John Ware : La légende du « premier » cowboy noir du Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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John Ware : La légende du « premier » cowboy noir du Canada

Écoutez Fort et libre, une baladodiffusion en six parties de Historica Canada, produite par Media Girlfriends. Parce que l'histoire des Noirs c’est l'histoire du Canada.

Reconnu pour sa force, son talent en équitation et ses techniques innovatrices en élevage, John Ware était un Albertain légendaire. Né en tant que personne réduite en esclavage, il est devenu un éleveur prospère et s’est éventuellement installé près de Calgary. Il était largement admiré en tant qu’un des meilleurs « cowboys » de l’Ouest, même à une époque où le racisme et la discrimination anti-noirs étaient répandus. 

Nous nous tournons vers Cheryl Foggo, autrice, dramaturge, scénariste, et réalisatrice du film John Ware Reclaimed, ainsi que vers Karina Vernon, professeure agrégée à l’Université de Toronto Scarborough, pour en apprendre davantage sur le légendaire héros noir qui a contribué à façonner la culture des Prairies du Canada.

Josiane Blanc : Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit quand je vous dis « légende » ? Ou « qui » vous vient à l’esprit, devrais-je dire ?
Vous pensez peut-être à un superhéros légendaire. Peut-être pensez-vous à des légendes dans des livres et dans des films?
Une chose que toutes les légendes ont en commun, c’est qu'elles ont toutes une grande histoire. Elles sont confrontées à des difficultés, mais elles parviennent malgré tout à survivre et à s'épanouir.

Aujourd'hui, je vais vous parler de John Ware, un homme légendaire qui a donné son nom à un mont et à une crête, qui pouvait dompter des chevaux sauvages, qui était si doué qu'il a un jour traversé tout son troupeau de bovins en marchant sur le dos des animaux pour aller aider un employé de ranch... Il était profondément dévoué à sa famille et à sa communauté ET il était considéré comme le plus fort de tous les cowboys...
Imaginez... la poussière s'élève sur l'horizon. Le voilà qui arrive, dans le soleil couchant. Chevauchant avec fougue au grand galop. Pour cette histoire, on dirige notre attention vers l'ouest.

Je m'appelle Josiane Blanc et vous écoutez Fort et libre, une baladodiffusion de Historica Canada. Parce que l'histoire des Noirs c’est l’histoire du Canada.
Et lorsque je vous raconte l'histoire du légendaire cowboy John Ware, je vous parle aussi des racines longues et profondes des Noirs dans les Prairies, des Noirs qui ont bâti des communautés, qui ont contribué à bâtir la culture des Prairies de notre nation.

D'abord, je dois vous dire quelque chose. Je viens d'apprendre que le mot « cowboy », l'origine du mot, un mot que nous utilisons tout le temps, n'est pas si géniale.

Vous voyez, aux États-Unis, avant la guerre de Sécession, les hommes et les femmes asservis noirs travaillaient dans les ranchs; ils faisaient le dur travail d'attacher le bétail, de marquer, de dresser et de soigner les chevaux. Ils faisaient ce travail aux côtés des ranchers blancs. Les travailleurs blancs étaient appelés « cow-hands », mais les travailleurs noirs asservis étaient appelés « cow-BOYS ». À l'époque, "Boy" était un terme courant d'irrespect, de propriété et de dévalorisation. Donc oui, le mot « cowboy » était... raciste.

Avec le temps, le mot a évolué et maintenant nous l'utilisons pour toute personne travaillant avec le bétail.

Mais, étant donné que je raconte l'histoire d'un cowboy et que je vais souvent utiliser ce mot aujourd'hui, j'ai pensé que vous voudriez connaître l'histoire de ce mot.

Lorsque nous avons décidé de nous plonger dans l'histoire des cowboys noirs, des colons, des fermiers et des pionniers des Prairies pour ce balado, nous savions que nous devions parler de John Ware.

Et si vous voulez parler de cette figure historique imposante, de ce cowboy légendaire, la première étape est de retrouver Cheryl Foggo.

Cheryl Foggo : Je m'appelle Cheryl Foggo et je suis auteure, cinéaste et dramaturge. Et je suppose que je me qualifie d'historienne amatrice ou peut-être d'historienne communautaire parce que je recherche et je préserve des histoires qui n'ont pas vraiment été explorées en profondeur par d'autres historiens liés aux institutions.

