Alice Munro | l'Encyclopédie Canadienne

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Alice Munro

Alice Munro (née Alice Laidlaw), autrice de nouvelles (née le 10 juillet 1931 à Wingham en Ontario; décédée le 13 mai 2024 à Port Hope en Ontario). Alice Munro est considérée comme l’une des plus grandes écrivaines de fiction du monde anglophone. Reconnue comme étant l’une des meilleures autrices de nouvelles de tous les temps, elle est devenue la première canadienne à recevoir le prix Nobel de littérature en 2013. Elle a reçu trois prix littéraires du Gouverneur général, deux prix Scotiabank Giller, trois prix littéraires Trillium et le prix Man Booker International pour l’ensemble de sa carrière. Elle a également reçu le prix littéraire Canada-Australia, le Commonwealth Writers' Prize (Canada et Caraïbes) et le prix Rogers Writers' Trust Fiction, trois prix O. Henry pour ses réalisations continues dans le domaine de la nouvelle, entre autres honneurs. En 2024, la fille cadette d’Alice Munro a révélé qu’elle avait été agressée sexuellement lorsqu’elle était enfant par le deuxième mari d’Alice Munro et que cette dernière avait choisi de rester avec lui et de le protéger malgré le fait qu’elle était au courant des abus.

Jeunesse et carrière

Alice Munro passe son enfance au sein de la culture des petits villages de l’ouest de l’Ontario. Elle commence à écrire dès l’adolescence et elle publie sa première histoire, The Dimensions of a Shadow, à 19 ans.

Elle rencontre son premier mari, James Munro, à l’Université Western Ontario, et elle déménage avec lui à Vancouver après avoir terminé deux années d’études à Western. Le déménagement du couple à Victoria en 1963 donne lieu à l’ouverture d’une librairie, la Munro’s Books, et surtout à la publication acclamée du premier recueil de nouvelles d’Alice Munro. Ses œuvres sont publiées dans des revues littéraires canadiennes (Tamarack Review et Canadian Forum) et à l’émission Anthology de CBC Radio, dont le producteur, Robert Weaver, joue un rôle majeur dans la réception de ses premiers écrits. Alice Munro remarque, lors d’entrevues, qu’elle s’est concentrée très jeune sur le modèle de la nouvelle tout simplement parce qu’elle devait s’occuper de ses deux filles avant l’âge de 30 ans.

La fin du mariage d’Alice Munro en 1973 la pousse à retourner en Ontario, et en 1974, à l’Université Western Ontario, cette fois en tant qu’écrivaine en résidence. Elle épouse Gerald Fremlin, qu’elle connaît depuis l’université, en 1976. Le couple s’installe sur une ferme à l’extérieur de Clinton. Ses recueils de nouvelles, nombreux et primés, racontent des histoires qui se déroulent principalement dans le sud de l’Ontario, et ils font connaître le « Munro Tract » (délimité à l’ouest et au sud par les lacs Huron et Érié, au nord par la ville de Goderich et à l’est par London) comme un pays de l’esprit aussi évocateur que le comté de Yoknapatawpha de William Faulkner ou la Terre du milieu de Tolkien.

Traits caractéristiques

De nombreuses études critiques reconnaissent la maîtrise d’Alice Munro pour les tons culturels et vocaux d’une région; son acuité à délimiter la classe sociale est désormais un lieu commun critique. Elle raconte souvent ses histoires d’une manière qui reflète les perspectives de ses personnages relativement peu sophistiqués. Ils apparaissent au lecteur comme des gens qu’on croise au centre commercial ou chez le coiffeur ou lors d’une réunion à la maison ou à l’école, relatant leurs expériences d’une manière que l’autrice utilise ensuite pour révéler des significations plus profondes. L’amplitude de son style et de son approche, souvent notée, confère à ses nouvelles la densité morale de romans plus longs.

