Capacitisme au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Capacitisme au Canada

Le capacitisme est une forme de discrimination, de préjugé ou de parti pris systémique à l’encontre des personnes handicapées. Le capacitisme exprime l’idée que les personnes handicapées ont moins de valeur que les personnes sans handicap. Le capacitisme est généralement associé à d’autres formes d’oppression telles que le racisme et le sexisme. Au gré de l’évolution des discussions sur le sujet, des définitions plus sociales ou militantes du terme, comme celle de Talia Lewis, ont été mises en avant. Certains préfèrent des définitions plus larges liées aux aspects intersectionnels de l’identité. Des enjeux comme la classe sociale, la race et le genre sont de plus en plus souvent pris en compte, plutôt que de se limiter au seul handicap.

Note de la rédaction : Cet article et son auteur reconnaissent que le langage axé d’abord sur la personne (personne ayant un handicap) et le langage axé d’abord sur l’identité (handicapé) sont tous deux utilisés au sein de la communauté canadienne des personnes handicapées. Ainsi, on retrouvera les deux notions langagières dans cet article.

Protections juridiques contre le capacitisme

La population canadienne est protégée contre la discrimination fondée sur le handicap en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Les protections qui existent contre la discrimination fondée sur le handicap s’inscrivent également dans les droits de la personne des différentes provinces du Canada. (Voir Commission canadienne des droits de la personne.)

Malgré les protections juridiques en place, les personnes ayant un handicap au Canada ne sont pas protégées de la même manière que celles des États-Unis. Les Américains bénéficient d’un large éventail de protections en vertu de l’Americans with Disabilities Act de 1990. Les personnes ayant un handicap au Canada ont récemment cherché à atteindre un niveau de protection similaire, en grande partie à travers le mouvement des droits des personnes handicapées au Canada et la mise en œuvre continue de la Loi canadienne sur l’accessibilité (2019).

Formes de capacitisme

Bien que le capacitisme puisse se présenter sous de nombreuses formes, deux grandes catégories englobent la plupart d’entre elles : le capacitisme occasionnel et le capacitisme systémique.

Le capacitisme occasionnel est celui qui s’infiltre sournoisement dans de petites parties de notre vie quotidienne et demeure inaperçu. Par exemple, il pourrait s’agir de l’utilisation d’un mot désuet pour désigner le handicap d’une personne. Le capacitisme occasionnel prend souvent la forme d’une microagression (discrimination subtile ou non intentionnelle). C’est un comportement que l’on ne qualifierait pas d’emblée de problématique. Il survient par exemple lorsqu’on force une personne à accepter une aide physique qu’elle a déjà refusée. De tels gestes sont problématiques car ils supposent que la personne handicapée ignore ce qu’elle peut et ne peut pas faire.

Le capacitisme systémique, lui, s’entend d’un comportement ancré dans les systèmes de la société. Il peut être présent dans les politiques gouvernementales, la communauté médicale ou les normes sociales. En voici quelques exemples.

Capacitisme dans le langage

Le capacitisme est surtout évident dans l’utilisation de mots « capacitistes » dans le langage ou les conversations de tous les jours. Des mots comme « débile », « crétin », « fou », « attardé » et « boiteux » ne sont que quelques exemples d’expressions capacitistes. Ces mots ont longtemps été utilisés pour discriminer les personnes handicapées. C’est notamment le cas des personnes vivant dans des institutions médicales, des foyers de soins de longue durée et d’autres contextes de vie en dehors de la communauté générale. Certains documents juridiques emploient encore certains termes capacitistes pour désigner le handicap, surtout lorsqu’il s’agit de décrire les personnes souffrant de déficiences intellectuelles et de troubles du développement. Des mouvements tels que « Spread the word to end the word » (campagne contre le mot qui blesse) s’opposent depuis longtemps à l’utilisation d’un langage capacitiste.