JB : Cheryl a consacré sa vie à écrire sur les Noirs de l'Ouest canadien et a réalisé un film documentaire sur John Ware et la lignée séculaire de sa propre famille.

L'histoire de sa famille remonte à 1910, quelques décennies après que John Ware se soit fait connaître dans la région de Calgary. Le film s'intitule John Ware Reclaimed.

Selon elle, John Ware est une personne célèbre dont personne n'a jamais entendu parler en dehors de l'Alberta.

CF : Mon frère et moi avons essayé de déterminer le moment où nous avons entendu le nom Ware pour la première fois. Et nous le savions : il y avait bien une personne nommée JOHN WARE qui était un cowboy ? Et puis quand avons-nous réalisé qu'il était Noir ? Ce sont des choses différentes parce que les enfants de John Ware étaient des aînés dans ma communauté. Donc nous pensons avoir entendu le nom WARE parce que beaucoup de gens dans notre communauté étaient amis avec Bob Ware, et Nettie Ware et Mildred Ware Jr.

JB : Même avec les enfants âgés de John Ware, à cette époque, vivant dans leur communauté, Cheryl et son frère Richard étaient bien trop jeunes pour faire le lien entre l’attachement profond de leur propre famille avec les prairies et le légendaire cowboy noir. Pour Cheryl, cet attachement important et fondamental n'a commencé à se mettre en place que bien plus tard dans sa vie.

Mais pour nous, nous pouvons commencer à faire le lien dès maintenant... Parce que non seulement j'ai Cheryl avec moi aujourd’hui, mais j'ai aussi une autre experte pour vous.

Karina Vernon : Je m’appelle Karina Vernon. Je suis professeure associée à l'Université de Toronto Scarborough, où je fais des recherches et où j’enseigne dans les domaines de la littérature canadienne, de la littérature noire canadienne et des solidarités noires-autochtones.

JB : Karina a passé plus d'une décennie à faire des recherches sur la toute première présence des Noirs dans l'Ouest canadien - passant au peigne fin les lettres personnelles, les documents officiels, les journaux, la poésie. Tout cela pour comprendre comment les familles de pionniers noirs ont construit des communautés et façonné l'Ouest canadien.

KV : En examinant les archives, en particulier les archives du commerce de la fourrure, les archives de la Compagnie de la Baie d'Hudson et d'autres sources d'archives similaires... j'ai découvert que des hommes et des femmes noirs étaient actifs dans la traite des fourrures dans cette première zone de contact qui a été régionalisée sous le nom de prairie. Donc cette présence remonte aussi loin que j'ai pu le constater... à la fin des années 1700. Vers 1780, 1790. Les Noirs, qu'ils soient esclaves, libres ou sous contrat, tenaient un rôle important dans le commerce de la fourrure. Cette présence remonte à très longtemps.

JB : Vraiment très longtemps.

Une partie des écrits historiques découverts par Karina provient d'une femme nommée Mildred Ware, l'épouse de John Ware.

KV : J'avais entendu le nom de John Ware, le célèbre cowboy noir. John Ware n'écrivait pas. On ne lui a pas appris à lire et à écrire. Mais Mildred venait d'une famille noire de classe moyenne de l’Ontario. Lorsque sa famille a déménagé dans les Prairies et qu'elle a épousé John Ware, elle a appris à lire et à écrire à sa famille. Et c'est elle qui tenait les registres et les comptes de leur ranch.

JB : John et Mildred Ware ont établi leur DEUXIÈME ranch près de Brooks, en Alberta, vers 1902. John Ware était l'un des premiers pionniers noirs des Prairies. Il était connu pour son courage, sa force physique, son habileté à manier les chevaux et ses incroyables techniques d'élevage. Selon la légende, il pouvait facilement jeter un bouvillon sur le dos pour le marquer au fer rouge. Les terres agricoles de la région pouvaient devenir très sèches, ce qui rendait l'exploitation difficile. John Ware a été l'un des premiers de la région à irriguer ses cultures en utilisant l'eau de la rivière voisine. Ses cultures étaient florissantes et il avait toujours du foin pour son bétail.