L’art d’Alice Munro exerce un pouvoir radial dans lequel un motif ou une situation centrale se transforme ou revient dans divers contextes au sein de la même histoire, se concluant souvent par une réflexion sur une expérience qui semble tout sauf définitive. L’œuvre d’Alice Munro est la fiction d’une culture où la nostalgie des certitudes perdues semble aussi puissante que la constatation immuable de cette perte. Écrite selon les conventions du réalisme littéraire, sa fiction reflète les préoccupations de personnages qui doivent se contenter d’une illumination momentanée plutôt que de révélations qui changent une vie. Son lectorat international trouve ses propres incertitudes et préoccupations en parallèle à celles qui façonnent l’expérience de ses personnages. Le temps passé à relire ses histoires est rarement un temps perdu.

Deux histoires représentatives, « Meneseteung » (dans Friend of My Youth) et la nouvelle-titre du recueil Love of a Good Woman (trad. L’amour d’une femme honnête) démontrent l’habileté d’Alice Munro pour dépeindre, et ensuite mettre en doute et redéfinir, l’expérience de ses personnages. Ces deux nouvelles offrent des récits de femmes engagées, même involontairement, dans des processus de définition de soi qui peuvent prendre la forme d’une hésitation méfiante devant de nouvelles perspectives, un processus qui aboutit à la compréhension plutôt qu’au bonheur.

Dans « Meneseteung », le personnage d’Almeda Joynt Roth, vaguement inspiré d’écrivaines obscures du 19e siècle de la Munro Tract, doit briser le miroir de sa poésie historique nostalgique lorsqu’elle est confrontée à la dure réalité du sexe et du sang. Jarvis Poulter, un pilier commercial de la ville, tente certaines avances auprès d’Almeda. Mais sa détresse face à son mépris désinvolte pour une femme de classe inférieure victime de la violence masculine la pousse à esquiver ses avances. L’histoire au sein d’une histoire se termine lorsqu’Almeda, qui souffre du début de ses règles et qui est sous l’effet d’un analgésique, se réconcilie avec un destin de femme sans protection et sans mariage qui ne se terminera pas bien. La narratrice intrusive toutefois distante rend le sens de l’histoire encore plus complexe en admettant sa propre incapacité à saisir exactement ce qui s’est passé dans la sensibilité d’Almeda.

L’incertitude marque également la conclusion de The Love of a Good Woman, dans laquelle la protagoniste Enid demeure en suspens alors que l’homme qui l’attire s’approche. Est-il poussé par le désir ou par la méchanceté? L’histoire commence par la découverte, dans la rivière, de l’automobile coulée et du corps d’un optométriste local. Le lecteur, qui sait déjà que quelqu’un a donné l’équipement de l’optométriste au musée local, apprend une version de ce qui se cache derrière cette noyade et l’effet de cette connaissance sur Enid. Son rôle de soignante auprès d’une « mauvaise » femme mourante, l’histoire douteuse de cette mourante et le pouvoir que le mari de cette femme exerce sur les sens raffinés d’Enid mènent à la question qui clôt l’histoire. Un tel récit, qui utilise sans complexes des clichés comme la mort mystérieuse d’un personnage, la réticence de l’infirmière à l’égard d’une relation amoureuse et l’impénétrable personnage masculin, démontre le talent d’Alice Munro pour la fiction. La progression de l’histoire à travers les couches de conscience et d’association, ainsi que l’architecture délicate de la narration illustrent à quel point Alice Munro peut captiver à la fois les lecteurs avertis et le grand public.

Il est tentant pour les lecteurs canadiens de se concentrer sur l’utilisation par Alice Munro d’espaces et d’époques spécifiquement canadiens. Sa réussite la plus remarquable, en tant qu’écrivaine de fiction, réside cependant dans sa capacité à exprimer ce que ses personnages vivent comme un état plus ou moins permanent d’incertitude et d’ambivalence. Son talent consiste à restituer ces couches de conscience dans l’idiome de son époque et de son lieu et à les transmettre d’une manière trompeusement simple.

Années ultérieures

À partir des années 1970, Alice Munro commence une relation de longue date avec le magazine The New Yorker, ce qui élargit considérablement son lectorat en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Son œuvre est traduite en vingt langues. Chacun de ses nouveaux livres se vend généralement mieux que le précédent.

