus de procurer aux Micmacs
un meilleur accès aux produits finis européens. Dans les faits, cependant, le
traité ne débouche sur la construction d’aucune maison de troc.
Traités de 1760 et 1761
La guerre anglo-micmac
reprend lorsque les membres de la confédération Wabanaki s’allient à la France
contre la Grande-Bretagne lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763). La France perd le Québec et certains autres territoires stratégiques aux mains
des Britanniques en 1760, ce qui force les Wabanaki à conclure des traités de
paix avec la Grande-Bretagne.
Le 22 février
1760, les Wolastoqiyik et les Passamaquoddys signent un traité, décidant
d’appliquer les dispositions du Traité de Boston de 1725 et de cesser
d’échanger avec les ennemis de la Couronne. En échange, la Grande-Bretagne promet de mettre en
place une maison de troc à Fort Frederick, au Nouveau-Brunswick. Le 10 mars, les Micmacs de LaHave, de
Sipekni’katik et de Richibucto signent également le traité de 1760.
Le traité de 1761 est
signé à Halifax le 25 juin par les Micmacs de Miramichi, de Shediac, de Pokemouche et du
Cap Breton lors d’une cérémonie d’« enterrement de la hache ». Les Micmacs
de Chignecto et de Pictou ajoutent leur signature le 12 octobre suivant.
À l’instar des accords
précédents, les traités de 1760-1761 garantissent aux peuples micmacs,
wolastoqiyik et passamaquoddy le droit de chasser, de pêcher, d’exploiter leurs
terres et de gagner un salaire décent sans interférence de la part des Britanniques.
En 1762, la Belcher’s Proclamation (nommée d’après Jonathan Belcher, gouverneur de la Nouvelle-Écosse) confirme l’intention des Britanniques de protéger
les droits fonciers des Micmacs. (Voir aussi Droits des Autochtones au Canada.)
Célébré annuellement
le 1er octobre, le Jour anniversaire du traité de la Nouvelle-Écosse commémore le jour de la
signature des traités de paix et d’amitié des années 1760-1761. Le peuple micmac
accorde une grande importance à cette date, qui représente le moment où il
devait recevoir un présent du gouverneur de la Nouvelle-Écosse et renouveler sa
relation avec la Couronne.
Traités de 1778 et 1779
Avec le début de la
Révolution américaine, en 1775, les Britanniques souhaitent confirmer leurs
liens de paix et d’amitié avec leurs alliés autochtones de l’est du Canada. (Voir
aussi Révolution américaine :
invasion au Canada.) Le 24 septembre
1778, des représentants wolastoqiyik de la région du fleuve Saint-Jean et des Micmacs de Richibucto, Miramichi et Chignecto signent un
accord promettant de ne pas appuyer les Américains dans leur révolution et « de
chasser et de pêcher de manière calme et pacifique ».
L’année suivante, les
peuples micmacs situés du Cap-Tourmentin à la baie des Chaleurs signent un accord de paix similaire avec les
Britanniques. Comme le confirme la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans R.
c. Paul en 1980, le traité de 1779 garantit des droits de pêche et de
chasse : « Lesdits Indiens et leurs concitoyens demeureront dans les
districts mentionnés précédemment et vivront calmement à l’abri des brutalités
des troupes de Sa Majesté, et de ses autres bons sujets, pour leur chasse et
leur pêche. »
Après 1780
Avec l’arrivée des loyalistes dans les années 1780, les relations entre la
Couronne et les Premières Nations se détériorent. Les gouvernements de pionniers
deviennent alors moins enclins à honorer les clauses des traités de paix et
d’amitié. Les migrations des loyalistes et la création des réserves par les gouvernements provinciaux, au 19e siècle,
poussent les peuples autochtones sur des terres dont la taille est bien plus
petite que celle de leurs territoires traditionnels. Malgré un pouvoir amoindri aux yeux des colons, les
peuples micmacs et wolastoqiyik gardent en mémoire les traités de paix et
d’amitié et les utilisent pour défendre leurs droits de chasse, de pêche et
d’exploitation de la terre.
Les traités dans la jurisprudence
À partir du 20e siècle,
plusieurs descendants des signataires autochtones des traités de paix et
d’amitié poursuivent le gouvernement fédéral dans le but de faire reconnaître et de protéger leurs
droits conférés par les traités. La section suivante
présente des exemples de cas importants dans la loi canadienne qui concernent des différends quant aux clauses des traités
de paix et d’amitié.