Pour un Noir anciennement asservi, il était remarquable par le fait qu'il inspirait le respect dans sa communauté et au-delà. Mais comment s'est-il retrouvé en Alberta ? Pour cela, il faut remonter à 1882. Et bien que les registres de l'époque soient incomplets, tout porte à croire que John Ware est né dans le Sud des États-Unis.

CF : Mon hypothèse la plus probable, à ce stade, est que c'était le Tennessee. C'était un cavalier et un cowboy très doué. Je suppose donc qu'il a grandi entouré de chevaux, dans une certaine mesure, et que cela a peut-être même fait partie de son travail en tant qu'esclave. Parce qu'en 1882, lorsque John Ware a traversé la frontière des États-Unis pour se rendre dans le sud de l'Alberta, ou ce qui était à l'époque les Territoires du Nord-Ouest, il était déjà très compétent en tant que cavalier. Il travaillait donc manifestement comme cowboy depuis un certain temps déjà.

JB : John Ware faisait partie d'une petite première vague d'immigration d'hommes et de femmes noirs libres qui, bien que libres, étaient toujours victimes de discrimination. Des lois limitaient leur liberté de posséder des terres, de voter, et ils étaient même confrontés à de la violence et a des meurtres. L'esclavage était peut-être terminé, mais le racisme était loin d'avoir disparu.

Ces hommes et ces femmes ont appris que l'Ouest canadien ouvrait ses portes et ils sont partis vers le Nord. Au même moment, de nombreux éleveurs blancs ont déplacé leur bétail au Canada, en commençant par le Texas, puis les éleveurs de l'Idaho et du Montana venaient en l’Alberta. Et c’est exactement pour cela que John Ware a été embauché : déplacer 3 000 têtes de bétail à la North-West Cattle Company de Sir Hugh Allan, située dans les contreforts des montagnes, au sud-ouest de Calgary.

CF : C'était le premier grand rassemblement de bétail et c'était le début de l'établissement de l'Alberta en tant qu'économie et moteur agricoles. On peut donc dire que John Ware a fait partie de la toute première industrie de l'Alberta.

JB : Le statut légendaire de John Ware a commencé peu après qu'il ait franchi la frontière canadienne... et l'un des premiers défis qu'il a dû relever a été de traverser une énorme tempête de neige.

CF : C'était le type de blizzard que nous avons ici et qui peut tuer des gens. Et John Ware s'est distingué des autres cowboys par son comportement dans cette tempête, car il a réussi à garder son bétail en sécurité.

Il était très brillant pour gérer le bétail et très, très bon avec des chevaux. Les chevaux l’écoutaient. Donc, il pouvait monter des chevaux que personne d'autre ne pouvait monter. Il pouvait monter des chevaux qui ruaient avec tous les autres cowboys. Il y a donc beaucoup de choses qui l'ont rendu célèbre assez rapidement.

JB : John Ware se faisait un nom.

Il avait le respect de ceux qui le connaissaient, mais une partie de la discrimination à laquelle il était confronté aux États-Unis l'a suivi au Canada.

Il existe des histoires documentées selon lesquelles John Ware s'est vu refuser l'entrée dans quelques établissements de Calgary. La légende veut qu'un barman qui avait refusé de servir le cowboy noir se soit retrouvé étalé sur le sol de son propre bar après avoir traité John Ware d'un nom désobligeant. Ne pas être servi dans un bar est une chose, mais on raconte que John Ware devait payer deux fois plus cher que les ranchers blancs pour obtenir des terres.

Ainsi, même si le Canada avait ouvert ses portes dans l'Ouest, les Noirs n'étaient pas nécessairement bien accueillis par tous. Des coupures de journaux datant de l'arrivée de la famille de Cheryl en 1910 font état de la présence indésirable de « nègres » entre guillemets. Les politiciens s'opposent à la nouvelle immigration de Noirs en provenance des États-Unis. Sous la pression des Canadiens blancs en 1911, le gouvernement s'apprête à INTERDIRE l'immigration des Noirs dans l'Ouest canadien pendant un an... Oui, le même pays qui leur ouvrait ses portes voulait interdire les Noirs. Mais heureusement, l'interdiction n'a pas eu lieu.

