Paul-Émile Borduas et le Refus global | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Paul-Émile Borduas et le Refus global

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

"Place à la magie! Place aux mystères objectifs! Place à l'amour! Place aux nécessités!"

Avec ces mots, le peintre Paul-Émile Borduas, dans son manifeste Refus Global, défie le conservatisme du Québec de l'après-guerre et lance un débat qui s'étend au-delà de son milieu artistique immédiat. Le manifeste de Borduas accompagne une exposition des oeuvres d'un groupe de jeunes artistes de Montréal, les Automatistes qui s'inspirent des surréalistes. Le manifeste fait découvrir au public le groupe jusqu'alors inconnu et offense presque tout le Québec avec sa fougueuse attaque des valeurs sacrées de la société québécoise, en particulier, de l'Église catholique, institution intouchable s'il en est. Il fait entendre aussi les premiers murmures dénonçant le statu quo, murmures que des voix plus puissantes reprendront pendant la Révolution tranquille des années 1960.

Homme réfléchi et intelligent, au front dégagé et à la petite moustache, Borduas n'a pas l'air d'un rebelle. Né à Saint-Hilaire en 1905, il est le fils d'un charpentier et ouvrier métallurgiste. Borduas manifeste un talent artistique précoce qui incite un artiste du village, le peintre religieux très connu Ozias Leduc, à le prendre sous son aile et à lui enseigner l'art lucratif de la décoration d'église. Avec l'aide de Leduc, il trouve l'argent nécessaire pour aller étudier à Paris de 1928 à 1930. Il y est exposé aux théories avant-gardistes qui nourriront plus tard sa démarche artistique - les oeuvres de Renoir et de Cézanne l'impressionnent tout particulièrement. De retour au Canada, il enseigne l'art et obtient finalement un poste à l'École du Meuble de Montréal.

Sea Gull par Paul-Émile Borduas, 1956, huile sur toile (Musée des beaux-arts du Canada).

Borduas commence alors à expérimenter un style de peinture appelé "automatisme", qui puise dans l'inconscient pour créer des compositions abstraites spontanées. Ses œuvres inspirent un groupe de jeunes artistes qui commencent à exposer leurs tableaux à Montréal.

Sa décision de publier son manifeste est risquée et courageuse, particulièrement dans la société québécoise profondément conservatrice. Compte tenu de l'orientation que prend son art, sa déclaration publique est peut-être inévitable. Pour relever le défi de l'inconnu, il doit rejeter tout ce qui nuit à la libre expression.

Pour les lecteurs d'aujourd'hui, le Refus Global est un document curieux mais puissant. Pour lui, les "familles canadiennes-françaises" sont "restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur", et il attaque, dans une langue extraordinairement poétique, l'étroitesse d'esprit et la peur qui ont isolé la société québécoise du changement et de la croissance. Il parle de manière cinglante de l'Église catholique, de la corruption politique et des classes nanties qui, guidées par leur intérêt personnel, contrôlent la société québécoise.

En publiant le Refus Global, le 9 août 1948, Borduas et ses amis déclenchent un débat qui enflamme la société québécoise. L'opinion publique s'exprime dans plus de 200 articles, parfois pour, mais surtout contre la tirade de Borduas. Son appel à la responsabilité et à l'autonomie personnelle et sa condamnation des mouvements politiques organisés l'opposent à la fois à la droite conservatrice et à la gauche. Les libéraux progressistes s'en prennent au parti pris anarchiste du manifeste et en condamnent nerveusement le ton impie.

Pour Borduas lui-même, le manifeste est dévastateur. L'École du Meuble le congédie, et il ne peut trouver aucun autre poste de professeur. Découragée par la pauvreté, sa femme quitte le foyer avec leurs trois jeunes enfants. En 1952, il est forcé de vendre sa maison et de s'installer chez son frère.

Il continue néanmoins à peindre, et ses œuvres connaissent peu à peu le succès. Il déménage à Paris en 1955, où il demeure jusqu'à sa mort, en 1960, bien que son cœur soit resté au Québec. À l'époque où il décède, son art est acclamé mondialement et son style abstrait est sérieusement reconnu dans les milieux artistiques du Québec.

L'effet du Refus Global sur la société québécoise est plus difficile à mesurer. Le Refus Global prête sa voix à la dissidence, ce qui marque le début d'un processus de transformation de la société québécoise et précipite les événements politiques qui secoueront plus tard tout le pays.

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