Alice Munro annonce sa retraite après la publication de The View from Castle Rock (trad. Du Côté de Castle Rock) en 2006. Mais ses livres continuent de paraître au même rythme, avec Too Much Happiness (trad. Trop de bonheur) en 2009 et Dear Life (trad. Rien que la vie) en 2012. Le deuxième mari d’Alice Munro meurt en avril 2013. Elle partage alors son temps entre Clinton en Ontario, et Comox en Colombie-Britannique. La biographie littéraire de Robert Thacker, Alice Munro : Writing Her Lives, est publiée en 2005.

Œuvres notables

Les ouvrages publiés d’Alice Munro incluent : Dance of the Happy Shades (1968; trad. La danse des ombres), Lives of Girls and Women (1971), Something I've Been Meaning to Tell You (1974), Who Do You Think You Are? (1978), The Moons of Jupiter (1982; trad. Lunes de Jupiter), The Progress of Love (1986), Friend of My Youth (1990), Open Secrets (1994), The Love of a Good Woman (1998; trad. L’amour d’une femme honnête), Hateship, Friendship, Courtship, Loveship, Marriage (2001; trad. Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie), Runaway (2004; Fugitives), The View from Castle Rock (2006; Du côté de Castle Rock), Too Much Happiness (2009; trad. Trop de bonheur) et Dear Life (2012; trad. Rien que la vie). Ses livres sont l’objet de nombreuses anthologies; plusieurs collections de recueils sont également publiées.

Adaptations

Diverses adaptations des histoires d’Alice Munro sont tournées pour la télévision, dont Away from Her (2006; v.f. Loin d’elle) réalisé par Sarah Polley, qui est une remarquable version filmée de « The Bear Came Over the Mountain » tirée de son recueil de 2001 Hateship, Friendship, Courtship, Loveship, Marriage. Le court-métrage adapté de « Boys and Girls » met en vedette Megan Follows, et il remporte un Oscar en 1986. Le film Hateship Loveship (2013; v.f. Un peu, beaucoup… pas du tout), mettant en vedette Kristen Wiig et Guy Pearce, est basé sur l’histoire « Hateship, Friendship, Courtship, Loveship, Marriage ». Et le film Julieta (2016) de Pedro Almodóvar s’inspire de plusieurs histoires du recueil Runaway.

Vie personnelle et secret familial scandaleux

Alice Munro est mariée à James Munro de 1951 à 1972. Ensemble, ils ont quatre enfants : Sheila (née en 1953), Catherine (1955; décédée d’une insuffisance rénale le jour de sa naissance), Jenny (1957) et Andrea (1966). Après son divorce, Alice Munro retourne en Ontario en 1973. Ses enfants continuent à vivre à Victoria avec James et sa deuxième femme, Carole, et son fils Andrew. Alice Munro épouse le cartographe et géographe Gerald Fremlin en 1976 et elle vit avec lui sur une ferme près de Clinton en Ontario.

En juillet 2024, la plus jeune fille d’Alice Munro, Andrea Skinner, publie un article dans le Toronto Star où elle révèle avoir agressé sexuellement par Gerald Fremlin alors qu’elle rendait visite à sa mère en 1976. Elle a alors neuf ans et Gerald Fremlin est dans la cinquantaine. Elle écrit que Gerald Fremlin continue à lui faire des avances sexuelles lors des visites d’été suivantes, y compris en s’exhibant devant elle à plusieurs reprises, et ce jusqu’à ce qu’elle atteigne l’adolescence.