Ne pas être servi dans un bar à cause de la couleur de sa peau, c'est du racisme.

Ne pas pouvoir acheter un terrain à un prix équitable ou entrer dans un pays à cause de la couleur de sa peau, c'est du racisme systémique.

C'est-à-dire un racisme qui est intégré dans le système de notre société.

Au dire de tous, John Ware a pris la situation en main et a continué à bâtir sa réputation - une réputation qui, des décennies plus tard, allait conquérir le cœur et l'imagination d'une jeune Cheryl Foggo.

CF : Il faut comprendre ce que c'était de grandir à Calgary dans les années 50 et 60. Et à quel point notre identité, en tant que jeunes, et je parle des jeunes de Calgary de toutes les races, était liée aux chevaux et aux cowboys. C'était dans l'air que nous respirions. On ne pouvait pas y échapper.

JB : Pour Cheryl et son frère Richard, qui ont grandi à Calgary, la patrie du Stampede, la culture des cowboys est un droit de naissance.

CF : Pour Richard et moi, c'était notre monde imaginaire. Nous n'avons jamais joué à autre chose. Nous jouions aux cowboys. Nous nous asseyions sur la table de la cuisine et attachions nos écharpes aux chaises, et les chaises étaient les chevaux. Et nos écharpes étaient les rênes. Et la table était notre chariot, et nous jouions pendant des heures et avions toutes sortes d'aventures. Ainsi, cette partie de notre identité, de notre plaisir, de notre évasion de tous les malheurs et soucis de l'enfance... était profondément ancrée en nous.

JB : Mais d'une certaine manière, ça ne semblait pas comme leur droit de naissance. Tous les cowboys qu'ils voyaient à l'école, dans les livres et à la télévision étaient blancs. Toute l'histoire qu'on leur enseignait laissait de côté les gens de leur couleur. Des histoires comme celle de John Ware n'étaient pas accessibles à Cheryl. L'histoire de sa propre famille ne faisait pas partie de l'histoire qu'elle a apprise sur les Prairies, en grandissant.

La professeure Karina Vernon a beaucoup réfléchi à cet effacement.

KV : Vous savez, chaque fois que je demande à mes étudiants, par exemple, comment vous imaginez les prairies, ils parlent de cowboys blancs. Ils y pensent comme à un espace blanc. Et c'est parce que les histoires et les référentiels culturels officiels ont occulté l’existence des communautés noires, n’est-ce pas?

Je dis que ce ne sont pas seulement les Noirs à qui on vole leurs histoires quand nous voyons nos histoires effacées de cette façon. On nous vole à tous notre histoire collective.

JB : Laissez-moi le répéter. Ce sont tous les Canadiens qui se font voler lorsque nous ne connaissons pas nos véritables histoires. Noir ou pas.

CF : John Ware n'était dans aucune des encyclopédies que nous avions à la maison. S'il y avait été, je l'aurais déjà découvert parce que j’ai lu toutes les encyclopédies. Il n'était pas dans nos livres d'école. Il n'était pas dans les livres de notre bibliothèque à Bowness.

JB : Il n'était pas dans les livres, mais il était une légende. Les gens en Alberta connaissaient le nom de John Ware.

CF : Vous imaginez peut-être ce que c'était que d'apprendre que la personne que la plupart des Albertains du Sud considèrent comme le plus grand cowboy de tous les temps est noire, comme nous. Ça a changé notre vie et nous a donné la chair de poule.

JB : Et puis, il y a l'histoire de la famille de Cheryl...

CF : Je suis l'une de six enfants dans ma famille et je suis une descendante des pionniers noirs qui se sont installés en Alberta et en Saskatchewan vers 1910.

JB : Permettez-moi de remonter un peu plus loin dans l'histoire de Cheryl. À la fin du 19e et au début du 20e siècle, le gouvernement canadien a fait une offre aux agriculteurs du sud des États-Unis. Pour un droit de dépôt de 10 $, ils pouvaient obtenir 65 hectares de terre s'ils acceptaient d'en cultiver une partie et d'y construire une habitation permanente dans les trois ans.

