Le Silver Dart et l'aube de l'aviation au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Le Silver Dart et l'aube de l'aviation au Canada

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Un fragile engin ailé repose tel une mouche de mai sur la glace de la baie de Baddeck, dans l'île du Cap-Breton. Parmi les tubes d'acier, les câbles et le ruban isolant figure en toute confiance un jeune ingénieur du nom de Douglas McCurdy. Par ce mardi après-midi frileux du 23 février 1909, une foule attentive s'est rassemblée pour voir ce que l'ingénieux Alexandre Graham Bell et son protégé leur réservaient cette fois-ci.

McCurdy a baptisé l'engin Silver Dart en raison de sa forme effilée et de l'enduit argenté qui recouvre ses ailes. Quelqu'un fait tourner l'hélice et McCurdy fait signe à la foule de dégager la piste.

Poursuivie par plusieurs patineurs acharnés, la machine s'élance rapidement sur la glace. Sous les yeux des spectateurs ébahis, le Silver Dart s'élève gracieusement dans les airs. Cinq ans seulement après le premier envol discret des frères Wright à Kitty Hawk, c'est la première fois, non seulement au Canada, mais dans tout l'empire britannique, qu'on observe un tel spectacle.

J.A.D. McCurdy pilote le « Silver Dart », au-dessus de la baie de Baddeck, lors du premier vol motorisé au Canada, le 23 février 1909 (avec la permission de la Library of Congress).

McCurdy manœuvre le Silver Dart, puis exécute un atterrissage parfait, évitant habilement deux fillettes qui jouent sur la glace. «Ça va bien. Cette fois-ci, je vais faire un vrai vol», crie-t-il à tue-tête à Bell. «Non, c'est assez pour aujourd'hui», lui répond Bell, invitant ensuite la foule chez lui, où il offre à tous café et boisson de framboisier.

À la fin du XIXe siècle, Baddeck est une communauté remarquable, riche de l'esprit d'entreprise et du savoir-faire écossais. Bell y fait en quelque sorte figure de parrain du village. En 1886, il y construit une spacieuse résidence d'été. Il montre un intérêt tout paternel envers le jeune Douglas et, après le décès de sa mère, exprime le désir de l'adopter. Or, Georgina, la tante de McCurdy, ne veut rien entendre. La famille Bell continue néanmoins à occuper une place très importante dans la vie de l'enfant, l'encourageant notamment à faire des études de génie à l'Université de Toronto.

Déjà célèbre pour son invention du téléphone, Bell poursuit alors sa véritable passion pour le vol. Grâce au soutien financier de sa femme, il crée la Société d'expérimentation aéronautique, dont il est membre aux côtés de McCurdy, F.W. (Casey) Baldwin, un collègue de classe que McCurdy a ramené de Toronto, Thomas Selfridge, un lieutenant de l'armée américaine, et Glenn Curtiss, un célèbre fabricant de moteurs pour motocyclette. L'objectif de la Société est simple : faire voler un homme.

L'équipe s'intéresse d'abord aux cerfs-volants, pour lesquels Bell nourrit une obsession depuis plus de 20 ans. Puis, à Hammondsport dans l'État de New York, ils mettent des planeurs à l'essai, les jeunes hommes les pilotant tour à tour. Inévitablement, ils en arrivent à installer un des moteurs de Curtiss dans un planeur. Résultat : un aéronef peu maniable qu'ils baptisent le Red Wing. Le 12 mars 1908, Casey Baldwin prend les commandes du Red Wing pour la première fois et survole le lac Keuka.

Ces premiers aéronefs présentent des problèmes majeurs. Par exemple, il est impossible de les redresser lorsqu'ils commencent à pencher d'un côté ou de l'autre. La Société étudie donc les photos de l'écrasement du Red Wing et en arrive à une solution simple et élégante : l'installation d'un volet articulé sur chacune des ailes de l'appareil. McCurdy expliquera plus tard le concept à un chercheur français qui s'exclamera : «C'est un aileron!», d'où le nom de cette innovation cruciale. La Société construit deux autres appareils à New York et établit plusieurs records.

J.A.D. McCurdy pilote le « Silver Dart » à Baddeck, en Nouvelle-Écosse, le 23 février 1909. C'est le premier vol contrôlé d'un aéronef au Canada (avec la permission des City of Toronto Archives/SC244-79).

Longtemps, Bell souhaite que chacun de ses quatre jeunes ingénieurs ait l'occasion de concevoir un aéronef. Quand McCurdy entreprend la conception du Silver Dart, il y ajoute des améliorations découlant des avions précédents, dont l'aileron, le premier moteur refroidi à l'eau et l'enduit argenté servant à imperméabiliser les ailes.

À la suite du succès du Silver Dart à Baddeck, McCurdy pilote l'avion devant des observateurs militaires à Petawawa, en Ontario. Lors du cinquième vol, une des roues s'embourbe dans le sable et l'appareil s'écrase. Les hauts gradés de l'armée concluent que l'avion n'aura jamais sa place dans la stratégie guerrière moderne. Ce n'est pas la dernière fois que le Canada lèvera le nez sur l'ingéniosité canadienne.

McCurdy se tourne alors vers les États-Unis et fait des démonstrations de vol devant d'immenses foules. Les Américains sont si impressionnés par son courage qu'ils le traitent en véritable Américain sur le plan de l'aviation, même s'ils le savent canadien de naissance. En vérité, McCurdy reflète l'ardeur au travail, l'éducation et l'indépendance qui caractérisent son héritage écossais du Cap-Breton. Il demeure un des pionniers d'une des grandes innovations technologiques de l'histoire.