Certains mots capacitistes, comme « estropié » ou « fou », sont parfois utilisés par des membres de la communauté des personnes handicapées pour se réapproprier ce langage. Le sens et la signification sont alors modifiés par les membres de la communauté, qui les rendent moins discriminatoires. Pour les personnes impliquées dans la défense des droits des personnes handicapées, il est préférable de ne jamais utiliser ce langage réapproprié si l’on ne fait pas partie de cette communauté. Cela peut devenir particulièrement délicat dans des situations scolaires ou de rédaction. Toutefois, les activistes s’entendent pour dire que la prudence est de mise lorsqu’on utilise un langage associé à la discrimination.

Capacitisme et médias sociaux

On observe régulièrement un capacitisme flagrant sur les médias sociaux, sous forme de commentaires négatifs et de stéréotypes nuisibles. Dans ce contexte particulier, un capacitisme systémique est souvent présent. Des plateformes comme TikTok ont été critiquées par le passé pour leur limitation de l’exposition de contenus créés par des personnes handicapées. C’est ce qu’on appelle parfois le capacitisme algorithmique. Les plateformes médiatiques se défendent en disant qu’il s’agit d’un moyen de réduire les abus dont sont parfois victimes les personnes handicapées. Cependant, les militants et les militantes ayant un handicap sont souvent réfractaires à ce type de raisonnement.

Le capacitisme sur les médias sociaux n’est pas réservé aux seules personnes souffrant d’un handicap physique. Il joue un rôle dans les effets (potentiellement) néfastes qu’ont ces médias sur les personnes ayant un handicap invisible. Le harcèlement des personnes neurodivergentes par des célébrités du grand écran est un exemple de capacitisme sur les médias sociaux. On pourrait aussi parler de la défense de représentations néfastes dans la culture populaire et des articles au contenu douteux sur le handicap et l’éthique.

Capacitisme en emploi

L’un des domaines où le capacitisme est le plus visible est celui de l’emploi. En 2017, les personnes handicapées au Canada âgées de 25 à 64 ans avaient un niveau d’emploi de beaucoup inférieur (59 %) à celui des personnes non handicapées (80 %). Parmi les exemples occasionnels de capacitisme, citons les exigences professionnelles qui demandent inutilement aux employés de pouvoir soulever un poids déraisonnable ou qui imposent un stress excessif aux candidats et candidates ayant un handicap.

Le capacitisme, ou la crainte qu’il se manifeste pendant le processus de demande d’emploi est une autre préoccupation importante pour les personnes handicapées. De manière générale, il est illégal au Canada de demander à un(e) candidat(e) s’il ou elle souffre d’un handicap au cours d’une entrevue. Toutefois, la pression exercée pour que ces personnes divulguent cette information nuit la plupart du temps au traitement de leurs demandes. La crainte que les besoins d’accès d’une personne handicapée ne puissent pas être satisfaits peut également constituer un obstacle. Les personnes ayant un handicap doivent faire face à certaines hypothèses capacitistes liées aux compétences en emploi qui ne touchent pas nécessairement les personnes sans handicap.

Capacitisme et politique d’immigration

À la fin du 19e siècle, le Canada met en place des politiques visant à interdire l’immigration aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Malgré l’introduction d’un système de points en 1967, la politique d’immigration canadienne défavorise toujours les immigrants handicapés. Plus précisément, le système peut refuser les candidats qui pourraient exercer une « demande excessive » de services sociaux ou de services de santé.

Capacitisme médical et eugénisme

La forme la plus notable de capacitisme se retrouve probablement dans le milieu médical. Selon des études de recherche et des témoignages de première main, les idées reçues sur la vie des personnes handicapées ont des effets néfastes sur la qualité des soins qu’elles reçoivent. Par exemple, la perception capacitiste selon laquelle vivre avec un handicap implique nécessairement de mauvaises conditions de vie peut conduire au refus d’un traitement qui pourrait sauver la vie d’une personne.

On peut tracer un lien direct entre le capacitisme médical et le mouvement eugéniste. En effet, tout au long de l’histoire, on a qualifié de non idéaux, voire indésirables, les corps et les esprits handicapés.