L’affaire Sylliboy,
1927
En 1927, Gabriel
Sylliboy, grand chef du Grand conseil de la Nation Micmac (1918-1964), est
accusé de chasse hors saison. Lors de son procès, R. c. Sylliboy, il utilise l’argument selon lequel le traité de 1752
garantit son droit de chasser sur le territoire en question. Selon une
professeure micmac de droit, Naiomi Metallic, cela représente la première fois
que les droits des traités sont invoqués comme défense lors d’un procès.
Gabriel Sylliboy, incapable de convaincre la cour des droits garantis par le
traité, est accusé des charges qui pèsent contre lui. En 2017, près de 90 ans
après la décision de la cour (et bien après la mort du grand chef, en 1964), le
gouvernement de la Nouvelle-Écosse accorde le pardon à Gabriel Sylliboy.
L’affaire Simon, 1985
En 1980, James Matthew
Simon, un membre des Premières Nations (Micmac) de Sipekne’katik
(Shubenacadie), en Nouvelle-Écosse, est accusé d’avoir enfreint les lois
provinciales relatives à la chasse. Tout comme Sylliboy, James Matthew Simon
affirme que le traité de 1752 lui octroie le droit de chasser et de pêcher
librement dans la région. La province de la Nouvelle-Écosse, qui s’oppose à cet
argument, avance notamment que les conflits subséquents entre les Britanniques
et les Micmacs ont mis fin à ces droits.
L’affaire Simon
c. La Reine se rend donc devant la Cour suprême du Canada en 1985. Les juges reconnaissent alors le droit des Micmacs
de chasser pour se nourrir et statuent que les droits relatifs aux traités n’ont
pas été abolis. James Matthew Simon est ensuite acquitté. Pour la première
fois, une cour confirme les droits du peuple micmac tels qu’énoncés dans le
traité de 1752.
Le Jour anniversaire du traité, qui a lieu le 1er octobre en
Nouvelle-Écosse, est célébré pour la première fois en 1986, soit l’année après
le déroulement de l’affaire Simon. La date de la célébration évoque
celle où le traité de 1752 devait renouveler l’amitié entre les Micmacs et la
Couronne.
L’affaire Marshall,
1993
En août 1993, Donald Marshall Jr., membre de la Première Nation de Membertou (Micmac),
est arrêté et accusé d’avoir transgressé les lois de pêche de la Nouvelle-Écosse.
Donald Marshall, avançant que son droit d’attraper et de vendre du poisson est
protégé par les traités de 1760 et 1761, porte son procès, R. c.
Marshall, devant la Cour suprême du Canada. En septembre 1999, la cour
décide que les droits de chasse et de pêche octroyés aux signataires
autochtones du traité n’ont jamais été abolis et que, par conséquent, les
descendants de ces peuples, dans les Maritimes et au Québec, ne sont pas soumis à la législation gouvernementale
sur la chasse, la pêche et l’exploitation de la terre.
Cette décision déplaît
fortement aux membres de la West Nova Fishermen’s Coalition et d’autres
non-Autochtones soumis à des limites strictes de pêche commerciale dans ces
zones. Deux mois plus tard, la cour éveille l’opposition autochtone lorsqu’elle
clarifie que ces limites pourraient être résorbées par de futures décisions du
gouvernement, si les activités sont considérées comme nécessaires pour des
raisons environnementales ou sociales, qu’elles ne sont pas liées à l’exploitation minière, au commerce du bois ou à l’exploitation des gisements de pétrole en mer et qu’elles visent la subsistance de la
communauté ou d’un individu, et non le profit à grande échelle. Malgré ces
restrictions, la décision de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Marshall
mène à une protection constitutionnelle générale des droits de chasse, de pêche
et de rassemblement des peuples micmacs, wolastoqiyik et passamaquoddy en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick et au Québec.
Revendications territoriales
En octobre 2020, six
communautés wolastoqiyik annoncent l’émission d’une revendication territoriale
le long du fleuve
Saint-Jean. En effet, les descendants des Traités de paix et d’amitié
affirment que leurs ancêtres n’ont jamais cédé leurs terres. La revendication
couvre environ la moitié du Nouveau-Brunswick.
(Voir aussi Titre
autochtone.)