Les ancêtres de Cheryl sont arrivés au début des années 1900.  Cette migration a entraîné la création de communautés noires en Alberta et en Saskatchewan.

Les arrière-grands-parents de Cheryl se sont installés près de Maidstone et de Turtleford, en Saskatchewan. Certaines de ses grand-tantes et un grand-oncle se sont installés à Amber Valley, en Alberta, la plus grande et la plus connue des communautés noires. Ses grands-parents ont déménagé à Regina en 1926. Sa mère a quitté Regina pour Calgary en 1946... Et c'est à Calgary que Cheryl est née... et où elle est allée à l'école.

CF : Presque tous les élèves de mon école étaient des Canadiens de première ou de deuxième génération.

Je me suis rendu compte, vers la quatrième ou la cinquième année, que mon histoire dans cette partie du monde était plus ancienne que cela, que nous étions ici depuis plus longtemps.

On ne me considérait pas comme une Canadienne de longue date, personne ne m'aurait choisie parmi tous les enfants comme étant celle qui avait les racines les plus profondes et les plus ancrées dans l'Ouest canadien.

JB : Elle était une fille noire et les pionniers dont ils avaient entendu parler à l'école ne lui ressemblaient pas. Ce n'est que lorsque Cheryl a eu 10 ou 11 ans que son frère aîné a vu une photo de John Ware au musée Glenbow... un homme noir. Un cowboy, qui faisait partie de cette première présence noire dans les prairies... tout comme Cheryl.

CF : C'est à ce moment-là que notre amour des cowboys et des chevaux et de tout cet héritage avec lequel nous avons grandi à Calgary, se sont unifiés. Parce que c'était un héritage dans lequel je ne me voyais pas du tout reflétée. Les histoires de cowboys, c'était un monde de blancs.

C'est à ce moment-là que ces deux parties très distinctes de mon identité, mon africanité et mon côté cowgirl, se sont réunies et ont pu commencer à s'unifier.

JB : Un livre a été écrit en 1960 par l'historien, ancien maire de Calgary et ancien lieutenant-gouverneur de l'Alberta, Grant MacEwan. C'est là que beaucoup de légendes sur John Ware ont commencés. Le livre s'appelle John Ware's Cow Country. Cheryl... n'aime pas ce livre.

CF : Je n'ai pas lu ce livre avant d'être un peu plus âgée et je suis heureuse de ne pas l'avoir fait parce qu'il est très... difficile à digérer. Ce livre est très difficile à accepter pour une personne d'origine africaine. Le langage qu’il utilise pour parler de John Ware dans le livre est si horrible et si choquant que je pense que je l'aurais trouvé très dérangeant si j’avais lu le livre quand j'étais enfant.

JB : Malgré qu’elle soit bien intentionnée, l'histoire de John Ware racontée par Grant MacEwan se situe à la limite entre la fiction historique et les faits historiques. Dans son livre, les noms donnés à John Ware sont désobligeants. Et ce qui est encore pire, c'est que le livre dépeint Ware comme le cowboy noir solitaire... ignorant la présence noire qui était là avant, pendant et après John Ware.

Le livre a été lu par les gens de tous âges et a joué un rôle clé dans la façon dont John Ware a été perçu. Mais rappelez-vous que nous avons parlé plus tôt d'une grande migration de familles noires anciennement asservies en provenance des États-Unis en 1910? Eh bien, elles se sont installées en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba - elles font TOUTES partie de notre histoire.

Alors pourquoi ne connaissons-nous pas LEURS histoires ? Voici encore Karina...

KV : L'histoire n'est pas neutre. Le récit de John Ware a été présenté par plusieurs historiens comme une manifestation de ce qu'être noir signifie culturellement, plus précisément, une représentation de la masculinité noire. Ainsi, l'histoire de John Ware est racontée d'une manière particulière qui confirme les stéréotypes sur les hommes noirs, sur l’idée qu'ils n'ont pas la capacité ou l'intellect et qu'ils sont tous physiques, et ces histoires sont préjudiciables.

