Stephán G. Stephansson :« le plus grand poète du monde occidental » | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Stephán G. Stephansson :« le plus grand poète du monde occidental »

« Nul homme ne vit si innocemment qu'il ne s'attire jamais d'ennuis », écrit Stephán G. Stephansson en 1910 dans une lettre à un vieil ami.

« Nul homme ne vit si innocemment qu'il ne s'attire jamais d'ennuis », écrit Stephán G. Stephansson en 1910 dans une lettre à un vieil ami. Fermier et poète du centre-ouest de l'Alberta, Stephansson se crée en effet bien des ennuis pendant la plus grande partie de sa vie adulte. Ses prises de position religieuse ou politique suscitent la controverse, et cette réputation est bien établie. Il se trouvera d'ailleurs mêlé à une polémique telle qu'il évitera de justesse l'accusation de trahison.

Surnommé "le poète des montagnes Rocheuses," Stephán Stephansson était le plus important poète islandais au Canada (avec la permission les archives Glenbow).

Sa réputation de « fauteur de troubles » mise à part, Stephán G. Stephansson est considéré comme « le plus grand poète du monde occidental ». Il est certes un poète des plus prolifiques, publiant plus de 2000 pages de poésie, la plupart d'une très haute tenue. Ses aptitudes en poésie sont reconnues à l'occasion de rencontres littéraires dans l'Ouest canadien et aux États-Unis, ainsi qu'en Islande en 1917. Certains de ses poèmes sont publiés dans des manuels scolaires canadiens; d'autres sont mis en musique. En 1924, il est invité à se joindre à la Canadian Authors Association, mais il décline cet honneur, ayant le sentiment qu'il ne le mérite pas. Alors, pourquoi la plupart des Canadiens n'ont-ils jamais entendu parler de cet homme?

Né dans une famille pauvre du nord de l'Islande en 1853, Stephansson émigre d'abord aux États-Unis en 1873, puis, en 1889, s'installe sur un terrain non aménagé situé à l'ouest de l'actuelle ville d'Innisfail, en Alberta. Fermier le jour, il consacre ses soirées à composer des vers, non pas en anglais, mais en islandais, sa langue maternelle. Bien que nombre de ses poèmes évoquent les difficultés du homesteading, le thème de l'Islande n'est jamais bien loin. « Je sais pourquoi cette mère patrie me retient tout près d'elle; / Car teintée des souvenirs d'antan / Chaque vue de la terre fait résonner une voix du passé / Par-delà vallées, monts et rivages. » [Traduction libre]

Stephansson House est un Lieu historique situé à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Red Deer, en Alberta, près de Markerville, une petite communauté fondée par des islandais à la fin du XIXe siècle (avec la permission des Provincial Archives of Alberta).

Peu scolarisé, Stephansson a le profond désir de perfectionner ses connaissances personnelles. Il considère cette démarche comme une responsabilité qu'il a non seulement envers lui-même, mais à l'égard de l'humanité entière. Un tel sens de la responsabilité va de pair avec un travail acharné imposé volontairement, une condition préalable à tout perfectionnement. Jeune homme, il approfondit les idées échevelées des libres-penseurs américains de la fin du XIXe siècle. Il trouve également intéressante la façon dont l'Église unitarienne met l'accent sur la dimension personnelle de la foi et la nécessité de vérifier les faits scientifiquement.

Ces idées valent à Stephansson de se trouver plongé dans sa première controverse importante. L'Église luthérienne islandaise crie au scandale et accuse Stephansson d'impiété. De son côté, Stephansson s'en prend à l'Église et à ses pasteurs et dénonce leur hypocrisie, leur superficialité et leur vanité. À la fin des années 1880, l'Église estime qu'il va beaucoup trop loin; à cette époque, Stephansson se considère d'ailleurs comme agnostique. Ne se laissant à aucun moment intimider par l'Église, Stephansson, pendant la Première Guerre mondiale, fustige les hommes d'Église qui prêchent « les mondes mielleux du... Prince de la Paix » alors qu'ils « ...ouvrent les Écritures / Pour prouver que celui qui ne prendrait pas les armes... n'aurait rien compris au sens de l'Évangile. » [Traduction libre]

Ses critiques de la position de l'Église pendant la guerre n'ont d'égal que son ardent pacifisme. Humaniste et poète, Stephansson n'épargne ni l'encre ni le papier pour dénoncer la guerre impérialiste. Il condamne les classes dirigeantes pour avoir comploté le massacre, l'Église pour y avoir apporté son soutien, l'armée pour avoir tout gâché en sacrifiant des vies humaines et les industriels pour avoir tiré profit de la production en temps de guerre ainsi que de l'inflation.

Dans un contexte de nationalisme débridé, ses opinions indignent les Canadiens d'origine islandaise. Lorsqu'il écrit Vopnhale (Armistice) en 1915, Stephansson doit se tourner vers l'Islande pour trouver un éditeur, car aucune maison d'édition islando-canadienne n'accepte de le publier. Considéré comme un paria dans sa propre communauté, Stephansson continue de manière cinglante à critiquer l'effort de guerre pendant les deux années qui suivent. Ce sont ses âpres critiques de l'entrée en guerre des États-Unis en 1917 qui incitent certains Canadiens d'origine islandaise à le menacer d'intenter à son encontre un procès pour trahison. Cette menace ne sera pas mise à exécution, mais l'incident reflète bien l'ampleur de la colère dirigée contre Stephansson.

L'arrêt des hostilités ne change en rien l'opinion du poète à l'égard de l'effort de guerre. L'Europe est en ruines, les dettes de guerre paralysent les nations, l'inflation monte en flèche et les agitations ouvrières font déferler une vague de grèves sur tout le pays. « Vous allez penser que je suis un Rouge », écrit Stephansson en 1922, convaincu que seule une révolution sociale intégrale peut sauver l'humanité. Il considère la Révolution bolchévique comme une application pratique de la théorie du socialisme scientifique. Au Canada, il soutient les Fermiers unis de l'Alberta dont les idéaux et l'honnêteté l'attirent.

Malgré la guerre et ses conséquences, Stephansson demeure éternellement optimiste pour la race humaine dont les progrès ne peuvent être circonscrits. Dans son ouvrage At the Forestry Station (version anglaise), il écrit : « Les monuments s'effritent. Les œuvres de l'esprit survivent / Aux bourrasques du temps. Les noms des hommes durent moins longtemps. / L'oubli peut éclipser tout point d'honneur / Mais les plus beaux édifices de l'esprit vivent et prospèrent. » [Traduction libre]