Andrea Skinner parle des abus à son demi-frère et à sa belle-mère peu de temps après les faits. Ils en informent son père, qui demande à la famille de ne rien dire à Alice Munro. Andrea Skinner parle des abus à sa mère en 1992, alors qu’elle a 25 ans et qu’elle souffre de boulimie, d’insomnie et de migraines constantes. Mais elle écrit qu’Alice Munro « a réagi exactement comme je l’avais craint, comme si elle avait appris une infidélité… Elle a dit que je lui ai dit cela “trop tard”, qu’elle l’aimait trop, et que… ce qui s’était passé était entre moi et mon beau-père, que cela n’avait rien à voir avec elle. » Gerald Fremlin admet les abus mais il impute la responsabilité à Andrea Skinner, la qualifiant de « briseuse de ménage » et affirmant que la fillette de neuf ans « envahissait ma chambre pour avoir des aventures sexuelles ». Andrea Skinner écrit également que sa mère « m’a parlé d’autres enfants avec lesquels Gerald Fremlin avait des “amitiés”, soulignant son propre sentiment d’avoir été personnellement trahie ».

En 2005, Andrea Skinner signale les abus à la police. Gerald Fremlin plaide coupable d’attentat à la pudeur et il est condamné sans procès à deux ans de probation. Mais Alice Munro reste mariée à Gerald Fremlin jusqu’à la mort de celui-ci en 2013, à l’âge de 88 ans. Andrea Skinner met fin à sa relation avec Alice Munro vers 2002 et elle ne se réconcilie pas avec elle avant sa mort en mai 2024.

Les abus demeurent un secret de polichinelle dans la famille d’Andrea Skinner pendant des décennies, ainsi que dans le monde relativement petit de l’édition littéraire canadienne. Après la publication de l’article d’Andrea Skinner, Robert Thacker, le biographe d’Alice Munro, déclare au Toronto Star qu’Alice Munro lui a parlé des abus qu’Andrea Skinner a vécus des années auparavant. Il ajoute qu’elle savait que l’histoire finirait par être révélée. Il déclare également : « Je savais que ce jour allait arriver, mais je ne savais pas quand ».

Prix et distinctions

  • Prix littéraire du Gouverneur général pour la fiction de langue anglaise (Dance of the Happy Shades) (1968)
  • Prix littéraire canadien (Lives of Girls and women) (1971)
  • Prix littéraire Canada-Australia (1977)
  • Prix littéraire du Gouverneur général pour la fiction de langue anglaise (Who Do You Think You Are?) (1978)
  • Prix littéraire du Gouverneur général pour la fiction de langue anglaise (The Progress of Love) (1986)
  • Prix Marian Engel, Société d’encouragement aux écrivains du Canada (1986)
  • Prix littéraire Trillium (Friend of My Youth) (1991)
  • Membre honoraire étranger, American Academy of Arts and Letters (1992)
  • Médaille Lorne Pierce, Société royale du Canada (1993)
  • Prix W.H. Smith (Open Secrets) (1995)
  • Prix littéraire Lannan for Fiction (1995)
  • Prix PEN/Malamud for Excellence in Short Fiction (1997)
  • Prix National Book Critics Circle (The Love of a Good Woman) (1998)
  • Prix Scotiabank Giller (The Love of a Good Woman) (1998)
  • Prix littéraire Trillium (The Love of a Good Woman) (1999)
  • Livre de fiction de l’année (The Love of a Good Woman), Prix Libris (1999)
  • Autrice de l’année, Prix Libris (1999)
  • Prix Rea for the Short Story (2001)
  • Prix Rogers Writers' Trust Fiction (Runaway) (2004)
  • Prix Scotiabank Giller (Runaway) (2004)
  • Médaille d’honneur en littérature, US National Arts Club (2005)
  • Médaille Edward MacDowell, MacDowell Colony (2006)
  • Prix O. Henry (« Passion ») (2006)
  • Prix O. Henry Award (« What Do You Want to Know For ») (2008)
  • Prix Man Booker International (pour l’ensemble de l’œuvre d’une vie) (2009)
  • Chevalière, Ordre des arts et des lettres, France (2010)
  • Prix O. Henry (« Corrie ») (2012)
  • Prix littéraire Trillium (Dear Life) (2013)
  • Prix Nobel de littérature (2013)
  • Pièce d’argent émise en l’honneur du prix Nobel d’Alice Munro, Monnaie royale canadienne (2014)
  • Timbre poste émis en l’honneur du prix Nobel d’Alice Munro, Postes Canada (2015)

Les oeuvres sélectionnées de
Alice Munro