Et je pense que ça nous déforme tous en tant que Canadiens de ne pas connaître toute notre histoire. De ne pas savoir qu'il y a eu des commerçants de fourrures noirs, des fermiers-pionniers noirs. Et que nous étions là depuis le tout début des premiers contacts avec des non-autochtones. Et donc les conversations que nous avons aujourd'hui, vous savez, les conversations autour de Black Lives Matter et la lutte contre le racisme dans toutes nos institutions. Si les gens savaient à quel point l'histoire est longue, si les gens savaient depuis combien de temps les Noirs sont au Canada, dans les Prairies, et depuis combien de temps nous cherchons notre liberté, alors les conversations que nous avons maintenant sur Black Lives Matter ne seraient pas une surprise. Nous saurions que c'est une conversation qui dure depuis 300 ans. Pas vrai?

JB : John Ware est mort en 1905 près de Brooks, en Alberta, lorsque son cheval a trébuché dans un trou de blaireau et est tombé sur lui. Mildred, sa femme, est morte d'une pneumonie quelques mois avant lui, laissant tous deux derrière eux cinq enfants, un ranch, une vie remplie de réalisations et l'héritage dont nous parlons aujourd'hui. Une école porte le nom de John Ware. Deux ruisseaux portent son nom. Vous pouvez faire une randonnée sur la crête de la montagne John Ware. Il y a même un timbre canadien à son effigie. Le vacher a vécu de 1850 à 1905 environ et pendant cette période, contre toute attente, il a fait sa vie et a créé un héritage ici au Canada. Mais il n'était pas seul...

Ne raconter que l'histoire de John Ware – bien qu’elle est une histoire EXTRAORDINAIRE - est tout aussi dommageable que de ne pas raconter du tout l'histoire de la présence des Noirs dans les Prairies. En racontant l'histoire de Cheryl ET l'histoire du légendaire John Ware, nous pouvons tracer certaines lignes de l'histoire de notre pays. L'histoire des Noirs c’est aussi NOTRE histoire. C'est aussi simple que ça.

Je veux que vous reteniez de cet épisode que John Ware était un éleveur de bétail exceptionnel. Ses compétences étaient légendaires, elles transcendaient le racisme. Son excellence ne s'effacera pas. Mais que se passerait-il si nous connaissions et nous nous souvenions des histoires de toutes les communautés noires des Prairies ? Qu'est-ce que cela ferait pour nous, pour le Canada ?

CF : J'entends tout le temps des jeunes Noirs qui ont grandi ici me dire : « Si j'avais connu l'histoire de John Ware » ou « si j'avais connu l'histoire de vos ancêtres et des communautés noires qui étaient ici et qui ont apporté d'incroyables contributions à cette partie du monde, ça m'aurait aidé à grandir. » Ce fossé, cette absence est donc très préjudiciable. Je crois aussi que c'est dommageable pour tout le monde. Ça vous prive d'un sentiment d'appartenance à l'endroit où vous vivez. 

Je pense simplement que notre histoire nous appartient à tous, et que ça nous aiderait vraiment à comprendre qui nous sommes en tant que Canadiens, si nous avions une meilleure compréhension de qui nous avons toujours été.

JB : Merci nous avoir écoutés.

Fort et libre est produit par Media Girlfriends et Historica Canada.

Cette série fait partie d’une campagne d’éducation plus large sur l’histoire des noirs par Historica Canada. Pour plus de ressources sur l'histoire des Noirs au Canada, visitez le site web historicacanada.ca.

Vous pouvez trouver Fort et libre sur les plateformes de baladodiffusion Apple, Spotify ou partout où vous écoutez vos baladodiffusions.

Cet épisode a été écrit et produit par Garvia Bailey.

Les productrices principales sont Garvia Bailey et Hannah Sung

Conception et mixage sonore : Gabbie Clarke et David Moreau

L'équipe Media Girlfriends est aussi constituée de Lucius Dechausay, Jeff Woodrow, et de Nana aba Duncan, la fondatrice de Media Girlfriends.

Merci à Karina Vernon, professeure associée à l'Université de Toronto Scarborough et à notre consultante en scénario, Cheryl Foggo, réalisatrice, scénariste, auteure et dramaturge.

Version française par Power of Babel.

Vérification des faits par Sean Young.

Mon nom est Josiane Blanc. Merci nous avoir écoutés.